Les Forces éternelles/Pensée dans la nuit

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 214-215).

PENSÉE DANS LA NUIT



L’averse communique à l’air un goût marin,
Le vent frémit ainsi qu’une immense flottille,
La lune entr’ouvre aux cieux un aileron d’airain,
Une étoile endormie à peine brille et cille ;
Et je respire avec une ample volupté
Cette verte, élastique et fraîche crudité
Du feuillage content, qui, comme un hymne, élance
La pure odeur de l’eau dans le puissant silence !

Tout repose, l’air est mouillé comme une fleur,
Chaque point de l’éther tranquillement s’égoutte,
Un vent plus vif répand sa subite candeur ;
Je suis là, faible humain, je contemple, j’écoute.
Le vent noir vient à moi, et dans mon souffle heureux
S’élance avec l’odeur des torrents et des cieux.
Et mon cœur se dilate, et l’infini pénètre
La tristesse attentive et sage de mon être.

Je songe aux morts, je goûte avec austérité
La vie, et ce puissant, régulier délire
Qui, depuis l’humble sol jusqu’aux astres sacrés,
Étend l’acte divin et fier de respirer ;
Et les morts sont sans souffle, et dans leur sombre empire
Jamais plus ne descend ce grand ciel aéré
Qui m’accoste et m’imprègne.
Qui m’accoste et m’imprègne Ô monde, je respire !