Les Facéties érotiques de Bebelius/Texte entier

Traduction par Edmondo Fazio alias Edmond Fazy.
E. Sansot (p. Dédic.-103).

Aux Mânes de
Gian-Francesco Poggio Bracciolini, Florentin
Edmondo Fazio, Pisan.

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Préface Bio-Bibliographique



Bebelius, à son vrai nom Heinrich Bebel, est un beau type d’Allemand de la Renaissance. Fils de paysans souabes, paysan lui-même, il enseigne l’éloquence à l’Université de Tübingen, et il fréquente, non sans succès, les grands seigneurs. Bon latiniste, il est un champion fougueux de la culture antique et des lettres humaines. Toute l’Europe savante de l’époque lit ses opuscules. Enfin, ses Facéties, écrites en latin comme le reste de ses ouvrages, ont provoqué de nombreuses imitations dans les langues modernes, et lui survivent encore.

Heinrich Bebel naquit, probablement en 1472, au village d’Ingstetten, pris de Justingen, en Souabe. Son père, qui portait le même prénom, devint maire de la commune, fournit une carrière irréprochable, et mourut de la peste en 1495.

On a peu de détails sur la vie privée de la famille Bebel : on sait seulement que notre Heinrich avait un frère cadet, Wolfgang, médecin et ami des lettres.

Notre Heinrich se montrait fier d’être un paysan. Il pratiquait la piété filiale, à la façon d’Horace. Il rendait à son digne père une sorte de culte. Il chantait en vers latins la probité rustique de sa famille, et injuriait les envieux qui osaient alléguer la prétendue bassesse de son origine.

Bebelius est, dès son adolescence, un humaniste passionné. Il étudie à l’Université de Cracovie (1492), puis à celle de Bâle (1494) et, en 1496, le voilà professeur d’éloquence à l’Université de Tübingen. Il a un double idéal, la restauration de la bonne vieille latinité, et l’expulsion de la sotte barbarie scolastique. Il adore sa petite patrie, la Souabe, mais il est, en même temps, un pangermaniste. Il multiplie les pamphlets, les traités historiques ou ethnographiques, le tout en latin. Il ne craint pas les polémiques personnelles : il attaque notamment les Suisses, qu’il déclare grossiers et querelleurs.

Bebelius voyage. En 1501, à Innsbruck, l’empereur Maximilien le consacre poète en le couronnant de lauriers et de lierre, et lui octroie un blason.

En 1502, la peste sévit à Stuttgart et à Tübingen. Bebelius profite de ses vacances forcées pour bien travailler, dans le sans-gêne de la campagne, et pour mener joyeuse vie. Il relit ses Latins favoris et il collectionne des simples, il chasse le lièvre et il donne aux paysans des conseils agronomiques. Il se promène beaucoup ; il fréquente les presbytères, les couvents, par exemple ceux de Zwiefalten et d’Adelberg, et les auberges, bref, les compagnies où on entend les meilleures histoires. Comme il s’agit de plaire aux villageoises qui ne comprennent pas le latin, Bebelius se résigne à faire des vers allemands (il dit « barbares ») ; alors, ses lieder sont dans toutes les bouches, et, quand il flâne, par une matinée de soleil, il aperçoit à chaque fenêtre une amie qui lui sourit.

Bebelius ne paraît point s’être marié. On a de lui trois poèmes attendris sur la mort de la belle Agnès Rethaberin, que la peste avait saisie, à Tübingen, en 1502. Deux ans plus tard, il adresse à une vierge qu’il nomme Apollonia des distiques latins, d’une vigueur fiévreuse, où il la presse de jouir de sa jeunesse, en lui peignant les outrages menaçants de la décrépitude.

Bebelius, érudit et poète, compte au rang des hommes célèbres. Il échange des injures savoureuses avec ses contradicteurs : le Français Corunnus le traite de brute allemande, et conclut par cet à peu près : « Tu mériterais plutôt le nom de Balbus (bègue) que celui de Bebelius ! » La brute en question joue son rôle dans les Epistolæ Obscurorum Virorum : on l’y qualifie de révolutionnaire qui ose faire des livres d’un genre nouveau et vilipender les théologiens.

Nous ne savons presque rien des dernières années de Bebelius. Après 1507, il se trouve à Aix-la-Chapelle : on ignore à quel propos. Ses Proverbia Germanica paraissent en 1508 : ce recueil demeure un document fort utile aux fervents du folk-lore ; la plupart des 600 proverbes que Bebelius traduit en latin sont des locutions usuelles, populaires, à l’époque, dans tous les pays de Souabe où l’auteur a vécu. Beaucoup subsistent. Les Proverbia sont un chef-d’œuvre de docte paysannerie.

En 1509, Bebelius publie son Triumphus Veneris, qui est surtout un réquisitoire contre les curés et les moines, les nonnes et les béguines, l’ânerie des scolastiques, et les faux savants ; mais il n’y épargne point les vices et les travers du bourgeois, son voisin.

Après 1512, Bebelius ne produit plus. Il avait, dès l’adolescence, une santé délicate : il avait souffert de la fièvre, à Cracovie, et de la dyssenterie, à Bâle, étant étudiant. Une édition de la Physique d’Aristote, publiée en 1518, contient un distique latin que Bebelius s’est arraché sur son lit de malade : Henricus Bebelius morbo gravatus hoc distichon extorsit.

Bebelius vivait encore, le 4 mars 1518. Il mourut sans doute cette année-là ou la suivante. Melanchton honora sa mémoire par des vers grecs, et Hummelberger lui fit son épitaphe, en latin.

Les Facéties (Facetiæ) sont l’œuvre immortelle de Bebelius. Il y travaillait depuis 1505. Les deux premiers livres parurent en 1508, dans le même volume que les Proverbia. On les réimprima fort souvent, au XVIe et au XVIIe siècles, soit seules, soit avec celles de Frischlin. La dernière édition revue et corrigée par l’auteur a été publiée à Strasbourg, chez Mathias Schürer, en 1512 et en 1514, et reproduite à Paris, en 1516 et en 1526 : le volume est intitulé Bebeliana Opuscula Nova et Adolescentiæ Labores ; il renferme, avec les Proverbia et divers poèmes, trois livres de Facéties. C’est d’après le texte de Strasbourg, (1514), que j’offre aux Pantagruélistes les Facéties Érotiques de Bebelius. J’ajoute, en supplément, deux leçons tirées des Proverbia.

Les bonnes histoires de Bebelius ne sont pas toutes originales. Beaucoup sont de simples variantes des Fabliaux, des Cent Nouvelles Nouvelles, des Facezie del Piovano Arlotto. Il emprunte abondamment à la littérature latine, profane et chrétienne, aux prêcheurs grotesques du Moyen Age, aux vieux poètes allemands, au Decamerone et aux Facetiæ de mes confrères toscans Boccaccio et Poggio, aux Fables d’Abstemius, aux Facéties d’Augustin Tünger, procurateur de la Cour de Constance, qui circulent manuscrites, et aux propos des amis qui reviennent d’Italie. Mais le docte paysan Bebelius germanise, et à fond, tout ce qu’il touche ; il prodigue les petits tableaux de genre au cadre bien souabe, les anecdotes de terroir et les observations personnelles.

La grande majorité des Facéties n’a pas un caractère spécialement érotique. Ce livre d’or est fort varié : il immortalise, en raccourci, toute la comédie humaine de l’époque. Voici, pêle-mêle, les prêtres qui étalent leur grossièreté et leur ignorance, les juifs qu’on berne, les meuniers qui sont des voleurs, les écoliers errants et les Polonais qui ne valent pas mieux, les femmes qui tyrannisent leurs maris, les lourdauds de village, les prêcheurs qui ne savent pas le latin, les moines mendiants, les nonnes, les béguines, les ennemis de la poésie, les aubergistes, les lansquenets, les bouffons de princes ou d’évêques, les hobereaux, les brigands nobles, les médecins, les charlatans, les jongleurs, le loup, le renard et l’âne de la fable éternelle, les Suisses et les Français, les Romains corrompus, les ivrognes, les philosophes pouilleux, les Hongrois, les Bavarois, les grand’mères superstitieuses. Tout cela grouille, parle, agit, ingénument. Bebelius n’a jamais peur du mot cru.

Les Facéties sont restées célèbres pendant plus de deux siècles, dans toute l’Europe. On ne les a point traduites en français, mais, soit imitation, soit rencontre, soit usage d’un modèle commun, nos ouvrages facétieux, de date postérieure, rappellent souvent le vieux Souabe : citons, par exemple, au XVIe siècle, le Pantagruel de Rabelais, les Épigrammes de Marot, les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis de Bonaventure des Périers, l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne, le Grand Parangon des Nouvelles Nouvelles de Nicolas de Troyes, les Comptes du Monde Adventureux, les Contes et Discours d’Eutrapel de Noël du Fail, le Moyen de Parvenir ; au XVIIe siècle, les Serées de Guillaume Bouchet, l’Élite des Contes du sieur d’Ouville, le Facétieux Reveille-Matin, les Récréations Françoises, les Nouveaux Contes à Rire ; au XVIIIe siècle, le Passe-Temps joyeux. Contes à rire et Gasconnades nouvelles, l’Élite des Bons Mots et des Pensées choisies, le Recueil de Pièces Sérieuses, Comiques et Burlesques, et au XIXe siècle même, les Contes de Gudin (1804), les Contes en Vers, Imités du Moyen de Parvenir (1874) la Sarabande (1903).

Je me suis abstenu, à dessein, de jeter seulement les yeux sur aucun des passages similaires. J’ai traduit, très librement et à ma fantaisie, d’après le texte latin de Bebelius, les bonnes histoires de mon choix, savoir toutes les facéties érotiques, à part celles que je n’ai pas trouvé drôles, et, à titre d’échantillons, deux ou trois facéties morales et vermifuges. Mon but est de raconter ces bonnes histoires aux lecteurs pantagruélistes, comme pourrait le faire Bebelius lui-même, s’il ressuscitait chez nous, pour divertir des compagnons en notre langue d’aujourd’hui, dans quelque auberge normande, bourguignonne ou angevine. J’invite, au demeurant, les curieux de rapprochements et de notes savantes à se procurer, en sa reliure de parchemin, l’ouvrage suivant : Heinrich Bebels Schwänke, zum ersten Male in vollständiger Uebertragung herausgegeben, von Albert Wesselski (München und Leipzig, bei Georg Müller, 1907). Cette encyclopédie facétieuse, qui a deux volumes, est presque exempte de fautes d’impression : les acheteurs en seront très contents.


Un dernier mot. Il ne faut pas que les plaisanteries « anticléricales » de Bebelius induisent un seul Pantagruéliste en erreur. Le professeur de Tübingen était un excellent catholique. On a de lui de nombreux poèmes latins, à la louange de la Sainte Vierge, et d’autres saintes. Il dit, en vers allemands, dans son Liber Hymnorum (1501 ?) : « Je meurs, et je ne sais pas quand, je vais, et je ne sais pas où. Comment suis-je gai ? Cela m’étonne. »

E. F.


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1. — LA CIRCONCISION[1]

Je me trouvais, il y a quelque temps, dans le bourg de Hechingen, en la seigneurie des comtes de Zollern. Là, je fais la connaissance d’une Juive, belle gouge, délurée, et qui a le mot pour rire. Je l’exhorte à se convertir au christianisme, et elle ne me répond rien de malhonnête :

— « On nous raconte que la circoncision rapporte plus que le baptême. À propos, votre baptême est-il donc un talisman si précieux ? »

— « Inappréciable. C’est lui seul qui nous ouvre le Paradis ! »

— « Hélas ! Dans notre religion, ce n’est pas la même chose. Nous autres femmes, nous ne sommes pas enthousiastes de leur circoncision ! »

— « Et pourquoi donc ? »

— « Parbleu ! On retranche le prépuce à la verge d’Aaron de nos maris et de nos amants. On ferait bien mieux notre affaire en y ajoutant un gros morceau. Que les ânesses sont heureuses ! »


2. — L’AGE DE LA VERTU[2]

Un de nos paysans avait une femme insatiable, et qui provoquait le premier venu à la paillardise. La coquine en fit tant, que notre cornard s’alla plaindre à son beau-père :

— « J’en ai assez. Si cela continue, je renvoie ta Gretchen ! La prochaine fois que je la surprends, je la chasse de la ferme, avec mon sabot à ses fesses de moine ! »

— « Calme-toi ! Laisse-là s’ébaudir un peu ! Il faut que jeunesse se passe. Patiente, et tout s’arrangera. Regarde ma bonne Dorothée : durant sa jeunesse, son âge mûr et sa prime vieillesse, elle était pire que ta femme ; elle me cocufiait neuf fois par jour. Mais, maintenant qu’elle est décrépite, qu’elle a de la chassie aux yeux et qu’elle ne peut plus lever la jambe, elle se distingue par une chasteté irréprochable. Telle mère, telle fille. Ta Gretchen promet de marcher sur les traces de ma Dorothée. Embrasse ta belle-mère, et buvons un coup de ce vin nouveau ! »


3. — LE BOUC[3]

Un de ces frères mendiants qu’on nomme Beghards ou Lollharts faisait l’ermite dans une forêt de chez nous. Il était, surtout auprès des femmes, en odeur de sainteté profonde. Mais, un soir, au cabaret, comme nous disions merveilles du personnage, Michel, qui n’a pas confiance en la moinerie, se leva et repartit :

— « Quelle preuve avez-vous de sa sainteté ? Sa longue barbe ? Alors, vous êtes des sots ! Si la piété se reconnaissait à la longueur de la barbe, le bouc serait un ange ! »


4. — NAÏVETÉ[4]

Une femme de chez nous était aussi bavarde que niaise. Un matin, elle se querelle avec la commère d’en face, qu’elle accuse de lui avoir dérobé de la laine :

— « Tu es une voleuse et une putain ! Et puis, tu sais, je te vaux bien, je suis aussi pieuse et honnête que toi ! »

Nous éclatâmes tous de rire.

5. — LA TONSURE[5]

Une paysanne venait d’enfanter un gros garçon. Les voisines s’empressaient autour de son lit, avec force compliments et souhaits. La plus jeune dit, malicieusement :

— « Tiens ! Comme, il ressemble à son père ! »

Alors, l’accouchée :

— « A-t-il aussi une tonsure ? »

Heureusement, le mari était au cabaret. Car, s’il avait entendu le mot, il aurait compris que sa femme s’était confessée de trop près à quelque moine mendiant, amateur de fromage[6].

6. — QUIPROQUOS[7]

À l’époque où beaucoup de lansquenets de Souabe et d’ailleurs servaient aux Pays-Bas, sous l’empereur Maximilien, contre les gens de Bruges, un lansquenet se confessait à un très vieux moine de Cologne :

— « Mon père, j’ai gravement péché. J’ai couché avec une nonne ! »

Il faut vous dire que, chez nous, ce mot de nonne a un double sens : il désigne non seulement une religieuse, mais encore un cochon châtré.

Le moine, voyant la contrition du lansquenet, croit qu’il s’agit d’un cochon châtré :

— « Quelle horreur ! Tu es un hérétique ! Je ne peux t’accorder l’absolution. Coucher avec un animal au pied fourchu ! Vade Retro ! »

Le lansquenet se met à rire :

— « Mais non ! mais non, mon père ! c’est d’une religieuse qu’il s’agit ! »

— « Alors, je te pardonne, mon fils. Hélas ! Je voudrais bien pouvoir en faire autant ! »

Un autre lansquenet se confesse à un frocard romain :

— « J’ai couché avec une béguine ! »

Le Welsche ne sait pas ce que c’est qu’une béguine :

— « Par les cornes de Mahomet ! Qu’est-ce-là, une béguine ? »

— « Une bête ! »

— « Jésus ! Marie ! Quelle sorte de bête ? »

— « Une putain ! »

Le Welsche lance à la fois un rot de soulagement et un pet de joyeuse exhortation :

— « Puisque ce n’est qu’une femme, en avant, mon fils ! Monte à l’assaut, cogne dur, et entre par la brèche ! »

7. — FÉCONDITÉ[8]

Un troisième lansquenet, de ma connaissance, et qui servait dans la même compagnie, fit une absence de deux ans.

À son retour, il constate que la maisonnée s’est augmentée d’un gros garçon. Alors, il va partout, remerciant Dieu de lui avoir donné une femme si féconde qu’elle n’a même pas besoin de lui pour enfanter !


8. — LE CONCOURS DE BRAQUEMARTS[9]

J’ai presque honte de publier tant d’indécences de la prêtraille : mais nos tonsurés, eux, ne rougissent point de les faire.

Un curé de ma connaissance passait une nuit à trinquer, avec des collègues à moi et des paysans. Qui paiera la dépense ? Michel propose un concours de braquemarts. Chacun exhibera son goupillon de ménage, et le compère le mieux membru mettra la main à la poche. Accepté ! Le curé commande :

— « Debout ! »

Tous les biberons se dressent, en titubant, excepté certain philosophe, mauvais latiniste, qui ronfle sous la table.

Le curé commande :

— « Feu ! »

Douze braguettes, béantes, vomissent leur plantureux contenu. Là-dessus, on proclame le curé vainqueur, à l’unanimité.

C’est le saint homme lui-même qui m’a conté l’aventure ; il s’en glorifiait devant tout le monde. Cela lui réussit fort auprès des femmes : en moins de quinze jours, le nombre de ses pénitentes avait décuplé. Mais l’évêque lui infligea une amende de dix florins.

9. — LE HOBEREAU ET LE MARCHAND[10]

Nous étions une vingtaine à nous humecter de vin blanc d’Alsace, en disant des gaudrioles. Un gentilhomme du pays taquinait Bernard, le marchand :

— « Je vous plains. Pendant que vous êtes en voyage, avec vos ballots, vous laissez vos femmes à la ville, parmi tant de jouvenceaux mignons qui cherchent fortune. Nous autres nobles, nous sommes plus prudents : lorsque nous guerroyons en France ou en Italie, nos femmes nous attendent, enfermées dans leur château. »

Bernard demande la permission de répliquer franchement. Notre gentilhomme la lui accorde. Alors, le marchand :

— « Vous connaissez le proverbe : « La noblesse est difforme, et la laideur lui marche sur les talons. Au contraire, les bourgeois ont de beaux enfants. » Eh bien, quand nous voyageons, nous autres citadins, ce sont les plus jolis garçons du monde qui nous cocufient : voilà pourquoi nos femmes ont de si beaux poupons. Mais vous, quand vous êtes à la guerre, vos femmes n’ont à leur disposition que des valets de cuisine et des palefreniers : voilà pourquoi elles vous donnent de pareils crapoussins ! »

Nous avons tous bien ri, ce soir-là, dans le cabaret au plafond bas, et aux boiseries enfumées.


10. — LE CHRÉTIEN ET LE JUIF[11]

Un certain Matthieu d’Ulm, qui n’était pas autrement érudit, mais qui savait sa Bible par cœur, disputait avec un Juif. Il s’agissait des deux religions. Quelle était la meilleure et la plus vraie ? À la fin, Matthieu dit :

— « Vous autres Juifs, vous ne portez point le signe du baptême. C’est pourquoi, au jour du Jugement Dernier, on vous tuera, comme l’écorcheur fait, dans les villes, aux chiens dépourvus de marque distinctive. Mais nous, qui portons le signe, nous entrerons au Paradis. »

— « Où donc portez-vous ce signe du baptême ? »

— « Dans nos âmes. »

— Oh ! Alors, comme chacun retrouvera un corps au jour du Jugement Dernier, personne ne pourra voir votre signe. Nous autres Juifs, au contraire, nous portons au prépuce la marque de la circoncision. »

— « Cochon de Juif ! Comment ! Tu oserais montrer ton vis coupé à Dieu le Père, à Notre Seigneur Jésus, à la Sainte Vierge, aux anges et à tant de milliers de pucelles ! Cochon ! Va te faire pendre, ou pédiquer par le Grand Turc ! »

Matthieu d’Ulm était tout fier de cette repartie. Il croyait avoir fait quinaud le Juif.

11. — LE PIS-ALLER[12]

Il y avait au couvent de Zwiefalten un maréchal ferrant, d’aspect caduc. Un soir, entre chien et loup, rencontrant une jeune paysanne fraîche et bien en chair, il lui prit le cul, à la manière des satyres émérites :

— « Elisabeth, ma mignonne, quel beau champ de bataille ! ».

— « Tais-toi ! Tu n’es plus un champion aux tournois amoureux. Tu as fait ton temps. Caresse plutôt ton front : tu sentiras les cornes de vétéran dont ta femme t’a gratifié. Mais, bah ! Quand on n’a pas de faucon, il faut chasser au hibou ! »

Alors, Elisabeth laissa le bouc lécheur la coucher dans le foin, et lui faire le plaisir qu’elle donnait elle-même, chaque jour, à l’abbesse du couvent.

La friponne vit encore. Mais elle n’a plus que la peau sur le cul.

12. — LA MARIÉE ENCEINTE[13]

Un borgne épouse la fille de sa voisine. En l’accolant, il s’aperçoit qu’elle est enceinte :

— « Ah ! Putain ! Moi qui te croyais vierge ! Va-t-en ! »

— « C’est injuste. Pourquoi la mariée serait-elle intacte, quand le marié n’a qu’un œil ? »

— « Mais, moi, ce sont les ennemis qui m’ont fait ça ! »

— « Et moi, ce sont mes amis ! »


13. — LE COMBLE DE LA PUTASSERIE[14]

Un philosophe pouilleux gourmandait une jouvencelle de bon secours :

— « Tu es la plus grande putain du monde ! »

— « Non pas. C’est ma mère. Son ventre, à elle, m’a portée, moi qui suis une putain, et mon ventre à moi ne porte que de pieux personnages ! »


14. — LE CURÉ ET LA JUMENT[15]

J’avais formé le dessein de ne rien écrire d’obscène. Mais la turpitude existe, et il sied de la rendre publique, de temps en temps, pour détourner la jeunesse du péché. L’honnête lecteur me pardonnera cette anecdote véridique :

Un curé de ma connaissance, querelleur et jovial, rencontre un paysan qui revient du bain[16] avec sa femme en croupe, monté sur une jument.

Le saint homme tire son bâton pastoral, énorme, couleur de sang de bœuf, et crie : — « Tiens ! Vois le bel instrument ! Si tu veux, je t’aiderai à gratter ta femme où ça la démange ! »

— « Baise plutôt ma jument ! Elle a la gale à la vulve ! »


15. — LA MALVOISIE[17]

Une honnête femme du bourg de Geislingen offrit à un messager un pot de malvoisie chaude. Mais elle lui servit de son pissat, en guise de muscat.

Le messager goûte la boisson, fait la grimace, et dit :

— « Le vin n’est pas mauvais. Mais je préfère le tonneau ! »

Là-dessus, il la renverse sur la table, et la viole, à leur commune satisfaction.

16. — UNE ERREUR DE MÉDECIN[18]

Les médecins nomment diasatyrion un électuaire qui a la propriété de métamorphoser en barre de fer le vis le plus flasque. Un vieillard, qui se remariait, avait commandé une bonne dose de ce spécifique. D’autre part, un jeune homme, qui souffrait d’une fièvre, avait commandé, chez le même médecin, un purgatif violent.

Le médecin compose les deux médicaments, avec le plus grand soin, puis, il se trompe d’adresse. On porte au jeune homme le diasatyrion, et au vieillard le drastique.

Le jeune homme passe une nuit terrible : il s’agite, transpire à grosses gouttes, profère des mots immondes, et se pollue plusieurs fois en de priapiques songes.

Quant au vieillard, pendant qu’il s’escrime à dépuceler sa fiancée, il foire, et embrène tout.

Le plus drôle de l’histoire, c’est que le jeune homme, à peine guéri de sa fièvre, apprit la plaisante confusion, en fit part à la demoiselle, et fut ainsi des premiers à cocufier le vieillard.


17. — LE TALION[19]

Un paysan était un fort grand jaloux. Il disait :

— « Moi vivant, malheur à qui touchera ma femme ! »

Or, traversant une forêt en compagnie de la jouvencelle qui a des joues rouges et de belles fesses, il rencontre un cavalier. Celui-ci met aussitôt pied à terre, menace notre paysan, et le force à lui garder son cheval et son manteau, pendant qu’il perfore la femme, par devant, par derrière et par haut, sur place.

Le cavalier parti, la coquine fait semblant de se fâcher :

— « Eh bien ? Grand lâche ! Ce brigand m’a violée sous tes yeux, et tu n’as pas bougé ! »

— « Tais-toi ! Je me suis cruellement vengé. Œil pour œil. Dent pour dent. J’avais mon couteau dans ma manche, et j’ai criblé son manteau de trous ! »


18. — LE CONSEIL DU BOUFFON[20]

L’abbé du couvent de Marchtal, sur le Danube, avait dessein de faire construire un beau palais. Comme il en délibérait longuement avec ses serviteurs, son bouffon Matthieu se leva soudain, se planta devant lui, montra son cul à l’honorable société, et opina :

— « L’abbé, tu n’es qu’un sot. Tu te donnes un tracas inutile. Assez de constructions ! Reste assis dans ta chambre, avec un pot de franc vin de Hongrie sur la table, déshabille une putain bien grasse, prends-la sur tes genoux, et sers Dieu paisiblement ! »


19. — SURPRISE[21]

Un sacristain avait acheté à son curé l’offrande de toutes les femmes que celui-ci avait labourées.

C’était un jour de Pâques fleuries. Tous les pieux ménages de l’endroit se trouvaient à l’église.

La bedaine du sacristain s’épanouit. Il étouffe une envie de rire. Quelle joie, qu’une pareille revue de cocus !

La cérémonie commence. Chaque fois qu’une femme appétissante et dodue où il sied s’approche de l’autel, le curé dit :

— « Prends ! »

La femme du sacristain paraît. Le curé dit :

— « Prends ! »

Le sacristain sent sa bedaine lui rentrer dans le corps. Il se penche vers le terrible directeur de conscience, et chevrotte :

— « Mais… c’est ma femme, à moi… »

— « Prends ! Les bons comptes font les bons amis. Ce qui est vendu est vendu. Prends ! »


20. — SAILLIE SACRAMENTELLE[22]

Un curé se dispose à baptiser un enfant. Il demande au parrain le nom du poupon. Le parrain, qui est un peu sot et fort dur d’oreilles, répond :

— « C’est une fille ! »

Le curé répète plusieurs fois sa question.

Le parrain s’obstine à répondre :

— « C’est une fille ! »

Alors le curé se fâche, et crie, en langage de chez nous :

— « Par le cul de ta mère, que me chantes-tu là ? On voit bien à la fente, que c’est une fille ! »

21. — CRI DU CŒUR[23]

On causait amour, dans un couvent de filles. On comparait les ecclésiastiques et les laïques en ce point. Tout à coup, la plus jeune des nonnes s’écria :

— « Laissez-moi tranquille avec vos curés, vos moines, vos prieurs, vos évêques et votre Saint-Père le Pape lui-même ! Je ne peux pas souffrir ces pourceaux. J’aimerais mieux avoir sur le ventre ou sur le dos dix laïques qu’un seul verrat d’Église ! »


22. — EMBRASSE TON PAPA ![24]

Philesius[25] m’a conté ceci, dans une de ses lettres :

On était quelques-uns, dont le mari, autour d’une femme à la cuisse fort légère.

Elle tenait dans ses bras son petit garçon, et, tout en le cajolant, répétait ce refrain favori des adultères de profession :

— « Bébé mignon, embrasse ton papa ! »

Alors, j’entendis l’un de nous murmurer entre ses dents :

— « Pauvre bébé ! Pour embrasser tous ses papas, il lui faudrait une bouche aussi large que la distance de Strasbourg à Bâle ! »


23. — FIANÇAILLES RUSTIQUES[26]

Un jeune homme courtisait une fille accorte et délurée. Il la serrait de près et elle riait volontiers avec lui. Mais elle finissait toujours par l’envoyer promener.

Un jour, en la lutinant, il constate qu’elle se défend plus mollement. Cela lui donne de l’espoir, et une idée. La brune venue, il se glisse en tapinois dans la chambre de sa mie, et se cache sous le lit.

La fille monte pour se coucher, et se déshabille. Lorsqu’elle est en chemise, l’amoureux se montre.

Elle se met à le gronder, d’une voix assez haute.

Il a peur qu’elle ne réveille son père. Il sent déjà la fourche du vieux paysan :

— « Je t’en prie, ne crie pas comme çà. Si tu ne veux pas de moi, je suis prêt à m’en aller !… »

— « Non, par exemple ! Ce qui me fâche, c’est que tu aies eu l’insolence d’entrer dans ma chambre. Mais, maintenant que tu y es… »

Ce disant, elle lui empoigne la braguette.

Cette même nuit, la fille fut engrossée. Ils se marièrent six semaines après.

C’est le jeune homme qui nous a conté l’aventure, un soir que nous étions une douzaine, à l’auberge de l’Ours, et qu’on arrosait du boudin avec des lampées de vin de Bourgogne.

24. ― LE BON FILS[27]

En l’année de grâce 1507, un jeune paysan des environs de Tübingen avait engrossé deux béguines. Comme sa mère le tançait d’importance, il répliqua :

— « C’est toi qui en es cause. Tu m’as sans cesse exhorté à fréquenter les personnes pieuses et saintes. Tu m’as promis le paradis en récompense. Je t’obéis ! »


25. — RUSE DE FEMME[28]

Une jeune commère se confessait : elle avoue au curé que l’enfant qu’elle a n’est pas de son mari. Le curé lui donne l’absolution, mais à la condition qu’elle dira tout au pauvre encorné.

Le lendemain, le garçonnet se prend à pleurer. Alors, la jeune femme invite son vieux mari à se déguiser, et à calmer le moutard en le menaçant de l’emporter s’il ne se tait pas.

Le cocu paraît, déguisé en Turc, avec un turban de chiffons verts, des babouches merde-d’oie, et un masque de carnaval. Et il profère la menace, d’une voix caverneuse.

Comme de raison, le môme crie de plus belle. Alors, la coquine le berce dans ses bras, le console, et dit, en le baisottant :

— « Va-t-en, méchant Turc, l’enfant n’est pas à toi ! L’enfant n’est pas à toi, par les cornes de Mahomet ! »


26. — LE COCU BÉNÉVOLE[29]

Il y avait, à Schaffhouse, un tondeur, qui avait une femme noiraude et piquante. Un soir, il rentre un peu plus tôt que de coutume, et trouve sur son Espagnole un jouvenceau déculotté. Alors, il dit, d’un ton doux :

— « Cher ange, tu aurais pu, au moins, fermer la porte à clef. C’est moi qui vous ai vus. Ça ne fait rien. Mais, quel scandale si un de nos voisins vous avait surpris ! La prochaine fois, sois plus prudente ! »

Et il reconduit poliment le jouvenceau.


27. — L’HÉRÉTIQUE PUNIE ![30]

Une riche bourgeoise, qui avait la plus belle peau du monde, faisait une cure à Wildbad. Un curé, qui la dévorait des yeux, se demande pourquoi cette jolie femme qui se porte comme un moine fornicateur, prend ainsi les eaux. Il interroge la servante. Celle-ci répond, les mains jointes, les paupières baissées :

— « Madame meurt d’envie d’avoir un enfant. Le médecin lui a conseillé les eaux. »

— « Bah ! je connais maint étudiant de Tübingen et maint chanoine de Stuttgart qui feraient bien mieux son affaire. Il y a aussi de vigoureux instruments de fécondation dans tous les couvents du pays. Peut-être ta maîtresse a-t-elle un faible pour les prêtres séculiers : en ce cas, je suis en mesure… »

Et il exhibe une mentule de taureau.

La soubrette tâte machinalement, des deux mains, ce qu’on lui tend, et reprend, les paupières closes :

— « Hélas ! Monsieur le curé. Nous avons tout essayé, mais rien n’y a fait ! »

— « Voyons ! Voyons ! mon enfant. Il faut recommencer l’opération souvent et par tous les chemins ! »

— « Vraiment, Monsieur le curé ? Mais, c’est le système de Madame, et il me semblait, à moi, que c’était pour çà que son ventre n’enflait point ! »

28. — L’HYPOCRITE DÉMASQUÉ[31]

Un hobereau de ma connaissance posait pour la vertu. Un soir, il reçoit à souper beaucoup de gentilshommes du voisinage. À force de bâfrer et de humer le piot, le braquemart lui démange. Il appelle un valet, et lui souffle à l’oreille :

— « Procure-moi discrètement une jeune paysanne bien grasse, pour la nuit. Quand tu l’auras amenée, reviens, et dis-moi que le renard est là. Si tu n’as rencontré, au village, personne de bonne volonté, dis que le lièvre est là. »

Le valet s’acquitte de la commission, choisit la gouge, l’essaye en route, dans la carriole, et revient. Malheureusement, il a oublié ce que signifient le renard et le lièvre, et il se plante, bouche bée, devant son maître :

— « Eh bien, Hans, est-ce le renard ou le lièvre qui est là ? »

— « Pardieu ! Je ne sais pas si c’est un renard ou un lièvre, mais la putain est en bas, dans l’écurie ! »

Je vous laisse à penser si les gentilshommes daubèrent sur l’hypocrite démasqué.


29. — LE COCHON QUI PARLE[32]

La femme d’un boulanger passait la nuit, comme d’habitude, avec son jeune amant.

Cette fois, ils oublient l’heure. Soudain, l’adolescent se lève en sursaut, court à la fenêtre, écarte le rideau, et aperçoit le boulanger tout blanc, qui revient du four, son gros bâton à la main.

Il n’y a pas une minute à perdre.

La femme dit :

— « Cache-toi dans l’étable à cochons ! »

Le boulanger rentre. Il monte l’escalier.

Mais il s’arrête, entendant un bruit de paille remuée :

— « Qui est là ? »

Le jouvenceau imite, assez bien, ma foi, le grognement du cochon. Mais le boulanger insiste :

— « Qui est là ? »

Alors, le jouvenceau, désespéré, s’écrie, d’une voix épouvantable de pourceau à l’agonie :

— « Je ne suis qu’un pauvre cochon ! » Heureusement, le boulanger est un paroissien d’une piété exemplaire. Le voilà terrifié ! Il croit qu’un de ses cochons se trouve possédé du diable, il redescend l’escalier quatre à quatre, et il se sauve à travers la campagne, en faisant force signes de croix.

Là-dessus, les amants, qui rient de bon cœur, se baisent encore un coup, avant de se séparer en paix.

30. — LE MESSIE DES JUIFS[33]

On m’a conté ceci, pendant un voyage en Bohême :

Un Chrétien du pays avait pour maîtresse une jeune fille juive. Il la chevaucha si vaillamment qu’il l’engrossa.

La vierge devient énorme. Sa mère va tout découvrir. Le Chrétien a l’idée d’un stratagème.

Par une nuit de pleine lune, on heurte à la porte des parents de l’engrossée. Le vieux Juif et la vieille Juive se penchent à leur fenêtre. Ils aperçoivent un fantôme blanc, qui a des ailes palpitantes et un diadème d’or. Le fantôme vocifère :

— « Écoutez, ô fils d’Israël ! Je suis l’ange Gabriel, et je parle au nom de Iaveh, notre Seigneur. Votre fille, qui ne connaît point d’homme, a conçu, par l’ouvrage de l’Esprit-Saint. Elle est bénie entre les femmes. Elle enfantera le Messie authentique, celui que tout Israël attend ! »

Le vieux Juif et la vieille Juive tombent à la renverse.

Dès le lendemain, on annonce la bonne nouvelle aux voisins, qui la répandent à travers le pays. Bref, la délivrance approchant, tous les Juifs de la Bohême arrivent en pèlerinage à la résidence de leur sainte vierge. Les principaux rabbins entourent le lit, en marmottant des prières.

Alors, à la grande joie des Chrétiens, la garce accouche… d’une fille !


31. — L’AMOUR AU COUVENT[34]

Un personnage qui vit encore, et qui jouit de la considération générale, m’a conté ce mot, qui résume la vertu des moines :

J’étais en visite dans un couvent d’hommes. Causant avec les novices, je leur demandai, en badinant, s’ils n’avaient pas à leur disposition des mignonnes de couchette. Alors, le plus jeune du troupeau :

— « Non ! Pas encore. La règle le défend. Elle ne permet les concubines qu’à ceux qui ont fait profession. Quand nous serons pères, nous forniquerons à notre tour, en con. Pour le moment, je suffis à mes chers frères ! »


32. — L’IMPUISSANT[35]

Une jouvencelle avait pris un nouvel amant, au cœur de l’hiver. Il gelait à pierre fendre.

On se mit au lit. Mais le doux manège n’aboutissait pas. La coquine avait beau s’escrimer de la main, de la langue et des doigts du pied gauche, l’engin du cavalier ne faisait que mollir.

L’hôtesse était bonne fille. Voyant le garçon tout penaud, elle essaye de le consoler :

— « Ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. C’est la faute du froid. »

— « Hélas ! non. Au mois d’août, pendant la canicule, ce paresseux-là ne s’échauffe pas davantage ! »


33. — L’ANCIEN BARDACHE[36]

Un gentilhomme, qui venait de se marier, se rendait à Spire, pour voir l’évêque, en compagnie de son beau-père.

Chemin faisant, nos deux voyageurs demandent le logis pour la nuit à un hôtelier qui n’a plus qu’un seul lit de disponible. Les voilà obligés de coucher ensemble.

Ils s’endorment. Soudain, le gentilhomme, rêvant qu’il accole sa femme, enlace son beau-père et commence à mettre dans le noir. Alors, le barbon, qui fut le favori des bougres dans sa jeunesse, l’interrompt en ces termes :

— « Je t’en prie, mon gendre, laissemoi ! Ce n’est plus de mon âge. Après tout ma fille n’a-t-elle pas aussi le permis de derrière ? »

C’est le gentilhomme qui m’a conté l’aventure.


34. — LE PÉCHÉ DE RÉSISTANCE[37]

Un Franciscain, moine mendiant de son métier, recevait l’hospitalité dans un couvent de filles.

Le bon apôtre parle avec tant d’onction, prodigue des exhortations si pénétrantes à la vertu et à la chasteté perpétuelle en Jésus, que ces fines mouches de nonnes, affectant un mystique enthousiasme, le font coucher dans leur dortoir.

Une demi-heure se passe. Tout à coup, les nonnes, bien éveillées comme vous pensez, entendent le Franciscain s’écrier, d’une voix claironnante :

— « Non ! Non ! Non ! Je ne ferai pas cela ! Je ne ferai pas cela ! Je ne ferai pas cela ! »

Les nonnes, aguichées, sautent à bas du lit, en chemises courtes et mal closes, rallument toutes les chandelles, et s’empressent autour du moine à trogne écarlate, qui a rejeté sa couverture, et montre négligemment un priape de belle taille.

Trente paires d’yeux féminins brillent de convoitise.

L’abbesse demande au frocard ce qu’il a. Le Franciscain répond, de sa voix melliflue :

— « L’ange Gabriel m’apparaît en songe, et m’ordonne de connaître la plus jeune de vos nonnes, afin qu’elle enfante à l’Église un évêque. Mais je refuse, par pudeur et par fidélité à mes vœux. »

L’abbesse reprend :

— « Mon père, il faut obéir à l’ange du Seigneur. »

Puis, elle amène, entièrement nue, la plus jeune des nonnes, qui se cachait en rougissant derrière ses compagnes. La pieuse adolescente ne fut encore initiée qu’à la douce étreinte de corps semblables au sien. Le moine s’évertue vainement à sourire. Sa trogne, et surtout l’engin perforant qu’il darde effrayent la pucelle, qui pleure et se débat.

Alors, toutes les autres nonnes, l’abbesse en tête, s’offrent pour la remplacer. Mais le Franciscain demeure inflexible :

— « L’ange Gabriel a dit « la plus jeune. » Là-dessus, l’abbesse menace la récalcitrante de flagellation majeure, et d’un séjour de trois mois dans l’in-pace du couvent, tant et si bien que la pucelle se résigne.

Le Franciscain enlace la novice tremblante, la rassure, la lutine, la met en position, peu à peu, avec des lenteurs d’artiste en amour. Puis, brusquement, il la pénètre, d’un seul coup de reins.

Un cri déchire l’air du dortoir.

Les nonnes, retroussant leur chemise jusqu’aux épaules, dansent une ronde autour du lit nuptial, et se recouchent ensuite, deux à deux.

Neuf mois après, la novice accouche d’une fille.

Les nonnes, y compris la jeune mère, ne font que rire de ce dénouement. Cependant, l’année suivante, le Franciscain se trouvant de nouveau l’hôte du couvent, l’abbesse l’interroge, pour voir ce qu’il imaginera. Le moine mendiant réplique aussitôt :

— « La déception de sœur Agnès est un châtiment céleste. Sœur Agnès ne s’est pas inclinée tout de suite et de bonne grâce devant la volonté du Seigneur. Elle a commis le péché de résistance. Dieu l’a punie en féminisant le futur évêque dont votre serviteur l’avait ensemencée. »

Sœur Agnès ne joue plus les mijaurées. Elle embrasse le Franciscain.


35. — L’INSTRUMENT DE JOIE[38]

Il y avait une fois, dans le pays souabe, un comte puissant et renommé, qui était le plus gaillard compagnon du monde.

Un beau matin, partant seul pour la chasse, il rencontre une jeune paysanne, montée sur une jument poussive. La jolie fille chante gaiement. Le comte l’interpelle :

— « Bonjour, mignonne ! Tu es gaie comme une alouette. On dirait que tu sors de ta nuit de noces ! »

— « Ça égaye donc, de recevoir, pour la première fois, le bâton viril ? »

— « Oh, oui ! Et même si ce n’est pas la toute première fois. Si tu veux… »

Alors, la jeune paysanne, ignorant la qualité du personnage :

— « Non, mon brave ! Fourre plutôt ton braquemart entre les fesses de ma jument qui ne marche pas ! Ça la ravigotera, et elle me ramènera plus vite à la maison. »

— « Bien répliqué ! » s’écria le comte, et il laissa la jolie fille passer en paix son chemin.

36. — PRIX DE FAVEUR[39]

Un bourgeois de Tübingen faisait une visite nocturne à la femme d’un de ses concitoyens. Tout à coup, on heurte à la porte : c’est un curé, à qui la gaupe a donné rendez-vous, par erreur, pour cette même nuit.

La trogne du frocard effraye le bourgeois, qui se sauve tout en haut de la maison, et se cache dans le pigeonnier.

Deux heures après, voilà que le mari arrive à son tour. Le curé se blottit dans le poële.

Le mari n’est pas un jaloux bien farouche. Il feint de n’avoir rien vu, et dit à sa femme avec des sanglots dans la voix :

— « Hélas ! Ma mie ! j’ai perdu au jeu trois florins ! »

— « Pendard ! Et qui te les rendra maintenant ? »

— « Celui qui est au-dessus de nous ! »

Le cocu volontaire est au courant des relations de sa femme avec le bourgeois, et il sait que le galant doit être caché quelque part, dans le grenier. Mais il joint pieusement les mains en levant les yeux, comme s’il entendait parler du Père Éternel.

Le Tubinguois comprend. Il dégringole de son pigeonnier, quatre à quatre, exhibe sa bourse, et dit :

— « Je paye la moitié de la somme, à la condition que le curé, qui est là, dans le poële, paye le reste ! »

Alors, tandis que la femme rit à gorge déployée, les deux hommes tirent du poële, par les chevilles, le curé quasi-mort de peur, et le raniment à grand renfort de coups de pieds au cul.

Le bourgeois se venge de la crainte que lui inspira tout à l’heure ce frocard enluminé, à taille de reitre. Quant à celui-ci, conquérant naguère, il tremble maintenant de tout son corps, et baisse la tête, car son évêque ne plaisante pas en matière de mœurs, et il redoute une dénonciation motivée.

Le mari complaisant dit au bourgeois :

— « Tôpe ! Donne-moi un florin et demi ! »

Le bourgeois s’exécute.

Le mari se tourne vers le curé, qui marmotte des patenôtres, à genoux dans un coin :

— « Pour les ecclésiastiques, c’est plus cher ! »

Là-dessus, le bourgeois tire ses grègues, mais le mari et la femme ne laissent point partir le curé sans l’avoir plumé complètement.


37. — CITATION MALICIEUSE[40]

Une bonne sœur est en train de se confesser :

— « Mon père, j’ai mis sur moi, de temps en temps, une jupe étrangère, »

— « Ça ne fait rien. Mais, qu’y avait-il dans la jupe ?

— « Un moine ! »

— « Alors, ma fille, tu as commis un péché hideux ! Garde-toi d’une pareille jupe comme du Turc ou de la peste ! Le moine est tout immondices, et son contact souille. »

— « Bah ! Les nègres ne se noircissent pas entre eux. »

— « À ton aise, ma fille ! Tu es une putain. Reste putain, puisque le con t’en dit ! »

— « Es-tu donc sans péché, pour me jeter ainsi le premier la pierre ?[41] »


38. — DISTINGUONS ![42]

Trois bonnes sœurs vont à confesse. La première balbutie :

— « Mon père, j’ai mis un couteau étranger dans ma gaine. »

Le frocard ne comprend pas ce qu’elle veut dire, mais il réfléchit que les femmes superstitieuses voient souvent un péché dans une bagatelle, et il prononce la formule d’absolution.

La seconde bredouille :

— « Mon père, j’ai mis deux couteaux dans ma gaine. »

Le frocard prononce encore la formule d’absolution.

La troisième bégaye :

— « Mon père, j’ai mis trois couteaux dans ma gaine. »

Le frocard finit par se méfier :

— « Ouais, ma fille ! Et quel mal y a-t-il à cela ? »

— « C’est que, mon père… je suis restée seule… avec trois hommes ! »

Le frocard constate qu’on s’est payé sa tête. Il refuse la troisième absolution, et court après les deux premières pénitentes, en criant :

— « Écoutez-moi, putains ! Vous avez trop d’esprit ! Votre absolution ne compte pas. Vous avez triché en vous confessant : Couteau et vis font deux ! »

39. — UNE VENGEANCE DE COCU[43]

Un cordonnier soupçonnait sa femme. Un beau matin, il fait semblant de partir pour la foire, avec un ballot de souliers et de sabots sur le dos. Mais, à peu de distance du village, avisant une petite église abandonnée, il s’y décharge de son ballot, l’ouvre, met sa marchandise en lieu sûr, dans un coin sombre, et remplit sa toile de pierres, à la place. Puis, il rentre à pas de loup dans sa chaumière, et s’embusque au grenier.

La femme, croyant son mari parti pour la foire, s’est hâtée de prévenir l’amant dont c’est le jour, le curé en personne. Elle lui a fait dire de vite la rejoindre : une honnête commère a peur, quand on la laisse seule au logis ; il lui faut un protecteur bien armé, et prompt à jouer du gourdin.

Le curé est en retard. Il arrive enfin, suant, soufflant. Le voilà, au bas de l’escalier.

La femme paraît au haut de l’escalier :

— « Pourquoi viens-tu si tard ? Je m’ennuyais d’attendre. Mon butor de mari est à la foire. Dépêchons-nous ! »

— « Pardon, mignonne ! J’étais en train de semer de l’orge. »

La garce, qui est en chemise, la retrousse jusqu’au nombril, montre son con abondamment velu, et reprend :

— « Que Dieu bénisse ton champ ! Puisses-tu récolter autant de grains d’orge que j’ai là de poils follets autour de ma fente amoureuse ! »

Le curé tire son vis, énorme et rouge, en répliquant :

— « Ce n’est point assez ! Je demande au ciel des épis aussi gros et aussi longs que ce braquemart, dont tu vas faire, six fois de plus, la connaissance. »

Et, malgré sa corpulence, le curé bondit à l’assaut.

Mais alors, le cordonnier sort de sa cachette, et lapide le couple en criant :

— « Attrapez ! Et toi, pourceau de confessionnal, que Dieu te punisse, lui aussi, de ta paillardise, en ravageant ta moisson avec une grêle de ce calibre-là ! »

Suivant Brassicanus[44], qui m’a conté cette historiette véridique, notre cordonnier les assomma si bien qu’ils ne purent foutre de toute une semaine.


40. — FRANCHISE DE NONNE[45]

Une religieuse avait forniqué, dans un même dimanche, par devant et par derrière, avec un évêque, un jardinier, et un moine mendiant.

Le soir, elle s’asperge d’eau bénite, cette opération passant pour abolir les péchés de la journée. Elle recommence, en criant :

— « Lave-moi de mes péchés ! Lave-moi ! »

Puis, se croyant seule, elle relève sa jupe, montre ses deux pertuis, et les asperge plus abondamment, à des reprises plus nombreuses, en criant plus fort :

— « Lave-moi ce con, lave-moi ce cul ! Ce sont eux, les pires coupables ! La bouche n’a fauté qu’une seule fois ! »


41. — NE RÉVEILLONS PAS TROP LE CHAT QUI DORT ![46]

Un sacristain, nommé Allewelt (Tout le Monde), exerçait son métier dans un couvent de filles. Malheureusement, les nonnes affectaient de se suffire à elles-mêmes.

Émoustillé par le printemps, Allewelt a une idée : profitant du ramonage, il guette l’instant où l’abbesse, le nez dans un poële, examine l’ouvrage fait, introduit sa tête dans l’orifice opposé du tuyau, et clame, d’une voix d’ange annonciateur :

— « Nonnes, écoutez le commandement du Seigneur ! Et toi, l’abbesse, reviens, cette nuit, à la même place ! »

L’abbesse tombe à genoux. Les nonnes aussi.

Voici la nuit. L’abbesse se remet en position, le nez dans le poële. Toutes les nonnes, en chemise, attendent, blotties, par couples, au fond de la salle immense. L’obscurité est complète. L’abbesse dit :

— « Parle, ange du Seigneur ! Tes servantes écoutent. »

Le sacristain répond, la tête dans le tuyau :

— « Le Seigneur veut que tout le monde couche avec vous ! Il faut obéir, dès demain. Allez en paix ! »

L’abbesse, la prieure et les plus anciennes d’entre les nonnes passent le reste de la nuit à délibérer. Il s’agit sans doute de donner naissance à un évêque, ou à un Pape. Mais le Seigneur est trop bon pour imposer à ses pieuses servantes le coït de tous les mâles d’ici-bas. Il doit y avoir, dans les paroles de l’ange, un sens caché.

Une voix mutine s’écrie :

— « J’ai trouvé ! »

C’est la plus jeune des nonnes qui prennent part au conseil. Elle s’explique :

— « Notre digne sacristain se nomme Allewelt (Tout le Monde). Quelque chose me dit »…

L’abbesse, la prieure et toutes les nonnes battent des mains :

— « Ça y est ! Dieu a choisi Allewelt pour procréer en l’une de nous le Pape idéal ! Commençons à nous dévouer ! »

Là-dessus, l’abbesse mande le sacristain, révèle à ce rusé paillard, qui ouvre de grands yeux, la glose de la jeune sœur, puis le mène dans la chambre des prélats visiteurs, et l’invite à se déshabiller.

L’abbesse passe la première, comme il sied à son rang. Elle reste une heure en compagnie d’Allewelt. Elle dit, à son retour :

— « L’élu du Très Haut m’a réjoui le cœur par ses exhortations réitérées. »

La prieure a le numéro deux. Elle reste une demi-heure en compagnie d’Allewelt. Elle ressort, en chantant :

— « Dieu vivant, nous louons ta puissance ! »

Le numéro trois et le numéro quatre reçoivent la manne céleste, à leur pleine satisfaction.

Mais le sacristain déchante. Il n’en peut plus. Il ouvre la porte, montre sa lassitude, et supplie :

— « Assez pour aujourd’hui ! La suite à demain »…

Vaine prière. Le couvent est en chaleur. Une troupe de nonnes toutes nues s’engouffre dans la chambre miraculeuse.

Allewelt en mourut.


42. — UN TOUR DE FRANÇAIS[47]

La France est une nation de fins matois.

Un beau jour, à Pavie, un de ces Français emprunte à un bourgeois cent florins, et lui remet en gage une chaîne d’or.

Là-dessus, notre Français va trouver la femme du prêteur, jouvencelle fort appétissante, et lui dit :

— « Je t’aime. Ton mari est absent jusqu’à demain. Prends les cent florins que voici, et laisse-moi veiller cette nuit, en ta gracieuse compagnie ! »

L’argent est un corrupteur irrésistible. La belle consent. Le Français passe une nuit charmante.

Le lendemain, vers midi, le bourgeois revient des champs. Alors, notre coquin de Français, qui sort du lit de la grasse Lombarde, se présente chez son prêteur, et, d’un air innocent :

— « Rends-moi ma chaîne d’or. J’ai remboursé tout à l’heure à ta femme les cent florins. »

La jouvencelle, qui ne tient pas à recevoir un coup de stylet au cœur, se garde bien de dire à son jaloux les contingences du remboursement.

Le malin Français empoche sa chaîne d’or, tire sa révérence, et part en riant sous cape : il a eu pour rien la plus jolie femme de Pavie !


43. — LE PASSE-PARTOUT[48]

Une jeune paysanne se confesse :

— « Monsieur, le curé, j’ai perdu mon pucelage ! »

— « Ma pauvre enfant ! Quelle catastrophe ! Avais-tu donc oublié mon sermon de dimanche dernier ? N’avais-je pas expliqué que les vierges portent des couronnes d’or et de pierreries dans le royaume des cieux, que la virginité est le plus riche trésor de la femme, et que Dieu protège ce trésor avec une serrure merveilleuse ? »

— « Parlons-en, de votre serrure ! Tous les gars de mon village en ont la clef ! »

44. — L’ABREUVOIR DES PUCES[49]

Un cordonnier de la Reichenau était grand diseur de bons mots.

Un matin que plusieurs nobles dames se trouvent réunies dans son échoppe, il lève son gros nez de dessus le cuir, et pose gravement cette question :

— « Savez-vous pourquoi les hommes ont moins de puces que les femmes ? »

— « Non ! Mais nous serions curieuses de l’apprendre ! »

— « Promettez-moi, chacune, un cochon de lait, et je vous instruirai ! »

— « Tôpe ! »

— « Eh bien ! C’est parce que le sang donne soif, et que, chez les hommes, les puces ne rencontrent pas d’eau fraîche pour se désaltérer. Au contraire, chez les femmes, elles ont à leur disposition, sous une cressonnière, un amour de ruisseau ! »

45. — LA MORTE VIVANTE[50]

Un gars de village se confesse :

— « Monsieur le curé, j’ai couché avec une nonne ! »

— « Quelle abomination ! Satan est en toi, vil séducteur ! Ignores-tu donc que nos saintes religieuses, contemplatrices de la perfection divine, sont mortes au monde ? »

— « Oh ! Monsieur le curé ! Pour une morte, elle frétillait diablement ! Il me semblait avoir, tantôt sous moi, tantôt sur moi, trois ou quatre putains séculières ! »


46. — À CHEVAL SUR LES PRINCIPES[51]

Un frocard mendiant, qui arrive d’Italie, entre au couvent de Horburg en qualité de prieur.

Alors, suivant la coutume de son pays, il installe dans sa cellule une concubine grassouillette, et la nourrit aux frais de la communauté.

Un peu par vertu, et beaucoup par avarice, les moines protestent. Alors, l’italien réplique, sur un ton de dignité offensée :

— « Pas de prieur sans concubine. C’est, dès la plus haute antiquité, une prérogative de l’emploi. Vous violez la règle à mon détriment. Je ne peux pas tolérer ça ! »

La nuit suivante, il décampait, laissant la fille, mais emportant la caisse.


47. ― MAQUEREAU SANS LE SAVOIR[52]

Une commère était amoureuse d’un jouvenceau, nommé François.

Ne pouvant le joindre en particulier, et n’osant pas l’aborder en public, elle s’avise d’une ruse. Elle se confesse à un moine qui habite près du logis de l’adolescent :

— « Mon père, votre jeune voisin, ce François, ne cesse pas de se promener sous ma fenêtre et de me faire les yeux doux. J’ai peur qu’il ne me compromette. Mon mari ne plaisante pas. Je vous en prie, dites à François de ne plus s’occuper de moi, et de m’oublier ! »

La friponne espère que les exhortations du moine inspireront au mignon l’idée de se rapprocher d’elle.

Le bon moine s’acquitte de la commission, et morigène François. Celui-ci, devinant une ruse de femme, écoute la gronderie d’un air contrit, malgré son innocence. Mais il ne donne pas signe de vie à son amoureuse.

Alors, la commère achète une ceinture d’or et des bijoux, mande le moine, et se plaint en ces termes :

— « Voyez, mon père ! Cet impertinent de François a eu l’audace de m’envoyer tout cela. Mais je ne veux pas me laisser corrompre. Je vous en supplie rendez-lui ses cadeaux sataniques ! »

Le bon moine s’acquitte, une seconde fois, de la commission. Il chante pouilles à François, et le menace des chaudières éternelles.

François, qui est puceau, hésite encore à se rapprocher de la belle.

Sur ces entrefaites, le mari, un marchand, part en voyage, au-delà des mers. L’amoureuse mande à nouveau le moine :

— « Mon père, c’est affreux ! Imaginez-vous qu’hier soir, ce monstre de François a grimpé sur le cyprès qui est devant ma fenêtre, et a sauté de là sur mon balcon ! Je n’ai eu que le temps de fermer les volets. Je vous en conjure, au nom de la Sainte Vierge, dites-lui qu’il faut que ça finisse ! »

Le bon moine s’acquitte, avec la plus grande naïveté, de cette troisième commission.

Alors, notre puceau s’enhardit : le soir même, il grimpe sur le cyprès, et trouve la fenêtre ouverte.

48. — INADVERTANCE[53]

Une bande de frocards sont en train de souper chez le curé de Blaubeuren. Il y a beaucoup de gobelets d’argent sur la table. Un curé pauvre est au nombre des convives. Quelqu’un l’interpelle :

— « Tu vois cette vaisselle ? Ce n’est pas toi qui pourrais en montrer de la sorte ! »

Le tonsuré maigre se fâche :

— « Par les deux cornes de Mahomet, si j’avais autant de gobelets précieux que d’enfants, j’en aurais au moins huit ! »

C’est Wolgang Richard[54] qui m’a répété le mot.

49. — ANACHRONISME[55]

Les grossièretés et les bévues des prêcheurs ignorants ne se comptent plus. En voici une, de taille.

Un de ces malotrus raconte en chaire la chute de nos premiers parents :

— « D’abord, Adam refusait de mordre dans la pomme. Alors, Ève lui fit la grimace, et le persuada en lui criant : « Mange, cornard, ou, sinon, je te quitte, et j’entre au bordel ! »


50. — LAIDEUR N’EST PAS VERTU[56]

Deux femmes se querellaient devant moi.

La plus âgée dit :

— « Tu es une putain ! »

La plus jeune rétorque :

— « Je le confesse, mais toi, tu voudrais bien être à ma place, et tu enrages d’être si laide qu’il te faut payer jusqu’aux moines pour être foutue ! »


51. — SAGESSE POPULAIRE[57]

Quelles sont les choses les plus rares du monde ?

— « Une jouvencelle sans amoureux, une foire sans voleurs, un vieux Juif sans argent, une vieille grange sans souris, une vieille fourrure sans poux, un vieux bouc sans barbe, et une vieille nonne sans dévotion. »


52. — UNE OCCASION MANQUÉE[58]

Une fille de mon village se laissait volontiers prendre le cul.

Un matin, elle ramène, en compagnie d’un beau gars, un cochon que son père vient d’acheter au marché d’Ehingen.

Le chemin traverse une forêt. Le jouvenceau dit :

— « Ma mie, nous sommes fatigués. Reposons-nous un moment derrière ce buisson. Personne ne nous verra. »

La fille refuse, désirant se faire un peu prier.

Contre son attente, le jouvenceau n’insiste pas.

Le trio se retrouve en rase campagne. Alors, la fille, à qui le con démange :

— « Tout de même, si on se reposait un instant… Mais, où attacher le cochon ? »

Ces derniers mots sont restés plusieurs années à l’état de proverbe, dans mon pays.

53. ― CE QU’ON FAIT SUR LE FOIN[59]

Une autre fille, beaucoup plus jeune, se confessait :

— « Monsieur le curé, j’ai été sur le foin avec des hommes. »

— « Et qu’y as-tu fait ? »

La garce éclate de rire :

— « Fi donc, Monsieur le curé ! Vous ne savez pas ce que vos paroissiens font avec toutes les filles du village, sur le foin ? »


54. — LES VŒUX DU FRANCISCAIN[60]

Un frère mineur, ou, comme on dit, un moine de la non-observance de Saint François, faisait bonne chère, à Tübingen, en notre compagnie.

Égayé par Bacchus, notre Franciscain raconte son histoire : il s’est trouvé à la guerre de Vérone, avec l’empereur Maximilien, et il brûle de retourner au camp. Puis, il nous décrit ses paillardises et ses bougreries, en détail. Je l’interromps :

— « Mon frère, je croyais que vous aviez fait vœu de chasteté »…

— « Taisez-vous, et regardez-moi vos laïques : le théologien n’est qu’un ivrogne, un fornicateur ou un ladre ; le jurisconsulte est l’injustice personnifiée, et le médecin ne sait pas se guérir soi-même quand il tombe malade. Au surplus, voici mes trois vœux : j’ai juré la pauvreté… au bain, l’obéissance… à table, et la chasteté… à l’autel ! »


55. — ÉPIGRAMME[61]

Tu es un excellent homme. Tu n’as point ton pareil ici-bas. Tu possèdes une foule de qualités particulières : seule, ta femme est publique !

56. — RECETTE INFAILLIBLE[62]

Veux-tu vivre heureux, et en bonne santé ?

Fais-toi saigner une fois par an, va au bain deux fois par mois, mange et bois deux fois par jour, dors toute la nuit, et laboure ta femme une fois par semaine.


57. — PRISE AU PIÈGE[63]

Encore une anecdote de Brassicanus.

Un riche paysan vient de marier sa fille. Au moment où le gendre va dénouer la ceinture de l’épousée pudique et rougissante, il se ravise, et saute à bas du lit. L’épousée s’étonne :

— « Que fais-tu, mon chéri ? »

— « Je vais chercher un coin et un marteau pour ouvrir ton nœud virginal ! »

Alors, la sotte prend peur du bout de bois, met ses bras autour du cou du fin matois, et lui dit naïvement :

— « Ce n’est pas la peine. Il n’y a pas besoin de pareils instruments. L’année dernière, notre valet de ferme s’est frayé le passage sans coin ni marteau ! »


58. — L’HEURE DE VÉNUS[64]

Une noble dame avait invité pour la nuit un solide butor de paysan. Elle comptait sur de nombreux assauts, lents et profonds. Mais l’animal aima mieux ronfler. Enfin, au petit jour, il se réveille et remue dans le lit. La noble dame, qui ne dormait que d’un œil, croit que l’instant du bonheur est arrivé :

— « Viens dans mes bras, mon mignon ! c’est l’heure de Vénus ! »

— « Oh, non ! Il faut que je me lève pour chier ! C’est mon heure habituelle ! »

59. ― LE VÉGÉTARIEN MALGRÉ LUI[65]

Nous avons un proverbe qui dit : « Mange aussi du légume ! » Cela s’applique aux gloutons qui se jettent sur la viande, et laissent le légume. Mais ce proverbe est de facétieuse origine. Voici l’anecdote :

Une mère, qui vient de marier sa fille, interroge la pieuse enfant :

— « Es-tu contente de mon gendre ? Vous amusez-vous bien, la nuit ? T’a-t-il enseigné de nouveaux passe-temps ? »

— « Oh non, maman ! Il me caresse le con avec la main : voilà tout ! »

— « Le polisson se moque de nous. Il te prend pour une sotte. Ce soir, s’il continue son petit jeu de la main, crie : « Miaou ! Miaou ! » Il te demandera : « Que veut le chat mignon ? » Tu répliqueras : « Un morceau de viande ! » Et alors, s’il n’est pas eunuque, il faudra bien qu’il se serve d’un autre instrument, et qu’il t’initie au saint mystère du mariage. »

— « Oui, maman ! »

Le jeune ménage se met au lit. Le mari essaye de continuer sa plaisanterie. Mais la mariée obéit à maman. Alors, le mari, qui devine l’intervention maternelle, part d’un éclat de rire, accole sa femme, et fait vaillamment son devoir.

Le nouveau jeu ravit la pieuse enfant. Elle crie « miaou » six ou sept fois par nuit. Le chat mignon n’a jamais assez de boudin.

Le mari commence à se fatiguer. Il achète un concombre, énorme, et le cache sous son oreiller.

La nuit suivante, dès le second « miaou », il glisse le concombre entre les cuisses de l’insatiable, en disant :

— « Mange aussi du légume ! »

Écrit à Leipzig, le 5 juin de l’an du Seigneur 1508, d’après un récit de Jérôme Emser, secrétaire du duc Georges de Saxe.

60. — UNE LEÇON D’ARITHMÉTIQUE[66]

Un paysan avait épousé une pucelle confite en dévotions.

Dix-huit semaines après la noce, la pieuse jeune femme accouche d’un rougeaud qui ressemble étrangement au curé du village.

Notre paysan se fâche, et grogne :

— « Ce garçon ne peut pas être de moi. Je refuse de le reconnaître. »

Alors, le curé et le sacristain endoctrinent le trouble-fête :

— « Mais, malheureux, tu ne sais donc pas compter ? Et les nuits ? Récapitule sur tes doigts : dix-huit semaines diurnes, plus dix-huit semaines nocturnes, cela fait trente-six semaines. Ta sainte femme a porté neuf mois cet ange, et c’est toi qui en es le père ! »

Notre paysan est convaincu. En vain, sa mère proteste :

— « Imbécile ! Ne vois-tu pas qu’on se moque de toi ? Garde ta putain de femme, puisqu’elle a du bien, mais rend le môme à son véritable père ! Regarde-moi un peu cette trogne ! N’est-ce pas notre sac à vin de curé tout craché ? »

Le butor a écouté religieusement la leçon des fripons d’Église. Il n’en démord plus. Il réplique à l’impie :

— « Tais-toi ! Nous ne savons ni lire ni écrire. Ce n’est pas à nous d’en remontrer à des hommes qui parlent latin. En outre, j’ai réfléchi : le temps de la gestation est plus que complet. Dans la saison d’hiver où nous sommes, les nuits sont plus longues que les jours. Il n’y a pas de tromperie possible. Le garçon est amplement de moi ! »


61. — UN HOMME DE PRÉCAUTION[67]

Un natif de la Franconie fait contraste.

Sa femme lui ayant octroyé, après quatre semaines de mariage, deux jumeaux, il court au marché du bourg voisin, achète force berceaux, en remplit sa charrette, et revient en toute hâte au logis.

La commère d’en face lui demande ce que cela veut dire. Alors, notre farceur :

— « Ma femme est une pondeuse tellement pressée ! Si elle continue du même train, j’aurai vite épuisé ma provision ! »


62. — LE POUILLEUX RÉSIGNÉ[68]

Un philosophe de ma connaissance, Monsieur Johannes Curtius, était un petit bout d’homme, qui n’avait que la peau sur les os. Pourtant, il mangeait et buvait d’aussi bel appétit que nos plus gras compagnons.

Un jour, je l’interroge :

— « Comment cela se fait-il, que tu sois si maigre ? »

— « C’est parce que je nourris de mon propre sang des domestiques plus nombreux que ceux de l’empereur romain lui-même ! »

Il entendait par là ses poux, qui le dévoraient. Il les qualifiait aussi de gardiens, et disait qu’ils avaient soin de ne pas le laisser dormir trop longtemps. Quelqu’un lui demandait :

— « Comment peux-tu endurer tant de poux ? »

Il répliqua :

— « Par esprit de charité. Je suis trop pauvre pour donner à manger à mes semblables : alors, je me rattrape en nourrissant les poux, qui sont également des créatures du bon Dieu ! »


63. — LE COUTEAU DE LA PUCELLE[69]

Un jouvenceau menace une fille de lui rendre visite, la nuit suivante, en tapinois.

Elle fait semblant de se fâcher :

— « Prends garde à toi ! Je cacherai un couteau sous mon oreiller, et si tu oses pénétrer dans ma chambre, je t’embroche ! »

La nuit venue, notre amoureux trouve la fenêtre ouverte, comme par hasard, et saute dans la chambre.

La pucelle est au lit, les seins à l’air, et affecte de ronfler.

Alors, le jouvenceau, qui n’est point dupe, enjambe la fenêtre, feignant de repartir. Mais, la coquine se réveille en sursaut, et lui crie :

— « Reste ! J’ai perdu mon couteau ! »


64. — LA CUISINE DE LA BLANCHISSEUSE[70]

Chevauchant au bord du Neckar, notre fleuve souabe, une bande de gentilshommes passe devant des blanchisseuses de la campagne. Elles ont les pieds tout rouges de froid. Un des hobereaux les interpelle :

— « Pourquoi avez-vous les pieds si rouges ? »

Une des paysannes réplique :

— « Parce que nous avons le feu aux talons ! »

Alors, le hobereau tire son bâton de braguette, et reprend :

— « Allume-moi donc, s’il te plaît, ce bout de bois ! »

Mais la paysanne le fait quinaud. Elle relève sa jupe, et crie en lui montrant son cul :

— « Tiens ! Voici ma cuisine ! Descends de ton cheval, et souffle au trou : le feu est éteint ! »


65. — LE MALENTENDU[71]

Un curé, que je connais bien, mais que je ne nomme pas, de crainte de lui faire du tort, était en visite dans un couvent de filles.

On goinfre, suivant l’usage. Tout à coup, notre curé éprouve un besoin terrible de chier. Mais il est fort timide. Il n’ose pas désigner la chose par le mot propre, il cherche une périphrase, il se penche vers sa voisine, déjà d’un âge quasi-canonique, et balbutie :

— « Où pourrais-je accomplir les œuvres de la nature ? »

La vieille nonne comprend l’allusion de travers. Elle croit que notre curé l’invite à la copulation, et elle frétille de concupiscence. Mais elle veut se faire un peu prier. Elle chuchote, en minaudant :

— « Fi donc ! Petit polisson ! »

Le curé, ahuri, sent la catastrophe imminente. Il répète, à plusieurs reprises, tout éperdu :

— « Je vous en conjure ! Il faut que j’accomplisse les œuvres de la nature ! »

La vieille nonne s’est bien assez défendue.

Elle prend le curé par la main, et le conduit dans sa chambre à coucher.

Le malheureux pense être dans un endroit où il pourra enfin se décharger le ventre. Il commence à se déculotter, en disant :

— « Où dois-je accomplir les œuvres de la nature ? »

Alors, la vieille nonne se couche sur le lit, et se met à son aise, des mollets au nombril.

Un éclair jaillit dans l’âme du brave curé. Il s’aperçoit que la coquine l’a mal compris, et, recourant à la périphrase par laquelle les enfants bien élevés désignent, chez nous, l’évacuation des excréments, il soupire, agonisant :

— « Je voudrais cueillir des petites roses… »

La vieille amoureuse devient pourpre de honte. Elle saute à bas du lit, et se sauve.

Le pauvre curé se traîne dans le couloir, en tenant son ventre à deux mains.

Le ciel a pitié de lui. Il rencontre une autre nonne, beaucoup plus jeune, et lui demande, dans les termes les plus populaires, où sont les chiottes. Ses vœux sont alors exaucés, et il peut, enfin, se soulager.

C’est le curé qui m’a conté l’aventure. La vieille nonne ne s’en vanta point.


66. — BATAILLE DE POUX[72]

Je grondais un jour mon vieil ami, le philosophe pouilleux, à cause de ses vêtements pleins de vermine. Il répliqua :

— « Que veux-tu ? J’y suis habitué. À propos, c’est dommage que tu ne m’aies pas accompagné dans le voyage que je viens de faire en Hongrie. Tu aurais assisté à un spectacle admirable. J’arrivais de Strasbourg. Les poux abondent en Alsace, mais ils pullulent au pays des Magyars. Bien vite, une bataille terrible s’engagea, dans mes vêtements, entre la vermine alsacienne et la hongroise. Tu ne le croirais pas, mais ce furent les Hongrois qui gagnèrent : ils sont plus gros, et armés d’une queue crochue. »

67. — LA COMPLAISANCE A DES LIMITES[73]

Un riche marchand, de Vienne en Autriche, avait à la maison une fort belle femme, plusieurs enfants, et, à l’usage de ces derniers, un jeune précepteur.

Notre marchand avait l’âme dévote. Il se levait chaque jour, avant l’aube, et se rendait à la messe du matin, laissant, dans le lit conjugal, une place vide que le jeune précepteur, un étudiant potelé, rose, et bien membru, se dépêchait d’occuper. On mettait les bouchées doubles, on savourait, à fond, chaque minute de cette heure libertine, et le mari, à son retour, trouvait sa femme endormie du sommeil de l’innocence.

Le manège dura des années. À la fin, pourtant, le marchand eut de graves soupçons.

Un soir, la belle est en visite chez sa mère. Alors, se remémorant le proverbe in vino veritas, notre cocu invite le jeune précepteur à souper, le régale, le grise, et lui dit, à brûle pourpoint :

— « Mon garçon, je sais que tu couches avec ma femme ! Si tu avoues maintenant, je vous pardonne à tous les deux, mais, si tu essayes de nier, je te chasse ! »

L’étudiant mignon embrasse les genoux du marchand, et se confesse, dans les moindres détails.

Mais le dévot lui tapote les joues, et le réconforte :

— « Allons ! Allons ! C’était de ton âge ! Continue, mon garçon, continue ! Tout ce que je te demande, c’est de réserver ton braquemart à ma femme, et de ne pas monter sur moi ! »

Pendant quelque temps, la belle et le précepteur ont de la méfiance, et ils s’abstiennent de coucher ensemble. Puis, peu à peu, ils s’enhardissent de nouveau, et recommencent leur manège quotidien.

Le marchand a combiné sa vengeance. Un matin, il fait le malade, reste au lit, et contraint sa femme de le remplacer à la messe.

En partant, la coquine ferme bruyamment les portes et chante pouilles à son mari, de sa voix la plus criarde. Elle espère que son amant se réveillera au tapage, et comprendra qu’il n’a rien à faire, ce matin, dans la chambre conjugale.

Malheureusement, l’étudiant qui avait lu, fort avant dans la nuit, les poèmes de Catulle, dormait comme un loir.

C’est une mouche qui réveille notre amoureux, en lui chatouillant le bout du nez. Il ouvre les yeux, bondit sur ses pieds, se débarbouille, et se glisse, tout nu, dans la chambre de sa belle.

Les rideaux sont tirés. Le rusé cocu a caché sa tête sous les couvertures, et il exhibe seulement une croupe rebondie.

Le précepteur tout nu court à son but, dans la pénombre. Il saute sur le lit, monte à cheval, et attaque le noir. Mais, soudain, le marchand se retourne, sort des couvertures sa calvitie de dévot, administre au pauvret une formidable paire de gifles, et lui dit en ricanant :

— « Ah ! Polisson ! Je t’y prends ! Je t’avais permis de coucher avec ma femme, mais je t’avais défendu d’attenter à ma propre pudeur. Tu l’as voulu : il faut que je me venge, et que je te punisse de tous tes péchés. »

Là-dessus, il empoigne le mignon, et lui inflige d’abord le châtiment que les Athéniens avaient choisi pour les jouvenceaux adultères : tous les raiforts et tous les muges dont Catulle de Vérone menace Aurelius ne sont rien auprès d’un priape de cagot facétieux.

Le pauvret, qui n’a jamais tâté de pareil instrument, gémit à fendre le cœur. Mais le cruel réitère, plusieurs fois, la perforation. Puis, il saisit, dans la ruelle, un gourdin à nœuds, et bat sa victime dos et ventre. Enfin, il lui attache ses hardes en paquet, sur les épaules, et la chasse nue, saignante, avec une gifle supplémentaire en guise de viatique.

68. — LA VESSIE INTARISSABLE[74]

Un ivrogne pissait, par une nuit très noire, sous une pluie battante, à côté d’une gouttière. Confondant le gargouillis et le bruit de son pissat, il resta debout jusqu’au matin, à cette même place : il s’imaginait lâcher toujours de l’eau !


69. — LA FEMME IDÉALE[75]

Dans quel pays trouve-t-on la femme la plus appétissante, et la plus agréable au lit ?

— « Chaque nation a sa spécialité, et produit des putains supérieures en un seul point. La femme idéale serait composite : elle aurait une petite tête de Prague, des seins d’Autriche, un ventre de France, un dos du Brabant, des jambes et des mains à l’instar de Cologne, c’est-à-dire les plus blanches du monde, des pieds des bords du Rhin, un con de Bavière, et un cul de Souabe. Fais la connaissance d’une baiseuse de cet acabit, et tu t’en lécheras les babines ![76] »


70. — LE PORTRAIT D’HÉLÈNE[77]

Donnez-moi une définition de la femme parfaite !

— « La femme parfaite a trois choses dures, trois choses molles, trois choses courtes, trois choses longues, trois choses noires, trois choses blanches et trois choses rouges.

Les trois choses dures sont les seins et le cul, les trois choses molles sont les mains et le ventre, les trois choses courtes sont le nez et les pieds, les trois choses longues sont les doigts et les flancs, les trois choses noires sont les yeux et le con, les trois choses rouges sont les joues et la bouche, les trois choses blanches sont les jambes et le cou. On dit que la belle Hélène réunissait en elle ces vingt et une perfections. »



  1. Livre I, 2. Facetum dictum cuiusdam Judaicæ mulieris.
  2. Livre I, 29. Fabula de adultera.
  3. Livre I, 30. De Lolhardo.
  4. Livre I, 38. Pulchra contentio duarum mulier cularum.
  5. Livre 1, 47. Aliud.
  6. On avait l’habitude de donner du pain sec aux moines mendiants. Les gourmands de la confrérie réclamaient du fromage, en sus.
  7. Livre I, 51. Confessio lancearii seni monacho.
  8. Livre I, 52. De quodam lanceario.
  9. Livre I, 55. De alio sacerdote.
  10. Livre I, 71. De mercatore et nobili.
  11. Livre I, 76. Disputatio Judæi et Christiani.
  12. Livre I, 80. Faceta responsio cuiusdam puellæ.
  13. Livre II, 6. De unoculo.
  14. Livre II, 9. De quadam meretrice faceta.
  15. Livre II, 13. De eodem. (C’est-à-dire, De alio sacerdote rixoso). Ce même curé querelleur est le héros de trois histoires successives.
  16. L’étuve. Les Facéties font des allusions, généralement scatologiques, au massage et à la sudation.
  17. Livre II, 14. De quodam viatore.
  18. livre II, 15. De errore cuiusdam medici.
  19. Livre II, 17. De quodam pulcherrimo vindictæ genere.
  20. Livre II, 22. De Matthia fatuo abbatis Marchtelli cis Danubium.
  21. Livre II, 40. De sacerdote et ædituo.
  22. Livre II, 45. De sacerdote puerum baptisante.
  23. Livre II, 49. De virgine quadam.
  24. Livre II, 51. De partu adultero cuiusdam mulieris.
  25. Philesius, de son vrai nom Matthias Ringmann, était un érudit alsacien. Il naquit en 1482, et mourut en 1511.
  26. Livre II, 57. De puella et amatore historia vera.
  27. Livre II, 58. De virgine Vestali quam rusticus gravidam fecit.
  28. Livre II, 62. De calliditate mulierum historia vera.
  29. Livre II, 66. De viro in adulterio uxorem depræhendente historia.
  30. Livre II, 68. Fabula facetissima de pulchra matrona.
  31. Livre II, 69. Pulchra historia de quodam nobili.
  32. Livre II, 92. Do quodam adultero gruniente more suis.
  33. Livre II, 104. Historia de Judæa filiam pro Messia pariente.
  34. Livre II, 107. De monachis quibusdam.
  35. Livre II, 108. De quodam impotente.
  36. Livre II, 109. De quodam nobili.
  37. Livre II, 113. De fratre minore monialem gravidam reddente.
  38. Livre II, 147. Faccia responsio cuiusdam mulieris.
  39. Livre III, 2. De quodam in adulterio depræhenso vera Historia.
  40. Livre III, 7. De confessione monialis.
  41. Cf. Évangile selon Saint-Jean, chap. VIII, 1-11.
  42. Livre III, 8. De confessione trium Monialium.
  43. Livre III. 16. Fabula Brassicani.
  44. Brassicanus, de son vrai nom Johannes Köl, était un maître de grammaire. Il a publié à Strasbourg, en 1508, ses Grammaticæ institutiones, qui furent réimprimées quatorze fois. On ignore les dates de sa naissance et de sa mort. Il était de Constance.
  45. Livre III, 19. De moniali.
  46. Livre III, 27. De ædituo fabula.
  47. Livre III, 49. Factum cuiusdam Francigenæ.
  48. Livre III, 52. De puella devirginata.
  49. Livre III, 53. Cur pulices plus mulieres, quam viros infestent.
  50. Livre III, 61, De quodam coufitente se monialem cognovisse.
  51. Livre III, 63. De alio (monacho).
  52. Livre III, 67. De astutia mulierum.
  53. Livre III, 68. De sacerdote plures liberos habente Vuolfgangus Richardus.
  54. Wolfgang Richard était médecin à Ulm. Né à Geislingen, le 3 février 1486, il mourut en 1544, à Ulm. On trouve des poésies de lui, çà et là, dans les ouvrages de Bebelius.
  55. Livre III, 70. Alius concionator.
  56. Livre III, 83. De meretrice.
  57. Livre III, 94. Aliud (Proverbium apud Germanos).
  58. Livre III, 95. De puella impudica.
  59. Livre III, 96. De alia puella.
  60. Livre III, 100. De quodam fratre minorum.
  61. Livre III, 104. In currucam.
  62. Livre III, 105. Vita voluptuarii et sani.
  63. Livre III, 118. Facetia de simplicitate sponsæ.
  64. Livre III, 132. De incomposito rustico.
  65. Livre III, 135. Fabula Hieronymi Emser, secretarii Georgii ducis Saxoniæ. Né à Ulm, en 1477, Jérôme Emser avait été camarade de Bebelius à l’Université de Bâle.
  66. Livre III, 136. De eo qui puerum non suum accepit.
  67. Livre, III 139. De eo qui multas cunas emerat.
  68. Livre III, 140. Do pediculoso quodam. Curtius s’appelait, de son vrai nom, Johannes Kurtz de Bürren.
  69. Livre III, 143. De puella quadam.
  70. Livre III, 150. Facetum rusticæ puellæ dictum.
  71. Livre III, 151. De sacerdoti et moniali.
  72. Livre III, 160. De pediculoso.
  73. Livre III, 161. De mercatore et adultera eius uxore.
  74. Livre III, 167. De ebrio.
  75. Opuscula, 1514 : Quæ mulier omnibus naturæ dotibus prædita sit.
  76. Cf. le proverbe italien, cité par Strafforello, I, page 545 : « Una donna per esser perfetta deve avere : anche fiamminghe e spalle tedesche, piè genovese e gamba slava, spirito francese ed andatura spagnuola, bel profilo di Siena e petto di Venezia, occhi di Firenze, capelli d’oro di Pavia, ciglia di Ferrara, pelle bolognese e piccola mano di Verona, della Grecia la nobil movenza, di Napoli i demi, di Roma la dignità e di Milano la grazia. »
  77. Opuscula, 1514 : Ad idem.