Les Fourberies de Scapin/Édition Louandre, 1910/Notice

Les Fourberies de Scapin/Édition Louandre, 1910
Œuvres complètes de Molière, Texte établi par Charles LouandreCharpentiertome III (p. 409-410).


NOTICE.


Cette pièce fut représentée pour la première fois sur le théâtre du Palais-Royal, le 24 mai 1671. C’est une imitation de la comédie antique à laquelle s’ajoutent un grand nombre d’emprunts faits à diverses comédies d’intrigue italiennes ou françaises. Le Phormion de Térence en a donné l’idée première, et plusieurs scènes ont été inspirées par la Sœur, comédie de Rotrou, le Pédant joué de Cyrano de Bergerac, un canevas italien, Pantalon père de famille, Francisquine, farce de Tabarin, l’Émilie de Grotto et la Constance de Larivey. C’est à propos des emprunts qu’il avait faits dans les Fourberies de Scapin, que Molière disait : « Je prends mon bien où je le trouve. »

Sans doute, quand on se place au point de vue étroitement classique ; quand on juge, comme quelques critiques, d’après le code du goût, qui n’est souvent que le code de l’impuissance et de l’ennui, on ne peut placer la pièce qui nous occupe au nombre des chefs-d’œuvre de notre scène ; mais au moins on ne peut lui refuser le premier rang parmi les chefs-d’œuvre de la farce. Molière voulait faire rire ; il a réussi, là est toute la question ; et pour répondre aux critiques qui ont été faites des Fourberies de Scapin, nous ne pouvons mieux faire que de citer ce jugement de Voltaire :

« Si Molière avait donné la farce des Fourberies de Scapin pour une vraie comédie, Despréaux aurait eu raison de dire dans son Art poétique :

C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans le sac ridicule ou Scapin s’enveloppe
Je ne reconnois plus l’auteur du Misanthrope.

« On pourrait répondre à ce grand critique que Molière n’a point allié Térence à Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence ; que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique ; et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe.

« Molière ne pensait pas que les Fourberies de Scapin et le Mariage forcé valussent l’Avare, le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, ou fussent même du même genre. De plus, comment Despréaux peut-il dire que Molière peut-être de son art eût remporté le prix ? Qui donc aura ce prix, si Molière ne l’a pas ? »

Nous ajouterons que si l’auteur, dans la pièce qu’on va lire, a souvent exagéré la plaisanterie, il a souvent aussi maintenu le véritable comique à une hauteur que lui seul a su atteindre, et suivant la juste remarque de Geoffroy, ce Scapin qui fait tant de folies, dit aussi quelquefois les choses les plus sages, témoin sa tirade sur les dangers de la chicane.