Les Femmes savantes/Acte IV
ACTE QUATRIÈME.
Scène I.
Armande.
Oui, rien n’a retenu son esprit en balance ;
Elle a fait vanité de son obéissance ;
Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi
S’est-il donné le temps d’en recevoir la loi,
Et sembloit suivre moins les volontés d’un père,
Qu’affecter de braver les ordres d’une mère.
Philaminte.
Je lui montrerai bien aux lois de qui des deux
Les droits de la raison soumettent tous ses vœux
Et qui doit gouverner ou sa mère, ou son père,
Ou l’esprit ou le corps, la forme ou la matière.
Armande.
On vous en devoit bien, au moins, un compliment ;
Et ce petit Monsieur en use étrangement
De vouloir, malgré vous, devenir votre gendre.
Philaminte.
Il n’en est pas encore où son cœur peut prétendre.
Je le trouvois bien fait, et j’aimois vos amours ;
Mais, dans ses procédés, il m’a déplu toujours.
Il sait que, Dieu merci, je me mêle d’écrire ;
Et jamais il ne m’a prié de lui rien lire.
Scène II.
Armande.
Je ne souffrirois point, si j’étois que de vous,
Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.
On me feroit grand tort d’avoir quelque pensée,
Que là-dessus je parle en fille intéressée,
Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait,
Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret.
Contre de pareils coups, l’ame se fortifie
Du solide secours de la philosophie,
Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout ;
Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout.
Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire ;
Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.
Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,
Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.
Philaminte.
Petit sot !
Armande.
Quelque bruit que votre gloire fasse,
Toujours à vous louer il a paru de glace.
Philaminte.
Le brutal !
Armande.
Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux,
J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux.
Philaminte.
L’impertinent !
Armande.
Souvent nous en étions aux prises ;
Et vous ne croiriez point de combien de sottises…
Clitandre, à Armande.
Hé ! doucement, de grace. Un peu de charité,
Madame, ou, tout au moins, un peu d’honnêteté.
Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,
Pour armer contre moi toute votre éloquence,
Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin
De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?
Parlez, dites, d’où vient ce courroux effroyable ?
Je veux bien que madame en soit juge équitable.
Armande.
Si j’avois le courroux dont on veut m’accuser,
Je trouverois assez de quoi l’autoriser.
Vous en seriez trop digne ; et les premières flammes
S’établissent des droits si sacrés sur les ames.
Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,
Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour.
Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale ;
Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.
Clitandre.
Appelez-vous, madame, une infidélité,
Ce que m’a de votre ame ordonné la fierté ?
Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose,
Et si je vous offense, elle seule en est cause.
Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.
Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;
Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,
Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.
Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous,
Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux :
Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.
Voyez. Est-ce, madame, ou ma faute, ou la vôtre ?
Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?
Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?
Armande.
Appelez-vous, monsieur, être à vos vœux contraire,
Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,
Et vouloir les réduire à cette pureté
Où du parfait amour consiste la beauté ?
Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée
Du commerce des sens nette et débarrassée ;
Et vous ne goûtez point, dans ses plus doux appas,
Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.
Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière,
Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ;
Et, pour nourrir les feux que chez vous on produit,
Il faut un mariage, et tout ce qui s’ensuit.
Ah ! quel étrange amour ! et que les belles ames
Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes !
Les sens n’ont point de part à toutes leurs ardeurs ;
Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs.
Comme une chose indigne, il laisse là le reste ;
C’est un feu pur et net comme le feu céleste :
On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs,
Et l’on ne penche point vers les sales desirs.
Rien d’impur ne se mèle au but qu’on se propose ;
On aime pour aimer, et non pour autre chose ;
Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports,
Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps.
Clitandre.
Pour moi par un malheur, je m’aperçois, madame,
Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une ame.
Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part :
De ces détachements je ne connais point l’art ;
Le ciel m’a dénié cette philosophie,
Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.
Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,
Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,
Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées,
Du commerce des sens si bien débarrassées ;
Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés :
Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;
J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne,
En veut, je le confesse, à toute la personne.
Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;
Et sans faire de tort à vos beaux sentiments[1],
Je vois que, dans le monde, on suit fort ma méthode,
Et que le mariage est assez à la mode,
Passe pour un lien assez honnête et doux,
Pour avoir desiré de me voir votre époux,
Sans que la liberté d’une telle pensée
Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.
Armande.
Hé bien ! monsieur, hé bien ! puisque, sans m’écouter,
Vos sentiments brutaux veulent se contenter ;
Puisque, pour vous réduire à des ardeurs fidèles,
Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles,
Si ma mère le veut, je résous mon esprit
À consentir pour vous à ce dont il s’agit.
Clitandre.
Il n’est plus temps, madame ; une autre a pris la place ;
Et, par un tel retour, j’aurois mauvaise grace
De maltraiter l’asile et blesser les bontés
Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés.
Philaminte.
Mais enfin comptez-vous, monsieur, sur mon suffrage,
Quand vous vous promettez cet autre mariage ?
Et, dans vos visions, savez-vous, s’il vous plaît,
Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt ?
Clitandre.
Hé ! madame, voyez votre choix, je vous prie ;
Exposez-moi, de grace, à moins d’ignominie,
Et ne me rangez pas à l’indigne destin
De me voir le rival de Monsieur Trissotin.
L’amour des beaux esprits qui chez vous m’est contraire
Ne pouvoit m’opposer un moins noble adversaire.
Il en est, et plusieurs, que, pour le bel esprit
Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit,
Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,
Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne.
Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;
Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,
C’est de vous voir au ciel élever des sornettes,
Que vous désavoueriez si vous les aviez faites.
Philaminte.
Si vous jugez de lui tout autrement que nous,
C’est que nous le voyons par d’autres yeux que vous.
Scène III.
Trissotin, à Philaminte.
Je viens vous annoncer une grande nouvelle[2] :
Nous l’avons, en dormant, madame, échappé belle.
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon ;
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.
Philaminte.
Remettons ce discours pour une autre saison,
Monsieur n’y trouveroit ni rime ni raison,
Il fait profession de chérir l’ignorance,
Et de haïr, surtout, l’esprit et la science.
Clitandre.
Cette vérité veut quelque adoucissement.
Je m’explique, madame ; et je hais seulement
La science et l’esprit qui gâtent les personnes.
Ce sont choses, de soi, qui sont belles et bonnes ;
Mais j’aimerois mieux être au rang des ignorants,
Que de me voir savant comme certaines gens.
Trissotin.
Pour moi, je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose,
Que la science soit pour gâter quelque chose.
Clitandre.
Et c’est mon sentiment qu’en faits comme en propos
La science est sujette à faire de grands sots.
Trissotin.
Le paradoxe est fort.
Clitandre.
Sans être fort habile,
La preuve m’en seroit, je pense, assez facile.
Si les raisons manquoient, je suis sûr qu’en tout cas
Les exemples fameux ne me manqueroient pas.
Trissotin.
Vous en pourriez citer qui ne concluroient guère.
Clitandre.
Je n’irois pas bien loin pour trouver mon affaire.
Trissotin.
Pour moi, je ne vois pas ces exemples fameux.
Clitandre.
Moi, je les vois si bien, qu’ils me crèvent les yeux.
Trissotin.
J’ai cru jusques ici que c’étoit l’ignorance
Qui faisoit les grands sots, et non pas la science.
Clitandre.
Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant
Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.
Trissotin.
Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisque « ignorant » et « sot » sont termes synonymes.
Clitandre.
Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
L’alliance est plus forte entre pédant et sot.
Trissotin.
La sottise, dans l’un, se fait voir toute pure.
Clitandre.
Et l’étude, dans l’autre, ajoute à la nature.
Trissotin.
Le savoir garde en soi son mérite éminent.
Clitandre.
Le savoir, dans un fat, devient impertinent.
Trissotin.
Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,
Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.
Clitandre.
Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,
C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.
Trissotin.
Ces certains savants-là peuvent, à les connoître
Valoir certaines gens que nous voyons paroître.
Clitandre.
Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants ;
Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens.
Philaminte, à Clitandre.
Il me semble, monsieur…
Clitandre.
Hé ! madame, de grace ;
Monsieur est assez fort, sans qu’à son aide on passe :
Je n’ai déjà que trop d’un si rude assaillant ;
Et, si je me défends, ce n’est qu’en reculant.
Armande.
Mais l’offensante aigreur de chaque repartie
Dont vous…
Clitandre.
Autre second ? Je quitte la partie.
Philaminte.
On souffre aux entretiens ces sortes de combats,
Pourvu qu’à la personne on ne s’attaque pas.
Clitandre.
Hé ! mon Dieu ! tout cela n’a rien dont il s’offense.
Il entend raillerie autant qu’homme de France ;
Et de bien d’autres traits il s’est senti piquer,
Sans que jamais sa gloire ait fait que s’en moquer.
Trissotin.
Je ne m’étonne pas, au combat que j’essuie,
De voir prendre à monsieur la thèse qu’il appuie ;
Il est fort enfoncé dans la cour, c’est tout dit.
La cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit.
Elle a quelque intérêt d’appuyer l’ignorance ;
Et c’est en courtisan qu’il en prend la défense.
Clitandre.
Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour ;
Et son malheur est grand de voir que, chaque jour,
Vous autres beaux esprits vous déclamiez contre elle ;
Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle,
Et, sur son méchant goût lui faisant son procès,
N’accusiez que lui seul de vos méchants succès.
Permettez-moi, monsieur Trissotin, de vous dire,
Avec tout le respect que votre nom m’inspire ;
Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous,
De parler de la cour d’un ton un peu plus doux[3] ;
Qu’à le bien prendre, au fond, elle n’est pas si bête
Que, vous autres messieurs, vous vous mettez en tête ;
Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût,
Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie.
Trissotin.
De son bon goût, monsieur, nous voyons des effets.
Clitandre.
Où voyez-vous, monsieur, qu’elle l’ait si mauvais ?
Trissotin.
Ce que je vois, monsieur ? c’est que pour la science
Rasius et Baldus font honneur à la France ;
Et que tout leur mérite exposé fort au jour,
N’attire point les yeux et les dons de la cour.
Clitandre.
Je vois votre chagrin, et que, par modestie,
Vous ne vous mettez point, monsieur, de la partie,
Et, pour ne vous point mettre aussi dans le propos,
Que font-ils pour l’État, vos habiles héros ?
Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d’une horrible injustice,
Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle manque à verser la faveur de ses dons ?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire !
Et des livres qu’ils font la Cour a bien affaire !
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l’État d’importantes personnes ;
Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ;
Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;
Que sur eux l’univers a la vue attachée ;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée ;
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
À se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin
De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres.
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ;
Riches, pour tout mérite, en babil importun :
Inhabiles à tout, vides de sens commun,
Et pleins d’un ridicule et d’une impertinence
À décrier partout l’esprit et la science.
Philaminte.
Votre chaleur est grande ; et cet emportement
De la nature en vous marque le mouvement.
C’est le nom de rival qui dans votre âme excite[4] !…
Scène IV
Julien.
Le savant qui tantôt vous a rendu visite,
Et de qui j’ai l’honneur de me voir le valet,
Madame, vous exhorte à lire ce billet.
Philaminte.
Quelque important que soit ce qu’on veut que je lise,
Apprenez, mon ami, que c’est une sottise
De se venir jeter au travers d’un discours ;
Et qu’aux gens d’un logis il faut avoir recours,
Afin de s’introduire en valet qui sait vivre.
Julien.
Je noterai cela, madame, dans mon livre.
Philaminte, lit.
« Trissotin s’est vanté, madame, qu’il épouseroit votre fille. Je vous donne avis que sa philosophie n’en veut qu’à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce mariage, que vous n’ayez vu le poëme que je compose contre lui. En attendant cette peinture, où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous envoie Horace, Virgile, Térence, et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu’il a pillés. »
Voilà sur cet hymen que je me suis promis,
Un mérite attaqué de beaucoup d’ennemis ;
Et ce déchaînement aujourd’hui me convie
À faire une action qui confonde l’envie,
Qui lui fasse sentir que l’effort qu’elle fait,
De ce qu’elle veut rompre, aura pressé l’effet.
(À Julien)
Reportez tout cela sur l’heure à votre maître,
Et lui dites qu’afin de lui faire connoître
Quel grand état je fais de ses nobles avis,
Et comme je les crois dignes d’être suivis,
(Montrant Trissotin.)
Dès ce soir à monsieur je marierai ma fille.
Scène V.
Philaminte, à Clitandre.
Vous, monsieur, comme ami de toute la famille,
À signer leur contrat vous pourrez assister ;
Et je vous y veux bien, de ma part, inviter.
Armande, prenez soin d’envoyer au notaire,
Et d’aller avertir votre sœur de l’affaire.
Armande.
Pour avertir ma sœur, il n’en est pas besoin ;
Et monsieur que voilà saura prendre le soin
De courir lui porter bientôt cette nouvelle,
Et disposer son cœur à vous être rebelle.
Philaminte.
Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir,
Et si je la saurai réduire à son devoir.
Scène VI.
Armande.
J’ai grand regret, monsieur, de voir qu’à vos visées,
Les choses ne soient pas tout à fait disposées[5].
Clitandre.
Je m’en vais travailler, madame, avec ardeur,
À ne vous point laisser ce grand regret au cœur.
Armande.
J’ai peur que votre effort n’ait pas trop bonne issue.
Clitandre.
Peut-être verrez-vous votre crainte déçue.
Armande.
Je le souhaite ainsi.
Clitandre.
J’en suis persuadé ;
Et que de votre appui je serai secondé.
Armande.
Oui ; je vais vous servir de toute ma puissance.
Clitandre.
Et ce service est sûr de ma reconnoissance.
Scène VII.
Clitandre.
Sans votre appui, monsieur, je serai malheureux ;
Madame votre femme a rejeté mes vœux,
Et son cœur prévenu, veut Trissotin pour gendre.
Chrysale.
Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ?
Pourquoi diantre vouloir ce monsieur Trissotin ?
Ariste.
C’est par l’honneur qu’il a de rimer à latin,
Qu’il a sur son rival emporté l’avantage.
Clitandre.
Elle veut dès ce soir faire ce mariage.
Chrysale.
Dès ce soir ?
Clitandre.
Dès ce soir.
Chrysale.
Et dès ce soir je veux,
Pour la contrecarrer, vous marier tous deux.
Clitandre.
Pour dresser le contrat, elle envoie au notaire.
Chrysale.
Et je vais le quérir pour celui qu’il doit faire.
Clitandre, montrant Henriette.
Et madame doit être instruite par sa sœur,
De l’hymen où l’on veut qu’elle apprête son cœur.
Chrysale.
Et moi je lui commande, avec pleine puissance,
De préparer sa main à cette autre alliance.
Ah ! je leur ferai voir, si pour donner la loi,
Il est dans ma maison d’autre maître que moi.
(À Henriette.)
Nous allons revenir : songez à nous attendre.
Allons, suivez mes pas, mon frère, et vous, mon gendre.
Henriette, à Ariste.
Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours.
Ariste.
J’emploierai toute chose à servir vos amours.
Scène VIII.
Clitandre.
Quelque secours puissant qu’on promette à ma flamme,
Mon plus solide espoir, c’est votre cœur, madame.
Henriette.
Pour mon cœur, vous pouvez vous assurer de lui.
Clitandre.
Je ne puis qu’être heureux, quand j’aurai son appui.
Henriette.
Vous voyez à quels nœuds on prétend le contraindre.
Clitandre.
Tant qu’il sera pour moi, je ne vois rien à craindre.
Henriette.
Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ;
Et si tous mes efforts ne me donnent à vous,
Il est une retraite où notre âme se donne,
Qui m’empêchera d’être à toute autre personne.
Clitandre.
Veuille le juste ciel me garder en ce jour,
De recevoir de vous cette preuve d’amour !
- ↑ Var. : Et sans faire de tort à vos bons sentiments.
- ↑ Cotin avait composé et publié une dissertation fort longue et fort ridicule qui porte le titre de Galanterie sur la Comète apparue en décembre 1664 et janvier 1665. L'entrée de Trissotin fait allusion à cette pièce vraiment curieuse. (Aimé Martin.)
- ↑ Var. De parler de la cour en homme un peu plus doux.
- ↑ Dans cette scène, Molière eut l’art d’intéresser la cour au succès d’un ouvrage contre lequel il prévoyait que beaucoup de gens pourraient se déchaîner. Aucune des parties intéressées n’osa faire un mouvement. Cotin, quoique honoré de l’amitié d’une princesse, et de celle de plusieurs femmes considérables, ne vit personne s’élever en sa faveur. (Bret.)
- ↑ Var. Les choses ne sont pas tout à fait disposées.