Les Forces éternelles/Les nuits d’été

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 158-160).

LES NUITS D’ÉTÉ


La poudre bleue des ciels du soir,
Un balcon que des fleurs étreignent,
Cette paix de l’ombre, où se plaignent
Tous les désirs, tous les espoirs,

Cette odeur de calme et de vide
Que préside, dans un ciel pur,
La lune éternelle et candide,
Clair visage usé, mince et dur,

Cette âcre évidence de l’âme
Que ressent, dans les nuits d’été,
Le corps qui soupire et se pâme
Et se meurt de liquidité,


Les cieux que le silence attise,
Tout ce qui stagne, ce qui luit,
Ce moi état nerveux des nuits,
Cette latente et tendre crise,

Le vivace espace, habité
Depuis les premiers jours du monde
Par des siècles de nuits d’été
Que le même désir inonde,

Ô Nature, cet univers,
Ce réel et cet impossible,
Tout ce qui semble inaccessible.
S’échange par les cœurs ouverts !

Tout ce poids sublime, ô Nature,
Que l’on soutient les yeux levés,
Il est scellé, il est rivé
Au corps triste des créatures !

— Ainsi blessent les cieux d’été… —

Se peut-il que parfois les êtres,
Humbles plantes de volupté

Que l’éternel désir fit naître
Pour la suave avidité
Et pour l’unique récompense
De l’amoureuse charité,
Aient ignoré vos complaisances,
Ô sombre Amour incontesté !