Les Forces éternelles/Attends encore un peu…

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 300-302).

ATTENDS ENCORE UN PEU…


Attends encore un peu. Rêvons. Es-tu bien sûr
Que c’est la volupté que réclame l’azur ?
Parce qu’un ciel torride agrippe et tient la ville,
Et que la chambre est comme une auberge en Sicile,
Parce que l’heure auguste et forte de midi
Est là, comme un enfant qui brille et qui grandit,
Crois-tu, cher étranger en qui je cherche un frère,
Que c’est la volupté qu’un jour si beau préfère,
Et qu’elle atténuera notre éternel exil ?
Quand nous serons unis et tissés fil à fil
Par les bras, les cheveux, les genoux et les lèvres,
Dans le lit triste et noir que ton désir enfièvre,
Quand nous serons tous deux haletants, et liés
Dans l’ombre où l’on perçoit le luisant mobilier,
Attentif, semble-t-il, à la tendresse humaine ;
Quand ton amour sera grondant comme la haine,


Crois-tu, me promets-tu, c’est là l’essentiel,
Que nos sanglots mêlés captureront le ciel.
Que nous pourrons vraiment épuiser en nous-mêmes
Cet infini désir qui, sans répit, essaime
Et peuple l’univers d’un mirage divin ?
Je voudrais croire en Dieu pour que rien ne soit vain
De ces moments où l’àme intolérante et pure
Subit en combattant notre heureuse torture…

Mais, hélas, l’excessif plaisir qui nous lia
N’a pas pu entraîner dans son suave gouffre
Le charmant et cruel univers dont je souffre.
Demain je reverrai le frais magnolia
Vernissé du jardin. Sa large fleur pâmée.
Succulent arsenal de rêve sensuel,
Élancera vers moi, d’un trait torrentiel,
Son rapide parfum d’eau courante embaumée ;
L’hirondelle au long vol, bohémienne des airs,
Jettera sur le soir ses volantes caresses
Qui semblent déchirer le bleuâtre désert
Où le prodigue oiseau se dépense et se blesse.
Puis je verrai l’étoile attentive du soir,
Doux regard vigilant de la nuit sérieuse,
J’entendrai se glisser le vent peureux et noir
Dans les pipeaux fleuris des grasses tubéreuses ;
Je verrai cet aspect puissant, continuel,
Paisible, qu’a, la nuit, le visage du ciel.


Que me seront alors tes caresses passées ?
Il faut à mon esprit un appui incessant ;
Les plaisirs fugitifs et les choses cessées
Flottent comme des morts dans le fleuve du sang !
J’aimerais de mourir. La mort me serait bonne
Sur ton cœur sombre, avant que ne souffle l’automne.
Te souviens-tu du chant sublime de Tristan
Près d’Iseult ? Ils sont seuls, la nuit, sous le feuillage ;
Nul ne les voit. Iseult, pure et brûlante, attend
Qu’éclate sur son front le turbulent orage
Du bonheur désiré. Mais, Tristan, grave alors,
D’un soupir plus plaintif que n’est le son du cor,
Et détournant ses yeux de sa noble conquête,
Déclame : « Je voudrais mourir ! »
Déclame : « Je voudrais mourir ! » Baissant la tête,
Soupesant, semble-t-il, tout le poids du plaisir.
Épouvanté, songeur, calme, il voudrait mourir !

— Mon amour, cette paix goûtons-la côte à côte,
Sereinement, avant que le destin nous ôte
Des bras, du cœur puissant, de la bouche qui mord,
La passion, le seul acte contre la mort !