Traduction par Victor Courdaveaux.
Didier (p. 378-379).


CHAPITRE II




Sur nos liaisons.

Voici un point auquel il te faut faire attention avant tout: ne te lie avec aucun de tes habitués ou de tes amis d’autrefois, jusqu’à descendre où il en est descendu; sinon, tu te perdras. Si l’idée te vient qu’il te trouvera déplaisant, et qu’il ne sera plus pour toi ce qu’il était auparavant, rappelle-toi que l’on n’a rien pour rien, et qu’on ne peut pas, en n’agissant plus de même, rester l’homme qu’on était jadis. Décide donc lequel tu préfères: ou de garder intacte l’affection de ceux qui t’aimaient auparavant, en demeurant ce qu’auparavant tu étais; ou de ne plus obtenir d’eux la même affection, en devenant meilleur. Si c’est ce dernier parti qui vaut le mieux, il faut le prendre, et sur-le-champ, sans t’en laisser détourner par d’autres considérations. Il n’est pas possible d’avancer, quand on va tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. Si tu as jugé que ce parti valait mieux que tous les autres, si tu veux t’attacher à lui seul, et ne travailler que pour lui, laisse-moi là tout le reste. Sinon, ces tergiversations auront pour toi ce double résultat, que tu ne feras pas les progrès que tu devrais faire, et qu’on ne t’accordera plus ce qu’on t’accordait auparavant. Auparavant, quand tu désirais franchement des objets sans valeur réelle, tu étais agréable à tes amis; mais tu ne peux pas réussir aux deux choses à la fois: il faut nécessairement que ce que tu gagneras d’un côté, tu le perdes de l’autre. Tu ne peux pas, si tu cesses de boire avec qui tu buvais, paraître à ces gens aussi agréable qu’alors. Décide donc ce que tu préfères: ou de t’enivrer et de leur être agréable, ou de leur déplaire en étant sobre. Tu ne peux pas, si tu cesses de chanter avec qui tu chantais, rester aussi cher à ces gens. Choisis donc encore ici le lot que tu voudras. S’il vaut mieux être tempérant et réglé, que de faire dire de soi: « Quel homme agréable! » laisse-moi là tout le reste; renonces-y; détourne-t’en; n’y touche plus. Si ce parti-là ne te plaît pas, donne-toi tout entier au parti contraire: sois un de nos hommes-femmes; sois un de nos coureurs d’aventures; fais tout ce qui s’en suit, et tu arriveras à ce que tu veux. N’oublie pas aussi de trépigner des pieds en acclamant le baladin. Mais on ne peut pas réunir en soi ces deux personnages si différents: on ne peut pas jouer à la fois le rôle de Thersite et celui d’Agamemnon. Si tu veux être Thersite, il te faut être bossu et chauve; si tu veux être Agamemnon, il te faut être beau, et de haute taille, et aimer ceux qui te sont subordonnés.