Les Enfantines du bon pays de France/Les chants des brandons


Les Chants des Brandons.


Salut, Noël ! d’où viens-tu,
Depuis un an q’ j’ ne t’avais vu ?
Si tu viens dans mon clos,
Je te brûlerai la barbe et les os.
Tau, tau, tau, les mulots.

Chanson des enfants de Caen, à Noël.
Beaurepaire.


On chante ou on chantait ces couplets dans nos campagnes en portant des « brandons » et courant çà et là autour des champs et des vergers pour en chasser les taupes, mulots, rats, souris et serpents.


L’ORAISON DE SAINT CHASSETRUBLE.


Saint Chassetruble,
Chassez le mulot qui trouble
Champ, meule et grenier.
Qu’il suive la dent de harse
Cassée, dans les champs éparse ;
Qu’il aille périr ou se noyer !

Éverly (Seine-et-Marne). Pour chasser les mulots de son toit, il faut ramasser la dont d’une herse cassée par hasard, et la mettre dans une carrière ou un marécage. Ils s’y rendront dès que la prière ci-dessus sera dite.

(Note de M. Tarbé.)


EXORCISMES CONTRE LES MULOTS[1]


Sortez, sortez d’ici, mulots !
Ou j’ vais vous brûler les crocs !
Quittez, quittez, ces blés !
Allez, vous trouverez,
Dans la cave du curé,
Plus à boire qu’à manger.


EXORCISMES.
(Au nom de saint Nicaise.)


Rats et rates, souviens-toi,
Que c’est aujourd’hui la Saint-Nicaise.
Tu partiras de chez moi,
Sans attendre ton aise,
Pour aller à… en poste,
Tu t’en iras trois par trois.


Taupes et mulots,
Sortez de l’enclos !
Allez chez le curé,
Beurre et lait
Vous y trouverez,
Tout à planté.


L’ORAISON DU LOUP.


— Où vas-tu, loup ?
— Je vais, je ne sais où,
Chercher bête égarée,
Ou bête mal gardée.
— Loup, je te défends,
Par le grand Dieu puissant,
De plus de mal leur faire,
Que la Vierge, bonne mère,
N’en fit à son enfant.


On dit que, lorsque l’abbé de Luxeuil séjournait dans son château, les manants battaient l’eau des fossés pour faire taire les grenouilles qui, par leurs coassements, pouvaient troubler son sommeil. Tout en la battant, ils devaient chanter :

Pà, pà, rénotto, pà ;
Veci Monsieur l’abbé, que Dieu ga.

(Paix, paix, rainette [petite grenouille], paix, voici M. l’abbé, que Dieu garde.)

Le fait est-il vrai ? Nous ne saurions l’affirmer, nous rappellerons seulement que ces deux vers ont une lointaine analogie avec les exorcismes et les brandons. De toute manière, ils caractérisent fort bien un état de choses abusif que la Révolution française a heureusement supprimé : cette richesse fastueuse, cette mollesse des gens d’église, qui, loin de se faire « les serviteurs de la chrétienté » et du pauvre monde, exerçaient tous les droits seigneuriaux sur leurs vassaux, leurs fidèles, tenus de peiner pour eux.

  1. Les vers malicieux à l’endroit du curé, qui se lisent dans ce morceau et dans celui de la page 192, datent de la même époque que la superstition de ces exorcismes. Ils sont l’écho des dispositions satiriques que le pauvre peuple nourrissait contre lo clergé riche et puissant. Aujourd’hui c’est le paysan qui s’enrichit d’année en année : il est devenu propriétaire du sol qu’il cultive ; grâce aux chemins de fer qui pénétrent partout, il vend à la ville ses produits contre de beaux écus sonnants ; en bien des endroits son aisance est celle d’un bourgeois.
    De curés, au contraire, combien en reste-t —il ? Il n’y en a plus que dans les chefs-lieux cantonaux. Le prêtre de campagne n’est plus que le pauvre desservant voué à une vie de sacrifice et de sujétion.