Les Flûtes alternées/Éros confiant


II

ÉROS CONFIANT


— Où vas-tu ? L’ombre fourmille
De monstres et de Sylvains.
Crains l’atteinte, ô jeune fille !
Des Faunes dans les ravins.

— Laisse-moi. L’heure me presse.
Je vais où toutes s’en vont,
Dans la nuit enchanteresse.
Où je vais ? Au bois profond.

— Viens ; arrête, ô vierge ! Écoute.
Ma maison fleurie, auprès
De la source et de la route,
Est blanche sous les cyprès.

 
— Certe, elle est pauvre, la hutte
Où m’attend le cher berger.
Mais qu’elle est douce la flûte
Qu’éveille son chant léger !

— Les serments sont plus fidèles
Que jure un vieillard épris.
Lorsque l’Amour n’a plus d’ailes,
C’est Vénus qui fait le prix.

— Je ris quand l’amour qui boite,
Éros au neigeux menton,
Tient un sac de la main droite
Et de la gauche un bâton.

— L’amour de Daphnis voltige
Et se pose moins longtemps
Qu’un bouvreuil sur une tige,
Qu’une sarcelle aux étangs.

— À quoi bon, si je l’ignore,
Ô vieillard, flétrir ainsi
Le rêve de mon aurore
D’un obscur et vain souci ?

 
— C’est, enfant, que les années
Nous font, en pesant sur nous,
Des âmes découronnées
Et de sombres cœurs jaloux.

— Adieu. J’aime. Que m’importe ?
Si Daphnis m’oublie un jour,
J’irai suspendre à sa porte
Les fleurs mortes de l’Amour,

Et j’enfermerai, rebelle
Au reproche, en mon tombeau,
Le souvenir qu’étant belle
Il m’aima, lui jeune et beau.