Les Forces éternelles/La mort de Jaurès (I)

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 42-43).

LA MORT DE JAURÈS


I



J’ai vu ce mort puissant le soir d’un jour d’été.
Un lit, un corps sans souffle, une table à côté :
La force qui dormait près de la pauvreté !
J’ai vu ce mort auguste et sa chambre économe,
La chambre s’emplissait du silence de l’homme.
L’atmosphère songeuse entourait de respect
Ce dormeur grave en qui s’engloutissait la paix ;
Il ne semblait pas mort, mais sa face paisible
S’entretenait avec les choses invisibles.
Le jour d’été venait contempler ce néant
Comme l’immense azur recouvre l’océan.
On restait, fasciné, près du lit mortuaire
Écoutant cette voix effrayante se taire.
L’on songeait à cette âme, à l’avenir, au sort.
— Par l’étroit escalier de la maison modeste,


Par les sombres détours de l’humble corridor,
Tout ce qui fut l’esprit de cet homme qui dort,
Le tonnerre des sons, le feu du cœur, les gestes,
Se glissait doucement et rejoignait plus haut
L’éther universel où l’Hymne a son tombeau.

Et tandis qu’on restait à regarder cet être
Comme on voit une ville en flamme disparaître.
Tandis que l’air sensible où se taisait l’écho
Baisait le pur visage aux paupières fermées,
L’Histoire s’emparait, éplorée, alarmée,
De ce héros tué en avant des armées…