Les Femmes arabes en Algérie/La Polygamie

Société d’éditions littéraires (p. 57-70).


La Polygamie




Un conseil de guerre[1] siégeant à Oran, a dernièrement acquitté Rochia, épouse de Mohamed-Ould-Saïd, chef du douar de Marnia. Cette femme, à la suite d’une scène de jalousie, en était venue aux mains avec Aïcha deuxième épouse de Saïd, et l’avait tuée net d’un coup de bâton. Les débats ont révélé de curieux détails sur la polygamie qui a enfanté ce drame.

La polygamie qui force les femmes condamnées à la subir, à faire journellement intervenir le fer et le poison pour se débarrasser d’une rivale, engendre chez les hommes la pédérastie.

Les femmes déjà rares en pays arabe, puisqu’elles sont vingt-deux pour cent de moins que d’hommes, étant accaparées par ceux qui ont le moyen de les payer, les pauvres sont souvent dans l’impossibilité d’avoir une épouse ; alors, ils prennent pour femmes… des hommes !… d’aucuns sont mêmes surpris parfois derrière une touffe de lentisque, en conversation criminelle avec une chèvre… ou une brebis !…

Ces êtres primitifs ne peuvent être accusés comme les ultra-civilisés de rechercher dans la pédérastie un raffinement de débauche. S’ils recourent à un moyen anti-naturel pour satisfaire leurs instincts amoureux, c’est parce que les polygames font la rafle et partant, la disette des femmes.

On sait que sous l’égide de la loi Koranique, le musulman peut afficher les mœurs les plus dissolues.

Posséder un grand nombre d’épouses rend son opulence indiscutable ; aussi, il se ruine en femmes, comme des européens se ruinent en chevaux.

D’abord, il épouse ! il épouse ! ensuite, il s’encombre de concubines, au point d’être dans l’impossibilité de maintenir son état de maison. Alors pour alléger ses charges et pouvoir poursuivre ses fantaisies amoureuses, il chasse des femmes et des concubines, il en prend d’autres. Ce renouvellement de son personnel féminin est son plus grand divertissement.

« La femme est faite pour le plaisir de l’homme, disent les arabes, comment voudrait-on qu’une seule et unique épouse puisse amuser un homme toute sa vie. La polygamie et la répudiation sont nécessaires. »

D’après les prescriptions de Mahomet, chaque femme d’un même homme devrait avoir une demeure à part, mais ce n’est pas ce qui a lieu ; ordinairement, le mari et toutes ses femmes vivent dans la plus complète promiscuité, pour éviter les frais de logement séparés.

Le prophète avait pu, lui, qui s’attribuait le cinquième du butin et le cinquième des dons et présents, avec sa fortune considérable, posséder au mépris de la loi, dix-sept femmes à la fois, et procurer à chacune de ses dix-sept épouses légitimes et de ses onze concubines, une certaine aisance ; malheureusement tous les mahométans n’ont pas les gros revenus du fondateur de leur religion ; le plus souvent, les polygames ont pour maison une tente séparée en deux par une grande portière. D’un côté de la tente sont toutes les femmes, (le musulman qui avoue n’en avoir que quatre en a six) de l’autre, le mari commun prodiguant ses tendresses à la favorite du moment.

Tous les peuples ont pratiqué la polygamie. Les rois d’Israël furent polygames. Salomon eut soixante femmes légitimes et quatre-vingts concubines.

Les Francs aussi furent polygames. Charlemagne avait huit femmes. Dans les huttes de terre d’Aix-la-Chapelle, l’empereur eut, disent les historiens, des batailles à soutenir contre elles, et malgré son gantelet de fer, s’il fut victorieux ailleurs, il fut là souvent battu.

Mahomet n’était pas plus heureux avec ses dix-sept femmes ; quand il n’échangeait pas avec elles des coups, il échangeait des injures ; sans cesse il était obligé de faire intervenir Dieu, pour réfréner leur irrévérence.

Zeinah, sa quinzième femme, lui servit un jour une épaule de mouton empoisonnée.

— Pourquoi, lui demanda Mahomet, as-tu commis ce crime ?

— J’ai voulu, lui répondit Zeinah, m’assurer si tu es véritablement prophète, si tu saurais te préserver du poison ; dans le cas contraire, délivrer mon pays d’un imposteur et d’un tyran.

Aïcha, sa favorite, lui fit tant d’infidélités, que pour fermer la bouche à ses contemporains scandalisés, il dut mettre dans le Koran, chapitre 26 : « Ceux qui accuseront une femme d’adultère, sans produire quatre témoins, seront punis de quatre-vingts coups de fouet ».

La vertu d’Aïcha, femme remarquable, d’ailleurs, ne fut plus mise en doute après ce verset.

Bien qu’il lui fut impossible de vivre en bonne intelligence avec autant d’épouses, légitimes ou illégitimes, Mahomet ne renonça jamais à sa passion pour le sexe féminin.

« Les deux choses que j’aime le plus au monde, répétait-il souvent, ce sont : les femmes et les parfums. »

Tous les Chorfa (chefs religieux), sont polygames comme Mahomet.

L’ancien sultan du Maroc avait des centaines de femmes. Chaque vendredi une nouvelle épouse entrait dans son harem.

Norodom, roi du Cambodge, donne à la polygamie un but utilitaire ; il assigne à chacune de ses cinq cents femmes, une occupation dans son palais ; les plus favorisées sont comédiennes, danseuses, les autres cuisinières, tailleuses, etc.

Chez les arabes aussi, les autres femmes sont les servantes de la favorite momentanée. Mais l’élue d’aujourd’hui n’est jamais certaine de ne pas être la répudiée de demain, tant est grande la mobilité arabe.

La civilisation chasse devant elle la polygamie aussi anti-naturelle que contraire à la dignité humaine. D’où vient donc qu’en conquérant l’Algérie la France monogame ait laissé la polygamie y subsister ?

Il est étrange que la pluralité des femmes, condamnée en France, soit permise sur notre terre francisée d’Afrique.

Si les françaises votaient et légiféraient, il y a longtemps que leurs sœurs africaines seraient délivrées de l’outrageante polygamie et de l’intolérable promiscuité avec leurs co-épouses.

C’est en voyant le préjugé de race dominer tout en Algérie, que l’on comprend bien l’absurdité du préjugé de sexe. Ainsi, la race arabe, si belle et si bien douée, est absolument méprisée par les européens qui, rarement cependant, sont aussi beaux et possèdent autant d’aptitudes naturelles que les arabes. Et voyez cette contradiction. Le Français vainqueur dit au musulman : « Je méprise ta race, mais j’abaisse ma loi devant la tienne ; je donne au Koran le pas sur le Code. »

Les Français permettent aux Arabes de pratiquer la polygamie, qu’ils s’interdisent à eux-mêmes. Pour masquer leur illogisme, ils affirment que les Africains ont des besoins que ne connaissent pas les Européens et que c’est pour faire droit à ces besoins qu’on leur laisse épouser tant de femmes.

Si la polygamie était nécessaire aux Arabes, les riches seuls, pouvant se satisfaire, comment les pauvres, plus nombreux que les riches, ne porteraient-ils pas la peine de leur privation ?

Nous avons eu sous les yeux des exemples qui sont en contradiction avec cette assertion : des Arabes bien portants pendant qu’ils avaient une seule épouse, s’affaiblissaient, perdaient la santé, dès qu’ils en prenaient plusieurs.

La polygamie ne hâte pas seulement la décrépitude physique, elle amène la dégénérescence intellectuelle. En concentrant toute l’activité cérébrale des arabes sur l’instinct bestial, elle annihile leur intelligence et atrophie leur cerveau.

En avançant sa mort et en préparant la perte de sa race, l’homme polygame est-il au moins plus heureux que le monogame ?

Nous avons interrogé à ce sujet nombre d’Arabes ; tous nous ont avoué que la pluralité des femmes engendrait des dissensions domestiques, et que la guerre était en permanence dans la maison de l’homme qui avait plusieurs épouses.

Mahomet qui avait tant, cependant, d’appétits charnels, dénonçait les amertumes dont ses nombreuses femmes et concubines l’abreuvaient.

Le défunt shah de Perse, Nassr-Eddin, qui avait dix-neuf femmes légitimes et deux cents concubines, répétait à qui voulait l’entendre, lors des noces d’or du défunt homme d’État Gladstone : « Qu’il valait mieux vivre cinquante ans avec une seule femme qu’un an avec cinquante femmes. »

Il faut bien que l’on sache en France, que la polygamie révolte la femme arabe. La jeune épouse d’un homme déjà muni de plusieurs femmes répond presque toujours aux premiers compliments de son mari, par des injures. C’est la très faible expression de son horreur et de son dégoût, pour ce qu’elle nomme le « chenil conjugal. »

Beaucoup de femmes arabes répètent du soir au matin à leur mari qu’elles ne peuvent vivre de bon gré avec un homme qui a plusieurs femmes, qu’elles ne restent chez lui que par force.

En pays musulman, quand un homme venant de se marier entre par la porte avec sa nouvelle femme, il n’est pas rare que la première épouse en titre, sorte par la fenêtre et se sauve chez ses parents. On tente une réconciliation, le mari polygame soutient que s’il a amené une seconde femme sous son toit, ce n’est que pour lui faire faire gratuitement l’ouvrage de sa mère ou de sa sœur…

Quand le Cadi a forcé la femme outragée dans sa dignité, à regagner le logis conjugal, la guerre éclate terrible entre les épouses. Ces rivales qui se partagent à tour de rôle les coups et les baisers du maître, et dont chacune appelle l’autre : « mon préjudice » se font mutuellement chasser et répudier.

« Deux femmes s’espionnent réciproquement, trois femmes, quatre femmes d’un même homme s’espionnent encore bien plus. »

Il n’entre pas d’amour dans ce ménage à quatre ou huit, mais une jalousie féroce qui engendre le crime et en fait comme un besoin de ce milieu délétère.

Les enfants n’échappent pas à cette fureur jalouse, chaque bébé d’une famille polygame a pour marâtre toutes les femmes de son père qui font souvent plus que de le martyriser. L’autre jour encore une jeune femme arabe prenait entre ses jambes un beau chérubin de deux ans, l’enfant de sa rivale, et l’égorgeait comme un chevreau.

Ordinairement, ces marâtres des fils et des filles du même père, agissent discrètement, et si on les soupçonne, personne ne peut les convaincre d’avoir estropié ou aveuglé l’enfant de leur rivale.

La polygamie aide-t-elle au moins à peupler l’immense territoire de l’Algérie ?

Non, car au lieu d’augmenter, la polygamie diminue le nombre des naissances. Les familles musulmanes nombreuses n’existent pas et malgré tous ses désirs de paternité, l’homme n’a avec ses quatre femmes, pas plus d’enfants que l’Européen avec une seule.

Deux raisons qui s’enchaînent, concourent à restreindre la reproduction de l’espèce : l’excès de bestialité de l’homme polygame et la stérilité de la femme due aux abus et à l’atrophiement dont elle a été victime dans son enfance.

La polygamie n’étant pas consentie par la femme et ne valant ni au point de vue individuel, ni au point de vue collectif, sa suppression a été demandée par la pétition ci-dessous :

« Messieurs les Députés,
« Messieurs les Sénateurs,

» Permettez-nous d’appeler votre attention sur la situation des femmes arabes, qui sont, avec la tolérance de la France, si barbarement traitées.

» La femme arabe vendue tout enfant à un mari est séquestrée par ce mari dans le chenil conjugal avec ses co-épouses, puis répudiée sans motifs pour faire place à une autre.

» On a déjà laissé trop longtemps les arabes garder leurs lois, leurs mœurs, leur langue. Ne croyez-vous pas qu’il est urgent d’en faire des enfants de la République, de les instruire, de les assimiler aux français ?

» Nous vous prions, Messieurs, de bien vouloir substituer sur notre territoire africain l’état de civilisation à l’état de barbarie, en décrétant la suppression de la polygamie que les femmes arabes subissent par force et qui est outrageante pour tout le sexe féminin. Nous vous demandons aussi d’interdire le mariage des petites filles impubères.

» Le viol d’enfant sous prétexte de mariage, la pluralité des femmes et leur séquestration dans les prisons matrimoniales, sont lois et usages hors nature, qui entravent l’accroissement de la population au lieu de le favoriser, et font obstacle à la fusion si désirable de la race arabe et de la nôtre.

» La république — à moins d’être en contradiction avec son principe même — ne peut continuer à encourager d’un côté de la Méditerranée la polygamie et le mariage des filles impubères qu’elle punit de l’autre côté.

» Nous espérons, Messieurs, que vous vous inspirerez des intérêts de la civilisation et que vous abrogerez les lois inhumaines qui régissent la majorité des habitants de l’Afrique française. »

Hubertine Auclert.




  1. En territoire militaire, les tribunaux militaires remplacent les tribunaux civils.