Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 94-95).


VI

AMOR


Nos cœurs sont pleins d’amour comme un jardin de roses ;
Mes baisers, doux oiseaux, cherchent tes lèvres roses ;
Ton âme s’extasie et sourit dans tes yeux ;
Le gazon sous nos pas fleurit. L’azur des cieux
Est profond comme l’onde où ta beauté se mire.
Quand tu plonges dans l’eau ta main frêle, j’admire
Les perles scintillant à tes ongles nacrés.
Radieux, de jeunesse et d’espoir enivrés,
Nous marchons dans la gloire auguste de la vie ;
La terre nous jalouse et le ciel nous envie ;
Dans l’univers divin nous entendons des chants
D’allégresse sortir des forêts et des champs.
Ô soupirs ! ô concerts ! ô baisers ! ô délires !
Le chêne, le buisson, le roseau sont des lyres.

Et tout est si joyeux, si paisible, si doux,
Tant de sérénité grave descend en nous
Que le désir vaincu s’abolit dans nos rêves.
Le temps religieux suspend les heures brèves ;
Et nous ne savons plus même, tant nous aimons,
Si l’étoile, apparue au faîte obscur des monts,
Est l’étoile du soir ou celle de l’aurore.

Nous sommes les amants éternels et j’adore
L’immortelle beauté dans ta beauté d’un jour.
L’âme du monde éclôt en nos âmes. L’amour
Qui sur nos fronts unis ouvre son envergure,
Astre, nous éblouit, esprit, nous transfigure.
À force d’être heureux nous devenons meilleurs,
Et nous sentons soudain à nos brusques pâleurs,
À nos communs frissons, à nos pleurs, à nos craintes,
Au tremblement pieux de nos voix presque éteintes,
Au souffle qui nous glace ou brûle de son feu,
Que nos cœurs surhumains sont les temples d’un dieu.