Les Fleurs du mal - Ébauche d’un épilogue pour la 2e édition

Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal 
Quantin (p. 10-12).

[1]Note sur les plagiats. — Thomas Gray. Edgar Poe (2 passages). Longfellow (2 passages). Stace. Virgile (tout le morceau d’Andromaque). Eschyle. Victor Hugo.



Le recueil des projets de préface pour les Fleurs du mal se termine par l’ébauche informe d’une pièce de vers qui eût fait partie de la même édition, comme le prouve le passage suivant d’une lettre de Baudelaire à Poulet-Malassis (juillet ou août 1860) : « Je travaille aux Fleurs du mal. Dans très peu de jours, vous aurez votre paquet, et le dernier morceau, un épilogue adressé à la Ville de Paris, vous étonnera vous-même, si toutefois je le mène à bonne fin (en tercets ronflants). »

Le poète n’ayant pas réussi à rendre sa pensée avec son habituel talent, la pièce fut abandonnée et l’idée première en fut reprise dans le sonnet, intitulé Épilogue, qui termine les Petits poèmes en prose (Œuvres complètes, t. IV) Nous avons pensé que cette esquisse, tout imparfaite qu’elle est, méritait d’être citée, ne fût-ce que comme spécimen de la façon dont le peintre des Tableaux parisiens couvrait sa toile, avant d’attaquer le détail de ses peintures d’une perfection si raffinée.



Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,

J’ai dit :

Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…

 Que de fois…

Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,
Ton goût de l’infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,
Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,
Tes faubourgs mélancoliques,
Tes hôtels garnis,
Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,
Tes temples vomissant la prière en musique,
Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,

 Tes découragements ;

Et tes feux d’artifice, éruptions de joie,
Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.
Ton vice vénérable étalé dans la soie,
Et ta vertu risible, au regard malheureux,
Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie.
Tes principes sauvés et tes lois conspuées,
Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes,
Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,
Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,
Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,
Tes magiques pavés dressés en forteresses,
Tes petits orateurs, aux enflures baroques,
Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,
S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,
Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques.
Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,
Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

  1. Cette phrase semble se rapporter à la dernière ligne de la seconde préface. C’est une liste des imitations que Baudelaire a faites des poètes dont il cite les noms.