Les Enfants (Feydeau)

Les Enfants, monologue en vers
Paul Ollendorff (p. 19-10).
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Les Enfants


 
J’entends souvent parler de l’homme
Pour sa supériorité :
Rien le rend-il si lâche, en somme,
Si sot, que la paternité ?
En vérité, je me demande,
Quand je constate les tourments
Qu’il faut toujours qu’on en attende :
À quoi ça sert-il, les Enfants ?

On les adore — eh ! pourquoi faire ? —
Et l’on se voue à leur bonheur !
À quoi bon se river sur terre
Un boulet, de gaîté de cœur ?
C’est le trouble, l’inquiétude,
Un tracas de tous les instants !
Tout, sans espoir de gratitude…
A quoi ça sert-il, les Enfants ?

 
Et l’on subit le magnétisme
Qui vous plie à ce tout petit ;
Est-ce orgueil ou bien égoïsme ?
Devant son œuvre on s’’aplatit.
L’homme est fier de sa créature,
S’en fait l’esclave en même temps…
Et c’est la loi de la nature !
À quoi ça sert-il, les Enfants ?

Ah ! je comprends vraiment la bête
Insouciante à ses petits,
Qui, le temps qu’il faut, les allaite,
Puis, part sans l’ombre de soucis.
Voilà des instincts admirables !
— À l’appui de nos arguments ! —
Que les bêtes sont raisonnables !…
À quoi ça sert-il, les Enfants ?

Puis, se séparant dans la vie,
La bête va de son côté,
Libre au gré de sa fantaisie,
Ignorant sa postérité.

 
Les petits peuvent bien se dire :
« Ça ne sert à rien, les parents ! »
Mais chacun vit comme il désire !…
À quoi ça sert-il, les Enfants ?…

Oh ! toi qui parles de la sorte,
Matérialiste enragé,
Toi, beau parleur, toi, tête forte,
Je voudrais te voir fustigé !
Non, tu n’as jamais été père
Pour tenir ces raisonnements !
En ce disant, es-tu sincère ?
« À quoi ça sert-il, les Enfants ? »

Mais ce sont eux qui font ta vie !
Mais ils sont ta chair, ils sont toi !
Et tout leur être s’associe
À ton être qui fait leur loi.
Puis, lorsque les destins te tuent,
Tu revis dans tes descendants
Car tes Enfants te perpétuent…
C’est à quoi serve les Enfants !

 
Mais tu n’as donc plus souvenance
Que tu fus jeune, toi, comme eux !
Et qu’on fit fête à ta naissance,
À toi qui fais le dédaigneux !
Peux-tu blasphémer ta jeunesse !
Heureux pour toi que tes parents
N’aient pas dit, avec ta sagesse :
« À quoi ça sert-il les Enfants ? »

D’ailleurs, toute parole est vaine :
Preuve que la Maternité,
Est une chose bien humaine…
C’est qu’elle a toujours existé.
Que serait la machine ronde
Avec tes beaux raïsonnements ?
L’Enfant régénère le monde…
C’est à quoi servent les Enfants !

Et c’est partout dans l’existence :
Tu retrouves à chaque pas
Cette bienheureuse influence
Qu’exercent tous ces petits gas :

 
Toi ! quand le trouble est au ménage,
Qui fait cesser les différends ?
L’Enfant, qui chasse le nuage.
C’est à quoi servent les Enfants !

Toi, lorsque le chagrin te ronge,
Que la défaillance te prend,
Souvent tu vois la mort en songe,
Tu veux en finir lâchement ;
Qui t’arrête ? L’Enfant, que diantre !
Lorsque l’on a des garnements,
Cela vous met du cœur au ventre…
C’est à quoi servent les Enfants !

Toi, le philosophe, l’athée,
Le libre-penseur, l’esprit-fort !
Toi qui, d’une âme dégoutée,
Méprises Dieu, la foi, la mort :
L’Enfant pourtant ! voilà ta fibre,
Qui fait tomber tes arguments,
Et, grâce à lui, ta corde vibre…
C’est à quoi servent les Enfants.

 
Toi qui regardes la frontière,
Le pays que l’on a perdu
Si dans ton sein ton cœur se serre,
Dis, comment te consoles-tu ?
Nous aurons la deuxième manche,
Espères-tu ; chacun son temps !…
L’Enfant est là pour la revanche !
C’est à quoi servent les Enfants !

Oh ! toi qui n’aimes pas l’enfance,
Attends que tu sois père un jour !
C’est là, malgré ton arrogance,
Que l’on te tiendra, par l’amour !
Et, va, — c’est plus fort que nous mêmes,
Perds un seul de ces innocents,
Et tu verras si tu les aimes,
Et si cela sert, les Enfants !