Les Femmes et la guerre

Les Femmes et la guerre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 35 (p. 175-204).
LES
FEMMES ET LA GUERRE


I. — EN FRANCE

Lorsque des cataclysmes plongent une nation dans le deuil, des vaillances et des vertus insoupçonnées se révèlent presque aussitôt. C’est ainsi qu’aux atrocités allemandes a correspondu en France et chez les Alliés, le plus superbe élan de dévouement. Une vague de charité a passé sur le monde, et ce sera, pour ne parler ici que des femmes, une merveilleuse histoire à écrire que celle des initiatives et des ingéniosités de leur bienfaisance durant la guerre.

Dans le premier élan, on peut dire que, d’un bout de la France à l’autre, toutes les femmes se découvrirent des aptitudes d’infirmières. Les bonnes volontés se révélèrent si nombreuses qu’on se vit dans la nécessité d’en décourager beaucoup, qui restèrent sans emploi. La sollicitude féminine se tourna alors du côté des non-combattans. Ne fallait-il pas aussi pourvoir a d’autres misères, songer aux pauvres gens exposés à mourir de faim, aider les mères et les enfans dans les cantines maternelles ? L’assistance par le travail se développa. Il se fonda de nombreux ouvroirs. Dans les uns, les ouvrières étaient payées [1] ; les autres, ouvroirs privés, étaient fréquentés par des femmes du monde et soutenus par elles. C’est par centaines de mille qu’ont été confectionnés les vareuses, les chemises, les caleçons, les gilets de flanelle, les chaussettes, les passe-montagnes, etc. Des sociétés se créèrent pour le Noël du Soldat, le Paquet du Soldat, la Vêture des Réfugiés, les Soupes populaires, etc., œuvres variées, multiples, d’une utilité incontestable, œuvres de guerre, passagères pour la plupart, mais qui démontrent à quel point notre patriotisme s’est exalté. Ce fut une magnifique floraison de dévouemens, une générosité large, débordante.

Personne n’ignore que la Croix-Rouge, née d’un vibrant appel du docteur Palasciano, de Naples, en 1861, et préparée par l’initiative de M. Dunant, est de fondation relativement récente. La plus ancienne de nos associations, la Société de Secours aux Blessés militaires, célébrait précisément le cinquantenaire de sa fondation en 1914. En 1879, le docteur Duchaussoy fondait l’Association des Dames françaises, qui demanda l’autorisation en 1881 et l’obtint en 1883. D’autre part, l’Union des Femmes de France était reconnue d’utilité publique en 1882. Ces trois sociétés françaises de secours aux blessés, tout en restant indépendantes les unes des autres, sont réunies par un Comité central, et cette union constitue la section française de la Croix-Rouge.

Les milliers de femmes dont la blouse blanche porte la croix rouge, avec la coiffe distinctive de l’une ou de l’autre des trois sociétés bien connues, forment une véritable petite armée. Cette armée féminine, comme l’autre, comprend des troupes actives et une réserve. Déjà avant la guerre, (‘active était constituée par des femmes ayant conquis leurs diplômes et accomplissant un service permanent dans les hôpitaux ou les dispensaires. On distingue même parmi elles des troupes de couverture, compagnies d’élite appelées à équipes mobiles, » Organisées dès le temps de paix, elles se sont trouvées prêtes à partir au premier signal, leur matériel au complet et avec un personnel homogène. Ces équipes avaient déjà fait campagne au Maroc, lors des inondations en 1910, et à l’époque des tremblemens de terre en Sicile. La réserve compte des milliers d’infirmières qui, depuis l’époque de leurs examens, n’accomplissent que des stages relativement courts dans les dispensaires. Enfin, les services auxiliaires comprennent : 1° des dames ayant étudié l’administration et les règlemens militaires en tant qu’ils se rapportent au fonctionnement d’un hôpital ; 2" des personnes possédant assez de notions d’hygiène pour apporter un utile concours aux infirmières.

Dans la soirée du 1er août, toutes les infirmières de l’active recevaient leur ordre de mobilisation. Les unes n’avaient qu’à se présenter sur place à leur comité, à leur hôpital ; quant aux autres, enrôlées dans les équipes mobiles, elles trouvaient une feuille de route avec l’ordre de départ délivré par l’autorité militaire, et, dès le lendemain, elles se joignaient aux trains militaires conduisant nos troupes vers l’Est, et dans lesquels des compartimens étaient réservés aux infirmières en tenue, acclamées par tous comme des camarades nouveaux. N’allait-on pas faire campagne ensemble ?

Pour juger de l’œuvre accomplie depuis le début de la guerre, rappelons qu’au mois de juillet 1914, la Société française de secours aux blessés militaires comptait 311 hôpitaux auxiliaires, 20 000 lits environ. Actuellement, les comités sont au nombre de 492 ; elle compte 42 000 membres, et le fonctionnement de ses 796 hôpitaux représente environ 70 000 lits. A côté de ces hôpitaux, il convient de faire figurer 93 postes de secours établis dans le 6e et plus particulièrement le 20e corps, qui, une fois la guerre déclarée, se sont transformés, sous la pression des événemens, en autant de petites formations sanitaires. Au cours des combats, les ambulances divisionnaires ont trouvé là des lits préparés à l’avance, du linge de rechange, des sections de brancardiers, des soins souvent éclairés, toujours empressés et ingénieux, donnés par la population féminine de la frontière, formée dès le temps de paix à cette mission d’assistance et qui, la guerre venue, s’est levée avec un même élan de charité. On peut évaluer à 1 500 les lits créés par ces 93 postes de secours, et à peu près à 12 000 le nombre des soldats qui y ont été soignés. Sur le chiffre de 796, trois hôpitaux ont une affectation spéciale : l’ « hôpital Elisabeth, » offert au roi des Belges à Calais ; le « Mont des Oiseaux, » transformé en hôpital auxiliaire pour officiers blessés ; l’ « hôpital pour les Mutilés de la guerre, » — et il est question d’en ouvrir deux autres pour les tuberculeux et les contagieux.

Il faut tout un monde d’infirmières, d’auxiliaires, de médecins, d’aumôniers, d’administrateurs, de comptables, de brancardiers pour assurer le fonctionnement de ces nombreuses formations. Les infirmières diplômées de la Société de secours aux blessés sont actuellement au nombre de 15 060 dont 3 000 reparties dans les hôpitaux militaires : l’hôpital du « Val-de-Grâce » à lui seul en compte 86. A ces diplômées viennent s’ajouter 11 480 infirmières auxiliaires utilisées dans les services accessoires : cuisine, buanderie, lingerie, stérilisation. Hélas ! beaucoup d’entre elles ont déjà succombé, scellant par le sacrifice de leur vie leur mission de dévouement et de charité.

Tout aussi active est l’ « Union des Femmes de France » qui, depuis la guerre, a pris un développement considérable. Dès le début des hostilités et même dès la période de tension, L’ « Union des Femmes de France, » qui compte à l’heure actuelle 88 245 membres, put mettre en mouvement le mécanisme sanitaire dont elle avait, en temps de paix, construit et vérifié le mécanisme. Cinq jours après l’ordre de mobilisation générale, elle disposait de plus de 11 000 lits ; elle en compte aujourd’hui près de 29 000, répartis sur tous les points du territoire, dans 353 hôpitaux dont l’installation, bien que de fortune, n’en est pas moins parfaite et conforme à toutes les règles de la science et de l’hygiène. Elle avait en magasin le matériel nécessaire et dans ses caisses un trésor de guerre de 7 966 384 fr. 40 ; enfin, elle s’est procuré d’autre part, en exécution de marchés antérieurement passés, les médicamens et les pansemens dont elle ne pouvait avoir une assez ample provision. En un mot, elle s’est efforcée de justifier son titre de Société auxiliaire au service de santé. Elle y a réussi.

L’ « Association des Dames françaises » porte surtout ses efforts sur l’organisation des hôpitaux auxiliaires, et elle est en ce moment admirablement à la hauteur de sa tâche.

Bien que la Croix-Rouge ne soit pas chargée des évacuations, lesquelles incombent au service de santé, la Société des Secours aux Blessés militaires dispose de soixante-huit voitures automobiles et de sept voitures à chevaux aménagées par ses soins pour le transport des blessés et réparties entre Amiens, Creil, Chantilly, Clermont-sur-Oise, Furnes, Paris, Reims et Villers-Cotterets. Tout récemment, ce service a été transformé et complété par des convois spéciaux composés de cinq voitures : une voiture de douches, une voiture de lavage et de séchage, une voiture de radiographie et enfin un camion de réparation qui, sur le front même, rendent d’inappréciables services. Grâce à la voiture de stérilisation, une salle d’opérations avec lumière électrique peut être installée en quelques heures n’importe où, à proximité même du champ de bataille. L’Union des Femmes de France, elle aussi, a, dès le mois d’août 1914, procédé à l’aménagement de soixante ambulances-automobiles qu’elle a offertes aux armées et qui furent les premières voitures de ce genre envoyées sur le front. C’est elle également qui a installé le premier convoi de péniches-ambulances qui débuta en évacuant cent grands blessés de Bar-le-Duc à Dijon.

Mais l’action des Sociétés de la Croix-Rouge ne s’arrête pas aux hôpitaux ; il est encore des subdivisions que l’on ne peut passer sous silence : l’œuvre des secours, qui donne des subventions, des vêtemens, des appareils prothétiques aux blessés réformés ; l’œuvre des ouvroirs ; la recherche des disparus, les renseignemens aux familles, etc.

On peut diviser les œuvres nées de la guerre et pour la durée de la guerre en trois ou même quatre catégories : Œuvres pour combattans, œuvres pour non-combattans, œuvres pour réfugiés et œuvres répondant à des besoins divers. Beaucoup furent fondées par des femmes et l’on peut dire que, chaque fois que des hommes prirent cette initiative, qu’ils parlèrent, écrivirent et mirent l’œuvre sur pied, il se trouva toujours des femmes pour s’y consacrer.

Les œuvres pour combattans comprennent tous les établissemens hospitaliers, c’est-à-dire les hôpitaux français, les hôpitaux ou ambulances fondés et soutenus par des Alliés et les formations sanitaires données, créées ou soutenues par les neutres. Elles comprennent en outre les œuvres de tricot, d’envoi de vêtemens et de secours aux combattans, de paquets d’alimentation et de vêtemens aux prisonniers en Allemagne ; œuvres qui envoient des jeux, des livres, du tabac aux soldats dans les tranchées et aux ambulances ; secours et assistance aux combattans, aux blessés et aux malades, visite dans les hôpitaux par les diverses sociétés régionalistes ; cantines de gare ; œuvres de secours aux soldats qui, par suite de leurs blessures ou de leur santé, ne peuvent se livrer à aucun travail ; l’assistance aux mutilés pauvres à qui l’on fournit des appareils et des emplois appropriés à leurs infirmités ; l’assistance aux convalescens militaires qui a pour objet d’hospitaliser, dans les établissemens de convalescence installés sur tous les points du territoire français, les militaires pourvus d’un congé de convalescence et ne pouvant aller passer ce congé chez eux.

Les œuvres de guerre pour non-combattans sont tout aussi nombreuses. Il y a d’abord les secours légaux dans les mairies, puis ceux qu’allouent certaines œuvres privées ; toutes les œuvres infantiles et maternelles appliquées aux familles de mobilisés et les œuvres d’adoption d’orphelins, d’assistance aux veuves de la guerre ; les restaurans à bon marché ou même gratuits, les œuvres de travail ou de placement.

Pour les réfugiés, on a établi, en plus des œuvres de secours et d’hospitalisation, des offices de renseignemens sur les familles réfugiées ou rapatriées, sur les disparus, et des permanences pour les originaires des départemens envahis.

Au lendemain de la déclaration de guerre, quelques femmes qui ne pouvaient se consacrer au soin des blessés songèrent au sort des ouvrières en chômage. La vie arrêtée, beaucoup d’ateliers fermés, qu’allaient devenir celles qui n’avaient aucun droit à l’allocation militaire ? La chose la plus urgente parut être de leur assurer le vivre, et de toutes parts des Œuvres se créèrent. Elles se subdivisent en ouvroirs de charité comprenant les ouvroirs-cantines et les ouvroirs salariés, puis les ateliers de chômage.

Les ouvroirs de charité groupèrent sans distinction domestiques sans place, ménagères privées d’un mari, ouvrières de toutes catégories et les modes de rétribution furent divers. Les ouvroirs-cantines se contentèrent d’assurer, les uns un seul repas, les autres un repas et le goûter, quelques-uns enfin deux repas. D’autres y ajoutèrent une légère somme d’argent et ceci, joint à la durée variable du travail imposé, fournit un nombre infini de combinaisons [2]. Le travail consista d’abord en objets destinés aux soldats du front, aux blessés, en articles de bienfaisance. Les ateliers de chômage recueillirent de préférence les ouvrières spécialisées et, dès le début, ne craignirent pas d’accepter des travaux exigeant une certaine habileté professionnelle.

Dès la première heure, la rareté du travail fut pour les ouvroirs et ateliers de chômage la plus grosse des difficultés à résoudre. Où se procurer l’ouvrage nécessaire pour occuper d’une façon suivie toutes les travailleuses en chômage ? Seules, les industries de guerre pouvaient prospérer. C’est donc du côté de l’équipement militaire, de la lingerie surtout, que portèrent les efforts. Un prêt de 43 000 francs du Secours national permit de faire les achats de tissus nécessaires à l’exécution de la première commande donnée par l’Intendance. Un atelier central fut créé pour la formation technique de monitrices destinées à prendre la direction d’ateliers de quartiers. Les divers services se développèrent au fur et à mesure de l’accroissement du nombre des ouvroirs adhérens. Dès le mois de novembre 1914, l’Union comptait 63 groupes comprenant plus de 1500 ouvrières.

Quel chiffre fantastique n’atteindrait-on pas s’il était possible d’évaluer tout le travail produit depuis deux ans par les doigts agiles des femmes de France ! C’est par centaines de mille que se chiffrent les objets de tous genres confectionnés dans les ouvroirs payes ou privés, les salons dans lesquels on se réunit pour travailler à Paris et en province. On coud, on tricote dans le plus humble hameau, dans les quartiers les plus somptueux de la capitale tout comme dans les petites rues étroites et mal aérées : dans tous les milieux, dans chaque famille, même dans les écoles on travaille pour les blessés, les prisonniers ou les réfugiés.


Bientôt apparut une nécessité pressante, celle de secourir par un travail rétribué les femmes privées de ressources, non seulement celles dont le mari et les fils étaient partis, mais les veuves, les isolées, les jeunes filles pour lesquelles l’arrêt des affaires, la fermeture des ateliers supprimaient tout moyen d’existence. La quête d’un sermon de charité à laquelle vinrent s’ajouter de généreuses oboles permit de réaliser ce projet chèrement caressé. Désormais tout l’effort se porta sur ce point : restreindre la dépense des étoffes utilisées par le travail de bonne volonté et réserver les ressources pour rétribuer, à bon escient, les femmes les plus méritantes ne recevant aucun secours immédiat par ailleurs [3].

Au 25 mars 1915, la Ligue patriotique des Françaises qui, au début de la guerre, avait ouvert des ouvroirs pour travailleuses bénévoles, a distribué à la Croix-Rouge 6 140 pièces de linge de corps et 10 760 articles de pansemens ; aux ambulances particulières 2 500 pièces de linge de corps ; 3 200 articles de pansemens ; aux soldats 991 pièces de linge de corps, 1 285 paquets complets (linge de corps, savons, tabac, chocolat, conserves). A l’ouvroir du faubourg Saint-Martin, les salaires ont dépassé 5 000 francs ; au boulevard Rochechouart, ils ont atteint une moyenne de 1 000 francs par semaine, à Levallois-Perret environ 10 000 francs, à Clamart on a distribué en cinq mois 1 480 francs.

La Ligue patriotique s’est affiliée à la Fédération des organismes du travail et, grâce à cette entente, elle a développé et étendu son œuvre d’assistance. Ce n’est plus seulement dans les ouvroirs qu’elle occupe les femmes et les jeunes filles, mais c’est à domicile qu’elle donne du travail à un grand nombre d’ouvrières. Au secrétariat central sont définitivement installés deux nouveaux ouvroirs distincts l’un de l’autre où les réfugiées de Lille et de Cambrai confectionnent du linge et des vêtemens pour assister les réfugiés du Nord lorsqu’ils auront à retourner dans leurs provinces dévastées. Par ses Comités provinciaux la Ligue fait visiter dans les hôpitaux les blessés parens ou amis des ligueuses ; dans les bureaux elle a ouvert la section des recherches de disparus et des nouvelles aux familles. Ce travail est facilité par les présidens des comités de province qui, chaque quinzaine, envoient au siège de la Société la liste des blessés qui passent dans leurs hôpitaux. Des mesures ont été prises pour faire des envois aux prisonniers en Allemagne ; des caisses de livres ont été envoyées aux enfans Alsaciens redevenus Français ; les prêtres-soldats savent qu’en toutes circonstances ils peuvent recourir à la Ligue qui, à mesure que de nouveaux besoins se précisent, ajoute un nouveau chapitre à ses largesses.

La Ligue des Femmes françaises n’a pas été moins active, et son activité a embrassé un peu tous les champs d’action. Son premier souci fut d’assurer un service de visites fréquentes à nos soldats blessés et ceux des pays envahis furent l’objet de sa sollicitude particulière. Et comme les heures passées sur un lit d’hôpital paraissent souvent longues aux pauvres reclus, les visiteuses eurent la pensée délicate d’occuper leurs loisirs par un travail à la portée de ces malheureux. Le fil, le coton, le rafia furent transformés par eux en tapis, en corbeilles qui, exposés, trouvèrent aussitôt acheteur. Puis, commença l’envoi de nombreux paquets aux soldats sur le front, aux prisonniers en Allemagne, aux réfugiés du Pas-de-Calais, du Nord, de la Lorraine et des pays envahis.

Le Conseil national des Femmes françaises, groupement féministe par excellence, en corrélation avec les sociétés analogues, c’est-à-dire les conseils nationaux des autres pays, en temps normal, poursuit la revendication des droits de la femme, y compris le droit de suffrage. Les progrès du féminisme dans tous les domaines comme dans toutes les contrées y sont enregistrés et étudiés. A un moment donné, généralement une fois chaque année, les divers conseils nationaux féministes se réunissent en un Congrès international qui a ses assises à tour de rôle dans chaque pays. Il se tint à Paris en 1913. Dès la déclaration de guerre, le Conseil national des Femmes françaises adopta une attitude nettement française et patriotique, remettant au lendemain la revendication des droits féminins : « Qui donc aujourd’hui songerait à revendiquer les droits, quand le devoir parle si haut ? » Belle parole qui fut mise en pratique.

Le Conseil national ne s’est pas exclusivement consacré aux œuvres de guerre. Il a pris l’initiative d’une organisation importante, celle de l’office de renseignemens pour les familles dispersées [4], qui est devenu un véritable rouage officiel capable de rendre de grands services [5], mais par ailleurs, il a plutôt envisagé le côté social des choses. Il a cherché à enrayer la désorganisation du travail et à faciliter le retour aux conditions normales. C’est lui qui, le premier, a signalé l’inconvénient qu’il y avait à développer les ouvroirs féminins fréquentés par les personnes de bonne volonté, étant donné le préjudice que ne manquerait pas d’apporter aux ouvrières la concurrence du travail non rétribué des femmes.

Le patriotisme uni à la charité chrétienne revêt les formes les plus diverses ; mais il n’en est pas de plus séduisante que celle qu’a donnée à son œuvre un important groupe de jeunes filles qui s’intitulent « Noëlistes [6], » œuvre qu’elles ont fondée, su mettre sur pied et qu’elles soutiennent avec une inlassable persévérance. Se considérant comme les membres d’une grande famille, inspirées peut-être pas le nom qu’elles ont pris et en souvenir du divin Enfant « enveloppé de langes, » elles se réunirent dès le début de la guerre pour confectionner des layettes aux enfans nouveau-nés des soldats partis au front. Au mois de mars 1915, environ 2 000 layettes avaient été distribuées soit par les groupemens, soit par des « Noëlistes » isolées, directement ou par l’intermédiaire du Noël.

Quelqu’un ayant dit assez inconsidérément :

— Après la guerre, alors que tant d’hommes auront disparu, que fera-t-on de l’excédent des femmes ?

L’une de ces jeunes filles répondit :

— Nous ne serons pas trop de mères pour les orphelins.

Aussi, ayant vêtu les tout petits, elles pensèrent qu’il fallait les aider à vivre et prévoir en quelque sorte leur avenir. Avec une ardeur juvénile, elles adressèrent un pressant appel qui fut entendu ; et c’est ainsi que naquit l’œuvre de l’ « Adoption familiale des Orphelins de la Guerre » qui secourt les orphelins de la guerre non dans les orphelinats ou autres institutions, mais dans leur propre famille ou chez les proches parens et, à défaut de ceux-ci, dans une famille particulièrement recommandable dans leur pays. On s’adresse de préférence aux familles de plus de trois enfans.

Le Noël compte 250 comités de jeunes filles en France (quelques autres sont en Belgique, en Suisse, en Italie, en Espagne, au Brésil et au Canada). La plupart de ces groupes acceptent d’avoir un ou plusieurs adoptés au nom du Comité. Les « Noëlistes » isolées sont adoptantes ou marraines, soit qu’elles offrent individuellement une pension annuelle de deux cents francs, soit que plusieurs personnes s’associent pour parfaire cette somme. Comme, parmi ces jeunes filles, il en est de peu fortunées, elles ont imaginé un moyen de souscription d’une ingéniosité touchante. Il consiste en un carnet mis à la disposition des présidentes de Comités ; carnet divisé en 2 000 fractions de la somme de 200 francs et contenant 20 feuillets de 100 carrés à 10 centimes (100 carrés X 10 centimes X 20 feuillets = 200 francs), Un comité compte, en général, de 15 à 20 adhérentes. Donc, si chaque jeune fille se charge d’un seul feuillet par an (soit 10 francs), la vie d’un orphelin est assurée.

Je ne sais si ce sont les « Noëlistes » qui, les premières, eurent l’idée d’une cotisation minime, ou si elles prirent cette idée d’œuvres déjà existantes, toujours est-il que ce système collectif a donné et donne encore d’excellens résultats. Adoptant cette même base, la Mode Pratique a demandé à ses abonnées et lectrices de prélever sur leurs dépenses la modeste contribution d’un sou par jour pour subventionner son œuvre de guerre.

Ces souscriptions volontaires, parvenues de toutes les parties de la France, de l’étranger, de quelques pays neutres ou de l’Amérique, ont permis de mettre sur pied toute une organisation « pour les combattans ; » puis dans la suite, quand dons en espèces et en nature arrivèrent plus nombreux, une seconde œuvre du « vêtement pour les réfugiés. »

Au commencement de 1915, au cours d’une représentation de bienfaisance au Trocadéro, M. Carton de Wiart, ministre de la Justice en Belgique, décrivit la détresse des jeunes filles belges réfugiées en France et abandonnées à elles-mêmes et de celles qui étaient restées dans les villes occupées. Quelques-unes se trouvaient sans ressources et ignoraient le sort de leurs parens. Le désir de leur venir en aide donna naissance au « Sou de la Jeune Fille, » qui réunit les cotisations de la jeunesse associée sous le nom d’Union Nationale des Jeunes Filles de France, avec l’emblème de la Croix Rose, sous le patronage de la duchesse de Vendôme. Au 1er janvier, les étrennes de la Croix Rose aux jeunes filles belges restées dans les pays envahis ont été une somme de 5 000 francs. La moitié fut remise à M. Carton de Wiart, l’autre moitié au cardinal Mercier, pour être distribuée dans cinq villes de Belgique.

La guerre a enseigné à chacun plus d’une leçon, et. Il a fallu appliquer en grand le principe de la division du travail. Tandis qu’au front, les soldats paraient l’attaque et défendaient la ligne infranchissable qui protège le sol et le foyer, les femmes s’organisaient en formations d’arrière et s’apprêtaient à accueillir comme ils doivent l’être ceux que le sort des armes a mis hors de combat. Pour tirer le mutilé de sa détresse, il n’est qu’un moyen, un seul, c’est de redonner au malheureux, avec le goût du travail, la raison de vivre, c’est-à-dire l’espoir de n’être plus inutile. Il en fut ainsi à Dinard, où une femme de bien, frappée des inconvéniens que présente le désœuvrement qui succède invariablement aux premiers jours de repos nécessaires aux soldats, ouvrit pour eux un refuge ou, plus simplement, devint locataire d’un atelier de menuiserie où les apprentis vinrent nombreux et trouvèrent un charme infini à ce travail qui n’était pas obligatoire. A la menuiserie fantaisiste, au découpage et montage de jouets s’adjoignit le modelage et plus de cinquante ouvriers passèrent par là.

Cette première tentative, toute réussie qu’elle fût, n’était en réalité qu’une indication, très importante, il est vrai. Elle prouvait que le travail était le meilleur et le seul moyen d’intéresser tous ces soldats convalescens, blessés et mutilés. On comprit qu’il fallait le leur présenter sous des formes diverses.

Les organisatrices de l’Œuvre des Blessés au travail s’y prirent d’une façon assez ingénieuse. A mesure que leur initiative se répandait, elles mettaient leur méthode à l’épreuve dans les différens hôpitaux où on les réclamait et y installaient des cours de travaux récréatifs : tricot, rafia, broderie, tapisserie, vannerie, passementerie, etc. A un moment donné, les professeurs devenant rares, il fallut fonder une école normale, et c’est là qu’avec une bonne volonté touchante les femmes du monde, qui avaient pris à cœur cette belle tâche, allèrent s’asseoir et s’improvisèrent écolières. Car, il ne s’agissait plus uniquement d’apprendre aux soldats à exécuter ces menus travaux que toute femme sait faire d’instinct et que certaines perfectionnent jusqu’à l’art véritable : les blessés, mis en goût, réclamaient une plus solide préparation ou plus justement, la prévoyance de leurs marraines, envisageant l’avenir par delà le présent, avait à cœur de mettre entre leurs mains non pas un jouet ou un simple passe-temps, mais un outil qui pût leur être utile et les aider à acquérir un métier.

La vannerie, — tout indiquée aussi pour les aveugles qui s’en acquittent très bien, — est un métier qu’il est bon de pousser activement en France autant par philanthropie que par patriotisme. On ignore généralement qu’il était presque entièrement entre les mains des Allemands qui, dans une proportion de 80 pour 100, envoyaient à nos fleuristes les corbeilles légères dont il est fait une si grande consommation à Pâques et au Jour de l’An. La vannerie peut donc devenir un véritable métier, de même qu’elle peut ne constituer qu’un salaire d’appoint très appréciable. Elle convient fort bien au mutilé des jambes, inapte à certaines besognes et dont elle peut remplir les loisirs. Bien d’autres métiers sont d’ailleurs dans ce cas. Il suffit pour s’en rendre compte de se rappeler toutes ces petites industries que l’ancienne famille française exerçait Jadis au foyer ; le tissage en Bretagne et en Normandie, l’horlogerie en Franche-Comté, la sculpture sur bois en Auvergne et dans les Landes [7].

Dans un grand nombre d’hôpitaux ou de maisons de convalescence, telle aussi la Maison des Aveugles de la rue de Reuilly, s’ouvre dans les parloirs une exposition permanente plus ou moins complète des objets confectionnés par les blessés. Celle de la Maison-Blanche fut inaugurée le 14 juillet et mérite une mention spéciale en raison des innovations qu’y a apportées, de Nantes, M. l’abbé Violet, actuellement mobilisé, venu ici pour y continuer ses formations. Les ouvriers, tous des soldats mutilés, viennent au nombre de 125, de leur plein gré, s’exercer sous la direction des professeurs de bonne volonté. Des femmes du monde ne craignent pas de faire, une ou deux fois par semaine, le voyage de Paris à Neuilly-sur-Marne pour enseigner avec patience un art ou un métier qu’elles possèdent ou ont appris à cette intention.

Les mutilés d’un bras ont aussi voulu donner la mesure de ce qu’ils savent faire et les dames visiteuses ont dû s’ingénier pour leur découvrir une occupation. Ils excellent au macramé dont ils exécutent le point noué avec leur main et leurs dents ; ils réussissent aussi de jolis travaux en pyrogravure et peinture combinées en décoration. La mie de pain coloriée leur plaît fort aussi et surtout le découpage du bois.

L’œuvre des « Blessés au Travail » s’étend tous les jours ; elles reçoit sans cesse de nouvelles demandes de conseils et d’avis qui sont accordées et engendrent de nouvelles subdivisions, se spécialisant parfois. C’est ainsi qu’une Ecole volante de Cours pour illettrés commence à fonctionner et qu’à la Fondation Musulmane de la Maison-Blanche de jeunes institutrices de bonne volonté enseignent le français à de très savans marabouts qui savent tout... excepté cela.

Des œuvres de « Blessés au Travail » fonctionnent à Caen, à Tours, à l’Ecole officielle de préapprentissage de Bordeaux fondée à l’instar de celle de Lyon : Montpellier aura bientôt son centre rééducatif pour les mutilés [8]. Une œuvre annexe, très intéressante, vient directement en aide aux mutilés en leur offrant l’apprentissage payé de l’industrie du tapis et il est bien curieux de voir des plombiers, des menuisiers, des cultivateurs se mettre très vite à des travaux dont ils n’avaient aucune idée auparavant.

L’institution des marraines est trop connue pour que nous insistions. Toutefois, les marraines couraient le risque d’ignorer, c’est-à-dire de négliger involontairement les soldats intéressans, alors que d’autres recevaient à profusion plus de paquets et de lettres que nécessaires. C’est alors que se fonda la « Famille du soldat » et d’autres, beaucoup d’autres œuvres qui procurent des marraines ou se chargent d’envoyer des paquets sur le front. Quelquefois ce sont aussi des ouvroirs comme celui de Mlle Jeanne Déroulède, la sœur du grand patriote, dans lequel sont confectionnés des objets aussitôt transmis au front avec beaucoup de douces et charmantes superfluités, soit par paquets individuels, soit par envois collectifs faits au capitaine ou au chef qui en adresse la demande pour ses soldats. Toutes les œuvres de ce genre ont à peu près le même fonctionnement, au moins dans leurs grandes lignes. Les œuvres plus que les particuliers sont à même de procéder à des vérifications permettant d’éviter les abus. Ne sont-elles pas aussi l’intermédiaire désigné entre l’isolé qui sollicite et la bonne volonté qui offre ? Généralement, elles se bornent à communiquer à toute personne qui en fait la demande le nom et l’adresse d’un soldat des régions envahies et chacun est libre de régler selon son goût la manière dont s’exercera son adoption ; mais elles demandent à être informées quand, pour une raison ou une autre, on cesse de s’occuper du protégé recommandé par elles.

Quelques œuvres sont nées pour ainsi dire sous le canon. Cela est arrivé au Cirque de Paris où sans préparation, sans avertissement préalable, la nécessité ou plutôt la misère a suscité spontanément toute une pépinière de dévouemens splendides, insoupçonnés jusqu’alors. C’était au premier mois de la guerre. Depuis un certain temps, on souffrait d’un vague malaise produit par des nouvelles alarmantes venues on ne sait d’où, et l’incertitude dans laquelle on se trouvait relativement à leur authenticité entretenait un état d’énervement fort pénible quand enfin, dans la nuit du-28 août 1914, le voile se déchira brusquement et d’une façon terrible. Vers quatre heures du matin, le quartier de l’Ecole-Militaire fut éveillé par une rumeur lointaine, une espèce de piétinement formidable, un grondement qui sans cesse se rapprochait, et l’on vit le spectacle le plus lamentable qui se puisse imaginer : dix mille réfugiés des environs de Lille, du Nord, de partout, vêtus les uns d’une simple chemise, d’autres absolument nus ou enveloppés de lambeaux de couvertures, sales et sans chaussures, les pieds ensanglantés, des vieillards tombant épuisés, des enfans les jambes enflées, les talons usés, mourant de faim, de soif, fuyant devant les hordes barbares, venaient chercher asile dans la capitale.

On ne les attendait pas, rien n’était donc prêt pour les recevoir, il fallut tout improviser et sur l’heure ; mais leurs souffrances morales et physiques étaient si grandes qu’ils considérèrent comme une oasis le Cirque de Paris dans lequel ils s’empilèrent aussitôt. Des âmes charitables frappèrent à cette heure matinale aux portes des maisons pour quérir des bonnes volontés et en un clin d’œil le quartier se trouva debout. On apporta de la paille, des couvertures, des vêtemens, de la nourriture et il se trouva aussitôt des infirmières improvisées, sans brevet, et qui n’avaient même jamais songé à suivre un cours de la Croix-Rouge, pour laver les corps las couverts de poussière, panser les plaies encore sanguinolentes ou qui suppuraient, consoler les enfans en larmes, rassembler les membres d’une même famille dispersés par l’exode général. C’est dans ce moment critique que se révélèrent des aptitudes et des vocations auxquelles on ne se serait certes pas attendu en temps normal.

Plus de 20 322 familles ont été hospitalisées, sans parler des 10 000 premiers et en prenant une moyenne de quatre personnes par famille, on peut dire qu’une centaine de mille réfugiés au moins ont séjourné au Cirque de Paris. Grâce à la charité inépuisable de la paroisse et du quartier, des milliers de repas ont été servis, des vêtemens innombrables distribués, des secours considérables donnés. L’exode des réfugiés a cessé, Dieu merci, mais le service médical, le service du placement des ouvriers agricoles et industriels, des ouvrières, des domestiques ne s’est pas ralenti, pas davantage n’ont chômé les colonies de vacances, de convalescence, le service de secours aux vieillards. La pouponnière reçoit de nombreuses visites quotidiennes, mais l’ensemble a changé d’aspect : à une maison de souffrances s’est substituée une ruche active et sereine où l’on vient chercher du réconfort, un soutien moral, une aide matérielle, donnés avec une bonne grâce, une amabilité qui en doublent le prix.

Parallèlement au Cirque de Paris, on installait dans le cinéma Raspail près de deux mille femmes et enfans, mais c’était là un asile provisoire, car à deux pas se trouvaient les bâtimens de l’ancien séminaire de Saint-Sulpice qui déjà en 1910 avaient servi de refuges aux inondés. Un officier de paix du cinquième district [9] s’intéressa à ces malheureux, il sut communiquer son émotion à M. Barthou et ainsi fut fondé l’œuvre du Secours de guerre. Comme subsides initiaux, les gardiens de la paix des XIe et XIVe arrondissemens, stimulés par leur chef, fournirent 800 francs à raison de vingt sous par tête ; mais ils s’engageaient de plus à consacrer leurs heures de repos à la mise en état des locaux, chacun maniant l’outil dont il savait le mieux se servir. On a évalué leur travail à la somme rondelette de 100 000 francs.

Les réfugiés de Liège et de Namur n’étaient encore qu’un millier environ au mois d’août. A grand’peine on en logeait quelques centaines à la fois ; mais bientôt la marche rapide des Allemands sur Paris refoulait les populations de la Champagne, de la Picardie, de l’Artois, de l’Ile-de-France, si proche ; puis arrivèrent les fugitifs d’Anvers et d’Ypres, et en novembre, décembre et janvier, les gens de Reims et de Soissons, épouvantés par le bombardement ininterrompu. Au commencement de mars, plus de 15 000 réfugiés avaient déjà passé par Saint-Sulpice, et depuis le chiffre s’est élevé jusqu’à 22 000 avec une permanence d’hospitalisés entre 1200 et 1 800 par jour.

A chaque étage, placés en plantons, des équipes de gardiens de la paix surveillent de nuit et de jour les occupans des huit cents chambres et des dortoirs. Dans les cours, les jardins débroussaillés et nettoyés, des centaines d’enfans s’ébattent au grand air sous la surveillance paternelle des mêmes agens qui accompagnent encore les enfans aux écoles libres ou laïques, selon le désir de leurs parens. Mais c’est dans la vaste cuisine qu’il faut les voir, munis de tabliers, taillant des quartiers de viande et préparant environ trois mille repas chaque jour. Sans eux, l’œuvre n’aurait jamais pu fonctionner ; grâce à eux, elle est dotée d’une administration parfaite.

Les habitans du quartier, les gens des Halles apportèrent leur contribution. Peu à peu les salles se garnirent de meubles, et en janvier il y avait des lits pour tout le monde. Au vestiaire s’alignent des vêtemens de tous genres à côté des chaussures remises à neuf par les industrieux agens. Douze dames, sous la direction de Mme Paul Peltier, distribuent quotidiennement des habits à plus d’une centaine de cliens.

Le linge et les vêtemens déchirés sont raccommodés dans un ouvroir où travaillent des femmes réfugiées, ce qui leur permet de gagner quelque argent et de collaborer à l’œuvre commune. Une pouponnière hospitalise de soixante à quatre-vingts bébés confortablement installés, pauvres petits êtres nés dans les circonstances les plus tragiques. Pour les enfans de deux à six ans qui ne vont pas à l’école, on a aménagé une garderie. Enfin, un dortoir a été créé, et une table préparée dans le réfectoire pour les soldats éclopés ou convalescens des régions envahies qui, ayant une permission de quelques jours, ne peuvent rentrer dans leurs foyers.

Commencée avec un capital de huit cents francs, l’œuvre du « Secours de guerre » en est venue à dépenser 30 000 francs par mois. Le Secours national, le Comité Franco-Belge, le préfet de Police, le Ministère de l’Intérieur, 3 000 adhérens et des dons ont contribué à le soutenir. Ses administrateurs s’arrangent toujours afin d’avoir en caisse de quoi couvrir les dépenses du mois suivant, de façon que, si l’œuvre ne pouvait plus subsister faute d’argent, ils soient assurés d’avoir le temps déplacer ailleurs ceux qu’elle secourt. Ce n’est d’ailleurs qu’une mesure de prévoyance, car, par les services qu’il a rendus, le « Secours de guerre » a pris rang parmi les œuvres de premier ordre destinées à subsister aussi longtemps qu’il sera nécessaire.


II. — CHEZ NOS ALLIÉS

Le même élan, que nous venons de constater en France, s’est produit chez nos Alliés. Faute de pouvoir énumérer toutes les œuvres créées par les femmes en Angleterre, en Italie, en Russie, etc., nous nous bornerons à quelques indications qui permettront d’apprécier le magnifique mouvement d’ensemble. En tant que société étrangère, la Croix-Rouge britannique l’emporte sur toutes par ses nombreux hôpitaux sur notre territoire ; mais elle conserve son autonomie, car, malgré la cordialité qui règne entre les deux nations, les soldats anglais tiennent à leurs habitudes. Bien que nos ambulances leur soient largement ouvertes, ils préfèrent leur organisation anglaise.

De l’avis unanime, la Croix-Rouge britannique réalise des merveilles sous le rapport de l’organisation très rapide des services et l’esprit d’ordre. La grande générosité des Anglais pour les œuvres philanthropiques, la facilité que d’immenses fortunes donnent à beaucoup d’entre eux de manifester cette générosité par des dons considérables, leur esprit pratique et méthodique leur ont permis d’obtenir des résultats merveilleux. Une grande dame anglaise, de ses propres deniers, a fait les frais d’un train sanitaire de 400 000 francs, créé à Nice une maison de convalescence. Les hôpitaux anglais, les œuvres anglaises diverses sont innombrables en France.

Parmi les récentes innovations, nous placerons les hôpitaux féminins dont tous les services indistinctement sont entre les mains de femmes originaires d’Ecosse, mais sous l’entière responsabilité du Dr Elsie Ingles. La Croix-Rouge britannique ayant décliné d’envoyer les femmes de cette association sur le front, l’Union nationale des sociétés féminines prêta ses vastes locaux pour l’établissement d’ambulances des « Femmes Ecossaises. » Deux équipes ont été détachées de la maison mère et sont parties jadis pour la Serbie ; l’une fut retenue temporairement à Malte pour y soigner les blessés anglais. Une troisième équipe a élu domicile en France et fait merveilles à Royaumont., Au début, les autorités médicales françaises mirent en doute la compétence de ces nouvelles recrues, mais les voyant à l’œuvre, elles revinrent de leur opinion première et reconnurent que ces femmes remplissent admirablement toutes les fonctions qu’elles ont assumées.

L’établissement a donc été porté au rang d’hôpital militaire français, le premier hôpital militaire du monde entièrement desservi par des femmes et placé, par les autorités militaires et le service de santé, exactement sur le même pied que les services sanitaires médicaux masculins. Les chirurgiennes entreprennent n’importe quel genre d’opérations, et un rapport officiel du général Février rend justice à leur habileté. Une nouvelle équipe, à la tête de laquelle se trouve Mrs Harley, la sœur de sir John French, qui a fait ses preuves à Royaumont, a été transférée à Troyes pour y rendre les mêmes services.

N’ayons garde de passer sous silence les... Suffragettes. Ces pauvres suffragettes qui ont tant fait parler d’elles, dont on a tant ri, ont trouvé un emploi à leur exubérance et, pour être juste, il faut reconnaître qu’elles ont forcé l’admiration de tous par leur courage, leur persévérance à vouloir participer à la guerre. Les seuls « droits » qu’elles réclament maintenant se concentrent en celui « de servir la pairie à cette heure suprême de son histoire. » Et celui-là, personne ne songe à le leur contester : aucun tolle ne s’est élevé quand, l’année dernière, les suffragettes se sont formées en une vaste procession, partie des quais de la Tamise pour se dérouler à travers Londres. Chacune des 125 sociétés qui la composaient, était précédée d’un magnifique étendard avec des inscriptions dans le genre de celles-ci :

« Les hommes doivent se battre, les femmes doivent travailler. »

« Nous sommes déterminées à sauver la Patrie. Afin de réduire le Kaiser, faisons des obus. »

« Demandons un service de guerre pour tous. »

Cette fois, s’il y eut des sourires, ce furent des sourires attendris, dissimulant mal l’émotion suscitée par la bravoure de ces vaillantes. Le cortège comptait plus de 40 000 femmes, et parmi celles-ci des femmes de la haute société marchaient côte à côte avec d’humbles travailleuses, des femmes de journée, des demoiselles de magasin, etc. Le ministre ne les fit pas attendre et, répondant à leur demande d’emploi au travail des munitions, M. George Lloyd y fit droit.

Depuis l’appel du chancelier, adressé quelques mois plus tôt aux femmes anglaises pour obtenir leur participation au service de guerre, pas un jour ne s’est écoulé sans amener de nouveaux concours et, au mois de mai 1915, quarante-quatre mille d’entre elles étaient inscrites pour obtenir du travail aux équipemens ou ailleurs. Les femmes de banquiers à Kensington, les femmes de marins à Islington passent des heures, que dis-je, des journées entières, à des réunions de u couture » où se fabriquent des vêtemens pour les soldats ou pour les réfugiés belges. Au mois d’avril 1915 quand, pour la première fois, les Allemands se servirent de gaz asphyxians, lord Kitchener demanda 500 000 tampons de ouate pour ses troupes, dont 30 000 à livrer tout de suite. En moins de vingt-quatre heures, ils furent prêts pour le transport du front : une association de femmes, à elle seule, en avait fabriqué trois mille.

Un important comité s’est formé à Londres, dans les locaux de la « Société des suffrages féminins, » et c’est de là que part un mouvement intense qui rayonne sur toute l’Angleterre et même au delà. Ce comité est composé d’une part égale d’anti-suffragettes et de suffragettes. Sous la dénomination assez vague de» Service des femmes, » plus de 1 400 d’entre elles se sont inscrites et ont aidé à la création de onze clubs ou cercles de guerre pour les femmes de soldats de terre et de mer ; de neuf hôtels pour les réfugiés belges, de clubs ou cercles de jeunes filles et de sept ouvroirs. Ce « Service des femmes, » à lui seul, groupe des centaines de femmes qui ont confectionné des layettes pour les enfans des réfugiés belges. Son équipe d’aide- volontaires s’occupe dans les hôpitaux de la Grande-Bretagne à nettoyer, à faire la cuisine, à servir les repas, et à aider les infirmières.

La « Catholic Women League » envoyait, le 22 août, vingt deux infirmières en Belgique ; le 29 août 1914, il en fut envoyé dix-sept à Paris ; le 15 septembre, quatre infirmières partaient pour Anvers où elles demeurèrent jusqu’après le bombardement. Dans la suite, d’autres se rendirent à l’hôpital américain de Paris, à Saint-Malo, à Dinant, à Boulogne, etc. Les membres de la « Ligue » parlant le flamand ou le français furent employées dans les bureaux en connexité avec les œuvres concernant les réfugiés, car de ce côté-là, il y eut aussi beaucoup à faire. Déjà, le 22 août, lady Lugard avait été avisée de l’afflux probable des réfugiés belges ; lorsque le Comité des Réfugiés commença à fonctionner, il trouva prêtes déjà cinq cents offres d’hospitalisation de source catholique et environ la moitié de sources diverses. La « Catholic Women League » fut la première à s’occuper des réfugiés et elle établit l’œuvre sur une grande échelle, œuvre qui devint nationale quand fut formé le Comité Aldwych.

Les réfugiés arrivèrent le 1er septembre et furent envoyés aux sections de Boscombe et Norwich qui, les premières, avaient fait des offres d’hospitalité. Wolverhampton, Brighton et Bath suivirent de près. A partir de ce jour, les bureaux furent assiégés par la foule incessante des Belges venant chercher assis- tance et des Anglais venant l’offrir. La « Catholic Women League » se trouva en face d’un labeur formidable. Les fonctions de certaines déléguées consistaient à interroger les arrivans ; d’autres, dans des salles où s’entassaient jusqu’au plafond des vêtemens de toute nature, avaient pour mission de s’occuper de leur habillement ; quelques-unes furent désignées pour se rendre à l’arrivée des trains, sous les auspices de la « National Vigilance Association. » Jusqu’à onze heures du soir les réfugiés arrivaient au bureau et il fallait leur trouver un gite pour la nuit ainsi que la subsistance du lendemain. Après les premiers secours donnés, ils étaient envoyés sous escorte à leur lieu de destination, accompagnés de drapeaux belges déployés et acclamés par la foule massée au dehors. Vers la fin de novembre, la Ligue, à elle seule, en avait placé 6 100, un petit nombre sans doute, comparé à la totalité des pauvres émigrés. Entre temps, de nouvelles associations s’étaient formées qui s’occupèrent des autres et dès le début de la guerre une chaleureuse et généreuse émulation ne cessa de régner entre toutes les œuvres.

Non contentes de se prodiguer dans les hôpitaux et dans les œuvres, les femmes anglaises se sont faites policières, chefs de cantines militaires aux gares et dans les camps, machinistes, ouvrières dans les arsenaux, etc., etc. Une des conséquences non les moins curieuses de ce mouvement est l’aspect extrêmement pittoresque et presque exotique qu’ont pris les rues de Londres. Aux uniformes militaires venus de toutes les parties du monde s’ajoutent les costumes variés des escouades féminines. Le plus grand nombre des uniformes de ces dernières appartiennent aux infirmières, variant depuis le service d’infirmerie royal militaire de la reine Alexandra (Queen Alexandra’s Royal military Nursing Service) et le service d’infirmerie de la Force Territoriale, infirmières qui soignent les malades dans les hôpitaux en temps de paix et de guerre jusqu’aux dernières recrues des « Détachemens de Secours volontaires (Voluntary Aid Detachments). » Il y a encore les membres du Corps d’Infirmières de premier secours (First Aid Nursing Corps), qui vont même travailler jusqu’aux tranchées et celles qui ont répondu à l’appel de la Serbie ; il y a les corps de volontaires qui font leur apprentissage pour une foule de travaux spéciaux ou pour être utiles dans des cas éventuels, etc.

Les infirmières du Service Royal de la reine Alexandra, — régulières et de réserve, — comme celles de la Force Territoriale sont vêtues de gris et rouge. Trois mille de celles-ci, admirablement formées et infirmières parfaites, ont été mobilisées dès la première semaine qui suivit la déclaration de guerre. L’uniforme de sortie est en lainage ou serge gris. Le manteau en forme de cape couvre aux trois quarts la jupe et comporte un col haut rabattu avec du rouge vif. La capote est de paille grise avec nœud de velours gris et brides en ruban. Un des traits caractéristiques de ce costume est une petite patte d’épaule grise avec une bordure. La patte, en fin drap rouge, se porte en tous temps, même avec la robe d’intérieur lavable, le tablier et le grand voile d’infirmière en lingerie. Deux bandes rouges au bras indiquent les sœurs ; les matrons ont du lacet cousu sur leur robe. Toutes portent le badge (insigne) spécial de bronze ou d’argent désigné par la reine Alexandra et celles des Forces Territoriales ont un T. sur le coin du col ou de la patte.

Les Infirmières du Service Royal Naval de la Reine Alexandra (Queen Alexandra’s Royal nursing naval Service) se reconnaissent facilement à leurs longs manteaux ronds en drap bleu foncé avec un grand capuchon bordé de rouge. Leurs capotes plus grandes que la généralité des capotes d’infirmières sont en paille bleue avec garniture de velours bleu et brides en ruban bleu marine.

Bleu et rouge sont les couleurs du Service des Infirmières du Corps médical de l’armée canadienne. Le long vêtement de drap épais a une pèlerine qui descend jusqu’au coude et est bordé de satin rouge. Une agrafe avec un lion le serre au cou. La coiffure se compose d’un feutre mou bleu marine avec bord qui se relève ou se rabat à volonté. Par les fortes chaleurs, le feutre est remplacé par un panama de même forme.

Les infirmières « Saint-Clair Stobart’s Unit, » en partant pour la Serbie, portent également un chapeau au lieu de capote. Celui-ci est en soie noire imperméable avec un bord piqué bordé de feutre qui se relève ou se rabat à volonté. Le costume est en gris ; la jupe se boutonne devant et derrière par une fermeture invisible, de façon à pouvoir au besoin se fendre pour l’équitation ; deux grandes poches dissimulées de chaque côté contiennent une foule d’objets utiles.

Les Infirmières de guerre du Japon portent de la serge bleu marine avec de petites capotes bleues en paille et velours.

Les membres de la brigade d’ambulance de Saint-Jean ont pour sortir un long manteau de serge noire avec une courte pèlerine bordée de galon noir. La petite capote de paille noire à ruche blanc et brides blanches est ornée d’un nœud de velours noir. Le badge noir et blanc de la brigade est fixé sur le vêtement du côté droit.

Beaucoup de membres de la Croix-Rouge anglaise portent un long manteau genre militaire avec épaulettes de serge bleue et un chapeau à large bord en feutre bleu foncé. Elles ont aussi un tailleur de serge bleue, le ruban blanc à croix rouge indiquant la société.

Une jupe très simple bleu foncé avec tunique militaire à quatre poches, ceinture en serge, boutons noirs et patte marquée W.P.S. font reconnaître les membres de la Police féminine (Women’s Police Service). Les membres de ce corps portent des bottes noires et des leggins avec parfois un grand manteau, une casquette pour les officiers supérieurs et un chapeau d’équitation forme melon pour les autres et les simples agens.

Les femmes revêtues de l’uniforme khaki que l’on voit circuler dans Londres appartiennent à différens corps. Une jupe courte de cette couleur, des bottines brunes, jaquette de service à quatre poches, cravate khaki et coiffure de même couleur bordée de vert font reconnaître l’uniforme général des First Aid Yeomanry, dont quelques-unes, de temps à autre, quittent Londres pour travailler dans les hôpitaux belges, leur travail les amenant parfois jusqu’aux tranchées.

La réserve des Volontaires féminines (Women’s volunteer reserve) porte du khaki ou plutôt un uniforme gris brun composé d’une jupe qui peut facilement être adaptée à l’équitation avec boutons de cuir brun, blouse et cravate khaki, bottines brunes avec chapeau de feutre mou. L’insigne indiquant le rang se porte du côté gauche de la poitrine.

Ceinture de cuir noir, bottes Wellington, gants tannés de Biarritz avec tunique de service et jupe en tissu imperméable de teinte gris verdâtre, voilà l’uniforme du Corps territorial des Femmes préposées aux signaux (Women’s signaller territorial Corps). Le chapeau de feutre mou se retourne en casque au besoin et l’insigne, drapeaux croisés et W. S. T. C., se trouve sur la poche de gauche.

Une jupe avec tunique courte à bords arrondis dans le genre de London Scottish distingue les forces auxiliaires (Women’s auxiliary Forces). Le costume est de drap pelucheux bleu avec revers fauve et lacet doré ; pattes et ceinture fauve avec lacet croisé. Toque à bord mou posé en couronne.


On trouve représentées en Italie à peu près toutes les formes d’activité, et les œuvres féminines sont légion.

Un grand nombre d’entre elles : assistance hospitalière dans les hôpitaux et aux familles de soldats mutilés, se sont groupées sous la direction centrale du Comité romain. L’assistance hospitalière se compose d’élémens divers de la Croix-Rouge, en d’autres termes de l’Union provisoire des différentes écoles d’infirmières : Samaritaine, Croix-Rouge, Croix-Bleue, Croix de Rome, entre lesquelles se répartissent les blessés. L’assistance aux familles de soldats se subdivise en sept catégories : le service des Informations, celui des Subsides, section des Asiles pour les enfans de mobilisés (de deux à six ans) ; des refuges, des écoles où les communes reçoivent pendant l’été filles et garçons auxquels des repas chauds sont distribués ; section du Travail qui comprend les ouvroirs spéciaux et généraux ; enfin, l’office d’information et de renseignemens. Une autre société s’occupe d’éviter que la guerre n’éprouve trop durement les familles au point de vue matériel. Elle s’applique encore à substituer aux hommes appelés sous les drapeaux des femmes reconnues aptes à les remplacer dans leur emploi, tout au moins jusqu’à leur retour. On compte aussi dans divers quartiers de Rome bon nombre de cuisines économiques, des sociétés de secours aux soldats s’occupant des blessés et des malades de passage dans les gares, maisons du soldat, etc.

Mais, en dehors du Comité romain, se sont formées des œuvres indépendantes qui, telles que le « Lyceum » de Rome, organisent des bibliothèques ambulantes pour les soldats et travaillent au trousseau de ceux-ci ; le Comité pour l’assistance aux femmes en couches dont les maris sont sous les drapeaux ; l’Association pour la femme (bureau de placement) ; asiles pour les enfans des mobilisés veufs ; Comité de défense intérieure...

Mme Barrère, qui a bien voulu me donner ces renseignemens, passe volontairement sous silence l’activité et la sollicitude qu’elle-même déploie, elle me permettra de rendre hommage à sa modestie et à son inlassable dévouement.


Dans tous les pays, la Croix-Rouge a exercé la prépondérance sur les autres œuvres de guerre, c’est-à-dire que c’est à elle que sont allées le plus grand nombre de femmes. Partout, cette Société très en faveur est soutenue et florissante, mais quoique reliant les différentes nations, elle n’est pas une société internationale, et son organisation autonome varie selon les pays.

En Russie, par exemple, elle tient à l’Assistance publique et fonctionne d’une façon permanente en temps de paix et en temps de guerre.

«... Si, à l’heure qu’il est, la Croix-Rouge couvre le monde entier, nous en devons reconnaissance au noble exemple donné pendant la guerre de Crimée par la grande-duchesse Hélène Palowna..., » écrivait dans une de ses lettres le célèbre philanthrope Henri Dunant, créateur de la Croix-Rouge.

En effet, c’est sur l’initiative de cette grande-duchesse qu’on organisa en Europe la première communauté de Sœurs de Charité des zélatrices de la Croix, précédant de deux ans la signature de la convention de Genève. En 1867, fut fondée la société russe de la Croix-Rouge par M. Kariel, médecin de Leurs Majestés, et sous leur haut patronage.

A cette époque, elle avait surtout pour but les soins à donner aux blessés et aux malades en temps de guerre, ainsi que le disent ses statuts ; mais un paragraphe de ceux-ci contient déjà en germe l’idée d’une activité plus large et assigne à la société le devoir de prêter son concours dans les sinistres publics en y consacrant les sommes recueillies à cet effet. Aussi développa-t-elle peu à peu l’étendue de ses services.

A l’instar des bateaux, on trouve dans ces wagons deux rangs de couchettes ; celles de dessus sont occupées par les infirmiers. Les trains ordinaires d’évacuation sont de deux sortes : trains formés de wagons sibériens, c’est-à-dire de wagons qui ne communiquent pas entre eux, — ils nécessitent un personnel infirmier moindre, et la surveillance s’y exerce plus facilement, — puis des trains composés de wagons reliés par un couloir de circulation. Grâce à un ingénieux système de plates-formes, l’entrée est aménagée de telle sorte que la civière sur laquelle est posé le blessé peut être glissée dans le wagon sans qu’il y ait pour lui aucune secousse ni heurt. Depuis le début de la guerre, de nombreuses jeunes filles de seize à dix-sept ans assurent le service de ces convois.

Une innovation, très appréciée par les soldats, est celle des trains-bains qui viennent sur le front, c’est-à-dire à quelques kilomètres des secondes lignes, et apportent, chacun, par jour, les bains pour 1 500 hommes. Ils se composent d’une série de quinze wagons ; le premier est aménagé dans le genre des cabines au bord de la mer : une palissade divise le wagon en compartimens, qui contiennent chacun un siège et au-dessus une planche pour les vêtemens. Ce n’est pas le bain tel que nous le comprenons en France, mais en réalité un bain de vapeur que l’on offre aux soldats.

Le premier wagon est chauffé à une température de 25 à 30 degrés, le second wagon à 40 degrés, la température des suivans monte graduellement jusqu’à 100 degrés et même 125 degrés. Il y a une salle de séchage et par un système spécial perfectionné la promenade des vêtemens a suivi celle du soldat et il retrouve ceux-ci à la sortie avant de passer dans le wagon spécial où on le remet entre les mains du coiffeur et du parfumeur. Ces bains sont fort bien accueillis par les combattans russes, les nôtres préféreraient peut-être un bain dans l’eau claire.

On compte un train-bains par corps d’armée. Au point de vue de la rapidité de l’installation, la Croix-Rouge russe a accompli des progrès remarquables.

A Luow, plus connue sous le nom de Lemberg, ville de 230 000 habitans, avait été installé dans l’espace de quarante-huit heures un hôpital d’évacuation aussi perfectionné que possible. La gare lui donnait asile. Il se composait de deux grandes salles, dont l’une de dimensions particulièrement vastes, contenait les blessés que l’on venait de ramasser sur le front ; l’autre, de taille un peu moins imposante, était destinée aux officiers.

En Pologne également, les femmes ont fait preuve de beaucoup d’activité et d’intelligence. Aussitôt la guerre déclarée, la marquise Wielopolska a été élue par les dames polonaises présidente du Comité pour réunir les fonds pour les blessés et les victimes de la guerre. Grâce à ces fonds, un hôpital improvisé a pu être installé dans les bâtimens de l’Ecole des cadets à Varsovie, hôpital modèle qui contient 2 000 lits, les parois, les tables, les chaises, les planches même toutes ripolinées en blanc. Chaque chambre a son lit de cuivre, des fleurs ; la propreté y est méticuleuse, l’air, la lumière entrent à flot par de larges fenêtres. Le général Pau, lors de son voyage, l’a visité et les dames polonaises qui le dirigent et s’en occupent, au nombre d’une soixantaine, ont saisi avec empressement cette occasion de manifester leur sympathie pour la France.

Quantité d’hôpitaux privés ont été ouverts, tant à Varsovie qu’ailleurs par les dames polonaises, La comtesse Julie Branicka en a fondé un à ses frais pour les officiers dans son palais de Frascati ; la princesse Georges Radziwill en a créé un dans son domaine de Miesnicz. Son Altesse impériale la grande-duchesse Wladimir, la belle-fille de la grande-duchesse Cyrille ont eu, toutes deux, le leur à Varsovie. La première notamment a donné de grands exemples de courage en venant jusque sur le front recueillir les blessés pour son train sanitaire.

De nombreux comités se sont formés dans chaque quartier pour la confection des masques protecteurs contre les gaz asphyxians. En dehors de la Croix-Rouge, ce sont les réfugiés polonais qui ont fait l’objet de l’activité féminine [10]. On a ouvert pour eux un grand nombre d’asiles, de cuisines populaires.

Ces œuvres furent transportées en grande partie à Moscou, où l’on s’efforce de venir en aide aux nombreux réfugiés polonais (on en compte près de 100 000) venus là de préférence à toute autre ville en raison de l’hospitalité bien connue de la grande capitale moscovite.

Aux besoins immenses du moment, la Croix-Rouge russe a su répondre en améliorant encore ses moyens de transport, en accélérant leur rapidité, en apportant le dernier mot du perfectionnement dans les moindres agencemens, et ceux qui, comme le général Pau, lors de son voyage dans les Balkans, ont visité les diverses installations sanitaires russes, ont rapporté la conviction qu’il n’est pas possible de faire mieux.

Les trains sanitaires d’évacuation rendent d’inappréciables services. Quelques-uns, mais ceux-ci de haut luxe, ont été créés et subventionnés par la Tsarine, la grande-duchesse Wladimir, la grande-duchesse Anastasie, femme du grand-duc Nicolas. Ils portent les noms de leur marraine : il y a les trains Alexandrovna, etc.

Personne n’ignore avec quelle générosité les femmes russes se sont portées dans les ambulances. L’exemple leur en a été donné par la Tsarine elle-même, qui, secondée par les princesses, ses filles, soigne les grands blessés, qu’elle reçoit dans l’hôpital ouvert par ses soins à Tsaskoié-Sélo. Nos lecteurs n’ont pas oublié les pages émouvantes que Mme Marylie Markovitch a écrites à ce sujet dans la Revue.

A Kiew, les grandes-duchesses Anastasie, Militza, la princesse Marina, ont installé dans un couvent un hôpital pouvant contenir deux cents blessés. Ce sont tous de très grands blessés qu’elles soignent avec le concours des religieuses. Elles portent d’ailleurs le même costume que ces dernières : grande blouse blanche, voile khaki, d’où s’échappent deux longues tresses blondes ; insigne de la Croix-Rouge en brassard.


L’héroïsme des deux petits peuples Belge et Serbe n’a pas un instant cessé de provoquer, depuis le début de la guerre, l’unanime admiration du monde civilisé.

Dans ce malheureux peuple serbe, affaibli déjà par une guerre récente, les femmes se sont élevées à une hauteur d’héroïsme qui touche au sublime.. Voulait-on des ambulancières ? On les trouva prêtes. Manquait-on de combattans ? Elles s’enrôlèrent dans les « comitadjis, » et c’est à une femme que revient l’honneur d’avoir planté le premier drapeau serbe sur la rive autrichienne. Elles gardèrent les voies, firent le coup de feu, se substituèrent aux chevaux pour traîner les munitions. La terre réclamait-elle des bras ? Elles se mirent résolument à la culture, firent les semailles, les récoltes, les moissons, remplissant leur devoir patriotique avec une magnifique sérénité.

La Serbie ne possédant pas de corps d’infirmières professionnelles, la « Kolo Srpski Sestara » (Sœurs serbes) avait, dès la guerre de 1912, ouvert des cours préparatoires élémentaires pour infirmières. Presque toutes les femmes les ayant suivis s’inscrivirent comme volontaires des hôpitaux, où elles aidèrent même aux opérations. Beaucoup d’entre elles tombèrent victimes de leur dévouement [11]. Tous les concours ayant été acceptés indistinctement (avec ou sans brevet), cela permit d’attendre l’arrivée des trois cents médecins envoyés en Serbie par les nations alliées. Franco, Angleterre, Russie, auxquelles il faut ajouter les États-Unis, qui demandèrent à participer à cette œuvre de dévouement.

Pouvait-on oublier les orphelins de la guerre ? La Société Sainte-Hélène s’en chargea. La Ligue des Femmes [12] créa un asile pour les enfans des soldats tombés pour la patrie ; la Société « Kneginja Ljoubitza » ouvrit un « home » pour les invalides à Uskub, et les « Sœurs de la Miséricorde, » société temporaire de dames, prirent l’intendance d’ateliers de couture qui fournirent du linge pour l’armée.

À côté de leurs deux hôpitaux à Nisch et à Uskub, la Société « Kolo Srpski Sestara » avait ouvert des buffets le long de la ligne de chemins de fer, où blessés et malades de passage recevaient du thé et des rafraîchissemens.

Parmi les héroïnes de la guerre, quelle place ne faut-il pas faire à la vaillante reine de ce petit peuple belge, si loyal et si brave, l’admirable compagne du roi chevaleresque ? Héroïne par son courage et sa fidélité à rester à côté du roi Albert, à partager les dangers avec lui, par les souffrances qu’elle a endurées et endure encore, la reine Elisabeth est de santé plutôt fragile, mais, en ce moment, elle n’a pas le loisir de se soigner, et l’hiver dernier, enveloppée d’une jaquette tricotée, coiffée d’une toque pareille, on la voyait affronter la pluie et le vent, aborder même les tranchées pour y porter ses soins et ses paroles d’encouragement.

La guerre une fois terminée, quand chacun fera son examen de conscience pour voir de quelle façon il a participé à l’œuvre de salut, la part des femmes sera belle. Par la force de caractère, par l’esprit de sacrifice, par le dévouement jusqu’à la mort dont elles ont fait preuve depuis deux ans, elles se sont montrées dignes de nos héroïques combattans. C’est le plus bel éloge qu’on puisse leur adresser, et elles le méritent chaque jour. Elles aussi elles sortiront grandies et fortifiées de la terrible épreuve.


LOUISE ZEYS.

  1. A Paris seulement, on en compte 515.
  2. L’enquête faite par le ministère du Travail permet de constater que, dans la majeure partie des cas, la rétribution en argent ne dépasse pas 0 fr. 73. Quelques ouvroirs donnent cependant de 1 franc à 1 fr. 50, un seul 2 francs. La plupart de ces ouvroirs salariés ne donnent pas de nourriture.
  3. A Athis, en plus de l’ouvroir pour femmes, on a ouvert un ouvroir spécial réunissant tous les jeudis des enfans de quatre à quatorze ans. C’est ainsi que chaque semaine une cinquantaine de petits Français et de petites Françaises travaillent avec ardeur pour envoyer quelques objets utiles à leur papa ou aux grands frères. Les bambins de quatre à sept ans font des oreillers en papier frisé ou en laine effilochée ; à huit ans, les fillettes ourlent des mouchoirs ; à neuf ou dix ans elles font des cache-nez ; les plus grandes, déjà habiles, font des passe-montagnes, des mitaines, des plastrons, des ceintures de flanelle.
  4. Avenue de l’Opéra.
  5. L’office de renseignemens qui comprend près de 700 000 fiches a fourni des renseignemens à 34 885 demandes et a reçu de février à septembre 65 000 lettres. Trois cents collaborateurs sont inscrits, fournissant un travail quotidien de cent travailleurs.
  6. Le Noël est le nom d’une Revue pour la jeunesse dont elles sont les abonnées.
  7. La marquise de Chastellux-Duras fait tricoter des chaussettes et des chandails aux convalescens de l’ambulance dont elle a pris la direction.
  8. Tout le monde connaît à Paris la si importante œuvre des « Invalides de la guerre » qui, elle aussi, met un métier dans la main de ses protégés. Plusieurs ateliers existent dans la capitale.
  9. M. Peltier.
  10. Plusieurs dames polonaises ont été décorées. La princesse Woronicka, à la tête de la Croix-Rouge, la marquise Wielpolska et la comtesse Xavier Branicka ont toutes trois reçu la médaille de Saint-Georges ; Mlle Branicka, fille de la comtesse Xavier, le cordon de Sainte-Anne.
  11. Je ne citerai que quelques noms des plus connus : Mme la générale Loukovitch, présidente des « Kolo Srpski Sestara, » femme remarquable par son esprit d’organisation d’œuvres patriotiques et humanitaires ; Mlle Nadedja Petrovitch (peintre de grand talent, a exposé à Paris au Salon), qui, en 1903, avait pris une part très active à la formation des comitadjis (corps des insurgés contre les Turcs) et qui, pendant toutes les guerres de la Serbie, avec Mme Kasua Milétitch, avait suivi l’armée en qualité d’infirmière ; Mme Paounovitch. Ces quatre dames sont mortes, en février, à Valjevo, où elles étaient allées soigner les typhiques ; mais il y en a eu beaucoup d’autres encore, mortes au champ d’honneur.
  12. Mme Christines.