Les Eaux minérales et la chaleur centrale de la terre
Passer six mois de l’année à la campagne, quatre mois à Paris et deux mois en voyage, voilà le souhait d’une vie heureuse. Quand on observe jusqu’à quel point la société parisienne met en pratique ce qu’elle a reconnu désirable en spéculation, on voit que les familles qui sont allées aux champs chercher le grand air et la santé pendant la saison chaude ne rentrent guère avant le milieu de janvier pour reprendre le joug social et les avantages qui y sont attachés, car, l’homme étant de sa nature un animal éminemment sociable, la fréquentation des salons et de tous les lieux de réunion est pour lui un besoin et un bonheur. Vers le milieu de mai, on commence à parler de départ, de voyages, de visites aux eaux minérales, de séjour dans ses terres. Les fonctionnaires retenus à Paris se procurent des habitations d’été dans le voisinage pour eux et pour leurs familles. S’ils peuvent avoir quelques semaines de libres, ils courent aux eaux et aux bains de mer fréquentés par la foule des baigneurs de bonne société ; ils y retrouvent à la fois et les salons de Paris et les charmes de la mer et des montagnes. Ils remplissent à peu près le même cadre annuel que les heureux qui ont à la fois l’aisance et l’indépendance absolue. On peut regarder cette distribution du temps comme un type indiqué par l’hygiène autant que par les agrémens qui en sont l’accessoire. À la vérité, on reproche à juste titre aux Français d’être trop sédentaires, de ne pas voyager assez, même dans leur propre pays, et surtout depuis que le transport rapide sur les voies ferrées a réduit à peu d’heures le parcours des plus grandes dis tances du territoire, en même temps qu’il a diminué dans une notable proportion et la fatigue du chemin et les dépenses de corn for table nécessaires. C’est à l’attrait des eaux minérales, des plages maritimes commodes pour les bains, que sont dus à peu près tous les voyages qu’entreprennent les familles des grandes villes françaises, lorsqu’elles consentent à sortir de leur villégiature et de leur vie de château.
D’année en année cependant, on voit s’établir de plus en plus la conviction que pour former l’esprit des jeunes gens des deux sexes rien n’est plus utile que des excursions un peu étendues telles que le parcours des sites qui bordent le Rhin, une visite aux vallées et aux montagnes de la Suisse, avec le Rhône depuis le lac de Genève jusqu’à son embouchure. On peut encore explorer le littoral de Marseille et celui de la côte maritime de France jus qu’à Perpignan et à l’Espagne, aborder sur plusieurs points des Pyrénées et de tout le littoral de l’Atlantique, qui baigne la France occidentale. Les paysages des Vosges, riches d’une si grande variété d’arbres et de sites gracieux, seraient, étant mieux connus, des promenades qui ne le céderaient en rien aux excursions les plus pittoresques, surtout à une époque où le goût des arts du dessin a fait de si nobles progrès dans toutes les classes de la société et a contribué à faire mieux apprécier les beautés de la nature. Je ne dis rien des montagnes d’Auvergne, chantées en vers par Fénelon, et de la chaîne centrale de la France, qui offre au touriste comme au naturaliste un résumé de tout ce que l’amateur le plus exigeant peut souhaiter ou même imaginer de plus varié et de plus grandiose.
Sans doute, me dira-t-on, l’époque de l’année est bien choisie pour parler de voyages de santé, de bains, d’eaux minérales, d’établissemens thermaux, au moment même où chacun, fait ses plans de saison d’eaux pour les mois de juillet, d’août et de septembre, lesquels possèdent exclusivement le privilège des voyages commandés soit par l’hygiène qui prévient les maladies, soit par la thérapeutique qui y porte remède ; mais, encore une fois, qu’y a-t-il de scientifique dans une excursion aux sources minérales des Pyrénées, du Mont-Dor, des bords du Rhin, de l’Allemagne, de la Suisse et de la Savoie, ou enfin à ce vaste dépôt d’eaux vraiment minérales, qu’on appelle l’Océan, et qui occupe les trois quarts de la surface du globe terrestre ?
Tout au contraire est scientifique et, comme diraient les Anglais, hautement scientifique (highly scientific), dans la nature, l’origine, la composition, la situation géographique, enfin le mode d’action des eaux minérales. J’ai déjà montré dans la Revue comment la physique et la chimie de l’intérieur de notre terre se trouvent liées à ces sources miraculeuses, suivant l’expression de Delille[1]. Tandis que le minéralogiste va chercher dans le sein de la terre les riches trésors des mines de métaux et de combustibles, la nature, par un mécanisme naturel et non moins admirable, fait sortir des mêmes localités, avec les eaux thermales, de vraies mines de santé, non moins précieuses, que celles dont le produit s’évalue par millions tant pour les produits immédiats que pour les auxiliaires fournis à la puissance industrielle.
Si je parle de la chaleur centrale du globe à propos des eaux thermales, je m’attends qu’on va crier à la redite. Je prie cependant le lecteur de considérer qu’il n’en est point des notions de la science comme des créations de la poésie et de l’imagination. On a pu noter toutes les répétitions d’images et de vers entiers qu’Homère a laissé échapper dans ses vastes compositions. Chaque auteur a, pour ainsi dire, des mots, des expressions qu’il emploie de préférence, et qu’on a désignés sous le nom de mots ou d’idées parasites. Je n’ignore pas que La Bruyère regarde comme le signe d’un esprit vieillissant ces redites des mêmes idées et des mêmes anecdotes devant les mêmes personnes ; mais quand il s’agit des causes assignées par la science, il est impossible de ne pas invoquer plusieurs fois les mêmes principes de la physique du globe. Objectera-t-on à un mathématicien qu’il a tort de se servir fréquemment de l’indispensable théorème relatif au carré de l’hypoténuse, parce que ce principe géométrique a été trouvé par Pythagore cinq ou six siècles avant notre ère ?
Avant d’arriver toutefois aux questions de physique soulevées par les eaux minérales, j’ai à dire un mot des questions d’hygiène, à propos d’un livre qui passe en revue toutes les circonstances où les eaux diverses peuvent être utiles à la santé, et toutes les maladies que chacune est appelée à guérir ou à prévenir. L’influence du voyage, du site, de l’air de la contrée, de la société même, est prise en considération par l’auteur, qui, en vrai spécialiste, n’a épargné aucuns frais de voyages, d’observations, de consultations locales, de tableaux statistiques, pour connaître ce qu’on doit attendre des sources minérales de la France, de la Belgique, de l’Allemagne, de la Suisse, de la Savoie et de l’Italie, en même temps qu’il a étudié les effets des bains de mer et de l’atmosphère maritime[2]. Les ingrédiens chimiques de chaque source,.sa chaleur plus ou moins grande, son emploi comme bains ou comme boisson, le traitement auxiliaire qui doit rendre efficace l’action des eaux sur l’organisme, la préparation au voyage, puis, au retour, la suite à donner au traitement local pour confirmer les résultats obtenus, tout est examiné avec les lumières propres à un observateur qui a vu lui-même, et avec les notions obtenues soigneusement des médecins de chaque localité et des auteurs qui ont traité le sujet en général. On connaît le vieux proverbe latin : Cave ab homine unius libri (ne vous compromettez pas avec un homme qui ne lit qu’un seul livre) ; on pourrait louer de même le docteur qui n’écrit qu’un seul livre. Dans la science comme dans l’industrie, la perfection n’appartient qu’aux spécialistes. Je regrette que ce mot soit un néologisme, mais il exprime si bien une pensée vraie, qu’il ne périra pas. Buffon a dit que le génie n’était que la patience. Cela est vrai en ce sens qu’on n’a la patience pour un travail parfait que quand on a le génie qui donne cette perfection.
L’antiquité la plus reculée a connu les bains d’eaux minérales, et même les bains médicinaux. Plusieurs auteurs grecs, et notamment Paléphate, expliquent les succès de Médée, si habile à rajeunir les vieillards, par l’emploi de bains doués d’une grande vertu médicale. Ils regardent cette princesse comme l’inventeur des bains artificiels, que les Grecs et surtout les Romains avaient fait entrer dans leur régime de vie, et qui n’ont pris rang que depuis bien peu d’années dans l’hygiène de l’Europe occidentale. On peut dire des Romains qu’ils recherchaient avec passion toutes les eaux minérales, et il n’est presque aucune source un peu efficace près de laquelle ils n’aient laissé les ruines de quelque construction attestant l’usage qu’ils en faisaient en bains, en breuvages, en étuves. Dans tous leurs établissemens militaires, même de second ordre, le théâtre et les thermes étaient indispensables, et par l’usage des bains ils semblent avoir bravé le climat de l’Afrique et celui de l’Égypte aussi bien que les climats du Nord. Aujourd’hui beaucoup de médecins célèbres regardent l’hygiène des thermes comme devant entrer dans le régime des soldats, quand ils occupent pour plusieurs an nées des pays dont le climat diffère beaucoup de celui de leur pays natal. On a, par exemple, proposé ce régime pour remédier à la consommation immense de soldats que fait l’Angleterre dans les nombreuses stations qu’elle occupe militairement sur la terre entière.
L’action occulte des eaux minérales est un des points traités dans le livre qui nous occupe. Riche d’observations propres, l’auteur sait quand on peut savoir, il sait douter dans les cas incomplètement observés ; enfin il avoue son ignorance, ou plutôt celle de tout le monde, quand la science n’a point encore rendu ses oracles. Ainsi la classification des eaux minérales, d’après leurs ingrédiens chimiques, semble très naturelle et très facile. Les eaux sulfureuses, les eaux ferrugineuses, les eaux alcalines ou salines, les eaux acides ou gazeuses, voilà quelque chose de clair et d’aisé à retenir. Eh bien ! l’expérience a prouvé que les maladies qui trouvent dans telle source une guérison ou un préservatif ne sont pas toujours en rapport avec la nature chimique de l’eau de cette source. Il faut donc énumérer chaque maladie et écrire à côté le nom de toutes les sources qui se sont trouvées salutaires pour ce genre d’affection morbide. Le tableau dressé par M. Constantin James des maladies et des eaux qui sont spécifiques pour chaque cas est une véritable consultation préalable offerte au malade et soumise à l’appréciation du médecin.
Tous ceux qui, même de loin, ont suivi les progrès de la physiologie, que l’on pourrait définir la science de la vie, savent combien est délicate la partie de la médecine qui a trait à l’emploi de tel ou tel remède, et combien on risque de contrarier la nature en croyant l’aider. On cite l’exemple d’un célèbre chimiste qui, ayant voulu traiter son estomac comme un vrai laboratoire, faillit compromettre son existence. S’il avait une aigreur d’estomac, vite il avalait des substances alcalines. Si au contraire il présumait que cet organe fût trop alcalin, il faisait usage de boissons acides. De même l’humide était combattu par le sec et le sec par l’humide. L’asthénie présumée l’était par des toniques, et un état d’excitation par des calmans appropriés. Or, si l’on admet avec tous les physiologistes que la nature organique tend vers un état de santé et obvie naturellement aux petits dérangemens qui peuvent survenir, il est évident qu’en supposant continuellement à ce que veut faire la nature, on l’empêche de mettre en usage ses moyens habituels de guérison ou de conservation, et que l’on crée un état fort périlleux pour l’organisme, réduit à l’impuissance. C’est ainsi par exemple que, dans certains cas où la fièvre est un moyen de guérison employé par la nature, on tue le malade en combattant cette fièvre salutaire. Les médecins, on le voit, — et M. Constantin James le professe hautement, — ne sauraient apporter trop de prudence dans les conseils qu’ils donnent relativement à l’usage des eaux. On doit les louer surtout quand ils savent dire ce qu’ils ne faut pas faire : conseiller ce qui doit être fait quand il est nécessaire d’agir est certainement bien plus aisé. Tous les logiciens savent combien les notions négatives sont plus pénibles à acquérir que les notions positives. Rien de plus simple que de prouver un fait, mais prouver qu’un fait n’a pas eu lieu est bien autrement difficile.
Une carte indiquant pour la France et les pays adjacens toutes les stations médicales est jointe à l’ouvrage sur les eaux minérales ; elle aurait pu devenir, avec de légères modifications, une importante carte géologique, indiquant dans quelles localités l’eau pénètre pour se réchauffer jusqu’à une grande profondeur dans les entrailles de la terre au travers de couches disloquées par les catastrophes primitives du monde, et aussi quelle est la nature des terrains traversés par les eaux d’après les substances qu’elles dissolvent dans les parties profondes du sol. Il eût été bon d’avoir sur cette carte une indication particulière qui distinguât les sources froides des sources chaudes ou thermales ; mais c’est ce que le lecteur peut noter facilement lui-même avec un crayon ou une encre de couleur. C’est principalement dans le voisinage des anciens volcans éteints que se rencontrent les eaux thermales. On peut tirer de la haute température de ces eaux la preuve que l’état actuel du globe est fort récent, car, s’il était ancien, il est évident que ces sources auraient fini par refroidir leurs bassins et les lits par lesquels elles s’écoulent : elles n’auraient plus ces degrés étonnans de chaleur qui se rapprochent de ce que l’eau peut atteindre de plus élevé en température.
C’est une opinion assez répandue que l’efficacité des sources minérales est due principalement à la salubrité du site, aux distractions d’un voyage et d’un séjour agréables, où la santé est contagieuse comme ailleurs la maladie. L’auteur du Guide aux Eaux minérales sait faire la juste part de ces influences salutaires au physique comme au moral. Volney, dans la préface de son célèbre Voyage en Orient, a très bien indiqué combien il est favorable à l’homme social, agité par tant de passions naturelles et artificielles, de s’assurer un temps de repos, d’oubli momentané, qui puisse endormir ou même cicatriser les plaies de l’âme. Je trouve dans ma mémoire, sans certificat d’origine, cette pensée bien vraie, que pour les malheureux, naturellement un peu misanthropes, les voyages sont une distraction dans la solitude. Ajoutons que pour les bons esprits il y a non-seulement distraction à attendre des voyages, mais bien encore instruction réelle, d’après La Fontaine,
- Quiconque a beaucoup vu
- Peut avoir beaucoup retenu.
Une fois cette part faite à ce qui n’est pas l’action thérapeutique de la source minérale que l’on va chercher, il est aisé de prouver jusqu’à l’évidence que les eaux minérales ont une efficacité bien réelle attestée par les animaux eux-mêmes, pour lesquels on ne peut pas invoquer l’influence de l’imagination. Près de plusieurs sources minérales, et notamment au Mont-Dor, j’ai pu observer combien les bestiaux de toute espèce sont avides de ces eaux. À la gare de Saint-Ouen, près de Paris, les eaux sulfureuses des puits artésiens sont de même fort du goût des bœufs et des chevaux en dépit des beaux vers de Virgile sur les fontaines pures où s’abreuvent, suivant lui, ces animaux avec délices :
- Pocula sunt fontes liquidi.
Mais j’ai déjà prévenu les lecteurs de la Revue que la science positive avait un compte à régler avec les faiseurs de couleur locale.
J’arrive maintenant à la théorie physique et chimique des eaux minérales, chaudes ou froides, et de celles de la mer. Il est évident que ces dernières sont le résultat du lessivage des terres par les eaux de l’Océan et que les pluies qui coulent à la surface et sous le sol des continens continuent à porter à la mer le reste des sels solubles contenus dans les terrains que lavent ces eaux courantes. La salure des grands océans est à peu près uniforme, mais dans les mers limitées cette salure peut être plus ou moins grande, suivant la quantité des eaux fluviales que reçoit le bassin de chaque mer et l’évaporation qui enlève l’excédant de ce qui forme le régime définitif de ce bassin. Ainsi la Baltique et la Mer-Noire sont moins salées que l’Océan, et la Méditerranée l’est davantage. Le degré de salure de cette mer doit augmenter continuellement, car elle reçoit des eaux de tous côtés sans en verser dans aucun autre bassin. Par la même raison, la Mer-Noire, qui ne reçoit que de l’eau douce et qui épanche son trop plein par le Bosphore, va continuellement en diminuant de salure, Si l’on prend le nombre 28 millièmes pour la salure de l’Océan, on aura le nombre 30 pour la Méditerranée et seulement le nombre 14 pour la Mer-Noire. Cette mer est donc déjà à demi dessalée. Le lac ou mer de Baïkal dans la Tartarie l’est complètement, et offre des eaux aussi pures que celles des grands lacs du Canada ; mais de plus nous avons dans le lac Baïkal la preuve qu’il était salé autrefois par les phoques, les esturgeons, les éponges qui vivent dans ses eaux, et qui se sont, chose merveilleuse, pliés peu à peu à un changement de régime aussi violent que le passage de l’eau salée à l’eau douce[3]. Par contre, les petites mers ou lacs méditerranéens, comme la Mer-Morte, le lac d’Ourmïah, le lac Elton, qui sont le résidu de vastes nappes d’eaux salées évaporées presque à siccité, sont horriblement salés. La Mer-Morte l’est non-seulement par le sel ordinaire de l’Océan, mais bien encore par d’autres substances salines, plus corrosives que le sel marin. On s’explique la grande concentration des eaux de cette mer par cette circonstance que son bassin est de plus de 400 mètres au-dessous des eaux de la Méditerranée, et que pour se réduire au niveau actuel, il a fallu que l’évaporation lui enlevât une couche fort épaisse d’eau de mer, laquelle, en abandonnant tous les sels qu’elle contenait, a laissé pour résidu une mer ou plutôt un fond de mer qui est un vrai mélange chimique très concentré. En un mot, l’eau n’y est qu’accessoire, et souvent même le fond est tapissé de plaques salines, Le lac Elton est encore un peu plus salé que la Mer-Morte, mais le sel en est pur et employable aux besoins de l’homme. L’exploitation de ce bassin constitue une source de richesse pour la Russie : plus de la moitié du sel qui se consomme dans ce vaste empire provient du lac Elton, et il est versé dans le commerce par la navigation remontante du Volga. Au reste, en comparant l’eau de mer et la quantité de sel qu’elle contient avec ce qu’en contiennent plusieurs sources minérales, de celles qu’on désigne sous le nom de sources salées, on en conclût que les eaux de l’Océan sont très fortement minérales. Aussi agissent-elles énergiquement sur l’organisation de plusieurs malades, soit à chaud, soit à froid, comme bains, mais jamais en breuvage.
La seconde classe d’eaux minérales, ce sont les eaux froides qui rapportent du sein de la terre une grande variété de substances chimiques, quoique jus qu’à présent du moins aucun des corps nouveaux trouvés par la chimie moderne n’ait eu pour origine l’analyse des eaux minérales. L’iode et le brome, qui ont été reconnus dans certaines sources, avaient déjà été découverts dans l’eau de mer par MM. Courtois et Balard. C’est du reste une voie ouverte encore aux analystes de précision que l’étude des produits singuliers de certaines sources minérales, tels par exemple que l’acide crénique, la barégine et la sulfuraire. J’ai reconnu aussi de singuliers dépôts dans les eaux des Pyrénées-Orientales. Toute la chimie des substances solubles que renferme le sein de la terrer est évidemment dans les eaux froides ou thermales qui nous en ramènent pour ainsi dire des échantillons. Jusqu’ici cette chimie, aussi bien que la chimie de l’atmosphère, des eaux et des continens antédiluviens, a peu appelé l’attention des corps savans et des travailleurs isolés. C’est là pourtant un beau sujet de spéculations et de recherches expérimentales. Qu’on se figure ce que devait être l’atmosphère de la terre dans les temps primitifs, où sa chaleur ne permettait pas aux eaux de reposer sur sa surface, et où mille substances métalliques, carbonifères, azotées hydrogénées, étaient à l’état volatil constant. Que de points curieux à éclaircir et combien doivent se tranquilliser les esprits inquiets qui nous engageraient naïvement avec Pline à laisser, par pure charité quelque chose à faire à la postérité !
Un autre titre des eaux thermales à l’attention des physiciens celui qui est le plus curieux à constater, c’est qu’on y peut voir des témoins irrécusables de la chaleur centrale de notre planète. Tout le monde sait maintenant que pour chaque profondeur de 30 mètres on trouve la terre plus chaude d’un degré centigrade, en sorte que vers 3 kilomètres de profondeur on aurait plus que de l’eau bouillante. Déjà vers 550 mètres le puits artésien de Grenelle a ramené des eaux tièdes, et juste au degré prévu par les sondages thermométriques de M. Walferdin ; il n’y a donc point à s’étonner que dans les terrains fort accidentés, où les couches rocheuses du sol sont très disloquées et présentent des cavités profondes aux eaux souterraines, celles-ci, en s’infiltrant à de grandes profondeurs, rencontrent des cavités à parois naturellement très chaudes, qui, étant remplies jusqu’au bord supérieur, reçoivent des ruisseaux d’eau froide qui tombent au fond en faisant déborder l’eau chaude, beaucoup plus légère. Il est donc assez probable que les substances chimiques rapportées par les eaux thermales viennent d’une profondeur plus grande que celles qui remontent avec les eaux froides. Depuis que j’ai indiqué aux lecteurs de la Revue les profondeurs de la terre comme une véritable source ou usine de chaleur, j’ai appris que l’idée d’exploiter thermométriquement l’intérieur de la terre s’était déjà présentée à deux industriels étrangers l’un à l’autre, et je leur restitue bien volontiers leur initiative d’inventeurs, à la condition cependant qu’ils ne me forceront pas à prendre des actions dans leur future société. Sérieusement parlant, c’est encore par les puits artésiens seuls que l’on peut extraire économiquement la chaleur souterraine avec l’eau comme auxiliaire, laquelle a par elle-même une grande valeur. C’était la pensée inflexible d’Arago, qui, dans le conseil municipal de Paris, s’écriait à chaque profondeur de cent mètres atteinte sans obtenir de l’eau : « Tant mieux ! nous en aurons de plus chaude ! » — « Ce que j’admire le plus dans votre beau puits foré de Grenelle, me disait lord Brougham, ce n’est pas l’art du sondeur qui a été vraiment merveilleux, mais bien la persévérance par laquelle on est arrivé à un si étonnant résultat. » Maintenant la merveille de ce puits est oubliée, et la société, ingrate et distraite, tend de nouveau la main à la science en lui disant : Encore !
Les eaux des puits artésiens très profonds sont thermales, c’est-à-dire chaudes, mais elles ne sont pas pour cela minérales, c’est-à-dire chargées de substances chimiques. L’eau du puits de Grenelle, qui nous arrive après un filtrage souterrain que M. Walferdin a reconnu être de plus de cent vingt kilomètres, est surtout remarquablement pure. Il est inconcevable que les Parisiens s’obstinent à boire les eaux plâtrées de leur banlieue, tandis qu’ils ont dans les eaux du puits de Grenelle une eau d’une exquise pureté. Au reste on n’a pas plus utilisé cette eau pour sa chaleur que pour sa qualité, et les rues du quartier de l’Observatoire sont lavées par cette précieuse eau thermale, tandis que les eaux séléniteuses d’Arcueil et du canal de l’Ourcq servent à la boisson d’une notable partie de la capitale. Je reviendrai un jour sur les travaux de M. Belgrand, relatifs aux eaux du bassin de la Seine.
Je terminerai par une considération relative à la conservation de l’eau à la surface de la terre. Il est évident que la chaleur interne de la terre s’oppose à toute déperdition des sources par voie souterraine, car dès que l’eau arrive à trois ou quatre kilomètres de profondeur, elle y trouve un sol incandescent qui la renvoie bien vite en haut après l’avoir réduite à l’état de vapeur. Et qu’on ne croie pas que la force de la vapeur soit insuffisante pour opérer cette ascension : elle brise souvent des vases dont la résistance est bien supérieure au poids des colonnes d’eau qui atteindraient la profondeur où la terre est brûlante.
Je n’ai point trouvé dans l’ouvrage si complet de M. Constantin James la mention de certaines eaux minérales qui viennent sourdre à la côte, au bassin d’Arcachon, près de La Teste, et qui sont devenues légèrement sapides en passant sur des débris de sapins fossiles. Les anciens, qui mettaient des pommes de pin dans leur vin au moment de la fermentation, auraient trouvé sans doute ces eaux minérales de leur goût, et tout le monde sait qu’une grande partie de la qualité des eaux-de-vie de Cognac est due à la substance résineuse qu’elles empruntent aux futailles qui les contiennent. Dans plusieurs cas, au reste, je pense que des eaux minérales artificielles, chargées d’électuaires à la dose convenable, seraient très salubres, et surtout dans les pays chauds.
La conclusion de ces remarques, c’est qu’on doit considérer le livre de M. Constantin James comme une mise en communauté de toutes les notions médicales que l’auteur a recueillies sur l’action des eaux minérales de toute sorte, et qu’il n’a point voulu se réserver en propriété exclusive, puisque son livre est adressé aux médecins comme aux malades. J’ai entendu citer l’envie comme une passion de première qualité chez les médecins, invidia medici, comme on citerait une peste d’Égypte ou une fièvre jaune des Florides. L’auteur du Guide aux eaux minérales parait au-dessus de semblables préoccupations. Il fait part sans réserve de tout ce qu’il sait à ses confrères. La santé a été justement définie un bien dont on ne connaît la valeur que quand on ne le possède plus : nous croyons que tous les hommes prévoyans accueilleront avec plaisir des travaux qui ont pour but la conservation tout autant que le rétablissement de la santé, puisque c’est en même temps comme préservatif, ou techniquement comme prophylactique, que l’action des eaux s’exerce utilement. Quant aux attentions qu’on devrait avoir et qu’on n’a guère pour la conservation de la santé, que l’on me permette de citer ce trait d’un de mes amis qui l’an dernier échappa à la mort au moyen d’un voyage aux eaux d’Allemagne. C’est un optimiste quand même. Il verrait crouler le système du monde, qu’il crierait : Bravo ! Je le félicitais d’avoir échappé à une mort presque certaine, et je lui conseillais d’oublier ce malheur heureusement évité, il me répondit : « Que parlez-vous de malheur et d’oubli ? Je suis au contraire enchanté d’avoir été dangereusement malade. Tous les matins je me félicite de me voir bien portant, et je connais maintenant tout le prix de la santé. » C’était vraiment très philosophique, mais il joignait à sa philosophie les conseils d’un excellent médecin, ce qui était très prudent. De même que les meilleures lois sont celles qui préviennent le crime et non celles qui le punissent, de même le meilleur régime est celui qui préserve de la maladie, et non pas celui qui en opère tardivement la guérison. Avis au lecteur !
BABINET, de l’Institut.
- ↑ Dans le tableau un peu prétentieux que Delille trace de l’animation qui règne aux eaux, se trouvent ces deux vers curieux comme exemple de tautologie :
- Plus la foule est nombreuse, et plus elle est active :
- L’un vient et l’autre part, l’un part et l’autre arrive.
- ( Les Trois règnes, livre 3.)
- Plus la foule est nombreuse, et plus elle est active :
- ↑ Après les considérations générales sur la nature et l’emploi des eaux, on trouve dans l’ouvrage de M. Constantin James la liste complète des eaux de France et des pays voisins, avec des descriptions topographiques et des gravures pittoresques qui donnent une idée ou un souvenir des localités médicales. Il y a là un travail considérable et profond ; il n’y manque pas même l’indication des voies qui conduisent à chaque source minérale. Les meilleures analyses chimiques sont citées dons ces utiles monographies.
- ↑ Par une incroyable distraction, Mme Somerville appelle la mer de Baïkal un lac salé, salt lake ; c’est de l’eau pure comme de l’eau distillée et filtrée. Je pense qu’avant peu nous verrons les phoques d’eau douce du Baïkal se jouer dans les lacs du bois de Boulogne. Le phoque est un animal intelligent, gai, très éducable et à demi amphibie ; Homère et Virgile lui ont consacré plusieurs vers.