Les Forces éternelles/Repose-toi, tais-toi…

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 377-378).

REPOSE-TOI, TAIS-TOI…


Repose-toi, tais-toi, respire seulement,
Pour enchanter mon cœur il suffit que tu vives,
Ton regard a le poids de deux noires olives
Dans ton visage pâle, anxieux et charmant.

Tu goûtes, en fumant, la chaleur catalane,
Dans un blanc cabaret, sur le sol de safran ;
On voit un aloès, un cimetière, un âne,
Et l’enivrant azur du ciel indifférent.

Et voici que, traînant leur guitare enjôleuse,
Deux graves mendiants, suffoqués par l’été,
Implorent de l’hôtesse, avec humilité.
Le vin acide et froid, dont l’odeur est rugueuse.

— Le plaisir tout à coup rend ton œil bondissant, Tu viens de leur parler dans cette langue obscure Qui semble mélanger la caresse et l’injure, Et la fierté courtoise au secret menaçant.

Et voici que, riant, se lamentant, sans hâte, Ils commencent pour toi, sur le sombre instrument. Ce jeu astucieux d’acrobate et d’amant, D’où le rythme heurté comme un orage éclate !

Et tu ne bouges plus, tu sembles étourdi. Par cette frénésie implacable, acérée, Et ton regard se perd dans le long paradis De cette musique âcre, agressive et bistrée… </poem>