Les Fouilles récentes en Égypte

Les fouilles récentes en Egypte
E. Amelineau

Revue des Deux Mondes tome 130, 1895



LES FOUILLES RÉCENTES
EN ÉGYPTE

La terre d’Égypte tient toujours des merveilles en réserve pour les hommes actifs qui ne craignent pas de s’exposer aux fatigues de toute nature que les fouilles exigent. Depuis plus de dix-neuf siècles que les chercheurs de trésors l’ont, pour ainsi dire, mise en coupe réglée, on eût pu croire qu’ils avaient épuisé la source des objets de prix ; que les monumens de l’Égypte avaient presque complètement disparu ; qu’il n’en restait plus que ces masses indestructibles qui ont fatigué le temps, — comme dit le poète ; — et que désormais il n’y avait plus d’espoir à conserver qu’un heureux coup de pioche mît au jour de nouvelles richesses cachées dans les entrailles du sol. Et cependant l’Empire égyptien, durant une existence de près de six mille ans, avait accumulé tant de trésors dans l’étroite vallée du Nil ; le respect des antiques traditions léguées par les pères à leurs enfans, comme ils les avaient eux-mêmes reçues de leurs ancêtres, avait été si grand ; la religion des tombeaux si respectée que, malgré les révolutions du temps et des hommes, malgré les vols particuliers, les pillages provoqués par la soif de posséder des antiquités, les dévastations produites par les nuées de touristes qui s’abattent chaque année sur l’Égypte, malgré tant de causes en un mot qui eussent dû épuiser cette mère féconde, les splendeurs enfouies dans le secret du sol égyptien semblent inépuisables ; et au milieu de ses terrains déserts, de ses tolls incultivables, de ses plaines de sable, les chercheurs et les fouilleurs ont rencontré de véritables trésors.

La presse européenne a retenti ces dernières années du bruit des succès des archéologues qui passent leur vie à rechercher en Égypte des monumens ou des textes. Trois hommes se partagent en ce moment l’honneur de ces succès. Sans y avoir la même part, ils ont toutefois, chacun dans sa sphère, vu récompenser leur ardeur et leurs efforts. Les dernières années ont surtout, grâce à eux, enrichi l’humanité de documens ou de données nouvelles qui ont conquis de plein droit leur entrée parmi les connaissances de nature à éclairer l’espèce sur l’histoire de sa pensée et les progrès de sa civilisation. L’Égypte, à ce point de vue, a une position privilégiée, parce qu’elle est arrivée de très bonne heure à une civilisation consciente d’elle-même et qu’elle pouvait conserver ses souvenirs par l’écriture à une époque où toutes les autres nations on étaient encore à chercher la voie initiale vers ce progrès. Il n’y a nulle exagération à dire que le premier roi ayant présidé à la première des dynasties égyptiennes régnait six mille ans environ avant notre ère. Soixante siècles donc avant 1ère chrétienne, l’Égypte était sortie de l’enfance préhistorique ; elle connaissait l’écriture, les arts du dessin, l’architecture, la sculpture, la peinture ; elle s’essayait à les pratiquer et réussissait si bien que les plus anciens de ses monumens étonnent encore le monde ; elle avait une industrie primitive sans doute, mais elle avait déjà fait les découvertes les plus nécessaires, les plus utiles à l’homme, et les objets qu’elle savait déjà fabriquer supposent une ingéniosité merveilleuse de la part de ses artistes inconnus.

Nous trouverons au cours de cet article l’occasion d’en parler avec quelque étendue, à mesure que nous passerons en revue les résultats des fouilles conduites récemment par MM. Naville, Pétrie et J. de Morgan.


I

Les fouilles ont été pratiquées presque de tout temps en Égypte. Le lecteur sera sans doute étonné d’apprendre que dès les plus anciennes dynasties, la IVe ou la Ve, on avait pillé certaines tombes de la nécropole de Saqqarah pour s’approprier une place déjà occupée. La constitution politique de l’Égypte pouvait en effet amener quelques cas comme le suivant : un fonctionnaire de haut parage ayant mérité, par ses loyaux services envers la famille régnante, la concession d’une tombe à une époque indéterminée de sa vie, ayant achevé son tombeau et ses enfants l’ayant meublé en partie, tel événement pouvait se produire à la suite duquel le Pharaon retirait la concession à ce fonctionnaire, vivant ou non, et donnait le tombeau non encore occupé à quelque autre de ses officiers. C’est ce qu’on a appelé, assez à tort pour cette époque : usurpation de tombeaux. De semblables usurpations ont eu lieu non seulement pour les tombeaux en général, mais encore pour certaines parties de l’ameublement funéraire en particulier, comme par exemple les sarcophages en pierre, et cela à toutes les époques de l’Empire égyptien.

Sous la XXe dynastie, — c’est-à-dire vers le XIVe siècle avant notre ère, — lorsque la richesse de l’Égypte n’est plus alimentée par les razzias annuelles que les conquérans de la XVIIIe et de la XIXe dynastie faisaient sur les peuples voisins ; lorsque d’audacieux aventuriers sont venus reconnaître et envahir la vallée du Nil, attirés par la renommée de sa fertilité, de ses ressources et n’ont été repoussés qu’à grand’peine, après une sanglante bataille qui mit leurs dépouilles entre les mains du premier roi de la XXe dynastie, Ramsès III ; lorsque l’Égypte enfin est épuisée d’hommes et de ressources, que le trésor de ses princes est à sec, que les greniers d’approvisionnement n’ont pas été suffisamment remplis en de mauvaises années, que les ouvriers sont sans travail, partant sans pain, qu’ils se révoltent contre leurs employeurs, organisent les premières grèves dont l’histoire fasse mention, envahissent les greniers publics et s’arrêtent au milieu de leur succès, tout étonnés de n’avoir rencontré aucun obstacle ; alors il se forme dans la ville capitale de l’empire, — et aussi sans doute en d’autres villes où il y avait de riches nécropoles, — des associations de voleurs qui dépouillent les tombeaux des richesses qu’on y avait accumulées et que l’on pouvait prendre rien qu’en abaissant la main. Quel effet pouvaient exercer sur des hommes à bout de ressources, n’ayant plus de pain, de vin, de viande, d’huile dès la moitié du mois, entendant leurs femmes et leurs enfans pleurer, demander à manger, alors qu’ils n’avaient plus rien à leur donner et que leurs provisions ne devaient être renouvelées, si elles l’étaient, qu’après deux semaines d’attente au milieu des tortures de la faim, quel effet pouvaient exercer sur ces êtres bornés, rudes, vigoureux, la majesté suprême de la mort, le respect superstitieux des excommunications religieuses, du dévouement à la colère des dieux et aux supplices de l’autre vie ? Les malheureux savaient qu’en des lieux à eux connus était tout ce qu’il fallait pour leur redonner ce qu’ils n’avaient plus et qu’il, leur suffisait pour s’en emparer de briser le cachet d’argile qui scellait la porte d’entrée. Ils devaient savoir par une expérience sommaire que les morts ne se lèveraient point pour témoigner contre eux, qu’ils avaient seulement à craindre la justice royale qui les guettait. Ils se dirent qu’ils trouveraient bien moyen de lui échapper et ils violèrent les sanctuaires de la mort, s’y gorgèrent de richesses, et finirent par être pris. On les jugea : nous avons encore les pièces du procès. Pour quelques-uns qui furent capturés, combien échappèrent à la justice pharaonique ! Le pillage des tombes princières, — car les profanateurs s’attaquaient surtout aux tombes royales qu’ils savaient devoir leur offrir un butin plus rémunérateur, — le pillage alla si loin que les Pharaons de la XXIIe dynastie firent construire pour s’en défendre, les fameuses cachettes de Deir el Bahary qui n’ont été découvertes que dans ces dernières années : l’une, qui contenait les membres des familles royales, sous la direction de M. Maspero en 1881 ; et l’autre, qui avait gardé les restes des prêtres d’Amon, sous celle de M. Grébaut en 1891.

La punition des coupables n’arrêta point le pillage des tombes ; les bouleversemens politiques dont l’Égypte devint bientôt après le théâtre facilitèrent au contraire les profanations clandestines. On ne s’occupait plus de rechercher les profanateurs parce qu’on avait autre chose de plus pressé à faire ; et les associations de ces malfaiteurs pullulèrent. Puis, quand l’Égypte eut été conquise par les Grecs, et après eux par les Romains ; quand les voyageurs commencèrent d’affluer dans la vallée du Nil, ravis, tout comme nous le sommes, de pouvoir remporter de leur voyage quelque bibelot qu’ils montreraient à leurs amis ou qui serait pour eux-mêmes un souvenir des choses vues, le commerce des antiquités se fonda peu à peu, et comme pour s’en procurer il n’y avait guère qu’un moyen possible, piller les tombeaux, le pillage devint dès lors une opération parfaitement régulière dont on ne se cacha plus jusqu’au moment où, dix-neuf siècles plus tard, Mariette fit interdire les fouilles particulières en Égypte. Il redevint alors clandestin comme jadis.

Pendant la période chrétienne, à ce pillage organisé vint s’ajouter la recherche des trésors entreprise sur une grande échelle. Cette recherche des trésors est une maladie endémique en Égypte : il n’y a peut-être pas un fellah sur cent qui ne s’y soit livré. Les exemples fameux de ceux qui ont réussi dans leurs recherches sont colportés avec passion : pour deux ou trois qui réussissent, il y en a des milliers qui échouent, mais les insuccès ne comptent pas et l’on continue d’espérer une heureuse chance. Cette maladie existe toujours. Au Ve siècle, les moines accusaient les prêtres païens de s’emparer des petits enfans, de les offrir en holocauste à leurs faux dieux, et de se servir des cendres provenant de la combustion des entrailles pour découvrir les trésors. Au VIIe siècle on lisait avec avidité l’histoire d’un pauvre carrier qui, d’un coup de marteau, avait fendu une pierre de laquelle s’échappa un trésor. Cet heureux homme, devenu riche, s’embarquait pour Constantinople, achetait à beaux deniers comptans la charge de premier ministre et menait joyeuse vie jusqu’au moment où il était puni de ses fautes et redevenait pauvre. Les lecteurs de ce conte se promettaient bien de ne pas commettre les fautes du carrier si jamais ils avaient sa chance. Les auteurs qui ont écrit l’histoire de la domination arabe et turque en Égypte parlent à chaque instant des découvertes merveilleuses faites par d’heureuses gens, de vases remplis de pièces d’or, d’émeraudes, de rubis, d’agates, de statues en or de grandeur naturelle, etc., toutes choses qui n’ont sans doute existé que dans l’imagination grossissante de ces auteurs.

Cependant quelques-uns d’entre eux, comme Ad el Latif et Makrizy, donnent sur certains sujets des renseignemens tellement exacts que force est bien d’en conclure à l’exploitation des monumens, même à leur destruction. C’est le cas pour les petites pyramides qui existaient à côté des trois grandes sur le plateau de Gizeh et qui furent détruites par le vizir de Saladin, Qaraqousch. Il suffit d’ailleurs de passer dans les rues du Caire arabe ou d’un simple village égyptien pour apercevoir des pierres qui proviennent des tombeaux et que l’on a employées aux usages les plus divers, quand on ne les a pas mises en pièces. Dans le plus grand couvent copte actuel, ayant eu l’occasion d’interroger quelques anciens moines sur des événemens s’étant passés pendant leur vie, je pus constater que pour eux le règne, si célèbre et si fertile en événemens de toute sorte, de Mehemet Ali se résumait en la manière dont il s’était conduit envers un pauvre fellah qui avait trouvé un trésor dans (une tombe antique. Comme le mourdir de la province, voulant garder pour lui la bonne aubaine, avait emprisonné le fellah, Mehemet Ali, dès qu’il connut cette injustice, évoqua l’affaire par-devant lui, punit le gouverneur, mit le fellah en liberté, mais garda la moitié du trésor pour se payer des frais de sa justice. Des événemens qui avaient failli mettre l’Europe en feu, des campagnes de Grèce, de Syrie, de la conquête du Soudan, de la réorganisation de l’Égypte. C’était tout ce que savaient ces bons moines. Heureux hommes ! Encore aujourd’hui les charlatans assis dans les rues du Caire vendent à qui le veut un petit livre dans un arabe mélangé de mots mystérieux et qui donne la liste des lieux où l’on est sûr de rencontrer un trésor pour peu que l’on y fouille.

L’expédition française en Égypte, à la fin du siècle dernier, vint donner un nouvel essor à la vente des antiquités. Au pillage des indigènes viennent s’ajouter les fouilles entreprises par les ambitions particulières. Comme les plus mauvaises choses peuvent amener de bons résultats, l’Europe y gagna de voir meubler ses musées. Il est inutile de citer ici tous ceux qui se signalèrent dans ce petit commerce. Passalacqua, Minutoli, Drosetti, d’Anastavy, Salt, Harris sont ceux qui ont formé les collections les plus importantes. Mais trop souvent ces illustres fouilleurs détruisirent les monumens pour trouver de petits objets, et trop souvent aussi les grandes expéditions scientifiques ne furent pas à l’abri de ce reproche, lorsque l’immortelle découverte de Champollion eut rendu possible l’intelligence des textes hiéroglyphiques. Aussi est-on déjà tout étonné qu’il restât quelque tombe à découvrir, quelque monument à fouiller, lorsqu’en 1851 l’illustre Mariette partit pour l’Égypte avec mission de rechercher les manuscrits coptes que pouvaient encore renfermer les couvens de l’Égypte, et oublia sa mission dès qu’il eut mis le pied sur le sol de la vallée du Nil pour ne s’occuper que de ses monumens.

Mariette ! c’est le géant de l’égyptologie, l’Atlas qui pendant près de trente ans porta sur ses puissantes épaules le monde de ses découvertes. Il commença sa carrière par un coup de maître et qu’on a nommé sa plus belle œuvre, en réalité son œuvre la plus difficile, la découverte de ce Serapeum de Memphis alors enseveli sous les sables dont seules émergeaient les têtes des sphinx dans l’allée qui conduisait au temple. Les résultats prodigieux de cette découverte inattendue frappèrent le vice-roi d’Égypte en ce temps-là ; il voulut utiliser la science et le génie archéologique de Mariette ; il lui permit de fonder ce célèbre musée de Boulaq qui devint bien vite le trésor des richesses égyptiennes, que Mariette disposa d’une manière savante, l’aimant par-dessus tout, fier d’y guider les plus illustres personnages, et semblant y vivre avec plus d’intensité que partout ailleurs. Nous avons pu admirer nous-même, soit à l’Exposition de 1867, soit à celle de 1878, la plupart des chefs-d’œuvre recueillis par Mariette. Nulle partie de l’Égypte ne resta en dehors du zèle brûlant de l’archéologue français ; sa puissante activité se manifestait partout à la fois. Gizeh, Memphis, Saqqarah, Abydos, Denderah, Deir el Bahary, Karnak, Edfou. Tanis, etc. sont sortis, grâce à lui, des ruines accumulées par les hommes plus que par les siècles. Quelles difficultés n’eut-il pas à vaincre ? quelles jalousies à ménager ? quels déboires à supporter ? que de périls à conjurer ? Rien ne le rebuta. Mariette fut, jusqu’à son dernier soupir, fidèle à lui-même, à sa mission et à son œuvre. Non content de découvrir des merveilles, il en répandait autant que possible la connaissance par ses nombreux et importans ouvrages, publiant tous les textes qui lui tombaient sous la main au hasard de ses fouilles, n’en réservant lui-même aucun pour ses études personnelles, et dépensant libéralement son argent pour le progrès de la science, quoique le gouvernement français et le gouvernement khédivial lui soient venus en aide. Le catalogue de ses grands ouvrages, des mémoires qu’il a dispersés aux quatre vents des revues est considérable. Il mourut pauvre en 1881, au service d’un pays où tant d’autres ont su s’enrichir. Par une pensée pieuse, on ne le sépara pas dans la mort de ce qu’il avait aimé dans la vie : M. Ambroise Baudry, l’un de ses plus fidèles amis, éleva dans la cour qui précédait le musée un monument simple, en marbre noir, où l’on plaça les restes de celui qui avait été le plus grand archéologue de son temps. Aux quatre coins du sarcophage on posa l’un des sphinx qui lui avaient indiqué le site du Serapeum ; et, derrière sa tête, un colosse de Ramsès II, découvert pendant les fouilles de Tanis, semblait le gardien de cette grande ombre. En 1892, le musée de Boulaq fut transporté dans le palais de Gizeh, et aussi le monument de Mariette. J’ignore si l’on a conservé la disposition première et si l’ombrage des arbres odoriférans abrite toujours le sarcophage de forme égyptienne où il repose : il peut au moins venir errer autour des merveilles rassemblées dans le fastueux palais d’Ismaïl-Pacha, et constater que ses successeurs n’ont pas failli à son œuvre, si par-delà la tombe il prend encore quelque souci des choses terrestres, de cette terre d’Égypte qu’il a tant aimée et qui est si digne de l’être. Après lui M. Maspero continua son œuvre et M. Grébaut succéda à M. Maspero ; mais l’ère des grandes découvertes avait été momentanément close par la mort de Mariette.


II

Ce n’est guère que dans ces dernières années que le démon qui possédait ce grand savant semble avoir repris possession de certains hommes en lesquels il paraît avoir élu domicile pour longtemps.

M. Naville est un Genevois riche et indépendant ; il n’a rien trouvé de mieux à faire que de se consacrer à l’égyptologie et à tous les travaux que cette science comporte. Il est fort avantageusement connu dans le petit monde des spécialistes pour son édition critique de ce qu’on appelle le Livre des morts, c’est-à-dire du recueil de formules déprécatives et obsécratives nécessaires à l’âme pour parvenir à la vie bien heureuse. Ayant mené cette difficile entreprise à bonne fin, ce haut fait le fit choisir comme directeur des fouilles par une société anglaise qui venait de se fonder pour l’exploration archéologique de l’Égypte, société qui a beaucoup fait parler d’elle et qui a rendu de très grands services à la science égyptologique. C’était peu de temps après la mort de Mariette, car Mariette n’aurait pas permis ce qu’il eût regardé comme une intrusion dans son domaine, étant un peu exclusif. Le coup d’essai de M. Naville fut heureux : il découvrit le site d’une des villes bâties par les juifs captifs en Égypte, la ville de Herôpolis ; seulement il se trompa en croyant avoir découvert la Pithom de l’Exode, tandis que c’était la ville de Ramsès. Les années qui suivirent furent marquées d’alternatives de succès et d’insuccès. M. Naville passa des saisons entières sans rien trouver, malgré son activité et sa connaissance du pays, parce qu’il avait mal choisi l’emplacement où il opérait et qu’il ne cherchait que les grands monumens ; d’autres fois au contraire son étoile le conduisait à des sites heureux, notamment à Bubaste, aujourd’hui Tell-Bastah, où il fit revivre le temple célèbre restauré par le roi Osorkon II, de la XXIIe dynastie, et à la dédicace duquel tous les dieux de l’Égypte furent conviés avec leurs prêtres. Dans ces dernières années, cette même étoile conduisit M. Naville au temple célèbre de Deir el Bahary, où l’œuvre commencée par Mariette était restée inachevée : il est aujourd’hui sur le point d’avoir reconstruit autant que possible cet édifice merveilleux et ce sera sans doute l’œuvre culminante de sa vie.

Le temple dont il s’agit fut construit sous la XVIIIe des dynasties égyptiennes, environ 1 700 ans avant notre ère, par une reine d’Égypte nommée Hatschopset, en l’honneur des hauts faits du règne de son père, le Pharaon Thoutmès Ier, et des événemens heureux qui se produisirent sous son propre gouvernement. Née du mariage royal entre Thoutmès Ier et la reine Ahmès, elle montra de bonne heure des dispositions tellement extraordinaires pour le gouvernement des hommes qu’avant de mourir son père l’associa au trône, tout comme d’autres Pharaons y avaient associé leur fils. Après la mort de Thoutmès Ier, Hatschopset continua de régner avec son demi-frère et mari, Thoutmès II, prince faible qui mourut jeune et fut complètement annihilé par l’impérieuse princesse. Son mariage avec sa demi-sœur avait été fécond, mais ne semble pas avoir produit de descendance mâle : une fille nommée Hatschopset, comme sa mère, est seule mentionnée. Thoutmès II ne mourut cependant pas sans successeur de sa propre famille : la polygamie était parfaitement légale en Égypte ; dans le cas présent, Thoutmès II avait eu d’une autre femme nommée Isis, qui n’avait pas le titre de reine, un fils qui devait être le plus grand et le plus heureux des conquérans égyptiens. Ce fils était âgé de quelques années à peine lorsque mourut son père : la reine Hatschopset, tante et belle-mère du jeune prince, devint aussi sa tutrice et le tint dans un effacement absolu.

Les idées qui maintenaient les femmes éloignées du trône égyptien devaient être bien fortement enracinées et bien puissantes en Égypte, pour qu’une princesse déjà associée au pouvoir par son père n’osât pas prendre le titre de reine et fût obligée, pour garder le pouvoir, la première fois d’épouser son demi-frère, la seconde de se prévaloir du titre de régente. Elle n’en gouverna pas moins réellement seule, usurpant avec une souveraine dignité qui en imposait aux plus forts toutes les fonctions royales. Son neveu et beau-fils supporta impatiemment cette tutelle, mais il dut ronger son frein silencieusement tant que vécut sa tutrice et différa sa vengeance. Malgré tous les griefs qu’il pouvait avoir contre la reine Hatschopset, il semble cependant que Thoutmès III parvenu à l’indépendance eût pu se montrer moins sévère et plus reconnaissant, car l’impérieuse régente, si elle eût eu le caractère dont témoigneraient certains actes de son neveu émancipé, aurait pu sans le moindre empêchement donner à son royal pupille l’un de ces breuvages qui envoyaient dans l’autre monde ceux à qui on avait fait l’honneur de les offrir. L’histoire de l’Orient est féconde en pareils accidens.

D’ailleurs le gouvernement de la reine Hatschopset fut une époque de grandeur et de prospérité pour l’Égypte. Elle sut maintenir avec fermeté les limites déjà fort étendues de son empire, et c’est sous son règne qu’eut lieu l’une des plus mémorables expéditions que mentionnent les annales égyptiennes. L’Égypte connaissait depuis fort longtemps les explorations ayant pour but la découverte de peuples nouveaux. Dès la VIe dynastie, — environ quarante-cinq siècles avant notre ère et plus de soixante-quatre siècles avant notre lièvre africaine, — les Pharaons avaient envoyé leurs grands officiers explorer précisément ce Soudan qui cause tant de préoccupations de nos jours aux cabinets ; et l’un des explorateurs de ce temps reculé avait déjà trouvé de ces tribus de nains que M. Stanley a récemment rencontrées dans les « Ténèbres de l’Afrique ». L’un de ces nains capturés fut amené en Égypte pour l’amusement du Pharaon : il est vrai qu’il savait danser le Dieu, connaissance tout à fait extraordinaire et exquise pour l’époque. Il est fort malheureux que M. Stanley ne nous ait pas indiqué dans son ouvrage si les descendans des tribus de nains avaient encore conservé ce précieux avantage. La reine Hatschopsot n’avait pas besoin d’envoyer ses explorateurs dans la Nubie et le Soudan, car depuis près de treize siècles ces régions avaient été soumises par les Egyptiens. Ce fut ailleurs qu’elle porta ses regards, sur des contrées africaines inconnues à ses sujets, sur une terre qui avait graduellement reculé vers l’Equateur, et même au-delà, à mesure que les connaissances géographiques des Egyptiens étaient devenues plus complètes, la terre de Pounet, nommée aussi Terre divine, pays merveilleux qui produisait l’anti, l’un des parfums les plus recherchés en Égypte, la patrie de l’encens, des animaux inconnus ou rares. Elle résolut d’envoyer une expédition en ces lieux qui apparaissaient aux imaginations comme une terre de délices.

Mais cette terre, on ne pouvait penser à s’y rendre par les voies ordinaires de pénétration au cœur de l’Afrique ; il fallait affronter les hasards de la mer, car tous les produits arrivaient en Égypte par la mer Rouge, malgré l’éloignement et le désert qui la séparaient de Thèbes. On lit construire de grandes barques au nombre de cinq et, quand on y eut chargé la pacotille et les provisions nécessaires, on s’embarqua, on navigua comme on naviguait en ce temps-là, en longeant la côte et en y abordant chaque soir pour y passer la nuit. Pour un peuple qui, comme nous l’ont assuré les Grecs, avait peur de la mer et ne sortait pas de sa vallée, voilà une entreprise bien audacieuse, sur une mer inconnue, à la recherche d’un pays inconnu, et qui décèle au contraire une connaissance assez avancée de la navigation et l’ardeur même qui anime nos modernes explorateurs.

L’expédition remplit sa tâche, elle parvint à ce que les textes nomment les Échelles d’Anti, c’est-à-dire à la côte actuelle des Somalis, où les habitans d’alors ne furent pas peu surpris de voir ces étrangers : elle s’enfonça bravement dans les terres et s’occupa de faire des échanges avec les naturels. C’est à quoi servit la pacotille fort bien fournie des objets que pouvait offrir l’Égypte à ces peuplades ignorantes, peu avancées dans les voies de la civilisation : les colliers, les verroteries semblent avoir joué, alors comme aujourd’hui, un rôle prépondérant dans ces échanges primitifs. Les envoyés égyptiens inviteront même les chefs du pays à une fête où on leur servit « du pain, de la bière, du vin, de la viande, des fruits et toutes les bonnes choses d’Égypte ». Les naturels accourus à cette fête se réunirent près d’une grande tente dans laquelle ils craignaient d’entrer : « Comment êtes-vous arrivés en cette terre inconnue aux hommes d’Égypte ? Etes-vous donc descendus du ciel, ou avez-vous navigué sur la mer de la terre divine ? » demandèrent-ils d’après les inscriptions officielles. Il serait bien curieux de savoir qui servit d’interprète entre ces hommes qui s’ignoraient les uns les autres, et l’on peut soupçonner que les scribes égyptiens exprimèrent seulement les pensées qu’ils auraient eues en semblables circonstances. Des scènes de mœurs très bien saisies et très bien rendues pour l’époque nous font assister à certains détails curieux et nous montrent, entre autres choses, que dès lors une femme bouffie de graisse était regardée comme une beauté. Les échanges faits, les Egyptiens reprirent la route par laquelle ils étaient venus et rentrèrent heureusement dans leur pays, ils transportèrent à Thèbes les parfums, les arbres précieux, les animaux rares, et ils furent accueillis par les applaudissemens de toute la capitale. La reine s’empressa d’acclimater en Égypte les arbres qu’on était allé chercher si loin et elle compta cette heureuse expédition au nombre des plus grands événemens de son règne. Elle eut raison. Si nous connaissons ainsi les détails de cette exploration, c’est que barques, gens, arbres, animaux, tout est représenté au long sur les murs du temple que M. Naville vient de relever, avec beaucoup d’autres événemens qui sont racontés en détail ou auxquels il est seulement fait allusion.

Dans ces tableaux la reine est représentée fort souvent, avec son père ou seule, en habits masculins parce qu’elle remplit des fonctions masculines. L’architecture du temple, ses sculptures. ses peintures, tout proclame que la reine n’avait rien épargné pour rendre son œuvre admirable, que l’architecte employé et dont on a le nom, — il se nommait Senmout, — avait été à la hauteur de sa tâche. Quand je visitai le monument, on n’y pouvait guère apercevoir que les mâts des vaisseaux, quelques animaux, le sommet des colonnes hiéroglyphiques, quelques bribes de scènes. Aujourd’hui il est abordable en toutes ses parties, on peut admirer ses superbes colonnes, ses sculptures exquises et ses peintures au coloris encore éclatant après tant de siècles écoulés. M. Naville peut être fier de l’œuvre à laquelle il a attaché son nom, et la Société de l’Égypt exploration fund est certaine que l’argent de ses souscripteurs n’a pas été mal employé.


III

Aux côtés de M. Naville, ayant travaillé quelque temps pour la même Société, mais s’étant bien vite soustrait au joug d’autrui, est M. Flinders Pétrie, actuellement professeur à l’Université de Londres. Je ne sais pas au juste quels sont les antécédens scientifiques de M. Pétrie, mais je ne serais pas étonné qu’il eût surtout cultivé les sciences exactes, car il jongle, et en toute assurance, avec les formules algébriques ; les sinus et les cosinus semblent lui être aussi familiers qu’à d’autres la table de Pythagore. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’a jamais paru attacher grande importance à la philologie et qu’il s’est dévoué tout entier à l’archéologie. Nous ajouterons qu’il ne semble guère aimer la France et les Français.

M. Pétrie, dans ses fouilles, apporte la conscience ; méticuleuse des savans qui s’adonnent aux sciences exactes. M. Naville, — comme ceux qui l’avaient précédé, y compris Mariette lui-même, — pratique les fouilles selon l’ancienne méthode ; il donne des coups de pioche au « petit bonheur » fait instinctivement ouvrir des tranchées où bon lui semble : aussi ne faut-il point s’étonner que parfois il ait eu des échecs retentissans, même après de grandes dépenses. Avec M. Pétrie, il en a presque toujours été tout autrement. Ce n’est qu’après une étude minutieuse des terrains, un examen attentif des débris dont la surface du sol est couverte, des sondages préliminaires, qu’il entreprend ses fouilles, qu’il creuse sa première tranchée, qu’il dirige ses lignes d’attaque comme autour d’une place assiégée. Il est le premier qui ait fouillé d’après la saine méthode de la science. Aussi le succès a-t-il répondu à la méthode employée. Et non seulement M. Pétrie agit avec cette sûreté scientifique, mais il apporte comme des scrupules de puritain à l’examen et au classement des objets qu’il découvre : tout lui passe par les mains, il a l’œil à tout, ne néglige rien, pas même un tesson de poterie, un fragment de verroterie, de statue, d’amulette, toutes choses qui paraissaient insignifiantes à ses prédécesseurs et qui le paraissent encore à ses émules. Aussi les campagnes les plus infructueuses en apparence ont-elles produit entre ses mains des résultats inespérés. Pensant à juste titre que les grands monumens ne sont pas les seuls qui intéressent l’histoire de la civilisation ; que les objets qui semblent n’offrir aucun intérêt à tel individu peuvent en avoir beaucoup pour tel autre ; que souvent tel fragment rejeté par les ouvriers peut éclairer d’une manière inattendue les problèmes qui semblaient les plus insolubles, sans autrement négliger les monumens de grandes dimensions qui lui tombaient sous la main, M. Pétrie s’est surtout attaché aux petits objets. Malheureusement M. Pétrie est un esprit trop aventureux, concevant des hypothèses qu’il est parfois difficile d’admettre et où l’on ne peut le suivre : chez lui le critique n’est pas à la hauteur de l’archéologue, mais cette faiblesse ne saurait aucunement empocher de reconnaître en lui le premier des archéologues contemporains en ce qui regarde l’Égypte.

Le commencement de sa carrière de fouilles date de 1882. Il s’attaqua d’abord aux grandes pyramides de Gizeh et crut avoir presque épuisé le sujet. Il découvrit ensuite le site de la célèbre Naukratis, l’une des premières villes ouvertes aux Grecs en Égypte ; puis, le souvenir de Mariette l’obsédant, il fouilla Tanis, la ville capitale des Pasteurs ou Hycsos pendant leur domination. Les fouilles de Mariette lui laissaient peu d’espoir de réussir ; il sut cependant, grâce à sa méthode, recueillir quantité de renseignemens qui ne sont point à dédaigner. M. Pétrie explora ensuite certains sites inconnus ou connus du Fayoum, Biahmou, Haouarah, Qahoun, Gourob, Ellahoun, avec des chances plus ou moins grandes, mais jamais avec insuccès. Ce fut à Kahoun et à Gourob qu’il retrouva les vestiges du séjour qu’y firent des Grecs — esclaves plutôt que colons — près de trois mille ans avant notre ère. Son habitude de ne rien négliger l’avait bien servi ce jour-là ! Si la découverte n’autorise pas en effet les conclusions aventureuses qu’il en a tirées, elle est cependant de la plus haute importance pour résoudre le grand problème des rapports de l’Égypte avec les Grecs d’abord, avec notre monde occidental ensuite.

Dans les dernières années qui viennent de s’écouler, les fouilles de M. Pétrie ont porté sur la ville construite sur le site actuel d’El-Amarna — ou, comme on dit le plus souvent, de Tell-el-Amarna, quoiqu’il y ait là deux villages distincts ; — sur l’ancienne ville de Coptos ; et cette année même sur un village du nome thébain qui possède un certain nombre de sépultures antiques, Neggadeh. Comme les résultats acquis dans les fouilles de Coptos ne sont pas publiés et que les autres sont encore inconnus, nous sommes réduits à nous contenter d’El-Amarna : fort heureusement le sujet est instructif et les résultats des fouilles de M. Pétrie surprenans.

Vers la fin de la XVIIIe dynastie égyptienne, après les règnes puissans des Thoutmès et des trois premiers Aménophis, la royauté égyptienne tomba entre les mains d’un prince dont la vie reste encore une énigme pour un grand nombre de savans, à plus forte raison pour les hommes instruits non initiés aux mystères de l’égyptologie. Ce Pharaon se nommait d’abord Aménophis IV. Il reçut de son père un empire florissant, des trésors nombreux et bien remplis, une armée d’élite, en un mot tout ce qui pouvait faire présager un gouvernement fort et prospère. Il fit, comme ses prédécesseurs et ses successeurs, des conquêtes ou plutôt des razzias annuelles qui remplirent à nouveau ses trésors et lui procurèrent les esclaves dont il avait besoin pour réparer les vides occasionnés par la mort. Mais bientôt après son accession au trône, le nouveau Pharaon ne put s’empêcher de voir que les prêtres thébains d’Amon prenaient de plus en plus une influence prépondérante ; qu’ils accaparaient peu à peu les hauts emplois, obstruaient toutes les voies menant au trône ; et en un mot formaient une puissance qu’il fallait briser si l’on ne voulait pas que, tôt ou tard, ils ne vinssent à escalader le trône et à en chasser celui qui l’occupait, — ce qu’ils firent en effet sous la XXIe dynastie. Deux moyens s’offraient au pharaon pour arriver à son but : la violence ou la politique. Il choisit le second. Pour se soustraire lui-même et sa cour à l’envahissement graduel de ses ennemis, il abandonna Thèbes et ses splendeurs et se fit bâtir une capitale nouvelle au lieu appelé de nos jours El-Amarna. Non content d’avoir transporté sa capitale en un lieu où le nom abhorré d’Amon et de ses prêtres ne fût pas connu, ou du moins ne fût pas prononcé, il essaya de faire lui-même une révolution religieuse. Au culte d’Amon il tenta de substituer le culte d’Aten, le disque solaire, et de réunir l’Égypte entière en cette religion qui n’avait de nouveau que l’apparence, n’étant au fond que le culte ancien de Râ, le dieu-soleil, qui présidait au sanctuaire d’Héliopolis. Il appela sa ville Khoutenaten, c’est-à-dire : la demeure rayonnante du disque solaire, et lui-même, il prit le nom de Khoutenaten, ce qui n’est que la forme masculine du nom de la ville et ce qui signifie : le rayonnement du disque solaire. Il fit construire un temple à sa nouvelle divinité, il se bâtit à lui-même un palais magnifique, et concéda aux principaux officiers de sa cour des tombeaux qu’ils se préparèrent avec le plus grand soin, décorèrent de scènes admirables traitées d’une manière tout à fait nouvelle, contenant des hymnes d’une poésie inattendue, si bien qu’à distance le règne d’Aménophis IV nous apparaît comme le règne d’un Pharaon révolutionnaire en politique, en religion, en poésie, en architecture, en sculpture, en peinture, en un mot dans tous les arts que l’on cultivait alors. Je n’ai pas à m’occuper ici de politique, de religion et de poésie, ni même de la décoration et de l’architecture des tombeaux d’El-Amarna, mais simplement des résultats sortis des fouilles de M. Pétrie, et principalement du palais d’Aménophis IV.

Ce palais se composait, comme toutes les grandes habitations égyptiennes passées et présentes, d’un immense rectangle enfermé dans une enceinte de murs et ne présentant qu’une seule entrée. Cette entrée, qui se trouvait dans le mur est, était formée par un pylône de forme extraordinaire en Égypte, car il semble bien qu’il ait été voûté dans sa partie supérieure ; qu’il ait ainsi présenté l’aspect des arcs de triomphe romains ; et que sous sa voûte aient passé les chars du roi, de la reine et de leurs filles, lorsqu’ils sortaient avec leur cortège pour se rendre à quelqu’une de ces pompeuses cérémonies qui sont représentées sur les parois des tombeaux, ou pour une simple promenade militaire, ou encore pour quelque triomphe au retour des expéditions heureuses. On y a en effet rencontré des constructions que l’on ne voit point habituellement dans les ouvrages du style égyptien, et qui ont tout l’air de se trouver là pour servir de point d’appui aux demi-cercles qui formaient au-dessus une voûte profonde. Sous ce pylône, une triple voie se voit encore, celle du milieu servant aux chars, celles des côtés aux piétons, cela seize siècles au moins avant les arcs de triomphe des Romains. Quand on avait traversé ce pylône, on entrait dans le palais et l’on se trouvait devant toute une série d’édifices, placés là d’après un plan qu’on n’a pas encore découvert, mais d’où la symétrie semble avoir été exclue. Tout le long du mur d’enceinte courait parallèlement un second mur également en briques, éloigné du premier d’environ douze mètres et où il était facile d’exercer une surveillance active, en cas de besoin. A droite de l’entrée, interrompant même le second mur, était l’habitation du portier, puis diverses habitations consacrées sans doute aux grands officiers de service. Il semble aussi qu’on trouvât, dès l’entrée, les appartemens privés du roi, lesquels étaient situés en face du harem, où le Pharaon pouvait ainsi se rendre à sa guise. Nulle autre partie du palais ne serait en effet suffisamment commode pour cet usage. De plus, seul parmi toutes les autres constructions, l’entrée de l’appartement royal est marquée par un pylône, et d’ailleurs les chambres ont été aussi soignées que celles destinées aux femmes, et l’on y rencontre de ces pavés peints dont il sera question plus loin. L’entrée principale de cet appartement royal, comme de celui des femmes, comme de toutes les salles qui existaient en ce palais, était située au nord ; et les appartemens recevaient ainsi les souffles vivifians du nord si goûtés des Egyptiens, pendant qu’ils étaient fermés à la chaleur qui venait du sud, de l’est et de l’ouest.

Une cour spacieuse existait entre les appartemens du roi et ceux des femmes. Aménophis IV avait un harem très nombreux, la polygamie étant licite au pays d’Égypte : une correspondance cunéiforme trouvée récemment dans sa tombe nous apprend que les principicules de Syrie, ses vassaux, lui donnaient leurs filles en mariage. Mais ces filles de rois ne portaient pas le titre de grande épouse royale ; ce titre envié était dévolu à la seule reine No frétino fretno ferouuten (la doublement belle, la belle des beautés d’Aten) qui avait donné huit filles à Khouenaten. L’appartement des femmes consistait en un grand bâtiment qui comprenait un nombre assez considérable de chambres. On y entrait ordinairement par une grande cour rectangulaire contenant une saqieh, c’est-à-dire une machine à arroser, ouverte sur le nord et fermée sur les trois autres côtés. Tout autour de ces trois côtés devaient exister des rangées de colonnes supportant un plafond qui ombrageait la cour tout entière. De chaque côté de cette cour étaient quatorze petites chambres précédées de treize colonnes ; seule la série des chambres de l’est a été conservée. On y entrait, soit par une porte située du côté de la cour, soit à l’extrémité opposée de cette même cour par une entrée dans le mur est. Ces chambres à coucher conservent encore une partie du mobilier antique, c’est-à-dire deux larges bancs en terre, l’un placé au fond et qui servait sans doute à étendre les tapis ou les nattes sur lesquels on dormait, l’autre les étoffes qui constituaient déjà les divans. Quand de la cour on pénétrait, par la porte percée dans le mur sud, dans l’intérieur du harem, on trouvait d’abord une salle longue d’environ sept à huit mètres, large de quinze, occupée tout entière par seize colonnes sur deux rangs. Au fond, nouvelle porte qui introduisait dans une salle disposée contrairement à la précédente, beaucoup plus longue que large. Toutes les deux avaient un pavé peint, mais la seconde n’avait aucune colonne. A l’est de la première salle, continuant la série des chambres à coucher étaient deux autres petits appartemens, composés d’une salle avec plafond soutenu par une seule colonne et de deux chambres à coucher. Pour en sortir, il fallait pénétrer dans la seconde salle et toujours à gauche on entrait dans une troisième salle ornée de douze colonnes disposées en trois rangs et ayant un pavé peint. Les chambres correspondantes du côté ouest ont été détruites.

Les autres constructions de la partie droite du palais ne nous offrent plus que des ruines, mais encore intéressantes. Au milieu de la foule des édifices qui sont indiqués par leurs fondemens, soit de pierre, soit de briques, on a trouvé certaines constructions qui démontrent que non seulement la masse en était considérable, mais encore qu’on avait fait en sorte d’y réunir tout ce que l’art avait inventé pour rendre un palais agréable. En avant de certains de ces édifices il y avait un pavé d’albâtre oriental ; les carrières qui le fournissaient n’étaient pas éloignées du site de Khoutenaten. En d’autres endroits se dressaient des colosses en granit ou en quartz dont on n’a que les restes ; ailleurs des stèles en albâtre étaient érigées, semblables par leur forme aux stèles arrondies par le sommet qui étaient devenues si fort à la mode sous la XVIIIe dynastie, mais qui s’en distinguent par une décoration nouvelle alors, qui d’ailleurs ne survécut pas à cette période extraordinaire et si courte : en haut rayonne un disque et, de son orbe, en guise de rayons, se tendent des bras multiples qui atteignent les offrandes déposées sur la table ou présentent le signe de la vie au roi qui l’aspire.

A droite de l’entrée s’étendaient également des bâtimens dont il ne reste plus que des débris, et il faut renoncer jusqu’à nouvel ordre à en rechercher la destination. Quelques-uns d’entre eux étaient soutenus par des colonnes et ornés de peintures reproduisant certaines plantes. Quand on les avait traversés en se dirigeant vers le sud, on arrivait à un mur très épais présentant une ouverture unique, laquelle permettait l’entrée dans une vaste cour. Le côté bas de cette cour était occupé par une double série de chambres précédées de colonnes : la première série s’ouvrait sur l’ouest, comprenant deux appartemens et était suivie d’une double rangée de dix piliers carrés ; la seconde s’ouvrait sur l’est, comprenant également deux appartemens, et avait en face d’autres chambres en nombre égal, mais simples. Il est probable que ces chambres ne rentraient pas dans le plan primitif, et n’avaient été construites que faute d’espace pour contenir les approvisionnemens nécessaires au palais. Après cette grande cour on entrait dans une autre cour intérieure contenant vingt-six piliers carrés, disposés sur trois côtés. De chaque côté étaient deux grandes chambres contenant chacune quarante piliers massifs, disposés sur quatre rangs : c’était là que le roi pouvait goûter les plaisirs de la richesse. Au fond de la cour intérieure, qui avait 43 mètres de côté, une dernière porte, large de 3m, 394 donnait entrée dans une véritable forêt architecturale. La salle était longue de 71m,768 et large de 129m, 027 : elle est remplie par 544 piliers carrés rangés sur deux côtés, soit 272 pour chaque côté, 16 de front en chacune des 17 rangées. Les rangées de piliers étaient distantes entre elles de 2m, 717, et les piliers n’ont pas moins de 1m, 320 de côté. Ils étaient faits en briques ; la brique avait été recouverte d’un enduit de plâtre que l’on avait peint en jaune, et sur ce fond se détachaient des vignes avec leurs feuilles et leurs grappes de raisin. Tous les piliers de cette dernière construction atteignaient le chiffre de 730. Cette masse énorme formait une retraite délicieuse pendant la chaleur du jour, et le Pharaon pouvait se promener à l’aise en cette vaste salle hypostyle qui terminait son palais, ou dans les chambres bordant la cour intérieure qui donnait accès dans cette immense salle.

Comme toutes les constructions égyptiennes, — le lecteur s’en sera de lui-même aperçu, — cet ensemble grandiose d’édifices n’est pas régulier : les parties composantes ne sont pas homogènes ou symétriques, et l’ensemble ne participait en rien à cette perfection que nous connaissons aujourd’hui : l’artiste égyptien réservait tous ses soins pour les objets en particulier ; le détail l’absorbait et il oubliait l’ensemble. Au nombre de ces détails il faut ranger d’abord les colonnes à chapiteau campaniforme de l’effet le plus gracieux et de l’ornementation la plus riche, où l’or même n’était pas épargné, avec des incrustations simulées, véritables types d’élégance et de richesse. S’il en faut juger par les représentations qu’en donnent certains ouvrages, elles atteignaient la perfection presque absolue, qu’elles fussent couvertes de sculptures ou simplement coloriées. La sculpture était aussi représentée dans le palais de Khouenaten par de véritables chefs-d’œuvre : on n’en a trouvé que des fragmens, mais ces fragmens sont éloquens, décèlent une rare habileté, comme le torse de la reine Nofréti, le groupe du Pharaon et de sa famille. Ce qui distingue le style de cette époque, — tous ceux qui se sont occupés quelque peu de l’art égyptien le savent, — c’est l’étrangeté des formes du corps, c’est le cou démesuré du roi, de la reine, de leurs filles, l’exiguïté de certains membres et au contraire l’embonpoint de certains autres, des attitudes impossibles, semble-t-il, à l’échine la plus flexible, des habits qu’on ne retrouvera plus après cette époque, toutes choses qui font penser à une cour de désarticulés. Est-ce que le Pharaon n’aurait par hasard accordé sa royale faveur qu’à des acrobates, ou ne serait-ce qu’une convention d’art qu’il aurait choisie pour illustrer son règne ? Jusqu’ici c’est un mystère impénétrable. M. Pétrie, au cours de sa fouille, a trouvé un masque qu’il a pris pour le masque coulé sur le cadavre après la mort : on y peut voir tout aussi bien un masque d’essai fait par quelque commençant, et le lieu où il a été trouvé n’est pas celui où l’on doive s’attendre à trouver le masque funéraire du Pharaon. Ce n’est donc pas ce masque qui élucidera le problème. Cette particularité des sculptures d’El-Amarna a fait supposer à quelques savans que Khouenaten était eunuque, et d’autres, s’autorisant de Manéthon ont voulu que ce fût une femme ; mais ce prétendu eunuque avait huit filles, cette femme épousait les princesses syriennes et ses correspondans rappelaient « mon fils et mon gendre ». La découverte la plus remarquable qu’ait faite M. Pétrie à El-Amarna, c’est celle des pavés décorés de peintures, de véritables fresques qui couvraient le sol où l’on marchait, au lieu de couvrir les murs. C’est là surtout que l’art égyptien à cette époque se montre avec éclat. Malheureusement la plus grande partie de ces peintures a péri, quoiqu’il en reste encore assez pour nous en offrir un témoignage magnifique. Elles n’ornaient que les pavés des appartemens les plus riches. Elles ne sont à vrai dire que de convention ; les animaux, quadrupèdes, oiseaux et poissons que l’on y rencontre ont des couleurs qui sortent de la nature ; les feuillages sont pauvres et traités contrairement à la vérité ; et cependant tout est si fondu, si harmonieux que l’œil ne peut se rassasier de les admirer. Il n’est pas un seul voyageur qui les ait vues et qui ne soit resté stupéfait de leur richesse, de leur éclat et de leur harmonie. Elles étaient bordées de bandes dans lesquelles étaient représentées des têtes de prisonniers sémites ou nègres au type si caractéristique, séparées les unes des autres par des arcs tendus. Ces dessins peuvent avoir bien des défauts, mais les défauts sont rachetés par la vie intense qui s’en dégage et l’éclat du coloris.

Voilà malheureusement tout ce qui reste de ce palais d’Aménophis IV ; mais nous sommes encore trop heureux qu’il en soit resté quelque chose. Il n’y a qu’à penser au palais des Césars de Rome pour comprendre que l’état dans lequel nous est arrivé celui de Khouenaten ne doit pas nous étonner. J’ai vu les résultats des fouilles entreprises à Delphes et en particulier les peintures qui ont eu l’honneur des séances de nos Académies : rien n’y est comparable à ces restes de l’art égyptien. D’un côté tout montre un art qui cherche encore sa voie, qui est en formation, qui produira sans doute des chefs-d’œuvre, mais qui est encore à les trouver au VIIe et peut-être au VIe siècle avant notre ère ; de l’autre tout affirme un art en pleine possession de ses moyens, qui a fait ses preuves, qui s’est mesuré avec les plus hauts sujets, et cela seize ou dix-sept siècles avant Jésus-Christ.


IV

Avec les fouilles de M. de Morgan, nous sommes transportés à une époque bien plus reculée, car nous atteignons au moins le XXVe siècle avant notre ère pour la XIIe dynastie, et même le cinquantième siècle pour la Ve des dynasties de l’ancien Empire égyptien. Ces dates sembleront presque fabuleuses, elles sont cependant rigoureusement exactes. M. J. de Morgan est un ancien ingénieur de l’École des mines : il a été nommé directeur des musées et des fouilles en Égypte à la fin de l’année 1891. Nullement préparé aux études d’archéologie égyptienne par ses explorations antérieures du Caucase et de la Perse, il a su cependant se montrer le digne émule de Mariette dans des fouilles désormais célèbres et par leurs résultats et par l’éclat qu’elles méritent d’ailleurs. M. de Morgan s’est surtout occupé de trouver des monumens qui puissent éclairer l’histoire de l’art, sans négliger, bien entendu, les textes que le hasard et le bonheur de ses fouilles lui faisaient découvrir. Il a perfectionné encore la méthode employée par M. Pétrie, parce que les études préalables de l’ingénieur des mines le lui permettaient, si bien qu’aujourd’hui on ne peut guère espérer faire mieux qu’il n’a fait. En un mot, il a employé la vraie méthode scientifique : aussi n’est-il point étonnant qu’il ait réussi où ses prédécesseurs avaient échoué.

Dès ses débuts, M. de Morgan eut la main heureuse : il découvrit une statue de l’ancien empire, remontant à la Ve sinon à la ive dynastie, qui peut sans le moindre doute rivaliser avec le scribe accroupi du Louvre : c’est à peu de chose près la même facture, le même naturalisme dans les détails, la pose et l’air du personnage. Ce scribe a vécu, on le sent ; il se lèverait et se mettrait à marcher que personne n’en serait surpris. S’il a les formes un peu sèches, c’est que le personnage qui a servi de modèle avait ces mêmes formes sèches. Si les artistes grecs n’eussent eu pour modèle que des Egyptiens, ils n’eussent jamais créé les chefs-d’œuvre que l’on sait. La seconde découverte importante de M. de Morgan fut celle de tombeaux antiques appartenant à la Ve dynastie, entre autres des tombeaux de deux fonctionnaires, dont l’un se nommait Merira et l’autre Petahschepsès. Du premier nous ne savons presque rien, sinon que c’est le plus vaste tombeau de l’ancien Empire qu’on ait encore rencontré, qu’il comprenait trente et une chambres dont les parois sont couvertes de peintures : il n’a pas été publié et réserve sans doute plus d’une surprise aux savans qui pourront l’étudier. Le second fort heureusement a été décrit, s’il n’a pas encore été publié intégralement, et la description en a suffi pour démontrer un fait ignoré jusqu’alors, à savoir que les colonnes architecturales étaient connues et employées dès cette époque.

Déjà Mariette avait rencontré un tombeau où deux colonnes supposaient une sorte de portique en avant de la première salle où se célébrait le culte des ancêtres. Il avait été si surpris de sa découverte qu’il avait jusqu’à un certain point, hésité à en tirer les conclusions qui en ressortaient d’elles-mêmes. Cet exemple était unique : la tombe de Petahschepsès en est désormais un second. Ce tombeau contient en effet une salle dont le plafond est soutenu par deux colonnes lotiformes. Ces colonnes sont malheureusement brisées, mais une partie du lût est encore adhérente à la base ; les morceaux trouvés sur le sol ont permis de les reconstituer et de voir que toutes les parties constitutives de la colonne dans l’architecture grecque se trouvaient déjà employées dans l’architecture égyptienne à la Ve dynastie, cinquante siècles avant notre ère. Cette colonne a l’aspect d’une botte de fleurs de lotus à moitié épanouies : le fût sort de terre comme la tige du lotus ; mais comme une seule tige aurait eu un aspect trop grêle ou trop massif, l’artiste qui a imaginé cette colonne a réuni six âges ensemble dont les sections elliptiques donnent un air de grâce suprême à la fleur de pierre qui monte vers le ciel. Le chapiteau de la colonne est formé par un gros bouquet de fleurs adultes mélangées à des boutons, fleurs et boutons retenus ensemble par un quintuple lien qui forme la gorge du chapiteau et en bas duquel, entre les lobes, pendent les jeunes tiges surmontées de boutons. Cette disposition est d’une élégance parfaite. Le chapiteau est surmonté d’un abaque placé immédiatement au-dessous de l’architrave.

Les couleurs venaient encore rehausser de leur éclat cette œuvre déjà magnifique par elle-même : les Égyptiens n’aimaient pas la pierre nue, ils coloriaient tout ce qui leur paraissait mériter la couleur, notamment les colonnes et les statues. Ici le piédestal circulaire est peint en brun, sans doute pour figurer la terre ; le fût est peint en bleu d’azur, les tiges secondaires alternativement en jaune et en brun, les cinq liens étaient vert, rouge, bleu, rouge et vert, par une gamme harmonieuse qui montait et descendait. Le chapiteau avait été surtout traité avec amour : la base des grandes fleurs était peinte en bleu et la ligne de naissance en jaune ; les grands pétales bleus, avec un filet jaune, laissaient passer d’autres feuilles moins grandes et peintes en vert clair, quand le fond de la fleur était rouge. Les boutons au contraire avaient en vert leurs pétales, et aussi la base des fleurs, les naissances étaient en jaune et les feuilles secondaires en rouge et brun. Sans doute, tout cela est conventionnel, n’imite pas la nature, et semble un peu trop criard. Je n’en disconviens pas, mais sous la lumière éclatante du soleil d’Égypte, tout cet ensemble formait quelque chose de fondu, d’harmonieux et de délicieux au suprême degré. Les Égyptiens ont entendu la décoration aussi bien que n’importe quel autre peuple venu après eux. Peut-être pourrait-on connaître l’architecte qui inventa cette colonne et le retrouverait-on dans le personnage même qui possédait cette tombe, car ledit Petahschepsès était grand architecte du Pharaon Sahourâ, et il n’y a nulle audace à penser qu’il voulut décorer son tombeau des ornemens qu’il avait imaginés. Saluons cet architecte qui a bien mérité de l’art humain !

Les fouilles de M. de Morgan ne se sont pas bornées à l’ancien empire : c’est maintenant à Dahschour qu’il faut nous transporter, petit village perdu au bord du désert libyque dans les sables duquel les Pharaons de la XIIe dynastie, suivant peut-être exemple de leurs prédécesseurs de la IIIe, avaient construit leurs pyramides et les tombeaux des grands personnages de leur cour. Selon la coutume égyptienne, ils y reposaient entourés de leur famille et de leurs grands officiers, si bien que leurs doubles ou leurs ombres pouvaient continuer de mener dans la mort la vie qui avait été la leur pendant leur première existence. Commencées en 1893, les fouilles de Dahschour ne sont pas encore terminées actuellement ; mais les résultats en sont d’une importance si extraordinaire qu’on ne saurait attendre à les faire connaître. M. de Morgan a réussi à trouver l’entrée de deux pyramides, celles d’Amenemhal III et d’Ousortesen III : les difficultés ont été grandes ; il lui a fallu faire des sondages au perforateur, boiser les tranchées pour empêcher les éboulemens qui eussent enseveli les travailleurs sous une montagne de pierres, pratiquer un aérage artificiel comme dans les mines, exécuter lui-même ce travail pour y initier les fellahs, ne reculer en un mot devant aucune fatigue ; et tout cela pour arrivera constater que les pyramides, dont l’entrée avait été oubliée au cours des siècles, avaient jadis parfaitement laissé pénétrer les voleurs qui les ont dépouillées. Dans les chambres il n’y avait rien ou presque rien. Mais sans se laisser décourager par ces résultats négatifs, M. de Morgan porta ses fouilles aux entours des pyramides, et c’est là que le succès l’attendait. Je ne veux pas m’attacher à décrire minutieusement tous les objets qui ont été découverts et qui sont extrêmement nombreux, je me bornerai à signaler ceux qui méritent une particulière attention.

Tout d’abord M. de Morgan a mis la main sur un nouveau Pharaon, et comme ce Pharaon se trouvait au milieu d’autres personnages appartenant à la XIIe dynastie, il en a conclu avec assez de raison que ce Pharaon appartenait à la même époque. Ce nouveau roi a fait plus de bruit après sa mort, en notre XIXe siècle, qu’il n’en avait jamais sans doute fait pendant sa vie, car il avait parfaitement été passé sous silence. Il se nommait Râaouab ; il est venu déranger des chronologies très bien assises et réclamer sa place, et l’on ne sait où la prendre, cette place, tellement l’histoire avait été bien faite avant cette découverte. Certaines gens estiment que c’est la plus belle découverte de M. de Morgan ! Je ne saurais être de leur avis et je préfère cent fois la statue de ce Pharaon à ce Pharaon lui-même. Son nom ne dit rien, sa statue, au contraire, parle, et parle très haut. Elle est en bois et haute de 1m,45. Les yeux ont été incrustés et semblent encore remplis de vie. Le roi est représenté debout, en marche, et devait tenir dans sa main gauche un bâton et dans sa main droite un mouchoir. Tout le travail est d’une perfection qui ne le cède en rien à la célèbre statue en bois trouvée par Mariette, qui a figuré à l’Exposition universelle de 1878, et qui est connue sous le nom de Scheikh el beled, parce que les fellahs qui la découvrirent crurent voir en elle la statue du maire de leur village. La statue du nouveau Pharaon est d’un autre type que celle de Ramké ou du Scheikh el beled ; elle est plus élancée, et d’ailleurs entièrement nue, si l’on excepte la tête qui est couverte de l’une des coiffures égyptiennes. Tous les détails anatomiques connus alors ont été rendus avec une fidélité scrupuleuse par l’artiste qui a exécuté cette statue, et le travail est au-dessus de tout éloge. La figure éclairée est vivante d’expression et semble sourire encore à ceux qui la regardent. Ce qui compliquait la difficulté, c’est qu’elle est faite de plusieurs morceaux retenus par des chevilles, et malgré cela les proportions sont admirablement gardées. Cette statue avait sur sa tête un ornement fait en forme de deux bras levés, le symbole du double, c’est-à-dire d’un second être qui vivait à côté du corps et qui mourait avec lui, qu’il s’agissait de ressusciter après la mort par la vertu de formules magiques qui constituaient une partie très importante des funérailles égyptiennes. Cette statue servit autrefois aux funérailles du prince pour représenter le double qu’on ramenait à la vie ; c’est pourquoi elle a précisément sur la tête le signe hiéroglyphique du double.

La statue de ce nouveau Pharaon, par sa perfection, suffirait à elle seule à rendre célèbres les fouilles de Dahschour ; elle ne fait cependant qu’une toute petite partie des objets importans découverts dans cette nécropole. M. de Morgan a eu la chance de trouver quatre tombes complètement inviolées ou que les voleurs n’avaient pas complètement pillées et dans ces quatre tombes, qui appartenaient à des princesses de sang royal, il a découvert quatre trésors remplis de bijoux. Avant lui Mariette avait découvert les bijoux de la reine Aahhôtep qui sont l’une des merveilles du musée actuel de Gizeh ; mais ces bijoux remontaient seulement à la XVIIe dynastie : il est donc intéressant de pouvoir comparer entre eux le travail de la XVIIe et celui de la XIIe dynastie, du XVIIe siècle et du XXVIIe au moins avant notre ère.

Dans le premier trésor était un pectoral en or massif, en forme de naos, c’est-à-dire d’édicule avec une corniche et deux montans, comme les portes des naos où l’on renfermait la divinité tutélaire d’un temple ou d’une famille. Ce bijou était incrusté de pierreries — cornaline, émeraude, lapis-lazuli, — et les couleurs verte, rouge et bleue de ces trois pierres sont utilisées avec le plus grand goût. Le bijou est découpé à jour et la partie intérieure du naos est occupée par des signes hiéroglyphiques formant ce qu’on appelle le protocole royal du roi Ousortesen II. Le revers est très délicatement ciselé et le travail tout entier du bijou dénote une grande habileté.

Un autre pectoral de forme semblable est au nom du Pharaon Amenemhât III. Outre des signes hiéroglyphiques, il contient deux personnages répétés à droite et à gauche, et la scène tout entière s’explique par les hiéroglyphes incrustés et découpés à jour : le Pharaon s’apprête à frapper de sa massue les personnages représentant les deux peuples ennemis de l’Égypte, les Satiou et les Mentiou. Derrière le roi estime croix ansée ayant des bras qui tiennent l’ombrelle royale, c’est-à-dire le double vivant du roi qui ombrage son corps dans la chaleur du massacre. Toute cette scène est couverte par un vautour qualifié de Dame du ciel, régente des deux pays, c’est-à-dire la déesse Nant. Le roi qui fait l’action méritoire de massacrer les prisonniers de guerre est appelé en vertu de cette action Dieu bon, maître des deux pays (l’Égypte de l’est et l’Égypte de l’ouest) qui frappe toutes les nations habitant sur les hauts plateaux. Ce bijou, également en or, incrusté de cornaline, de lapis-lazuli et d’émeraude, pèse 135 grammes.

Un troisième bijou, de forme à peu près semblable, porte le cartouche du roi Ousortesen III. La corniche du naos est soutenue par deux colonnettes à chapiteau loti forme, du milieu desquelles sort un bouquet de fleurs. Au-dessus du cartouche plane le vautour étendant ses ailes et dont les pattes enserrent par le haut le cartouche du roi. Ce cartouche est soutenu par la patte droite de devant de deux lions à tête d’épervier, coiffés de la double plume d’autruche au milieu des cornes, la queue relevée, et foulant de leurs pieds de derrière un nègre, tandis qu’entre leurs pattes de devant un Asiatique semble les supplier. Ce bijou en or, incrusté des mêmes pierres que les précédens, est du poids de 63 grammes. Le plus grand de ces bijoux n’a que 0m, 104 de long sur 0m,088, de hauteur, le plus petit, 0m,048 de long sur 0m,05 de haut. On peut en conclure que l’art de la bijouterie était bien avancé. Le troisième de ces pectoraux est d’un dessin un peu grêle, le second semble avoir abusé de la couleur criarde de la cornaline, mais le premier est de tout point parfait.

Ces pectoraux étaient accompagnés de nombreux bijoux, surtout de colliers en perles d’or, en coquilles d’or, ou en pierres précieuses, de formes élégantes et variées, et de nombreux caractères hiéroglyphiques reproduits de manière à former le plus gracieux bijou. Je ne m’y arrêterai pas, car il faudrait allonger outre mesure cette description et se répéter. Je garderai seulement les coquilles en or qui représentent des cyprées, plus connues sous le nom de cauris. Tous ceux qui ont lu le récit des voyages de Stanley, de Livingstone ou des autres explorateurs de l’Afrique centrale — et qui ne les a lus ? — savent que la seule monnaie en usage dans ces heureux pays se compose précisément de ces coquillages univalves, très répandus sur les côtes de l’Afrique et aussi sur nos côtes de l’Océan. La présence de ces coquillages imités en or dans les trésors des princesses de la XIIe dynastie égyptienne conduit naturellement à se demander si l’Égypte avait aussi connu l’usage des cauris pour les échanges. Déjà Mariette avait trouvé de véritables cauris dans une tombe d’Abydos ; mais, après lui, on n’en a plus retrouvé. L’usage des cauris en or pour former des colliers nous montre aussi qu’on en formait avec des cauris naturels ; tout le monde sait que les colliers ont été et sont encore l’un des moyens d’échange les plus usités dans l’Afrique : il est donc plus que probable qu’il en était de même en Égypte, que les cauris y étaient regardés comme chose rare et précieuse, moins précieuse que l’or toutefois, que l’on s’en servait comme de monnaie courante, et l’imitation en or de cette précieuse coquille n’est pas faite pour infirmer cette conclusion.

Les bijoux des deux premiers trésors appartenaient aux princesses Méritet Hathorsat ; ceux des deux derniers étaient la propriété des deux princesses Ita (prononcez Ida) et Ekhnoumit. Ces deux personnes avaient un mobilier funéraire complet, car leurs tombes étaient intactes ; la momie était entourée de nombreux objets qui méritent d’être décrits. A côté de la momie de la princesse Ita étaient des sceptres, des cannes, une massue, un fouet, un arc et un poignard à l’âme de bronze, à poignée d’or massif incrusté de pierreries et à pommeau d’un seul morceau de lapis-lazuli. Le masque de la momie avait les yeux rapportés et enchâssés dans l’argent. La seconde princesse avait autour de son corps les mêmes objets, il n’en faudrait pas conclure que ces princesses eussent l’humeur batailleuse ou qu’on leur eût appris à se servir des armes destinées à l’homme ; les armes ne devaient servir que pour le voyage de l’âme à la recherche des Enfers, voyage où elle rencontrait des monstres hideux qui s’opposaient à son passage, qu’elle devait vaincre sous peine de ne pas connaître le bonheur des Champs Elysées et pour venir à bout desquels ce n’était pas trop que tout cet arsenal. La momie de la princesse Ekhnoumit était enveloppée dans un réseau de perles en or, en cornaline, en émeraude et en lapis-lazuli : ces perles étaient retenues par des fils qui malheureusement sont tombés en poussière dès qu’ils ont été exposés au jour. Les perles d’or seules étaient au nombre de 2 020 et grosses comme un noyau de datte. Mais outre les bijoux de cette momie, la petite chambre attenant à celle du sarcophage et qu’on appelle fort improprement serdâb, contenait une masse de bijoux jetés pêle-mêle sur le sable et restés ainsi depuis plus de quatre mille cinq cents ans. Le nombre des objets trouvés dans les deux tombes des princesses Ida et Ekhnoumit est exactement de cinq mille soixante sept ; le poids de l’argent de 115 grammes et celui de l’or de 1 782gr,45.

Quelques-uns de ces bijoux sont très remarquables par le savoir-faire qu’ils décèlent, car ce sont des travaux d’orfèvrerie réputés encore de nos jours comme très difficiles : ainsi la chaîne d’or tressée en quadruple dont les mailles excessivement fines ont dû demander un long labeur à l’orfèvre qui l’a faite. Un médaillon d’or est d’un travail fort curieux : il contient au milieu une sorte de mosaïque représentant une vache couchée. Le médaillon est attaché par une chaîne simple à une chaîne double qui se termine à chaque extrémité par une rosace en filigrane d’or. A la partie inférieure du médaillon pendent trois étoiles à huit pointes également en filigrane d’or. Une autre chaînette simple tient suspendue dix petites coquilles striées avec deux étoiles à cinq pointes en filigrane d’or. Un papillon est également imité en filigrane, les ailes étendues, et suspendu à une double chaînette. Ces bijoux ont demandé un très grand savoir-faire, et au dire des orfèvres, le jaseron, c’est-à-dire les chaînes d’or tressées et souples, demande une habileté remarquable de l’ouvrier.

Mais ces splendeurs sont dépassées encore par deux diadèmes ou couronnes trouvés dans le serdâb de la princesse Ekhnoumit. Le premier est formé par un lacis de fils d’or qui se croisent et s’entre-croisent : le croisement est marqué et retenu par de petites perles en lapis-lazuli. Sur ce lacis de fils d’or se voient quantité d’étoiles à cinq branches et non des fleurettes semblables à des myosotis, comme on l’a cru ; ces étoiles sont incrustées de cornaline et d’émeraude. Pour rendre cet assemblage solide et ne le pas trop embrouiller, l’artiste qui l’exécuta imagina une sorte de croix de Malte, composée d’un noyau central d’où s’enlèvent quatre fleurs de lotus opposées deux à deux, incrustées elles aussi d’émeraude et de cornaline. Il y a six de ces croix de Malte, si l’effet qu’elles produisent est des plus gracieux. Cependant, malgré l’habileté de l’orfèvre et à cause de la grande difficulté du travail, ce bijou, qui a un diamètre de 175 millimètres, une hauteur de 20 millimètres et qui pèse 36 grammes, n’est pas d’un grand effet décoratif : il est embrouillé, les fils d’or se sont tordus, la plupart sont devenus trop lâches, offrent une trop grande distance entre eux ; il y en a bien peu qui aient conservé les courbures gracieuses originelles. Ce bijou pouvait être d’un grand effet, mais il n’était pas pratique. Il en est tout autrement du second diadème composé de pièces d’un dessin très pur et très décoratif. Il est formé par seize motifs lyriformes entourant deux à deux une rosace dont le bouton central est en or et le contour incrusté de larmes de cornaline, d’émeraude et de lapis-lazuli. Les lyres étant tournées l’une vers l’autre, embrassent d’un côté la rosace et de l’autre lui sont soudées : si elles embrassent la rosace elles l’atteignent par quatre fleurons, qui l’enserrent, pendant que d’autres fleurons, également au nombre de quatre, remplissent le vide qui, sans eux, serait trop grand entre les côtés de la lyre et l’effet produit disgracieux ; si, au contraire, elles sont soudées à la rosace par la partie postérieure, cette rosace est elle-même surmontée d’une lyre qui est debout avec ses fleurons. Ces lyres debout et couchées n’ont de semblable que l’apparence : les lyres couchées sont incrustées de grains ovoïdes et de losanges sertis dans l’or ; celles au contraire qui sont debout sur les rosaces sont incrustées de petites lames irrégulières en cornaline, en émeraude et en lapis-lazuli, selon les besoins de la ligne, mais le plus souvent forment un parallélogramme régulier. L’artiste qui fit ce bijou avait au plus haut point le sentiment de la forme et le goût artistique. Ce second diadème a un diamètre de 210 millimètres, une hauteur de 420 millimètres et pèse 108 grammes. Ni l’une ni l’autre de ces deux couronnes ne sont d’ailleurs complètes telles qu’elles viennent d’être décrites : on fixait encore par-dessus, dans un tenon, un panache en or qui représentait une plante d’or dont les fleurs pendaient en grappes de perles d’or ou de pierres précieuses, ou encore un porte-plumet et des porte-aigrettes, le premier formé de trois pièces destinées à recevoir des plumes disposées en éventail, les autres consistant en deux tubes qui rentraient l’un dans l’autre et s’adaptaient à la couronne. Évidemment les dames égyptiennes avaient le goût de la coquetterie et trouvaient des artistes assez habiles pour satisfaire ce goût. On s’est extasié devant ces bijoux, devant l’habileté qu’ils réclament, et on en a conclu que plus on remontait vers l’ancien Empire, plus on se trouvait en présence d’artistes parfaits, et qu’il en était de même pour tout l’art égyptien. C’est aller un peu trop vite en besogne, et je ne saurais souscrire à ces conclusions, parce qu’elles ne me semblent pas très justes. Sans parler du côté philosophique du sujet, qu’il serait cependant honnête de ne pas négliger, je trouve dans l’examen des bijoux eux-mêmes les raisons de mon sentiment. Ces bijoux laissent à désirer en un certain nombre de cas : la facture n’est jamais parfaite, chaque pièce en particulier d’un bijou peut sembler parfaite et l’ensemble ne l’est pas. Dans les jaserons, il y a des mailles qui sont manquées, les chaînettes ne sont pas d’égale longueur ; dans les pièces qui se composent de plusieurs élémens qui devraient être égaux, il y en a toujours quelqu’un qui est trop long ou trop court. Les Egyptiens n’attachaient aucune importance à la symétrie des parties, non seulement en bijouterie, mais même dans leur architecture. Si l’on compare ces bijoux à ceux de la reine Aahhôtep de la XVIIe dynastie, on voit que loin d’être mieux travaillés ils le sont beaucoup plus mal, et les esprits pessimistes et chagrins, qui sont toujours prêts à proclamer l’infériorité des temps présens en comparaison des temps passés, reçoivent ici un éclatant démenti. Un peuple n’arrive pas du premier coup à la perfection, il lui faut gravir lentement et péniblement le calvaire de l’art ; plus il monte, plus son idéal s’étend, et plus il voit qu’il en est loin. Lorsqu’il croit l’avoir atteint, c’est qu’il n’a plus la force de le poursuivre et de gravir encore la pente difficile, c’est qu’il va descendre l’autre versant de la montagne, qu’il est devenu vieux et qu’il ne lui reste plus qu’à faire place à de plus jeunes. Le peuple qui ne progresse plus est fatalement appelé à disparaître.


Les objets merveilleux qui viennent d’être décrits ont appelé de nouveau l’attention sur l’Égypte. On a été quelque peu surpris que la terre noire de la vallée du Nil contînt encore tant de trésors à trouver, et, le moment de la surprise passée, on a conclu que sans doute, sûrement même, il en restait d’autres à découvrir. Les trois hommes qui la fouillent actuellement attirent à leur suite un plus grand nombre de gens qui voudraient avoir trouvé avant d’avoir fouillé. En France même cette ambition légitime, mais trop pressée, semble être partagée. On se demande ce que deviennent les antiquités découvertes. Il n’est pas difficile de répondre à cette question. M. de Morgan, fonctionnaire du gouvernement égyptien, est tenu par les fonctions mêmes qu’il exerce de déposer tout ce qu’il trouve au musée de Gizéh ; il le fait. Pour les deux autres, ils fouillent de compte à demi, le musée de Gizéh ayant non seulement la moitié des objets trouvés mais aussi le droit de préélection. De l’autre moitié, M. Naville, qui fouille pour le compte de l’Egypt exploration fund, dirige sur Londres les monumens qu’il a découverts ; la société fait elle-même le partage entre les divers musées de l’Europe et de l’Amérique, le British Museum recevant la meilleure part, comme il est juste, le musée du Louvre recevant aussi sa petite part, qu’il a hâte d’ailleurs de mettre en ses magasins, ce qui ne permet pas de juger de la générosité de la société anglaise ; quant à M. Pétrie, auquel appartient la moitié des objets qu’il a trouvés, il en fait part à ses amis, à divers musées d’Angleterre, au musée de Berlin, et je dois dire que nous ne figurons pas au nombre de ses amis. On s’est donc ému, en France, de cette situation qu’il me sera permis de qualifier d’anormale. On a songé à fonder une société comme la société anglaise dont il vient d’être question, et l’on a déjà réuni des souscripteurs sérieux, mais en trop petit nombre. Ce qu’il faudrait, ce serait un ou deux milliers de petits souscripteurs qui, chaque année, apporteraient à la société française les ressources nécessaires pour faire des fouilles sérieuses en Égypte et qui recevraient en récompense les publications que l’on ferait. C’est ce qui se pratique en Angleterre, et pourquoi n’en ferait-on pas autant en France ? Les objets trouvés, si l’on en trouvait, permettraient d’enrichir l’admirable collection du Louvre et de créer d’autres collections en province. Ce projet ne semble pas irréalisable, surtout au moment où tant de généreux particuliers font les dons que l’on sait à nos musées. Je souhaite vivement pour ma part qu’il réussisse.


E. AMELINEAU.