Les Femmes allemandes et la guerre

Les femmes allemandes et la guerre
R. Bianquis

Revue des Deux Mondes tome 38, 1917


LES FEMMES ALLEMANDES
ET
LA GUERRE

Il peut être intéressant de rechercher quelle a été, au début de la guerre actuelle et dans toute sa première période, l’attitude des femmes d’Allemagne. Enquête assez malaisée dans les circonstances présentes, étant donné la difficulté qu’on éprouve à se procurer les publications récentes. On peut arriver cependant, à l’aide de quelques brochures, à définir dans quel sentiment, à tout le moins, les femmes d’Allemagne ont accepté et approuvé la politique impérialiste de leur pays ; on entrevoit aussi quels plans d’avenir elles ont élaborés sous la pression de la nécessité et dans l’enthousiasme de leur patriotisme conquérant.

J’entends bien qu’on m’objectera que toutes les femmes d’Allemagne n’ont pas pensé et senti de même. Je ne méconnais pas l’activité que plusieurs d’entre elles ont déployée en faveur des prisonniers, des disparus, des dispersés, des envahis de toute nation, amis ou ennemis. Je n’oublie pas les efforts, un peu équivoques, des groupemens féministes socialistes en faveur de la « paix permanente. » N’empêche que les documens que j’apporte, émanant des personnalités féminines les plus connues, les plus autorisées d’Allemagne, ont une grande chance d’exprimer l’opinion moyenne, ou du moins celle à laquelle se sont ralliés, faute de pensée originale, les groupemens féminins et féministes d’Allemagne, autrement nombreux, organisés et puissans que tout ce que nous possédons d’analogue en France. Quand nous en serons à établir et à doser les responsabilités, quand des voix du dehors et de chez nous tâcheront de nous apitoyer sur les femmes d’Allemagne, victimes passives et innocentes du formidable conflit, mères, sœurs, épouses, amantes douloureuses dont la douleur est pareille à la nôtre… alors il faudra nous souvenir ; alors il nous sera utile de savoir que Mme Lily Braun, fille de général prussien et militante du féminisme et du socialisme à la fois, hôte de la France à plus d’une reprise et reçue chez nous avec honneur, a d’avance écrit sa propre condamnation et celle de ses coreligionnaires politiques en ces termes : « La guerre, par bonheur, aura détruit chez les femmes leur pacifisme de sentiment et ce rêve insensé qui veut que toutes les femmes soient sœurs[1]. »


S’il en faut croire deux des principales têtes du féminisme allemand, Gertrud Bäumer et Lily Braun[2], les femmes allemandes de 1914 ne se distinguaient pas, avant la guerre, par un patriotisme agissant. Sans doute, elles mettaient au monde et élevaient les jeunes générations, toujours plus nombreuses, qui promettaient au pays un avenir de puissance. Mais songeaient-elles à la possibilité d’une guerre, elles y apercevaient surtout L’horrible perspective des deuils, des larmes, des chagrins inépuisables qui seraient leur lot. Toute leur âme et toute leur chair s’unissaient pour repousser l’idée même du grand massacre. Donneuses de vie, elles redoutaient comme leur pire ennemie « la guerre, tueuse d’hommes. »

Aimaient-elles seulement leur pays ? Ce n’est pas sûr. La grande majorité des ménagères allemandes n’avaient pas accoutumé de regarder plus loin que le cercle étroit de la famille. On vivait entre soi et pour soi, dévoués les uns aux autres, solidement coalisés pour conquérir ensemble les biens essentiels à la vie, mais sans lien réel avec les autres petits clans familiaux, tous aussi fermés, tous aussi égoïstes. Des vagues d’idées passaient par momens sur ces mares stagnantes : on parlait beaucoup de féminisme, et par féminisme les unes entendaient la conquête de droits nouveaux, de libertés nouvelles, l’accès aux écoles et aux carrières jadis réservées aux hommes, l’élargissement du code civil et la conquête du bulletin de vote ; d’autres espéraient et recherchaient surtout un progrès dans le sens de l’individualisme, une plus libre moralité, et, selon des formules connues, le « droit au bonheur, » la liberté de « vivre sa vie. » D’autres luttaient avant tout pour l’amélioration de leur situation économique, l’égalisation des salaires, les garanties élémentaires données à la maternité ouvrière. On pouvait ainsi distinguer trois courans principaux à l’intérieur du féminisme allemand, relevant l’un de l’intellectualisme pur, l’autre d’une révolte plus profonde, intellectuelle, sentimentale et sociale à la fois ; le troisième nettement prolétarien et rattaché officiellement à l’Internationale socialiste. De patriotisme il n’était guère question, au contraire. Grâce à de fréquens congrès internationaux, à des relations constantes avec des groupemens analogues d’Europe et d’Amérique, les diverses associations féminines et féministes semblaient travailler plutôt à une entente qu’à un antagonisme entre les nations. Le pacifisme était pour presque toutes un des articles fondamentaux de leur programme[3].

La guerre, éclatant soudain, a produit en Allemagne, comme dans tous les pays belligérans, une explosion unanime de patriotisme belliqueux, d’enthousiasme et de foi. Les femmes n’ont pas fait exception, et nous pouvons en croire les témoins : c’est sans larmes, c’est dans une fièvre d’orgueil et d’espoir que les mères, les épouses, les sœurs, les fiancées d’Allemagne ont laissé partir leurs soldats. Pareilles aux femmes de tous les pays, elles ont entrepris de remplacer les hommes absens, tant au bureau que derrière la charrue, à l’école, dans les maisons de banque, de commerce et d’industrie, et partout où le gouvernement acceptait leurs services. Dans la Croix-Rouge, elles se sont enrôlées en foule. « Nous avons découvert dans nos propres âmes une terre nouvelle, écrit Gertrud Bäumer. Aucun amour, si heureux ou si douloureux soit-il, aucun art, si haut qu’il nous ait portées ou entraînées, aucun travail, aucun bonheur ne nous avait communiqué pareil élan. Ce qui parlait, sentait, voulait en nous, c’était l’Allemagne ; notre âme individuelle se fondait dans l’âme de notre peuple… Cette époque est pour notre génération la cime unique de l’existence… Nous pleurons sur ceux qui ont dû fermer les yeux avant d’avoir vu le grand jour de leur peuple. » Nous n’avons pas à décrire ici cette activité de guerre ; les documens précis et complets ne sont pas encore entre nos mains. Mais nous pouvons demander aux plus réfléchies, aux plus intelligentes parmi ces femmes, non plus ce qu’elles ont fait pour parer aux maux de la guerre, mais ce qu’elles pensent de cette guerre, de ses fins et de ses moyens. Leur réponse unanime sera : « Cette guerre est sainte ; de perfides adversaires nous l’ont imposée et nous nous défendons ; pour la bonne cause, tous les moyens sont bons ; nos armes triompheront de par la vertu supérieure et l’éminente culture qu’elles représentent. » Eloquente monotonie du concert allemand ! Aux cuivres et aux caisses des militaristes s’accordent les violens frénétiques des poètes, les orgues solennelles des hommes d’Eglise, les accordéons de la Social-démocratie et jusqu’aux flûtes et aux fifres de la littérature féminine. Et tous ne savent qu’un seul air : Deutschland, Deutschland über alles !

Que pense de la guerre une essayiste distinguée, Lucia-Dora Frost ? Je n’ai sous les yeux qu’un seul article d’elle, et il est un peu ancien[4] ; mais ces quelques pages suffisent à caractériser cette mobilisation au service du germanisme qui a été celle de toutes les plumes et de tous les cerveaux. A la campagne impérialiste, anti-anglaise et anti-belge, des femmes n’ont pas craint de s’associer, sans une minute d’hésitation, sans un geste de pitié, pour un adversaire faible et supplicié.

C’est contre cet adversaire faible, — la Belgique, — que L.-D. Frost assemble tout d’abord ses foudres. C’est à la Belgique que d’emblée elle s’en prend du caractère rigoureux et cruel qui a marqué la guerre dès ses débuts. Les Belges ont, d’après elle, provoqué cette guerre ; ils lui ont ensuite imposé sa coutume inhumaine. Et ce n’est pas faute d’avoir été prévenus ! Dès 1911, le général prussien von Deines écrivait que la Belgique périrait d’avoir eu un bâtisseur de forteresses trop éminent, le général Brialmont. La défensive trop bien préparée provoque l’offensive et l’exaspère ; les murailles des places fortes attirent l’obus de 420 comme l’aimant attire le fer. Et comme le projectile finit toujours par avoir raison de tous les blindages, il ne reste à la défensive qu’une seule ressource : déchaîner contre l’assaillant les forces irrégulières, recourir à la guerre de francs-tireurs avec toutes ses atrocités. Ainsi la défensive, et surtout la défensive trop faible, est toujours responsable des procédés sauvages qui deviennent vite usuels chez tous les belligérans : « C’est toujours l’armée qui se défend qui rend la guerre sauvage. Les pacifistes et les neutres effritent miette à miette le droit de guerre et les règles de la guerre. Les États pacifiques, les États faibles font dégénérer la guerre en barbarie[5]. » Cette barbarie tient du reste à un préjugé funeste, d’origine révolutionnaire et démocratique, et d’après lequel le sol de la patrie serait sacré, même s’il n’est pas allemand[6]. Si l’envahisseur a tort, ce qui ne parait pas évident à notre auteur, tous les moyens deviennent bons pour le repousser. « L’idée que l’ennemi n’a pas le droit de pénétrer dans le pays, que tout doit être mis en œuvre pour l’en empêcher, fait paraître saints tous les procédés, ceux mêmes de la ruse et du crime[7]. » On croirait entendre la fable du Loup et de l’Agneau !

Pour la sécurité des armées allemandes, il eût été préférable, en effet, que les populations imbues de tolstoïsme leur ouvrissent les bras, persuadées qu’on ne doit point résister au méchant. Au contraire, une superstition néfaste a excité chez les Belges toutes les mauvaises passions. On sait d’ailleurs, continue L.-D. Frost, que l’âme belge est féroce ; une visite au musée de Bruxelles suffit à convaincre l’observateur : nulle part on ne trouve réunies pour le plaisir des yeux tant de scènes cruelles : bastonnades, yeux crevés, supplices et martyres de toute espèce. « Il semble que sur ce pays passe un souffle d’Afrique dont les ethnologues trouveront peut-être un jour l’explication, et qui a poussé l’élite belge à se rattacher à notre culture[8]. »

Peu importe que les prétendus crimes des francs-tireurs belges soient tous du domaine de la légende, et d’une légende intéressée. Mme Leonore Niessen-Deiters affirme de son côté qu’il n’y a pas eu d’atrocités commises en Belgique, ou plutôt les seules atrocités ont été commises par la population civile contre les impeccables soldats de la Kultur et contre les paisibles Allemands domiciliés à Gand, à Bruxelles ou à Anvers. Chose surprenante, ces atrocités « dignes de la guerre de Trente Ans, dignes des plus effroyables histoires de Peaux-Rouges, » ont été perpétrées « avant que le moindre soldat allemand ait eu la possibilité de toucher un cheveu d’une ville belge quelconque (sic)[9]. »

De même, L.-D. Frost demeure persuadée que l’Allemagne, laissée à elle-même, eût fait une guerre correcte, loyale et humaine, car les Allemands vivent encore sur une idée ancienne et chrétienne de la guerre où ils aperçoivent un jugement de Dieu. « La conduite de la guerre moderne a conservé, surtout chez nous, plus d’un trait médiéval : elle est aristocratique, chevaleresque, disciplinée et pieuse[10]. » Aristocratiques, les énormes saouleries de Champagne ; chevaleresques, les goujats allemands de tout grade qui ont si abondamment sévi sur les femmes et les filles de Belgique et du Nord de la France ; pieux, les profanateurs d’églises, les bourreaux des prêtres belges ! Laissons-leur le qualificatif de disciplinés, et passons. Mme L.-D. Frost, pas plus que Mme L. Niessen-Deiters, on s’en aperçoit, n’y est allée voir. Pour elle, les Allemands ont l’âme religieuse ; ils ne cherchent pas à violenter l’ordre des choses, mais à deviner le sens des événemens, quitte à donner au bon moment le « coup de pouce au destin[11]. » Ils croient qu’au terme de la guerre doit intervenir un traité de paix « où les belligérans tâchent de pressentir la volonté de Dieu[12]. » Ainsi faisaient Bismarck et son vieil Empereur, humbles serviteurs des dispensations divines. Mais les Français, peuple impie, refusent depuis 1870 cette soumission au destin ; ils ne voient pas Dieu dans les événemens brutaux de l’histoire : « C’est (donc) de la France qu’on devait attendre le retour de l’Europe à la barbarie. Et plus encore de ces petits États qui, comme la Belgique, ont trahi leur neutralité dès avant la guerre, et sont impuissans, pendant la guerre, à la faire respecter par des moyens légaux[13]. » C’est pour ces motifs que le haut commandement allemand, si chatouilleux sur l’honneur, et les excellens soldats allemands, si pleins de bonhomie naïve[14], ont dû en venir, la mort dans l’âme, à cette triste extrémité : riposter à l’adversaire par ses propres armes, introduire dans une guerre européenne des mœurs toutes balkaniques, ne pas faire de quartier, massacrer, détruire les villes et rendre les communes responsables de tous les actes individuels. « De ce fait, la guerre européenne en pays civilisé prendrait la même forme que montraient déjà les guerres balkaniques : à la conquête succéderaient la dévastation et l’extirpation des habitans[15]. »

Or, la mission éminente de l’Allemagne est justement de sauver en Europe ce qui distingue l’Europe de tous les autres continens : le génie de la race blanche. Ce génie est sans cesse menacé par la barbarie africaine et la barbarie asiatique à la fois. On nous avait déjà dit que les Belges sont des Africains ; nous apprenons maintenant que les Français eux-mêmes sont métissés de sang noir. « A notre gauche, c’est le Contrat social ; à notre droite, le Testament de Pierre le Grand. Nous sentons en France l’influence du désert africain ; en Russie, celle du steppe asiatique[16]. » Pour sauver cet idéal de liberté dans l’ordre, d’initiative dans l’organisation, en quoi consiste le génie des blancs, et qui ne peut fleurir qu’en terre germanique, l’Allemagne devra inaugurer une politique mondiale (Weltpolitik) absolument différente de toutes les politiques connues jusqu’à ce jour. Cette politique ne se proposera pas de conquérir l’hégémonie : l’idée d’hégémonie implique un idéal dépassé, pour lequel se sont épuisés tour à tour tous les grands peuples de l’antiquité ; elle a fait la splendeur et la ruine des Habsbourg ; elle trouve dans le testament de Pierre le Grand sa dernière expression théorique et se concrétise une dernière fois dans l’œuvre de Napoléon, son génial interprète, qu’elle a porté aux nues, mais pour le briser aussitôt. Sous une forme un peu modifiée, grâce à la formule plus moderne de la « maîtrise des mers, » l’Angleterre du XVIIe et du XVIIIe siècle a été le très brillant champion de cette politique impérieuse. Mais l’Empire britannique, fondé sur la force seule, manquera toujours de cette vie intérieure, de cette chaleur patriotique, de cette cohésion nationale fervente que, seules, connaissent les nations fondées par la libre volonté de tous leurs citoyens, unis dans un désir commun de force et de puissance. Les Allemands ne souhaitent pas d’avoir jamais l’hégémonie. « Ce n’est pas dans leur caractère ; ils sont trop bien doués pour le désirer, trop peu exclusifs[17]. » Il leur suffit d’être, au centre de l’Europe, cette nation vigoureuse, cohérente, unanime et saine que Frédéric II, puis Bismarck et Guillaume Ier ont su constituer avec la substance allemande groupée autour du noyau prussien.

S’ils ne veulent pas de l’hégémonie, iront-ils se réclamer d’un ancien idéal français, celui d’Henri IV, l’équilibre européen ? Idée séduisante à première vue, et qui a pour elle des apparences de raison et de justice ; idée pernicieuse en réalité et pleine d’un poison subtil, « idée véritablement meurtrière, qui est depuis trois cents ans l’obstacle le plus formidable au progrès européen[18]. » A-t-on jamais vu l’équilibre profiter à d’autres qu’aux débiles et aux inaptes, coalisés contre le fort, l’intelligent et le capable qu’ils veulent écraser ou ligoter ? Il faudrait « rire au nez de quiconque invoque cette formule. Equilibre a toujours signifié sept contre un[19]. »

L’Allemagne ne veut ni de l’hégémonie, car elle est clairvoyante ; ni de l’équilibre, car elle n’entend pas qu’on la gêne ; ni de l’anarchie, cela va de soi. A quoi prétend-elle donc de nouveau et qui n’ait pas été son lot dans le passé ? Il ne faut jamais aller chercher très loin les deux ou trois sources, toujours les mêmes, où s’abreuvent les nationalistes allemands. Lucia-Dora Frost n’a qu’une formule à proposer, et c’est la formule de Paul Rohrbach : Collaboration, Coopération[20]. Formule a coup sûr irréprochable, si nous ne savions ce que les Allemands entendent par « collaborer. » Dire que la race blanche a devant elle une tâche immense, — l’univers entier à coloniser, à civiliser, les climats à vaincre, les forêts vierges à défricher, les forces innombrables de la nature à capter et à diriger, — rien de mieux. Dire que pour ce labeur surhumain (donc véritablement humain) nous n’avons pas trop des forces réunies de tous les peuples européens, avec leurs génies divers, c’est irréfutable. Mais affirmer que parmi ces peuples blancs, deux seulement semblent qualifiés pour leur tâche, le peuple anglais et le peuple allemand, c’est déjà faire preuve d’un exclusivisme fâcheux. Et si l’on ajoute aussitôt que l’Angleterre ne sait pas coloniser, qu’elle exploite et vide de leur sang les pays qui lui sont soumis ; si l’on conclut que l’Allemagne seule pratique « la colonisation nationale, celle qu’on fait pour l’honneur[21], » on en arrive à retirer d’une main tout ce qu’on avait accordé de l’autre. On en vient, comme toujours, à chanter les louanges du travail allemand, supérieur à tout autre travail et qui ameute contre lui ses rivaux malheureux et jaloux. Si l’on hait les Allemands, d’après L.-D. Frost, c’est qu’ils sont les trouble-fête de l’Europe par leur acharnement au travail ; sans eux on vivrait une idylle perpétuelle, sans eux le négociant de Londres ou de Paris pourrait impunément se lever une heure plus tard et se coucher une heure plus tôt. « C’est le travail allemand qui est haï et redouté et que l’on accuse calomnieusement de n’être que servilité et platitude, absence de dignité humaine et d’amour-propre individuel ; c’est à lui seul qu’on fait la guerre. » Il triomphera pourtant, ce travail, dans la guerre comme dans la paix, où il avait réussi à créer de toutes pièces un nouveau Birmingham et un nouveau Lyon. Il triomphera, parce que « la tâche et la capacité finissent toujours par se rencontrer, comme la main rencontre l’épée. »


Si nous passons de Lucia-Dora Frost à Lily Braun ou à Leonore Niessen-Deiters, celles-ci féministes militantes, l’une plus démocrate, l’autre plus nationaliste, nous retrouvons toujours et partout ces thèses immuables : supériorité de la culture allemande et du travail allemand, triomphe nécessaire de l’Allemagne qui représente la race blanche pure et que son génie prédestine à « organiser » l’Univers. Il s’y joindra chez Lily Braun plus de mysticisme guerrier et « cultural, » chez Leonore Niessen-Deiters plus de haine basse et d’injure ; mais l’entente reste foncière.

Sans doute, avoue Lily Braun, la femme souffre profondément de la guerre ; tout son bonheur y périt. C’est elle qui a gémi le plus haut sur le cataclysme qui détruit toute civilisation, toute culture ; « car pour elle la culture équivaut aux douces vertus de la paix, au calme, à la douceur du foyer. Peut-être est-elle cause qu’on ait trop souvent identifié le bien-être, voire le luxe, avec la culture[22]. » Or il apparaît que la civilisation a survécu à la guerre et à ses désastres ; des œuvres d’art ont pu périr, des trésors de science et d’érudition devenir la proie des flammes : qu’importe, au fond ? Les pierres et les livres sont choses extérieures et mortes, la civilisation vraie est intérieure et vivante ; Elle est une certaine capacité de sentir et d’agir, une certaine réceptivité intérieure, une disposition du cœur, de l’esprit et de la volonté à répondre aux impulsions supérieures, un don d’inventivité aussi, et de création toujours nouvelle. Un peuple cultivé est celui chez qui les forces combinées du passé et de l’éducation produisent ainsi des énergies vivantes. Certains peuples ont été cultivés dans le passé et ne le sont plus ; d’autres sont arrivés à la puissance, mais non à la culture. L’Allemagne, également distante de la grossièreté primitive et de la décadence, représente la nation cultivée qui ne saurait périr : « La guerre peut détruire des œuvres de culture, mais beaucoup moins que jadis, où dans l’incendie d’un monastère pouvaient périr les trésors de la littérature universelle. Elle peut bien dépouiller un peuple intellectuellement stérile d’une grande partie de son patrimoine cultural, mais elle ne détruit jamais de la culture vivante[23]. » Remarquons en passant d’où vient cette dangereuse théorie de la Kultur au nom de laquelle on condamne comme « intellectuellement stériles » des peuples tels que le peuple français et le peuple belge et l’on justifie tous les vandalismes. J’ai grand’peur que ce ne soit (appliquée à faux, sans doute) la plus authentique tradition du classicisme allemand, celle qui vient de Luther en passant par Kant et les Weimariens du XVIIIe siècle. Cet excès de protestantisme et d’idéalisme transcendantal qui fait si bon marché des « images taillées, » et qui n’accorde de prix qu’à une valeur intérieure, sui generis, irréductible à toute mesure connue, je ne m’étonne pas, mais je m’afflige de le voir aboutir chez Lily Braun au panégyrique des incendiaires de Louvain. On se rappelle le sinistre farceur qui prétendait nous consoler des ruines de Reims par cette affirmation monstrueuse : « On a le droit de détruire quand on a la force de créer. Nous rebâtirons Reims plus belle sur des plans nouveaux, des plans allemands[24]. » Sous une forme grotesque, c’est l’expression même de cette profonde croyance allemande que la volonté, le sentiment, la vie priment toute espèce de pensée et d’art ; c’est cette même glorification du héros naïf, de la force ingénue, du « pur et fol, » cet hymne à la blonde barbarie destructrice et créatrice, qui vibre à travers toute la littérature allemande, de Schiller lui-même à Richard Wagner, en passant par le romantisme.

Ce n’est pas prouver la vitalité de la culture allemande que de maudire la guerre et de prêcher la paix à tout prix. Lily Braun désapprouve les Allemandes zélées des Congrès internationaux qui ont bombardé de messages pacifistes et larmoyans leurs « sœurs » de l’étranger. Avec raison, elle voit dans cette propagande un manque de tact, mais elle redoute aussi que des mouvemens de cette espèce ne tendent à creuser un abime entre les femmes d’Allemagne et les guerriers qui leur reviendront du combat « graves, affermis, sévères et durs, remplis des choses inouïes qu’ils auront vues et souffertes, aussi exempts de sentimentalité que d’exaltation[25]. » Elle continue, pour sa part, à espérer de la guerre un grand progrès moral : la guerre est l’épreuve nécessaire, le balai de fer qui sépare le grain de la balle, la charrue qui déchire le sol et le féconde ; aux grandes guerres ont toujours succédé les grands époques de civilisation ; l’Allemagne, qui en est aux guerres médiques, peut espérer voir luire ensuite un siècle de Périclès. Lily Braun croit d’ailleurs que jamais un peuple ne disparaît avant d’avoir accompli sa mission. Heureuse croyance, et qui atteste, avec beaucoup d’ignorance en histoire, une confiance touchante aux voies de la Providence ! L’Allemagne, nous le savons, croit avoir tout son avenir, toute sa mission devant elle ; elle ne périra donc point, que ne soit née cette Kultur supérieure « virile au meilleur sens du mot » et dont nous pouvons attendre des prodiges.

Provisoirement, pense Lily Braun, il faut nous consoler de la faillite apparente de certaines causes qui nous étaient chères, auxquelles des femmes assez nombreuses en Allemagne avaient voué leur vie : pacifisme, socialisme, féminisme. Le pacifisme n’est pas mort : il ressuscitera après la guerre, plus fort, plus convaincant, car pour décrire les horreurs de la guerre, les Congrès seront inutiles. Le sentiment général des peuples sera, connaissant, la guerre, d’assurer désormais la paix. Comment Lily Braun semble-t-elle à présent souhaiter la paix perpétuelle, après avoir affirmé que, sans guerre, l’humanité future ne serait jamais « qu’un troupeau de bourgeois repus, » après avoir repris les plus vieux thèmes du pangermanisme à la louange du dieu des combats ? La même contradiction subsiste dans sa pensée au sujet du socialisme : il passe, d’après elle, par une crise d’où il sortira grandi. Un seul de ses postulats a vacillé : l’internationalisme. C’est donc qu’il était chimérique et qu’il y faut renoncer, mais ceci n’exclut pas, pour l’avenir, « l’appui mutuel, la collaboration mutuelle, la fécondation mutuelle qui seront l’une des conditions vitales de l’humanité civilisée » S’agit-il de collaboration internationale ou d’union sacrée ? ce point reste difficile à élucider.

Il est bien clair, au contraire, que le féminisme en tous pays s’est trouvé renouvelé et rajeuni par la guerre ; abandonnant la haine de l’homme qui fait partie d’une doctrine bien périmée, il a trouvé très probablement sa véritable tradition dans le travail, dans l’épanouissement, chez les femmes, de capacités techniques et professionnelles qui leur ont conquis d’emblée, avec le respect des hommes, l’égalité véritable, celle qu’on ne pourra plus leur refuser. La guerre a prouvé que l’Etat a besoin des femmes et qu’elles sont prêtes à le servir, mais que trop souvent leur préparation est défectueuse. Il y aura là un vaste champ de réformes politiques et sociales, dès le lendemain de la guerre. Tout un programme s’élabore déjà parmi les chefs du féminisme allemand. Nous y reviendrons, après avoir prêté l’oreille un moment aux vociférations de l’étonnante mégère qui a nom Leonore Niessen-Deiters.


Car celle-ci ne raisonne pas : elle hurle. Elle ne croit certainement pas, avec Schiller, que les femmes soient destinées à « broder de célestes roses la trame de la vie terrestre. » Et ce n’est pas non plus de l’Antigone antique qu’elle se réclame : il lui plaît, quant à elle, de partager non l’amour, mais la haine. Dès le 6 août, elle invoque le Ciel en ces termes : « Seigneur, Seigneur ! Que ne puis-je être un homme en ce temps-ci ! Etre un homme, avec un fusil ! Etre un homme et sentir l’épée dans ma main ! Etre un homme, sur un cheval ! Etre un homme et pouvoir partir, tomber s’il le faut, mais ne pas rester en arrière, dans l’attente ! Attendre et ne rien pouvoir faire[26] ! » Qu’on ne lui parle pas du rôle émouvant des femmes en temps de guerre : épouses et mères, infirmières, consolatrices, inspiratrices, auxiliaires. À cette virago d’humeur batailleuse un seul geste donnerait satisfaction : « Etre un homme et partir aussi ! » Car cette guerre est sainte : sainte par son objet, qui est de défendre la terre et la culture allemandes, sainte par son effet qui est d’avoir rendu au peuple allemand sa « simplicité, » sa « conscience, » sa façon patiente et sûre d’aller au fond des choses (Grümdlichkeit)[27].

L’Allemagne a été encerclée, puis attaquée, par des ennemis pleins de cynisme et d’astuce. Une calomnie infâme rejette en vain sur cette nation innocente la responsabilité initiale de la guerre. « Comment croire qu’un homme travaille quarante ans à édifier sa maison pour y mettre criminellement le feu, de ses propres mains, la quarante-et-unième année ? Comment croire qu’un peuple se soit acharné, pendant huit lustres, à développer sa culture pour démolir ensuite volontairement son propre ouvrage, anéantir son commerce, paralyser chez lui les sciences et les arts, envoyer toute sa jeunesse à la mort ? Croyez-vous vraiment qu’un peuple hautement cultivé, dont l’instruction scolaire est parfaite à tous les degrés, un peuple qui possède une démocratie puissante et organisée, un mouvement féministe vigoureux, se serait laissé entraîner sans protester, par un seul homme, fùt-il Kaiser ou Kronprinz, dans cette politique d’aventures, dans cette mer de sang ? Croyez-vous donc réellement que le peuple allemand tout entier, 68 millions d’hommes, depuis l’Empereur jusqu’au plus rouge socialiste, ait été pris de folie subite ? Pas un homme en Allemagne n’a voulu la guerre, entendez-vous, pas un ! Nous y avons été contraints par la plus lâche des perfidies. »

Et voilà ! C’est l’argumentation même des quatre-vingt-treize intellectuels. Cherchez la preuve, objectez des faits et des textes, demandez une enquête ou une vérification. On vous répondra : « Impossible ! Invraisemblable ! Inadmissible ! Or ce qui est impossible n’arrive pas, ce qui est invraisemblable n’est pas vrai, nous n’admettons rien de ce qui est inadmissible en raison. A priori et les yeux fermés, nous déclarons que l’Allemagne n’a pas voulu la guerre, mais y a été poussée à son corps défendant, et que ses soldats, sortant de l’école allemande, ont eu partout une conduite exemplaire. » Ne sait-on pas, au demeurant, que les Allemands aiment et protègent les œuvres d’art ? Ne sont-ils pas les meilleurs archéologues, les plus soigneux bibliothécaires, les plus minutieux collectionneurs ? S’ils en sont venus à détruire Louvain, ce doit être pour de bonnes raisons, et le cœur leur en a saigné. « La populace belge n’a certainement pas regretté moitié autant que nous-mêmes et nos soldats ce dont elle-même a été cause, en obligeant nos troupes disciplinées à ce moyen extrême de légitime défense. »

On invoquera vainement les faits : Mme L. Niessen-Deiters ne sait que répéter la leçon officielle que tous les Allemands ont reçue et acceptée en août 1914 : que la mobilisation russe est cause de tout le mal, que la Belgique n’était point neutre, que la flotte anglaise croisait déjà à l’entrée de la mer du Nord. Les avions-fantômes qui ont causé aux Rhénans tant de frayeurs rétrospectives figurent en bonne place dans cet arsenal de preuves… Je n’insiste pas sur ces faits, parfaitement connus du public français, mais je note en passant que, pour la Belgique, L. Niessen-Deiters comme L.-D. Frost, n’a que sarcasmes et dureté. Pour la France, au contraire, elle ne se défend pas d’une certaine indulgence. Vivre quarante-trois ans d’un rêve violent, mais chevaleresque, la revanche, c’est une attitude que les Allemands peuvent comprendre. Les mères allemandes qui pleurent un fils tombé en terre de France sauront pardonner et compatir aux larmes des mères françaises dont les fils ont succombé, eux aussi, pour la défense d’un sol sacré. Contre la Russie même on peut être sans amertume : on connaissait le danger, on se méfiait ; on se méfiera davantage ; il sortira de cette guerre une résolution affermie, une dureté plus grande contre l’ennemi, mais ni mépris, ni rancune profonde. Que dire, en revanche, de l’Angleterre ? Elle a commis le crime sans exemple, elle a trahi le sang germanique et la race blanche ! Contre elle, on ne peut prêcher que la haine.

Et pourtant, L. Niessen-Deiters a du sang anglais dans les veines. Longtemps, fière de sa double origine, elle a aimé à se sentir issue des deux peuples frères qui représentent dans le monde la civilisation supérieure, la civilisation germanique, celle de l’Europe centrale. Douleur et honte ! Il lui faut à présent renier son ascendance anglo-saxonne. Non pas à cause de cette lutte fratricide où des Germains s’entre-déchirent : il y a des frères ennemis dans les meilleures familles ; mais « parce que la libre et fière Angleterre, en devenant le valet du meurtre et de la semi-barbarie, a renoncé volontairement à la plus noble tâche des peuples civilisés. » Désormais, la Grande-Bretagne est déshonorée, et « les femmes d’Angleterre, dorénavant, baisseront les yeux quand on parlera de culture germanique, de culture de l’Europe centrale. »

Il faut écouter un instant cette furieuse philippique : « Grande-Bretagne ! Quel que soit le sort fixé par les dés, tes femmes rougiront jusqu’en éternité en pensant à cette guerre. Tes femmes rougiront de honte quand elles songeront aux hommes anglais qui ont voulu cette guerre ! Tu as souillé ton épée sans tache, le jour où tu l’as tirée pour lutter côte à côte avec des Barbares parjures ! Tu as maculé ce drapeau qui avait passé toutes les mers, depuis que tu couvres de ton pavillon des assassins ! Jamais plus tu ne pourras, jamais plus tes femmes ne pourront prétendre à être comptées parmi les dirigeans d’une culture à qui toi-même fais la guerre ! C’est toi qui nous contrains à cette lutte à outrance, à cette lutte contre l’univers, que nous soutiendrons, pour vaincre ou pour mourir, tant que battra un cœur en terre germanique ! Quel que soit le verdict des dés d’airain, c’est nous désormais qui héritons devant l’Europe du legs de ta culture. »

Quel est, au juste, ce crime de l’Angleterre ? Il est double : crime contre la Kultur germanique, crime contre le génie de la race blanche. Les procédés de l’Angleterre, dès le premier jour, furent criminels : couper le câble qui relie l’Allemagne aux Etats-Unis, empoisonner à loisir l’opinion des deux Amériques, cueillir en mer les paquebots neutres qui ramenaient vers la patrie allemande les réservistes d’outre-mer ; autant de traits qui révèlent l’abjection profonde de l’âme britannique. « Serre le poing, jeune fiancée, dira-t-on à une jeune fille dont le fiancé a été capturé sur mer. La pire des nouvelles est pour toi. Ton bien-aimé ne sera pas blessé, ton bien-aimé ne tombera pas au champ d’honneur. Serre le poing, puisqu’il faut se taire. Ton bien-aimé sans défense a été attaqué par des brigands de grand chemin, et ces brigands étaient du même sang que lui. Ton bien-aimé est prisonnier sans avoir eu la moindre possibilité de prendre les armes. Serre le poing, jeune fille ; ce que tu as appris, ce n’est pas la mansuétude, ce n’est pas l’énergie, c’est la haine !… Qu’elle porte des fruits au centuple, cette haine… Tes enfans l’emporteront avec eux et la répandront par le monde, et le jour viendra où la moisson lèvera en tout lieu, chaque grain en portant cent ou mille ! »

Avant la guerre, l’Allemagne s’était longuement bercée d’un doux rêve : alliée à sa sœur l’Angleterre, dont elle admirait la maturité robuste, elle entrevoyait un avenir de paix et de sécurité où la nation dominante sur terre et la nation dominante sur mer coopéreraient à une grande œuvre de pacification et de civilisation universelles. Représentant à elles deux cette forme supérieure du génie humain qu’est le génie germanique, elles organiseraient peu à peu le monde selon un système rationnel où ce génie triompherait. La duplicité et l’ambition britanniques ont réduit à néant ce beau projet. Car avec l’Angleterre, pas de camaraderie possible : on est son vassal ou son ennemi. Et pas de lutte loyale possible non plus. Tous les moyens lui sont bons pour asservir les peuples ; après avoir tyrannisé les Indes, l’Afrique du Sud et l’Egypte, elle ose encore accuser l’Allemagne dont chacun connaît l’honnêteté « pédantesque à force de minutie, » d’avoir violé le droit des gens ! Par bonheur, la puissance britannique est moins bien assise qu’elle ne le parait. Riche en vaisseaux, riche en capitaux, la Grande-Bretagne est pauvre de ces biens idéaux qui seuls assurent l’avenir : « le dévouement personnel, la sincérité intérieure, l’idéalisme. » Elle ne risque rien à la lutte : ni l’intégrité de son territoire, ni le sang de ses fils : « C’est le porte-monnaie de l’Angleterre qui se bat pour l’Angleterre. Pis encore : des gens de couleur font la guerre au compte de l’Angleterre, au cœur même de l’Europe. » Ceci indique un vice si grave que l’Angleterre a signé par-là sa déchéance ; elle n’est plus désormais que l’homme mûr dont la force décline ; « l’Allemagne est le gaillard jeune et vigoureux, dont les épaules s’élargissent d’elles-mêmes, dont les muscles s’endurcissent d’autant plus que la lutte est plus rude. » L’Allemagne enhardie ne dira plus désormais : l’Angleterre ou moi. Elle dira : l’Angleterre ou moi, sûre d’avance de son succès.

Ce qui va passer des mains de l’Angleterre aux mains de l’Allemagne, c’est l’honneur suprême de représenter dans le monde l’Europe, les peuples blancs. L’Europe est le continent blanc par excellence. Elle a donné naissance à la race qui domine toutes les autres races et les dépasse. Elle devait avoir l’orgueil de cette haute supériorité. Si des querelles s’élevaient dans son sein, elle devait mettre son honneur à les vider en famille, sans y mêler des voisins, des intrus ou des domestiques. Mais l’Angleterre ayant trahi la solidarité germanique a plus gravement encore rompu la solidarité européenne, en appelant sous ses drapeaux des noirs et des jaunes. Tout ce qui porte atteinte à la race blanche dans une de ses branches, ruine le prestige de toute cette race aux yeux des peuples inférieurs. Les noirs qui auront massacré des hommes blancs, maltraité des femmes blanches, humilié des prisonniers blancs pour le plus grand profil de la France et de l’Angleterre, oublieront vite les différences subtiles entre Allemands, Anglais, Belges et Français pour ne se souvenir que du fait brutal : des noirs ont impunément porté la main sur des blancs[28]. Et que dire de l’orgueil jaune, déjà si intolérable depuis Moukden, à présent qu’Anglais et Japonais sont entrés ensemble dans Tsing-Tao ?

La vérité, c’est que neutralité belge, militarisme allemand, atrocités de Belgique, sac de Louvain ne sont que prétextes mensongers ; ce sont « les pièces qui composent le mantelet vertueux dont se couvre la Triple-Entente, qui en a si rudement besoin. » La cause de tout le mal demeure l’avidité anglaise, la trahison anglaise. « Le sang versé dans cette effroyable guerre crie au ciel. La Kultur se voile la face. Mais Clio se dresse, sévère et muette, et son stylet grave dans le livre éternel de l’histoire un seul nom, celui de la nation coupable : l’Angleterre. »


De tant d’imprécations, quelle peut être la conclusion pratique ? Comment les femmes d’Allemagne aperçoivent-elles dans l’avenir leur rôle et leur devoir patriotique ? Il y a chez elles abondance de projets. Les unes s’en tiennent à prêcher à leur sexe la maternité à outrance, telle Mme Lily Braun, — pour sa part mère d’un fils unique, mais qui tient à vilipender les Françaises « qui ne veulent plus d’enfans[29]. » L. Niessen-Deiters préconise d’abord la haine, cela va de soi, puis une vaste association féminine d’espionnage allemand à travers le monde. D’autres vont jusqu’à étudier en détail un plan de « service obligatoire » pour les jeunes filles, solidaire et complémentaire du service militaire des hommes. Il reste un mot à dire de ces rêveries d’après-guerre.

Pour Mme Niessen-Deiters, la tâche des femmes allemandes après la guerre sera de veiller jalousement sur ce précieux patrimoine : la civilisation germanique, les formes de pensée, d’art, de sentiment et d’action qui sont propres à la race allemande. Elles auront à faire la preuve que le peuple allemand, courageux et discipliné, est aussi « l’un des mieux élevés qui soient au monde, » et qu’il mérite, « par sa civilisation autant que par sa valeur militaire, de compter au nombre des peuples dirigeans. » Rien de plus légitime, après tout ; mais il faut voir ce que notre pamphlétaire entend par civilisation, par culture.

Civilisation, culture, ce sera pour elle avant tout la haine de l’étranger, la haine de l’Angleterre en tout premier lieu. Il faudra que les femmes d’Allemagne entretiennent chez elles et chez leurs enfans cette « haine salubre » (Gesunder Hass) qui mènera cent ans, s’il le faut, « la guerre de la pensée allemande contre la finance anglaise, de l’idéalisme contre le matérialisme, de l’intelligence contre la force brutale, de tout ce qui est allemand contre tout ce qui est anglais. » Elles veilleront à ce que rien ne soit oublié ou pardonné ; elles sèmeront dans les jeunes cœurs une semence de haine, qui fructifiera en actes décisifs. Sans cesse à l’affût, elles ne se lasseront point de démasquer cette Angleterre hypocrite qu’on a trop longtemps admirée ; elles méditeront sur le vieux procès de Warren-Hastings et répéteront contre la nation tout entière les paroles solennelles de l’acte d’accusation : « J’accuse la Grande-Bretagne de crimes graves et d’horribles méfaits. Je l’accuse au nom de la nature humaine, au nom de l’un et l’autre sexe, au nom de tous les âges et de toutes les conditions. Je l’accuse d’être l’ennemie universelle et l’oppresseur de tous.

Contre « l’ennemie universelle, » il faudra organiser une surveillance de tous les instans, et c’est à quoi les mères prépareront leurs fils à l’avenir : « Il faudra mettre auprès de John Bull un observateur sagace, qui contrôle chacun de ses actes et le livre aussitôt à la publicité, qui ne lui laisse jamais faire un pas sans proclamer aussitôt à la face du monde comment et pourquoi ce pas a été fait. On placera à ses côtés un concurrent subtil, qui ne lui laissera de paix ni jour ni nuit. On lui donnera pour ennemis des cerveaux lucides et ingénieux, — hommes de science, journalistes, négocians, — qui auront assez de bonne haine dans le ventre pour deviner les points faibles de l’adversaire, et assez de décision claire et froide pour s’y attaquer et en tirer parti. Telle sera la tâche de notre jeunesse, pendant la guerre et en Europe d’abord, mais longtemps aussi par la suite et dans le monde-entier » Charmant programme, en vérité ! Il semble que nous les voyions d’ici, ces mégères prussiennes, faire épeler à leur marmaille l’hymne de haine de Lissauer, puis enseigner à leurs fils et à leurs filles les rudimens de l’art de l’espionnage ! C’est bien ainsi que L. Niessen-Deiters se représente le devoir de ses congénères, et elle a consacré toute une conférence, donnée à Cologne le 11 mars 1915, à exposer le rôle que les femmes joueront désormais dans la Weltpolitik allemande[30].

Avant la guerre, le féminisme se disait international. « Femmes de tous les pays, unissez-vous ! » tel fut longtemps son mot d’ordre. Mais peut-être le moment est-il venu d’imiter « le geste loyal et chevaleresque »[31]des chefs socialistes, immolant sur l’autel de la patrie leurs erreurs d’antan. Toute Internationale est désormais condamnée, tant que les États eux-mêmes n’auront pas conclu cette grande Internationale pacifique de l’avenir : les États-Unis d’Europe. Jusque-là il est vain de vouloir fraterniser par-dessus les frontières, au nom d’un idéal politique, religieux, philosophique ou social. La guerre survenant met brusquement à nu l’extrême fragilité de toutes ces constructions.

Il est cependant une Internationale à quoi Leonore Niessen-Deiters semble fort attachée : c’est ce qu’elle appelle l’Union internationale des femmes allemandes à travers le monde (Inter-nationaler Bund deutscher Frauen). Voilà ce qu’une Prussienne, par un singulier abus des termes, qualifie d’Internationale. Le plus urgent, à ses yeux, n’est pas que les Allemandes conquièrent le bulletin de vote ; c’est qu’elles se rendent utiles, indispensables à l’État. Qu’elles se mettent toutes au service de la Weltpolitik allemande : très vite, il apparaîtra qu’on n’est pleinement actif dans le domaine politique et social que si l’on y exerce la plénitude de ses droits. Pour des raisons d’utilité pratique, les femmes obtiendront très aisément alors ce bulletin de vote qu’on leur refuse encore.

A elles de faire d’abord leurs preuves, à elles de saisir l’occasion qui s’offre. « Sauront-elles entrer dans l’arène comme citoyennes allemandes de l’Univers[32] ? Commenceront-elles leur carrière politique, résolues à lutter pour la Weltpolitik allemande ? Sauront-elles, animées du plus pur et du plus noble civisme, écrire sur leur bouclier cette devise : l’État, et subordonner tous leurs vœux personnels, leurs ambitions, leurs revendications, à cette grande fin unique : la prospérité et le développement de l’Empire allemand, foyer central du continent blanc[33] ? » Ainsi l’individualisme féminin, devant l’idole impériale, se frappe humblement la poitrine ; ambitions, revendications légitimes, tout est oublié ; il n’aspire plus qu’à servir. Il jure, dans sa bonne volonté, de ne plus rêver d’autre rêve que celui de la Grande Allemagne. Il se remettra à l’école. Il apprendra l’histoire et la géographie, cette fameuse « géographie appliquée » (Angewandtc Geographie) où l’univers tourne autour de Berlin pris comme centre. On rougira désormais d’adopter des modes du dehors, de lire des romans français ou anglais, de s’intéresser à des manifestations d’art étrangères. On ne voyagera plus que pour prendre des notes sur les mœurs et le génie des autres peuples, considérés dans leur rapport avec l’Allemagne et selon le degré d’intérêt qu’ils présentent pour l’Empire allemand. On formera peu à peu un vaste réseau de femmes allemandes qui dans ses mailles enserrera l’univers ; on y affiliera tout ce qui peut exister déjà en fait de groupemens professionnels ou corporatifs. Une large franc-maçonnerie de femmes allemandes organisera un échange incessant de renseignemens, de conseils, de secours sur tout le globe. Le tout à la plus grande gloire et pour le plus grand profit de l’idée allemande à travers le monde[34].

Telle sera l’action de la femme allemande au dehors. Au dedans, tout en attisant cette « bonne haine » dont elle veut garder claire la flamme, elle travaillera à former une génération de jeunes Weltpolitiker convaincus. Munie de sa mappemonde et d’un traité d’ethnographie, elle inculquera aux enfans la foi dans la mission exceptionnelle du germanisme sur la terre. « La génération montante qui réalisera la Weltpolitik de l’avenir doit apprendre dès le jeune âge à ne considérer l’Empire que dans son rapport avec la carte du monde[35]. »

A quoi vont désormais rêver les jeunes filles et les femmes d’Allemagne ? À ces questions que L. Niessen-Deiters énumère : « Pourquoi Constantinople est-elle le pivot de la politique européenne ? Quelle importance avait pour nous le Bagdad ? Que signifiait pour l’Empire la possession du riche hinterland de Tsing-Tao, et où notre commerce trouvera-t-il au monde une compensation honnête et légitime[36] ? » Les femmes contribueront ainsi à élever leur peuple au rang de « peuple mondial, » de Weltvolk.

Il appartenait à Lily Braun d’aller plus loin encore dans l’aveugle dévouement à l’impérialisme teuton. Renonçant à toutes les exigences de son féminisme ancien, elle ne conçoit plus pour les femmes qu’une seule vocation : la maternité[37]. Et afin de préparer à leur tâche celles qui seront les épouses et les mères des futurs soldats allemands, elle n’imagine rien de mieux que l’institution d’un « service obligatoire » des jeunes filles. Une ou plutôt deux années ne seraient rien de trop pour inculquer aux jeunes Allemandes les principes d’économie domestique et sociale, d’hygiène et de puériculture qui leur seront utiles plus tard. Ne pourrait-on pas aussi les astreindre, jusqu’au mariage, à des périodes de réserve annuelles, tout comme les soldats ? Quel bienfait pratique inestimable pour toute la race ! Et quel bénéfice pour la gent féminine ! « Il n’y aurait plus de chicanes entre femmes ambitieuses de titres et d’honneurs, il n’y aurait plus de défections. Les femmes apprendraient enfin à revêtir l’uniforme et à marcher au pas quand il s’agit de se battre[38]. » On a songé, en effet, dans les cercles féministes allemands, à demander au gouvernement d’organiser le « service obligatoire des femmes. » Sur quels principes et sous quelle forme, ici les définitions divergent et parfois s’opposent. Les plans d’Elisabeth Gnauck-Kühne semblent se rapprocher beaucoup de ceux de Lily Braun, alors qu’une autre vieille garde du féminisme, Rosa Kempf, y oppose de sages et prosaïques objections[39]. Aussi bien, le gouvernement semble-t-il disposé, par sa « mobilisation civile, » à ôter aux femmes le souci d’élaborer elles-mêmes leur organisation de combat. Ce qu’il nous importe ici d’avoir démontré, c’est dans quel esprit les femmes d’Allemagne ont accepté la guerre et ses conséquences, dans quel sentiment, par suite, elles se plieront à toutes les nécessités nouvelles qui en pourront naître.

L’impression dominante, à la lecture de ces quelques pamphlets féminins allemands, est celle d’une grande activité, théorique et pratique, et d’une richesse considérable, encore mal exploitée. Les femmes allemandes, en cette affaire, ne sont pas restées aussi passives qu’on veut bien le dire. Elles ne se sont montrées ni innocentes, ni inoffensives, ni imbéciles non plus, disons-le à leur honneur. Le gouvernement allemand n’a pas eu de meilleurs auxiliaires pour faire régner l’ordre à l’intérieur ; il semble bien qu’il n’ait pas eu non plus de thuriféraires plus enthousiastes pour sa politique de proie. Que vaudront cette excellente organisation et ce fanatisme pangermaniste contre la famine menaçante et la déconfiture militaire qui déjà s’annoncent ? Il est fort malaisé de le conjecturer. Mais tant qu’ont duré les succès militaires, le chœur des femmes n’a cessé d’exciter à la conquête les guerriers déjà fanatisés par ailleurs. Les chants de haine ont été sur leurs lèvres ; le rêve de la grande Allemagne a fait vaciller leur raison. Scrutant l’avenir, elles n’y ont aperçu pour leur sexe qu’une seule activité désirable : le service de l’Etat prussien, par la maternité d’abord, puis par l’action patriotique généralisée dans le domaine familial, social, professionnel, voire politique ; enfin par une plus savante organisation de « renseignemens » et d’espionnage.

Les plus ambitieuses, les plus astucieuses parmi elles ont adhéré, en toute lucidité, à la politique opportuniste du parti socialiste auquel beaucoup sont affiliées : en échange d’un appui sans réserves, d’un dévouement sans bornes, elles ont espéré obtenir plus tard du gouvernement impérial les libertés, les droits nouveaux que vingt ans de meetings et de criailleries ne leur avaient pas conquis. La manœuvre n’est pas nouvelle ; elle atteste une survivance intéressante d’esprit féodal. Mais on n’aperçoit pas pourquoi elle vaudrait à ceux ou à celles qui l’ont conçue et exécutée une mesure spéciale d’estime, de sympathie ou de pitié.

Et quant à la grande masse qui n’a pas cherché si loin ses raisons, on peut dire qu’en se laissant volontiers porter par la vague immense d’impérialisme brutal, elle s’est rendue solidaire de tous ceux, — Empereur allemand, parti militaire, doctrinaires du pangermanisme, — qui ont déchaîné sur l’Europe le fléau dont nous n’avons pas fini de ressentir tous les coups.


G. BLANQUIS.


  1. Lily Braun : Die Frauen und der Krieg, p. 11. Je ne puis m’empêcher de remarquer combien ce langage diffère de celui que tenait en France, à la même époque, la Section française du Comité international des Femmes pour la Paix permanente : « Les femmes, dans tous les pays, disent qu’elles ne sont pas responsables de la guerre. On ne les a, en effet, jamais consultées… Elles n’ont aucun rôle actif dans la guerre ; elles souffrent sans connaître le devoir de combattre ni la joie héroïque de l’action. Les femmes de tous les pays, les mères, haïssent la guerre d’une haine pareille. » (Manifeste et statuts, juillet 1915.)
  2. Gertrud Bäumer : Der Krieg und die Frau (Der deutsche Krieg, XV, 1914), — Lily Braun : Die Frauen und der Krieg (Zwischen Krieg und Frieden, XVII, 1915).
  3. Lily Braun, pp. 4-7 ; G. Bäumer, pp. 5-6
  4. Perspektiven, dans la Neue Rundschau de novembre 1914.
  5. Art. cit., p. 1592.
  6. Il va sans dire que L.-D. Frost ne cite pas la fameuse ordonnance sur le Landsturm du 21 avril 1813.
  7. Art. cit., p. 1592.
  8. Ibid., p. 1593.
  9. Leonore Niessen-Deiters, Kriegsbriefe einer Frau, p. 24. On sait de reste combien de temps s’est écoulé entre la déclaration de guerre (4 août) et la première violation du territoire belge à Gemmenich (4 août) ou les massacres de Visé (5 août). Le fameux Livre Noir lui-même, si docile aux plus notoires racontars, ne signale de manifestations anti-allemandes dans les villes belges qu’à partir du 5 août. (Das Schwarzbuch der Schandtaten unserer Feinde, Berlin, 1915, p. 16-111.)
  10. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.
  11. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.
  12. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.
  13. Neue Rundschau, novembre 1914, p. 1593.
  14. Nos soldats n’ont pas de Kultur, eux non plus, mais ils ont un bon naturel ; c’est en quoi ils sont supérieurs aux Belges, qui ont perdu par-là le droit d’exister comme État souverain. (Ibid., p. 1594.)
  15. Ibid., p. 1593 et 1591.
  16. Ibid., p. 1593 et 1591.
  17. Article cité, p. 1595.
  18. Article cité, p. 1595.
  19. Article cité, p. 1595.
  20. C’est l’idée que développe Paul Rohrbach dans son livre célèbre sur L’idée allemande dans le monde (Der deutsche Gedanke in der Welt. 4e édition. Berlin, 1912.) Leonore Niessen-Deiters, qui préconise également la formule de « coopération » entend par là, tout comme Rohrbach et L.-D. Frost, que les Allemands imposeront aux autres peuples d’Europe, barbares ou décadens, leur forme d’esprit et leur organisation. Frauen und Weltpolitik, p. 22-24.
  21. Ibid., p. 1595.
  22. Lily Braun, Die Frauen und der Krieg, p. 37.
  23. Ibid., p. 39.
  24. Article de Friedrich Gundolf : Tut und Wort im Krieg, dans la Frankfurter Zeitung du 11 octobre 1914.
  25. Ibid., p. 41.
  26. Kriegsbriefe einer Frau, p. 7 et p. 9 (Deutsche Kriegsschriften, VIII, Bonn, 1915.
  27. Ibid., p. 21.
  28. L. Ninssen-Deiters énumère, p. 54-55, les prétendues atrocités qui auraient été commises dans les colonies allemandes par les troupes alliées.
  29. Lily Braun, op. cit., p. 52.
  30. Frauen und Weltpolitik. (Deutsche Kriegsschriften, XVIII, Bonn. 1915.)
  31. Frauen und Welpolitik, p. 7.
  32. Deutsche Weltbürgerinnen, comme qui dirait un nègre blanc ou un aveugle clairvoyant.
  33. Frauen und Weltpolitik, p. 16.
  34. Frauen und Welpolitik, p. 18-19, p. 21-22.
  35. Frauen und Welpolitik, p. 18-19, p. 21-22.
  36. Ibid., p. 24.
  37. L. Braun, p. 51-53.
  38. L. Braun, p. 48.
  39. Elisabeth Gnauck-Kühne : Dienstpflicht und Dienstjahr des weiblichen Geschlechts, 1915 (Le devoir militaire et l’armée de service du sexe féminin.) Rosa Kempf : Das weibliche Diensljahr (L’armée de service des femmes), dans l’Archiv für Sozialwissenschaft u. Sozialpolilik, t. 41, fasc. 2, p. 421-437.