Ernest Flamarion, éditeur (tome 39p. 211-213).
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XXIII

CULTE DES FEMMES POUR ROBESPIERRE


Une chose qui peut étonner, c’est qu’un homme aussi austère d’apparence que Robespierre, cet homme volontairement pauvre, d’une mise soignée, exacte, mais uniforme et médiocre, d’une simplicité calculée, ait été tellement aimé, recherché des femmes.

À cela il n’y a qu’une réponse, et c’est tout le secret du culte dont il fut l’objet : Il inspirait confiance.

Les femmes ne haïssent nullement les apparences sévères et graves. Victimes si souvent de la légèreté des hommes, elles se rapprochent volontiers de celui qui les rassure. Elles supposent instinctivement que l’homme austère, en général, est celui qui gardera le mieux son cœur pour une personne aimée.

Pour elles, le cœur est tout. C’est à tort qu’on croit, dans le monde, qu’elles ont besoin d’être amusées. La rhétorique sentimentale de Robespierre avait beau être parfois ennuyeuse, il lui suffisait de dire : « Les charmes de la vertu, les douces leçons de l’amour maternel, une sainte et douce intimité, la sensibilité de mon cœur », et autres phrases pareilles, les femmes étaient touchées. Ajoutez que, parmi ces généralités, il y avait toujours une partie individuelle, plus sentimentale encore, sur lui-même ordinairement, sur les travaux de sa pénible carrière, sur ses souffrances personnelles ; tout cela à chaque discours, et si régulièrement qu’on attendait ce passage et tenait les mouchoirs prêts. Puis l’émotion commencée, arrivait le morceau connu, sauf telle ou telle variante, sur les dangers qu’il courait, la haine de ses ennemis, les larmes dont on arroserait un jour la cendre des martyrs de la liberté. Mais, arrivé là, c’était trop, le cœur débondait, elles ne se contenaient plus et s’échappaient en sanglots.

Robespierre s’aidait fort en cela de, sa pâle et triste mine, qui plaidait pour lui d’avance près des cœurs sensibles. Avec ses lambeaux de d’Émile ou du Contrat social, il avait l’air à la tribune d’un triste bâtard de Rousseau. Ses yeux clignotants, mobiles, parcouraient sans cesse toute l’étendue de la salle, plongeaient aux coins mal éclairés, fréquemment se relevaient vers les tribunes des femmes. À cet effet, il manœuvrait, avec sérieux, dextérité, deux paires de lunettes, l’une pour voir de près ou lire, l’autre pour distinguer au loin, comme pour chercher quelque personne. Chacun se disait : « C’est moi. »

La vive partialité des femmes éclata particulièrement lorsque, vers la fin de 92, dans sa lutte contre la Gironde, il déclara aux Jacobins que, si les intrigants disparaissaient, lui-même quitterait la vie publique, fuirait la tribune, ne désirant rien que « de passer ses jours dans les délices d’une sainte et douce intimité ». De nombreuses voix de femmes partirent des tribunes : « Nous vous suivrons nous vous suivrons ! »

Dans cet engouement il y avait, en écartant les ridicules de la personne et du temps, une chose fort respectable. Elles suivaient de cœur celui dont les mœurs étaient les plus dignes, la probité la mieux constatée, l’idéalité la plus haute, celui qui, avec autant d’habileté que de courage, se constituant à cette époque le défenseur des idées religieuses, osa, en décembre 92, remercier la Providence du salut de la Patrie.