Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 60-67).


XV

AVENIR


Faisons le rêve, ô jeune fille !
De l’avenir et du printemps,
Tandis qu’au ciel splendide brille
L’astre amoureux de nos vingt ans.

Asseyons-nous sur ce banc sombre,
Près du lac immobile et clair
Dont l’eau calme réfléchit l’ombre
Des oiseaux qui tournent dans l’air.

Suivons leur trace dans l’espace.
Où vont-ils ? Qu’importe ? Ils s’en vont.
Comme eux tout s’envole, fuit, passe
Et se perd dans l’azur profond.

 
Toi qui te voiles et qui cèles
Le secret de ton cœur si doux,
Nos âmes ont aussi des ailes,
Ô bien-aimée ! Envolons-nous !

Dans les rêves et les mystères
Planons. Hors du monde frayons
À nos deux âmes solitaires
Un chemin parmi les rayons,

Et répétons le mot suprême
Que dit l’ombre, que dit le jour,
Que chante Mai dont le poème
N’a qu’une rime : Amour ! Amour !

Oh ! viens. Tu m’aimes, je t’adore.
La vie est charmante. Demain
C’est la promesse de l’aurore
Et ta main tremblant dans ma main.

Sous ton voile qui symbolise
La blancheur de ton cœur d’enfant,
Tu sortiras de l’humble église
Dont le portail penche et se fend.

 
Dans ton regard je verrai luire
Une larme pour le passé
Et s’illuminer d’un sourire
Ton œil sur l’avenir fixé.

L’avenir ! ô délire ! ivresse
Que l’amant ne peut épuiser !
Ô lèvre qu’une lèvre presse !
Ô soif divine du baiser !

De nos paroles économes,
Prodigues de nos cœurs jumeaux,
Comme nous oublierons les hommes
Sous le temple des verts rameaux.

La maison, sous la clématite
Blottie ainsi qu’un nid des bois,
Peut-être sera trop petite
Pour tous les Amours à la fois.

Car j’aimerai ta bouche rose,
Ton front casqué de cheveux d’or,
Ton sein cachant sous une rose
Ton cœur, mystérieux trésor,

 
Tes bras nus que nouera l’étreinte,
Tes pieds nus, purs de nos chemins,
Colombes palpitant de crainte
Au piège attiédi de mes mains,

Et ton âme, innocente et fière
Comme la neige des sommets,
Ton âme où je vois la lumière
D’un astre qui ne meurt jamais.

Et la terre aura sa parure
De fleurs pour nous fêter, le sol
Des blés dorés et l’ombre obscure
De la forêt, le rossignol.

Et te voyant belle et charmée,
J’oublierai, sous le sombre arceau,
Que la joie, ô ma bien-aimée,
A les deux ailes d’un oiseau.

Et quand le soir dans la vallée
Allongera sur le gazon
Jusqu’à la colline isolée
L’ombre chère de la maison,

 
Quand la lueur que multiplie
Le couchant aura dans tes yeux
Mis l’auguste mélancolie
Et la gloire ardente des cieux,

Nous reverrons le toit qui fume
Et la vitre où la lampe luit,
Étoile veillant dans la brume,
Phare souriant dans la nuit.

Sérénité de l’âtre intime
Où flambe et se tord le sarment !
Heure trouble, vaste et sublime !
Religieux recueillement !

Quand le jour meurt, l’esprit s’éveille.
Le soir fait nos songes plus purs
Et notre pensée est pareille
Aux étoiles des cieux obscurs.

Ô volupté ! Nous serons ivres
De rêves ; nous inclinerons
Sur les graves feuillets des livres
L’ombre unique de nos deux fronts.

 
Je t’expliquerai que l’histoire
N’est qu’un sépulcre plus profond
D’où le penseur sort, l’âme noire
De la nuit qu’il découvre au fond ;

Qu’être César, être Alexandre,
Empereur, dompteur des vivants,
C’est laisser un peu plus de cendre
À l’éparpillement des vents ;

Qu’avoir soumis Athènes, Rome,
Paris, être illustre et vainqueur,
Ô belle ! ne vaut pas en somme
La conquête d’un jeune cœur.

Et tout bas, âme qu’auréole
La foi, cœur candide et sacré,
Temple immaculé d’où s’envole
La prière, je t’avouerai

Que pour guérir de ses ulcères
La fauve et morne humanité
Je crois les Dieux moins nécessaires
Qu’un peu d’amour et de bonté.

 
Et toi qu’éblouit la croyance,
Tu diras : — Toute chose ment.
Il n’est, ami, qu’une science
Que je devine éperdument.

Le cœur la révèle à l’amante,
Le baiser l’enseigne à son tour.
C’est le bonheur qui te commente,
Science auguste de l’amour ! —

Et tandis que nos voix tremblantes
Se tairont dans le soir divin,
Filles du temps, jamais trop lentes,
Heures ! vous sonnerez en vain.

Car défiant l’ombre obstinée,
L’oubli, les ans prompts à tarir,
Et ne formant, ô destinée !
Qu’un vœu magnifique : mourir !

Mourir lorsque la flamme encore
Peut brûler et s’éterniser,
Jeunes, épris, baignés d’aurore
Disparaître dans un baiser !

 
Vers la vie altière et parfaite
Nous prendrons l’essor, emportés
Par des anges blancs dans la fête
Des chastes immortalités.