Les Forces éternelles/Pluie printanière

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 166-167).

PLUIE PRINTANIÈRE


 
Eau tendre où le printemps abonde,
Pluie industrieuse et féconde,
Dont le clair et piquant tapage
Est en marche dans le feuillage.
Fine habitante des nuages,
Toi qui transmets le ciel au monde,
Viens danser dans mes mains ouvertes,
Abaisse tes pieds diligents,
— Ô ma sauterelle d’argent —
Sur ma joue à tes jeux offerte ;
La nue auguste se dévide
En minces écheveaux liquides.
— Ondée heureuse qui me touches,
Tu peux donc laisser sur ma bouche
La saveur des hautains espaces.
Tout ce que mon regard embrasse

Quand il parcourt la vaste nue
Est dans ta douce bienvenue.
— Ô perleuse et tremblante échelle
Où mon regard va s’élevant
Aussi rapide que le vent,
Je me tiens sur ta passerelle !
Apaise par ton eau légère,
Qui pourtant s’abat en torrent,
La grande soif d’un cœur souffrant
En qui tout émoi s’exagère !
Viens noyer sous ton eau hardie
Mon déraisonnable incendie ;
Éteins ce cœur si brave, et qui
Languit sur ses lauriers conquis ;
Endors ce frémissant espoir
Qui s’irrite et ne peut surseoir,
Et que je sois, humide amie,
Sous ta ruisselante accalmie,
Comme une Naïade endormie…