Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 13-14).

VERDUN



Le silence revêt le plus grand nom du monde ;
Un lendemain sans borne enveloppe Verdun.
Là, les hommes français sont venus un à un,
Pas à pas, jour par jour, seconde par seconde
Témoigner du plus fier et plus stoïque amour.

Ils se sont endormis dans la funèbre épreuve.

Verdun, leur immortelle et pantelante veuve.
Comme pour implorer leur céleste retour,
Tient levés les deux bras de ses deux hautes tours.

— Passant, ne cherche pas à donner de louanges
À la cité qui fut couverte par des anges
Jaillis de tous les points du sol français : le sang
Est si nombreux ici que nulle voix humaine


N’a le droit de mêler sa plainte faible et vaine
Aux effluves sans fin de ce terrestre encens.
Reconnais, dans la plaine entaillée et meurtrie,
Le pouvoir insondable et saint de la Patrie
Pour qui les plus beaux cœurs sont sous le sol, gisants.
 
En ces lieux Ton ne sait comment mourir se nomme,
Tant ce fut une offrande à quoi chacun consent.

À force d’engloutir, la terre s’est faite homme.

Passant, sois de récit et de geste économe.
Contemple, adore, prie, et tais ce que tu sens.

Novembre 1916.