Gallimard, Éditions de la Nouvelle Revue Française (p. 396-409).


CHAPITRE X


Rien n’est simple, de ce qui s’offre à l’âme ; et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet.
Pascal.


— Je crois qu’il sera heureux de vous revoir, dit Édouard à Bernard le lendemain. Il m’a demandé, ce matin, si vous n’étiez pas venu hier. Il a dû entendre votre voix, alors que je le croyais sans connaissance… Il garde les yeux fermés, mais ne dort pas. Il ne dit rien. Souvent il porte la main à son front en signe de souffrance. Dès que je m’adresse à lui, son front se plisse ; mais si je m’écarte, il me rappelle et me fait rasseoir près de lui… Non, il n’est plus dans l’atelier. Je l’ai installé dans la chambre à côté de la mienne, de sorte que je puisse recevoir des visites sans le déranger.

Ils y entrèrent.

— Je venais prendre de tes nouvelles, dit Bernard très doucement.

Les traits d’Olivier s’animèrent en entendant la voix de son ami. C’était déjà presqu’un sourire.

— Je t’attendais.

— Je partirai si je te fatigue.

— Reste.

Mais en disant ce mot, Olivier posait un doigt sur ses lèvres, Il demandait qu’on ne lui parlât pas. Bernard, qui devait se présenter aux épreuves orales dans trois jours, ne circulait plus sans un de ces manuels où se concentre en élixir toute l’amertume des matières de son examen. Il s’installa au chevet de son ami et se plongea dans la lecture. Olivier, le visage tourné du côté du mur, paraissait dormir. Édouard s’était retiré dans sa chambre ; on le voyait paraître par instants à la porte de communication qui restait ouverte. De deux en deux heures, il faisait prendre à Olivier un bol de lait, mais depuis ce matin seulement. Durant toute la journée de la veille, l’estomac du malade n’avait rien pu supporter.

Un long temps passa. Bernard se leva pour partir. Olivier se retourna, lui tendit la main et, tâchant de sourire :

— Tu reviendras demain ?

Au dernier moment, il le rappela, lui fit signe de se pencher, comme s’il craignait que sa voix ne manquât à se faire entendre, et tout bas :

— Non, mais, crois-tu que j’ai été bête !

Puis, comme pour devancer une protestation de Bernard, il porta de nouveau un doigt à ses lèvres :

— Non ; non… Plus tard je vous expliquerai.

Le lendemain, Édouard reçut une lettre de Laura ; quand Bernard revint, il la lui donna à lire :

« Mon cher ami,

Je vous écris en grande hâte pour tâcher de prévenir un malheur absurde. Vous m’y aiderez, j’en suis sûre, si seulement cette lettre vous parvient assez tôt.

« Félix vient de partir pour Paris, dans l’intention d’aller vous voir. Il prétend obtenir de vous les éclaircissements que je me refuse à lui donner ; apprendre par vous le nom de celui qu’il voudrait provoquer en duel. J’ai fait ce que j’ai pu pour le retenir, mais sa décision reste inébranlable et tout ce que je lui en dis ne sert qu’à l’ancrer davantage. Vous seul parviendrez peut-être à le dissuader. Il a confiance en vous et vous écoutera, je l’espère. Songez qu’il n’a jamais tenu entre ses mains ni pistolet, ni fleuret. L’idée qu’il puisse risquer sa vie pour moi m’est intolérable ; mais je crains surtout, j’ose à peine l’avouer, qu’il ne se couvre de ridicule.

« Depuis mon retour, Félix est avec moi plein d’empressement, de tendresse, de gentillesse ; mais je ne puis feindre pour lui plus d’amour que je n’en ai. Il en souffre ; et je crois que c’est le désir de forcer mon estime, mon admiration, qui le pousse à cette démarche que vous jugerez inconsidérée, mais à laquelle il pense chaque jour et dont il a, depuis mon retour, l’idée fixe. Certainement il m’a pardonné ; mais il en veut mortellement à l’autre.

« Je vous supplie de l’accueillir aussi affectueusement que vous m’accueilleriez moi-même ; vous ne sauriez me donner une preuve d’amitié à laquelle je sois plus sensible. Pardonnez-moi de ne pas vous avoir écrit plus tôt pour vous redire toute la reconnaissance que je garde de votre dévouement et des soins que vous m’avez prodigués durant notre séjour en Suisse. Le souvenir de ce temps me réchauffe et m’aide à supporter la vie.

« Votre amie toujours inquiète et toujours confiante,

« Laura. »

— « Que comptez-vous faire ? demanda Bernard en rendant la lettre.

— Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? répondit Édouard un peu agacé, non point tant par la question de Bernard, que parce qu’il se l’était déjà posée. — S’il vient, je l’accueillerai de mon mieux. Je le conseillerai de mon mieux s’il me consulte ; et tâcherai de le persuader qu’il n’a rien de mieux à faire que de se tenir tranquille. Des gens comme ce pauvre Douviers ont toujours tort de chercher à se mettre en avant. Vous penseriez de même si vous le connaissiez, croyez-moi. Laura, elle, était née pour les premiers rôles. Chacun de nous assume un drame à sa taille, et reçoit son contingent de tragique. Qu’y pouvons-nous ? Le drame de Laura, c’est d’avoir épousé un comparse. Il n’y a rien à faire à cela.

— Et le drame de Douviers, c’est d’avoir épousé quelqu’un qui restera supérieur à lui, quoi qu’il fasse, reprit Bernard.

— Quoi qu’il fasse… reprit Édouard en écho, — et quoi que puisse faire Laura. L’admirable, c’est que, par regrets de sa faute, par repentir, Laura voulait s’humilier devant lui ; mais lui se prosternait aussitôt plus bas qu’elle ; tout ce que l’un et l’autre en faisaient ne parvenait qu’à le rapetisser, qu’à la grandir.

— Je le plains beaucoup, dit Bernard. Mais pourquoi n’admettez-vous pas que lui aussi, dans ce prosternement, se grandisse ?

— Parce qu’il manque de lyrisme, dit Édouard irréfutablement.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve, de sorte qu’il n’éprouve jamais rien de grand. Ne me poussez pas trop là-dessus. J’ai mes idées ; mais qui répugnent à la toise et que je ne cherche pas trop à mesurer. Paul-Ambroise a coutume de dire qu’il ne consent à tenir compte de rien qui ne se puisse chiffrer ; ce en quoi j’estime qu’il joue sur le mot « tenir compte » ; car, « à ce compte-là » comme on dit, on est forcé d’omettre Dieu. C’est bien là où il tend et ce qu’il désire… Tenez : je crois que j’appelle lyrisme l’état de l’homme qui consent à se laisser vaincre par Dieu.

— N’est-ce pas là précisément ce que signifie le mot : enthousiasme ?

— Et peut-être le mot : inspiration. Oui, c’est bien là ce que je veux dire : Douviers est un être incapable d’inspiration. Je consens que Paul-Ambroise ait raison lorsqu’il considère l’inspiration comme des plus préjudiciables à l’art ; et je crois volontiers qu’on n’est artiste qu’à condition de dominer l’état lyrique ; mais il importe, pour le dominer, de l’avoir éprouvé d’abord.

— Ne pensez-vous pas que cet état de visitation divine est explicable physiologiquement par…

— La belle avance ! interrompit Édouard. De telles considérations, pour être exactes, ne sont propres qu’à gêner les sots. Il n’est certes pas un mouvement mystique qui n’ait son répondant matériel. Et après ? L’esprit, pour témoigner, ne peut point se passer de la matière. De là le mystère de l’incarnation.

— Par contre, la matière se passe admirablement de l’esprit.

— Ça, nous n’en savons rien, dit Édouard en riant.

Bernard était fort amusé de l’entendre parler ainsi. D’ordinaire Édouard se livrait peu. L’exaltation qu’il laissait paraître aujourd’hui lui venait de la présence d’Olivier. Bernard le comprit.

— Il me parle comme il voudrait déjà lui parler, pensa-t-il. C’est d’Olivier qu’il devrait faire son secrétaire. Dès qu’Olivier sera guéri, je me retirerai ; ma place est ailleurs.

Il pensait cela sans amertume, tout occupé désormais par Sarah, qu’il avait revue la nuit dernière et s’apprêtait à retrouver cette nuit.

— Nous voici bien loin de Douviers, reprit-il en riant à son tour. Lui parlerez-vous de Vincent ?

— Parbleu non. À quoi bon ?

— Ne pensez-vous pas que c’est empoisonnant pour Douviers de ne savoir sur qui porter ses soupçons ?

— Vous avez peut-être raison. Mais cela c’est à Laura qu’il faut le dire. Je ne pourrais parler sans la trahir… Du reste je ne sais même pas où il est.

— Vincent ?… Passavant doit bien le savoir.

Un coup de sonnette les interrompit. Madame Molinier venait prendre des nouvelles de son fils. Édouard la rejoignit dans l’atelier.

Journal d’Édouard

« Visite de Pauline. J’étais embarrassé de savoir comment la prévenir ; et pourtant je ne pouvais lui laisser ignorer que son fils était malade. Ai jugé inutile de lui raconter l’incompréhensible tentative de suicide ; ai simplement parlé d’une violente crise de foie, qui effectivement reste le plus clair résultat de cette entreprise.

« — Je suis déjà rassurée de savoir Olivier chez vous, m’a dit Pauline. Je ne le soignerais pas mieux que vous, car je sens bien que vous l’aimez autant que moi.

« En disant ces derniers mots, elle m’a regardé avec une bizarre insistance. Ai-je imaginé l’intention qu’elle m’a paru mettre dans ce regard ? Je me sentais devant Pauline ce que l’on a coutume d’appeler « mauvaise conscience » et n’ai pu que balbutier je ne sais quoi d’indistinct. Il faut dire que, sursaturé d’émotion depuis deux jours, j’avais perdu tout empire sur moi-même ; mon trouble dût être très apparent, car elle ajouta :

« — Votre rougeur est éloquente… Mon pauvre ami, n’attendez pas de moi des reproches. Je vous en ferais si vous ne l’aimiez pas… Puis-je le voir ?

« Je la menai près d’Olivier. Bernard, en nous entendant venir, s’était retiré.

« — Comme il est beau ! murmura-t-elle en se penchant au-dessus du lit. Puis, se retournant vers moi : — Vous l’embrasserez de ma part. Je crains de l’éveiller.

« Pauline est décidément une femme extraordinaire. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je le pense. Mais je ne pouvais espérer qu’elle pousserait si loin sa compréhension. Toutefois il me semblait, à travers la cordialité de ses paroles et cette sorte d’enjouement qu’elle mettait dans le ton de sa voix, distinguer un peu de contrainte (peut-être en raison de l’effort que je faisais pour cacher ma gêne) ; et je me souvenais d’une phrase de notre conversation précédente, phrase qui déjà m’avait paru des plus sages alors que je n’étais pas intéressé à la trouver telle : « Je préfère accorder de bonne grâce ce que je sais que je ne pourrais pas empêcher. » Évidemment, Pauline s’efforçait vers la bonne grâce ; et, comme en réponse à ma secrète pensée, elle reprit, lorsque nous fûmes de nouveau dans l’atelier :

« — En ne me scandalisant pas tout à l’heure, je crains de vous avoir scandalisé. Il est certaines libertés de pensée dont les hommes voudraient garder le monopole. Je ne puis pourtant pas feindre avec vous plus de réprobation que je n’en éprouve. La vie m’a instruite. J’ai compris combien la pureté des garçons restait précaire, alors même qu’elle paraissait le mieux préservée. De plus, je ne crois pas que les plus chastes adolescents fassent plus tard les maris les meilleurs ; ni même, hélas, les plus fidèles, ajouta-t-elle en souriant tristement. Enfin, l’exemple de leur père m’a fait souhaiter d’autres vertus pour mes fils. Mais j’ai peur pour eux de la débauche, ou des liaisons dégradantes. Olivier se laisse facilement entraîner. Vous aurez à cœur de le retenir. Je crois que vous pourrez lui faire du bien. Il ne tient qu’à vous…

« De telles paroles m’emplissaient de confusion.

« — Vous me faites meilleur que je ne suis.

« C’est tout ce que je pus trouver à dire, de la manière la plus banale et la plus empruntée. Elle reprit avec une délicatesse exquise :

« — C’est Olivier qui vous fera meilleur. Que n’obtient-on pas de soi, par amour ?

« — Oscar le sait-il près de moi ? demandai-je pour mettre un peu d’air entre nous.

« — Il ne le sait même pas à Paris. Je vous ai dit qu’il ne s’occupe pas beaucoup de ses fils. C’est pourquoi je comptais sur vous pour parler à Georges. L’aurez-vous fait ?

« — Non ; pas encore.

« Le front de Pauline s’était assombri brusquement.

« — Je m’inquiète de plus en plus. Il a pris un air d’assurance, où je ne vois qu’insouciance, que cynisme et que présomption. Il travaille bien ; ses professeurs sont contents de lui ; mon inquiétude ne sait à quoi se prendre…

« Et tout à coup, se départant de son calme, avec un emportement où je la reconnaissais à peine :

« — Vous rendez-vous compte de ce que devient ma vie ? J’ai restreint mon bonheur ; d’année en année, j’ai dû en rabattre ; une à une, j’ai raccourci mes espérances. J’ai cédé ; j’ai toléré ; j’ai feint de ne pas comprendre, de ne pas voir… Mais enfin, on se raccroche à quelque chose ; et quand encore ce peu vous échappe !… Le soir, il vient travailler près de moi, sous la lampe ; quand parfois il lève la tête de dessus son livre, ce n’est pas de l’affection que je rencontre dans son regard ; c’est du défi. J’ai si peu mérité cela… Il me semble parfois brusquement que tout mon amour pour lui tourne en haine ; et je voudrais n’avoir jamais eu d’enfants.

« Sa voix tremblait. Je pris sa main.

« — Olivier vous récompensera ; je m’y engage.

« Elle fit effort pour se ressaisir.

« — Oui, je suis folle de parler ainsi ; comme si je n’avais pas trois fils. Quand je pense à l’un, je ne vois plus que celui-là… Vous allez me trouver bien peu raisonnable… Mais par moments, vraiment, la raison ne suffit plus.

« — La raison est pourtant ce que j’admire le plus en vous, dis-je platement, dans l’espoir de la calmer.

— L’autre jour vous me parliez d’Oscar avec tant de sagesse…

« Pauline brusquement se redressa. Elle me regarda et haussa les épaules.

« — C’est toujours quand une femme se montre le plus résignée qu’elle paraît le plus raisonnable, s’écria-t-elle comme hargneusement.

« Cette réflexion m’irrita en raison de sa justesse même. Pour n’en rien laisser voir, je repris aussitôt :

« — Rien de nouveau, au sujet des lettres ?

« — De nouveau ? De nouveau !… Qu’est-ce que vous voulez qui arrive de nouveau entre Oscar et moi ?

« — Il attendait une explication.

« — Moi aussi j’attendais une explication. Tout le long de la vie on attend des explications.

« — Enfin, repris-je, un peu agacé, Oscar se sentait dans une situation fausse.

« — Mais, mon ami, vous savez bien qu’il n’y a rien de tel pour s’éterniser, que les situations fausses. C’est affaire à vous, romanciers, de chercher à les résoudre. Dans la vie, rien ne se résout ; tout continue. On demeure dans l’incertitude ; et on restera jusqu’à la fin sans savoir à quoi s’en tenir ; en attendant, la vie continue, continue, tout comme si de rien n’était. Et de cela aussi on prend son parti ; comme de tout le reste… comme de tout. Allons, adieu.

« Je m’affectais péniblement au retentissement de certaines sonorités nouvelles que je distinguais dans sa voix ; une sorte d’agressivité, qui me força de penser (peut-être pas à l’instant même, mais en me remémorant notre entretien) que Pauline son parti beaucoup moins facilement qu’elle ne le disait, de mes rapports avec Olivier ; moins facilement que de tout le reste. Je veux croire qu’elle ne les réprouve pas précisément ; qu’elle s’en félicite même à certains égards, ainsi qu’elle me le laisse entendre ; mais, sans se l’avouer peut-être, elle ne laisse pas d’en ressentir de la jalousie.

« C’est la seule explication que je trouve à ce brusque sursaut de révolte, sitôt ensuite, et sur un sujet qui lui tenait somme toute bien moins à cœur. On eût dit qu’en m’accordant d’abord ce qui lui coûtait davantage, elle venait d’épuiser sa réserve de mansuétude et s’en trouvait soudain dépourvue. De là, ses propos intempérés, extravagants presque, dont elle dût s’étonner elle même en y repensant, et où sa jalousie se trahit.

« Au fond, je me demande quel pourrait être l’état d’une femme qui ne serait pas résignée ? J’entends : d’une « honnête femme »… Comme si ce que l’on appelle « honnêteté », chez les femmes, n’impliquait pas toujours résignation !

« Vers le soir, Olivier a commencé d’aller sensiblement mieux. Mais la vie qui revient, ramène l’inquiétude avec elle. Je m’ingénie à le rassurer.

« Son duel ? — Dhurmer avait fui à la campagne. On ne pouvait pourtant pas courir après lui.

« La revue ? — Bercail s’en occupe.

« Les affaires qu’il a laissées chez Passavant ? — C’est le point le plus délicat. J’ai dû avouer que Georges n’avait pu s’en ressaisir ; mais me suis engagé à les aller rechercher moi-même dès demain. Il craignait, à ce qu’il m’a semblé, que Passavant ne les retînt comme un otage ; ce que je ne puis admettre un seul instant.

« Hier, je m’attardais dans l’atelier après avoir écrit ces pages, lorsque j’ai entendu Olivier m’appeler. J’ai bondi jusqu’à lui.

« — C’est moi qui serais venu, si je n’étais trop faible, m’a-t-il dit. J’ai voulu me lever ; mais, quand je suis debout, la tête me tourne et j’ai craint de tomber. Non, non, je ne me sens pas plus mal ; au contraire… Mais j’avais besoin de te parler.

« Il faut que tu me promettes quelque chose… De ne jamais chercher à savoir pourquoi j’ai voulu me tuer avant-hier. Je crois que je ne le sais plus moi-même. Je voudrais le dire, vrai ! je ne le pourrais pas… Mais il ne faut pas que tu penses que c’est à cause de quelque chose de mystérieux dans ma vie, quelque chose que tu ne connaîtrais pas. Puis, d’une voix plus basse : — Non plus, ne va pas t’imaginer que c’est par honte…

« Bien que nous fussions dans l’obscurité, il cachait son front dans mon épaule.

« — Ou si j’ai honte, c’est de ce banquet de l’autre soir ; de mon ivresse, de mon emportement, de mes larmes ; et de ces mois d’été ; … et de t’avoir si mal attendu.

« Puis il protesta qu’en rien de tout cela il ne consentait plus à se reconnaître ; que c’était tout cela qu’il avait voulu tuer, qu’il avait tué, qu’il avait effacé de sa vie.

« Je sentais, dans son agitation même, sa faiblesse, et le berçais, sans rien dire, comme un enfant. Il aurait eu besoin de repos ; son silence me faisait espérer son sommeil ; mais je l’entendis enfin murmurer :

« — Près de toi, je suis trop heureux pour dormir.

« Il ne me laissa le quitter qu’au matin.