Les Entretiens de la grille/Le fleur sous la cloche
J’étois déja Moine, quoique je n’euſſe pas encore dix-huit ans & je quittois Paris pour aller aux environs de Perrone quand étant ſurpris à quatorze lieuës de la neige, je me vis neceſſité de demeurer quelques jours dans le chateau de L… où je fus reçu de deux jeunes ſœurs qui étoient ſeules avec les domeſtiques, la Comteſſe leur Mere étant à la Cour, de la plus obligeante maniere du monde. Elles me regalerent magnifiquement & prirent un ſingulier plaiſir à ma converſation, par ce que je leur en contois des meilleures, ce qui fit qu’elles me ſervoient par tout de fidelles compagnes. Je devins ſi familier avec ces aimables Demoiſelles, qu’elles me contoient de toutes leurs petites parties de divertiſſement avec les jeunes filles de la nobleſſe des environs qui leur venoient ſouvent faire la cour. Il arriva qu’une certaine apres-dinée on joüa à la cligne-muſſette. La Cadette des deux Sœurs extremement vive & d’un âge fort ſuſceptible d’amour affectoit toûjours de ſe cacher ſous la courte-pointe de quelque lit, ce qui faiſoit que j’avois lieu, lorsqu’elle ne branloit pas de donner de certaines petites libertez à mes mains. L’aînée n’étoit pas d’une complexion moins amoureuſe & ſe plaiſoit à eſtre chatoüillée. Aprés nous eſtre échauffez & joüé pres d’une demi-heure je quittay ſecrettement la compagnie & m’allay jetter de laſſitude ſur des chaiſes dans une ſale en bas. Deux d’entre nos Joüeuſes qui me cherchoient à pied & à cheval me ſurprirent-là, & croyant que j’étois endormi ſe reſolurent de m’ôter mon chapeau, de me le cacher & de ne me le rendre que huit jours aprés, pour m’obliger à différer mon voyage. Je les avois entendu complotter enſemble & ſe dire l’une à l’autre, qu’il falloit que toute la compagnie des autres jeunes folles me vit en cette poſture & fuſſent temoins du tour que l’on me vouloit joüer. J’étois couché ſur le dos & j’avois mis mon chapeau plus bas que l’eſtomac, je n’eus pas pluſtôt preſſenti leur deſſein, que je donnay une liberté entiere à je-ne-ſçay-quoy que je couvris de mon chapeau ; Elles arrivent au nombre de ſept ou huit, s’etouffent de rire, s’approchent de moy, voulant que chacune trempât dans la priſe de mon chapeau affin qu’aucune ne pût eſtre accuſée en particulier du larcin. Elles y mettent toutes la main enſemble & l’enlevent avec autant de douceur qu’elles le laiſſerent retomber avec promptitude, lors qu’elles virent toutes, que ſelon qu’il ſe pratique ſur les couches dans les jardins, il ſervoit de cloche à une fleur qu’il étoit à propos de laiſſer à l’ombre.
Cette Hiſtoriette ne deplut pas à la Grille. Elle mit à mes deux Sœurs comme l’eau à la bouche, qui jurerent qu’elles étoient inconſolables de l’empechement qu’on alloit mettre à la ſuite d’un commerce qui les divertiſſoit au dernier point, & qui leur adouciſſoit bien des amertumes dans une privation de cent plaiſirs innocens de cette nature, & me conjurerent de leur donner quelque choſe de bon pour la derniere fois & qui les pût faire eternellement reſſouvenir de la fertilité de mon imagination. Je les aimois trop tendrement pour ne pas contribuer de tout mon poſſible à leur paſſetemps. Entre une infinité d’autres Hiſtoriettes de même eſpece je fis choix de celle-cy que je vas rapporter, par ce qu’elle contient quelque choſe de ſingulier.
L’amour n’eſt pas moins de tous les ſexes, qu’il eſt de tous les âges. Si les Femmes ſemblent ne pas reſſentir ſi vivement ſes éguillons que les hommes c’eſt parce qu’elles ont plus de pudeur, car lors qu’elles ont une fois levé le maſque à la honte, elles ſont plus hardies qu’eux & lors que la paſſion les ſollicite, elles ſont beaucoup plus entreprenantes, n’y ayant ruſes dont elles ne s’aviſent & moyens qu’elles ne mettent en uſage pour remplir leurs deſirs, temoin celle dont je vas conter l’avanture.