Les Dix Premiers Livres de l’Iliade d’Homère/3

Traduction par Hugues Salel.
Iehan Loys (p. lxxxi-cviii).



LE TROISIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




APRES QVE L’OST des Troiens fut ſorty
Hors la Cité, rengé & departy
Par eſquadrons, furieux au rencontre,
Soubdainement marcherent à l’encontre


Du camp des Grecs, haulſant juſques aux nues


Leur voix & criz : ainſy que ſont les Grues,
Qui prevoyans la pluye, & la froidure,
Laiſſent les montz, & vont cercher paſture
Pres de la mer, dreſſans grottes armées
Contre les Nains, autrement dictz Pygmées :
Auſquelz ſouvent ſont guerre tres cruele,
À coups de bec, à coups de griffe, & d’eſle.
    Mais les Gregeois d’aultre coſté marchoient
Sans faire bruyt, & touſjours ſ’approchoient,
Pleins de fureur, & animez de rage
Pour ſe venger, avec ardent courage
D’eſtre vaincqueurs, & ſ’entreſecourir :
Quand ilz devroient l’ung pour l’aultre mourir.
    Et tout ainſi qu’on voit au temps d’hyver
Souventeſfois la brouée arryver.
Que le froid vent ſoufflant par la campaigne,
Porte ſoubdain au hault de la montaigne,
Choſe qui eſt aux Bergers tres nuyſante,
Et aux larrons, plus que la nuyct duiſante.
Car l’oeil humain ne ſcauroit veoir par terre
Gueres plus loing, qu’eſt ung ſeul ject de pierre.
De meſme ſorte à l’approcher des bandes,
Se leva tant de pouldre par les landes,
Qu’elle oſta lors aux Troiens le povoir,
Et aux Gregeois enſemble de ſe veoir.
    Et auſſy toſt que les camps ſurent preſtz
Pour batailler ſ’entrevoyants de prés :
Le beau Paris les rengz Troiens paiſa,
Et vers les Grecs, à grans pas ſ’advanca,
En provoquant fierement les plus forts,
De ſ’eſprouver contre luy corps à corps.
    Sur ſoy portoit, entre ceulx de ſa part,
Pour ce jour la, la peau d’ung Liepart :
L’Arc bien tendu, la Trouſſe bien peſante.
Pleine de traictz, ſon Eſpée luyſante :
Et deux beaulx dardz ſerréz, qu’il eſbranloit,
Quand les Gregeois au combat appelloit.
    Menelaus appercevant l’audace
De l’ennemy, qu’il recogneut en face :
Fut tout ſoubdain remply d’extreme joye :
Comme ung Lion, qui deſirant ſa proye,
Rencontre ung Cerf, ou Chevreul, dans les bois,
Mis par les chiens, & veneurs, aux Abois,
Si le devore, & en prend ſa paſture :
S’eſjouyſſant de tant bonne adventure,
Ainſi le Grec ayant Paris choiſy,
Sut en ſon cueur de lieſſe ſaiſy :
Voyant à ſoy l’occaſion offerte
De ſe venger de l’injure ſoufferte.
Et tout armé, comme il eſloit grand erre
Du Chariot feit ung ſault bas en terre.
    Adonc Paris qui bien cogneut venir
Menelaus, ne ſe peut contenir,
Et faire feſte, ayant ſon ame attaincte
Incontinent de merveilleuſe crainte,
Si recula : & craignant le danger,
Entre les ſiens retourna ſe renger.
Ne plus ne moins que faict l’homme paſſant,
Qui quelque fois les haulx montz tranſverſant,
(Sans y penſer) trouve ung Dragon en voye,
Dont tout craintif, ſe retire & deſvoye,
Paſle en couleur, de ſes membres tremblant :
Mieulx ung corps mort, qu’homme vif reſſemblant.
    De la Retraicte ainſi laſche & ſubite,
Fut enſlammé de colere deſpite
Le preux Hector : lequel voyant l’eſclandre,
Se courouſſa à ſon frere Alexandre,
Diſaint ainſi. Ô Paris malheureux,
Portant maintien d’ung homme valeureux,
Mais par effect : laſche & effeminé,
Tout de luxure orde contaminé.
Or euſt voulu la divine puiſſance,
Meſchant couart, que n’euſſes prins naiſſance,
Pour n’apporter ſi honteux vitupere
À ta Patrie, & ton doloureux Pere.
Ne voys tu pas quel plaiſir ont receu
Tous ces Gregeois, quand ilz ont apperceu
Ta laſcheté ? qui te penſoient de taille
Pour ſoubſtenir le faix d’une bataille.
Et maintenant chaſcun dire l’efforce,
Qu’en ſi beau corps, n’y a eſprit, ne force
Tu as bien eu autreſfois le courage
D’armer Vaiſſeaux, & dreſſer Equipage,
Pour naviguer droict en terre eſtrangere :
Et puis eſmeu de volunte legiere,
(Eſtant receu en Royale maiſon)
En amener, contre toute raiſon,
D’ung vaillant Roy l’eſpouſée tres chere,
Qui te traictoit, & faiſoit bonne chere.
Au deſhoneur & trop grand infamie
Du nom Troien, & de la Preudhomie
Du Roy Priam, Argument & Couleur
Aux Grecs de joye, & à toy de douleur.
Et neantmoins tu n’as oſé attendre
Menelaus, ne contre luy contendre.
Cela ne vient que d’une crainte extreme
Qui t’a ſurprins diſcourant en toy meſme,
Que celuy la te priveroit de vie,
Duquel tu as la Compaigne ravie
Certainement la Beaulté du viſage
Le bien Chanter, le Gracieux langage,
Le Corps trouſſé, les Cheveulx ordonnez,
Et aultres biens, que Venus t’a donnez,
Serviront peu à ta vie ſaulver :
S’il te convient au Combat eſprouver.
Ta Couardiſe à mené juſque au poinct
Tous les Troiens de ne combatre point :
N’appercevans en toy choſe qui vaille.
Parquoy fuy t’en, cherce quelque muraille
Pour te cacher, & plus de moy n’approche :
Trop eſt ton faict digne de grand reproche.
    Le beau Paris ſe voyant oultrager
Si durement, reſpondit ſans ſonger.
Hector mon frere, à bien bonne raiſon,
Tu as dreſſé ſur moy ceſte oraiſon :
Car de ton cueur la Force redoubtable
Eſt ſi tres grande, & ſi tres indomptable
Qu’on ne la voit de vigueur eſloignée
Pour le travail, non plus que la Coignée
Qu’ung Charpentier à employer ne fine :
Et plus en frappe, & plus elle ſ’aſffine.
Tu ne devrois touteſfois me faſcher :
Ne les beaux dons de Venus reprocher.
Car les Bienfaictz, dont les Dieux nous guerdonnent
Sont à priſer, veu meſmes qu’ilz les donnent,
Non pas ainſi que l’homme en a deſir,
Mais tout ainſi qu’il leur vient à plaiſir.
    Or ſi tu veulx, pour finir ce débat
Preſentement, que j’attende au Combat
Menelaus, fais aſſigner le lieu,
Et que nous deux ſoyons mis au mylieu :
Tous les Troiens & les Gregeois, eſtans
Aſſis au tour, pour nous voir combatans.
Soit au vainqueur en guerdon de ſa peine,
Incontinent rendue dame Heleine
Pour en jouyr, & de toute la proye.
Que les Troiens ſe retirent à Troie,
Et les Gregeois en leur pays de Grece :
Iurans tenir convenance & promette.
    Hector voyant Paris appareillé
Pour batailler, fut tout eſmerveillé
Et reſjouy : Lors tenant une Lance
Par le mylieu, devant les ſiens ſ’avance,
Leur defendant de plus oultre paſſer :
Ce qui fut faict. Mais les Grecs ſans ceſſer,
En approchant, à coupz perduz jectoient
Pierres & traictz, & Troiens moleſloient :
Iuſques à tant qu’Agamemnon ſortit
Hors de la Troupe, & ſes gens advertit
De ſ’arreſter : criant à haulte voix :
Ceſſez, ceſſez de plus tirer Gregeois,
Contenez vous jeunes Souldardz inſignes,
Ie voy Hector, qui nous faict quelques ſigneſ :
Comme voulant avecques nous parler.
    Soubdainement on ne veit plus voler
Les coups de Fleſche : & fut le Camp paiſible
En vug moment, autant qu’il eſt poſſible.
Sur quoy Hector, voyant ſi grand ſilence
Entre deux oſtz, ainſi parler commence.
    Oyez de moy peuple Grec & Troien,
Preſentement l’ouverture & moyen,
Que vous propoſe Alexandre mon frere :
Luy qui eſt ſeul motif de ceſt affaire.
Pour donner fin aux cruelles alarmes,
Il eſt d’advis, qu’on mecte ius les armes)
Et que par luy, & par Menelaus,
Soit debatu, à beaux fers eſmoluz,
Lequel des deux a plus juſte querele.
Au vainqueur ſoit Heleine la tres belle
Soubdain rendue, avec tout le Butin :
Et que ſur l’heure, ou lendemain matin,
Chaſcun ſ’en voyſe, ayant faict, aſſeurance
Par grand Serment, garder la Convenance.
    À peine avoit achevé ce propos
Le preux Hector, que le Fort & Diſpos
Menelaus, ſe vint la preſenter,
Diſant ainſi Or vueillez eſcouter
Grecs & Troiens, ce que dira ma bouche,
Repreſentant la douleur qui me touche
Dedans l’eſprit : je veulx & fuis d’accord
Pour mectre à bout ce dangereux Diſcord,
(Conſiderant les grandz calamitez,
Et les travaulx par les Camps ſupportez
Pour l’adultere, & la juſte douleur
Qui m’a induit à venger ce malheur)
Que tout ce peuple à preſent ſe repoſe,
Et que Paris encontre moy ſ’expoſe,
Afin qu’on voye à qui la Deſtinée
Aura la vie, ou la mort aſſignée.
Au demourant, afin qu’on accompliſſe
Le tout à poinct, meſmes le Sacrifice
Qu’on doit aux Dieux en affaire ſemblable,
Qui veult le pacte eſtre ferme & vallable.
Il eſt beſoing à vous Troiens pourveoir
De d’eux Aigneaulx l’ung blanc & l’aultre noir,
Maſle & femelle : fault le maſle blanc,
Le ſecond noir, pour reſpandre leur ſang
Au clair Souleil, & à la Terre digne,
De tous humains mere antique & benigne.
Le tiers Aigneau, que ſerons apporter,
Offert ſera au grand Roy Iuppiter.
Ie veulx auſſy pour ſeureté plus grande,
Que tout ſoubdain au vieil Priam l’on mande
De ſ’en venir, Afin qu’il fortifie
La Convenance, & le tout ratifie :
Car ſes Enfans (comme bien ſcait la Grece)
Sont gens ſans foy, & Faulſeurs de promeſſe.
Touſjours l’eſprit des jeunes eſt legier,
Mais le vieillard ſe ſentant obliger
N’endurera, ſ’il advient qu’il le jure,
Qu’il y ſoit faict ; Trahyſon ou injure.
    De ceſt accord les Gregeois & Troiens
Tant Eſtrangiers Souldards, que Cytoiens
Surent joyeux, eſperans toſt l’yſſue
De cede Guerre, en miſere tyſſue.
Lors à renger leurs Chevaulx entendirent,
Des Chariotz puis apres deſcendirent
Gardans leur ordre, & poſerent en terre
Lances, Eſcuz, & tous Harnoys de guerre,
Laiſſant eſpace entre deux bien eſtroict :
Comme lieu propre,auquel l’on combatroit.
    Ce temps pendant, le preux Hector envoye
Deux Heraulx ſiens en la cite de Troie,
Pour apporter les deux Aigneaux, & faire
Venir Priam, approuver tout l’affaire.
Taltibius auſſy du mandement
D’Agamemnon, alla diligemment
Iuſques aux nefz, pour en la Compaignie
Porter L’aigneau de la Cerimonie.
    Durant cecy, Iris ſ’en deſcendit
Du hault Olympe, & bientoſt ſe rendit
En la Cité, pour compter ces nouvelles
De poinct en poinct à la Belle des belles.
La Forme print d’une ſa bien aimée
Et belle Seur Laodicés nommée,
Qu’Elicaon filz d’Antenor le ſaige
Entretenoit, par loyal mariage.
    Point ne trouva pour lors la Belle oyſive,
Mais en beſoigne à ouvrer ententive.
Elle faiſoit en ſa Chambre une piece
De haulte lice, ou les beaulx faictz de Grece,
Et des Troiens à figures polyes,
Eſtoient pourtraictz, leurs Courſes, leurs Saillies,
L’aſpre Combat, & Rencontre cruelle,
Que les deux Camps faiſoient pour l’amour d’elle.
    Sus lieue toy, viens avec moy Heleine
(Dit lors Iris) tu verras en la plaine,
Pres la Cité, choſe bien merveilleuſe.
Ceulx qui ſouloient en Guerre perilleuſe
De jour en jour, au danger ſ’expoſer,
Tu les verras à preſent repoſer :
Les ungs aſſis, les aultres appuyez
Sur leurs Eſcuz, du travail ennuyez
Menelaus pour finir ces diſcordz
Contre Paris, combatra corps à corps :
Et a celuy qui aura la victoire,
Seras donnée en guerdon de ſa gloire.
    Ceſte nouvelle à la Dame annoncée,
Soubdainement luy meit en la penſée,
Ung doulx deſir de ſon premier Mary,
De la Cité ou premier fut nourry,
Et ſes Parens, deſirant quelque jour
Avecques luy faire dernier ſejour.
    Si ſe leva debout, & ſe veſtit
De beaulx habitz, puis quant & quant ſortit
Hors ſon logis, jectant la larme tendre,
Quel l’on voyoit par ſes joues deſcendre.
Pas ne fut ſeule, avec elle amena
Pour compaignie, Aethra, & Clymena :
Et le beau pas ſe conduyct & tranſporte
Iuſques au lieu ou eſtoit la grand porte
Scea nommée, ou par le Boulevert
On povoit veoir tous les champs à couvert.
    Le Roy Priam, & avec luy bon nombre
De grandz Seigneurs, eſtoient illec à l’ombre
Sur les Creneaulx, Tymœtés, & Panthtus,
Lampus, Clytus, excellentz en vertus,
Hicetaon renommé en bataille,
Ucalegon jadis de forte taille,
Et Antenor aux armes nom pareil,
Mais pour alors ne ſervantz qu’en conſeil.
La, ces Vieillardz aſſis de peur du haſle,
Cauſoyent enſemble, ainſi que la Cigalle
Ou deux ou trois, entre les vertes fueilles,
En temps d’Eſte, gazoillent à merveilles.
Leſquelz voyans la divine Gregeoiſe,
Diſoient entre eulx, que ſi la grande noiſe
De ces deux camps duroit longue ſaiſon,
Certainement ce n’eſtoit ſans raiſon :
Veu la Beaulté, & plus que humain ouvraige,
Qui reluyſoit en ſon divin viſaige.
Ce neantmoins il vauldroit mieulx la rendre,
(Ce diſoyent ilz) ſans gueres plus attendre,
Pour eviter le mal qui peult venir,
Qui la vouldra encores retenir.
À l’arriver le Roy Priam l’appelle,
En luy diſans : Ô vien ma Fille belle,
Vien ca t’aſſeoir icy au pres de moy,
Laiſſe tes pleurs, de chaſſe ceſt eſmoy,
Ne te conſume ainſi en telz regretz :
Vien contempler ton Mary, & les Grecs,
Tes chers Couſins. Las Iuppiter ne vueille
Que contre toy, de mon mal je me dueille.
Ce ſont les Dieux, qui pour mieulx ſe venger,
Moy & les miens deſirent affliger,
Par ceſte Guerre ainſi calamiteuſe.
Approche toy, ſans faire la honteuſe,
Et monſtre moy les Grecs plus apparentz
Et plus adroiſtz, tes Voyſins & Parens.
Qui eſt celuy qui devant tous ſ’avance
De corps moyen, mais grave en contenance ?
Ie n’ay point veu, dont je ſoys ſouvenant,
En mon vivant, homme plus advenant
Et pour certain, à bien voir ſon arroy,
Il a le port, & maintien d’ung grand Roy.
    Alors Heleine, à voix humblette & baſſe,
Luy reſpondit. Mon cher Seigneur, ta face
En mon endroict, à tant de reverence,
Que i’ay grand crainte, approchant ta preſence.
Or euſt la mort (avant que ces diſcords
Feuſſent venuz) ſaiſy mon foible corps :
Et meſmement alors que j’euz ravys
Si fort mes ſens, que ton Filz je fuyuis,
Habandonnant Eſpoux, Freres, & Fille,
Et mainte Dame, & Compaigne gentille.
Las, nous ſerions hors de toute douleur
Et toy & moy : Mais il plaiſt au Malheur
Qu’il ſoit ainſi. Or quant à ta demande,
Puis que ta grace ainſi le me commande :
Cil que tu dis, eſt en ſon propre nom
Filz d’Atreus, le Prince Agamemnon :
Roy tres prudent, & en armes puiſſant,
À qui le Camp eſt tout obeyſſant,
Qui aultreſfois, en temps paiſible & ſeur,
Fut mon beau Frere, & moy ſa belle Seur.
    Atant ſe teut la Beaulté nom pareille :
Sur quoy Priam tout remply de merveille,
Oyant l’honeur d’Agamemnon compter,
Ne ſe peuſt taire, & vint à l’exalter.
Ô Fortuné, & plus que bien heureux
Agamemnon, Prince chevalereux,
Doncques tu as des grans Dieux ce bon heur
D’eſtre le Chef des Gregeois en honeur :
Doncques par toy eſt conduire & regie
Si grande armée, arrivée en Phrygie.
Il me ſouvient, au temps de ma jeuneſſe,
Lors que j’avoys & vaillance, & proueſſe,
Qu’en ce Pays vindrent les Amazones,
Femmes de ſexe, & en guerre Perſones
De grand exploict : pour reſiſter auſquelles
Fut neceſſaire aſſembler forces teles,
Qu’on n’en veit oncq de pareilles aux champs.
Adonc Migdon, & Otreus marchans
Droict à l’encontre, aſſirent en ung val,
Toute leur gent à pied, & à cheval,
Pres de Sangar la Riviere au long cours :
Auquel endroict : je vins à leurs ſecours,
Et fus faict Chef, mais quelques belles Bandes
Que nous euſſions, les Grecques ſont plus grandes.
    Apres ces motz, il jecta ſon regard
Sur Vlyſſés, puis dict. Si Dieu te gard
Ma chere Fille, encor ung coup d’y moy
Qui eſt celuy des Gregeois que je voy
De l’Eſtomach, d’Eſpaulles, & Ceinture,
Si bien taillé, non ſi grand de Stature
Qu’Agamemnon : Et qui de grace bonne
Sans eſtre armé, maintenant environne
Tous les Gregeois. Comme faict le Bellier
Grand & velu, qui pour mieulx ralier
Les beaux Troupeaux, faict : maint tour, & contour,
Pres des Brebis, ſans départir d’autour ?
    C’eſt Vlyſſés, reſpondit lors la Dame,
Bien faict : de corps, mais de plus ſubtile ame :
Lequel, combien qu’il ayt prins nourriture
En Pays Rude, & hors d’agriculture,
Ce neantmoins en Prudence & Fineſſe,
Il a paſſe tous les Princes de Grece.
    Tu as dict vray, Ô Princeſſe de pris,
Dict Antenor. Iadis bien je l’apris.
Car lors que luy, & Menelaus furent
Icy tranſmis Ambaſſadeurs, ilz n’eurent
Aultre logis que le mien, & leur feiz
Autant d’acueil qu’euſſe faict à mes Filz.
La je cogneuz, au moins par Conjecure,
Leur grand Eſprit, leur Conſeil, leur Nature :
Et meſmement quand ilz furent meſlez
Avecques nous, au Conſeil appellez,
Pour remonſtrer en public leur meſſaige.
Menelaus monſtroit plus grand Corſage,
Eſtant debout, mais eulx eſtans aſſis,
Ceſt Vlyſſés nous ſembloit plus raſſis :
Et au maintien plus remply de valeur.
Menelaus ne fut pas grand parleur,
Ce qu’il diſoit eſtoit Brief & Subtil,
Rien ſuperflu, tout propre, tout gentil,
Et bien qu’il fut plus jeune que Vlyſſés,
En ſon parler ne feit aulcun excez.
Quand vint au poinct que Vlyſſés deut parler,
Sans, tant ſoit peu, haulſer la teſte en l’air,
Ung bien long temps il tint en bas ſa veue,
Comme perſone & lourde & deſpourveue
D’entendement homme qui par Colere
Eſt hors de ſoy, & point ne ſe modere :
Ce que ſon Sceptre encores demonſtroit,
Duquel tres mal pour alors ſ’accouſtroit.
Mais auſſy toſt qu’il rompit le ſilence,
On cogneut bien ſa divine éloquence.
Il prononca ſes motz à l’arriver,
Du tout pareilz aux Neiges de L’hyver.
Si copieux, qu’on n’oſa entreprendre,
L’ayant ouy, d’atiecqueſltiy contendre.
Et ne feit on apres cas de ſa mine,
Eſtimans mieulx ſa parolle divine.
Le Roy Priam encores curieux
De ſcavoir plus, avoit jeſté ſes yeulx
Deſſus Ajax, ſ’enquerant plus avant
Avec Heleine. Ores ſay moy ſcavant,
(Dit le vieillard) Qui eſt ce beau Seigneur
Que je voy la, lequel eſt le greigneur
De Corpulence, & preſque de la teſte,
De tous les Grecs. Quant à ceſte requeſte,
Dict elle alors, Ceſt Ajax le tres fort,
Le grand eſpoir, le Rampart & Renfort
Du camp Gregeois : Et celuy qui ſ’arreſte
Au pres de luy, eſt le bon Roy de Crete
Idomenée, entre les biens ſervy
Comme ung grand Dieu honoré & ſuivy.
Lequel j’ay veu en diverſe ſaiſon
(Paſſant pays) loger en la maiſon
De mon mary. I’en voy auſſy venuz
Pluſieurs, deſquelz les noms me ſont cognuz
Mais je ne puis (dont j’ay grand deſplaiſir)
Avecques eulx mes deux freres choiſir :
Le preux Caſtor excellent Chevalier,
Avec Pollux Combatant ſingulier.
Hélas je crains qu’il n’ont daigné venir
Pour le débat entreprins ſoubſtenir,
Ou bien eſtans venuz juſques icy,
Le Deſplaiſir, Faſcherie, & Soucy
Qui les a prins, voyans la poure vie
Et la meſchance ou je ſuis aſſervye,
Les a contraindz, dolentz & eſbays
De ſ’en aller regaigner leur pays.
    Ainſi diſoit la belle, mais ſes freres
Ung bien long temps, avant tous ces affaires
Eſtoient par mort enſemble deſſailliz,
En la Cite de Sparte enſeveliz.
    Pendant cecy, les deux heraulx avoient
La preparé les choſes qui ſervoient,
Deux bons Aigneaulx, choſiz en ung troupeau,
Et d’une Chievre une bien grande peau,
Pleine de vin, liqueur recommandée.
Encor portoit le Hérault dict Idée,
Ung grand Baſſin, & deux Coupes exquiſes,
Faites d’or fin, au myſtere requiſes.
    Ainſy chargez, au Roy Priam recitent
Leur Ambaſſade, & de venir l’incitent,
En luy diſant. Roy ſur tous honore,
Nous craignons fort d’avoir trop demouré :
Les principaulx de tes ſubjectz t’attendent
Dehors au camp, & les Grecs qui prétendent
À ce jourdhuy faire une convenance,
Dont on aura à jamais ſouvenance.
Ton filz Paris, pour mieulx ſon droict debatre,
Veult corps à corps Menelaus combatre :
Et le vainqueur, doibt avoir en guerdon
La belle Heleine, avec maint aultre don.
Par ce moyen tous debatz finiront :
Car les Gregeois en Grece ſ’en iront,
Et les Troiens pour la guerre endurée,
Auront la paix, qu’ilz ont tant deſirée.
Or rien ſans toy ne ſe pourroit conclure :
Car il convient, que ta Majeſté jure,
(Ce diſent ilz) pour ferme ſeureté
De ce cornbat, entre eulx deux arreſté.
    Le bon vieillard fut de crainte ſurpris,
Bien cognoiſſant, que c’eſtoit entrepris
Trop follement : touteſfois il demande
Son chariot : Et quant & quant commande
Ses Chevaulx joindre, & que tout fut en poinct
Ce qui fut faiſt. Adonc n’arreſte point,
Avec ques luy prend Antenor le vieulx,
Sortent aux champs, frapent à qui mieulx mieulx,
Si qu’en brief temps droict au Camp arriverent :
Et au mylieu des troupes ſe trouverent.
    Eulx deſcenduz ſe meirent en avant
Agamemnon, & l’aultre Grec ſcavant :
Les troys Heraulx auſſi ſe feirent voir
Ornez d’habitz requis à leur devoir :
Et ſans delay, voyant la compaignie,
Fut procédé à la Cerimonie.
En premier lieu de bon vin on verſa
Dans les hanapz : Apres on ſ’adreſſa
Vers les plus grandz : Auſquelz pour approuver
La Convenance, on feit les mains laver.
Puis le grand Grec tira de ſon coſté
Certain couſteau, par luy toujours porté :
Avec lequel du front des Aigneaux coupe
Beaucoup de poil, qu’il feit emmy la troupe
Par les Heraulx aux Princes deſpartir,
Qui ne pourraient apres ſe repentir.
    Le poil receu, les mains ainſi lavées,
Agamemnon les ſiennes eſlevées,
Prioit les Dieux, diſant. Ô Iuppiter,
Dieu tres puiſſant, qui daignes habiter,
Et preſider ſur Ida la montaigne.
Ô clair Souleil, qui voys ceſte campaigne,
Et entens tout : Ô Terre, Ô vous Rivieres
Ie vous ſupply entendez mes prieres,
Et vous auſſi puiſſans Dieux Infernaulx,
Qui puniſſez ſi aigrement les maulx
Des ſolz humains,qui voz Deitez jurent,
Et puis apres faulſement ſe parjurent :
Soyez teſmoings faictes je vous ſupplye
Cette promeſſe, & faincte, & accomplye
S’il eſt ainſi que Paris mecte à mort
Menelaus, nous voulons ſans remort,
Qu’il garde Heleine, & ſoit vray poſſeſſeur
De tous les biens, dont il fut raviſſeur :
Et promettons, ſans icy ſejourner
Levant le ſiege, en Grece retourner.
Pareillement ſi mon Frere germain
Menelaus, peult vaincre de ſa main
Le dict Paris, que ſoubdain on nous rende
La belle Grecque, avec condigne amende
Des maulx ſoufferts : & que chaſcune année
Soit à noz Hoirs, apres nous, ordonnée,
Certaine Rente, ou Tribut, qui teſmoigne
Noſtre victoire, & leur faulte & vergoigne.
Et au contraire eſtant ainſi vainqueur,
S’il advenoit que par faulte de cueur
Le Roy Priam, & ſes Filz refuſaſſent
Garder la Foy & des Dieux abuſaſſent :
Ie jure icy de jamais ne partir
De ceſte terre, & ne me divertir
À aultre faict : ſans la voir deſolée :
Les Troiens mortz, & leur Cité bruſlée.
    Diſant ces motz, de ſon couſteau oſta
Aux deux Aigneaux la vie, & les jecta
Sanglantz en terre, Adoncques ſe trouverent
Illec pluſieurs, qui comme luy vouerent
En reſpandant avecques une Taſſe,
Deuotement le bon vin en la place.
Entre leſquelz, aulcun des Grecs gendarmes
Ou des Troiens laſſé de porter armes,
Prioit ainſi. Ô tres ſouverains Dieux
Qui voyez tout ce qu’on faiſt en ces lieux.
Las, permectez que celuy qui ſera
Premier motif dont l’accord ceſſera,
(En ſe monſtram à voſtre vueil rebelle)
Que pour la faulte on voye ſa Cervelle
Et de ſes Filz ſur la terre eſpandue,
Et puis ſa Femme à ung aultre rendue.
Ainſi prioient mais leur juſte priere
Fut pour ce coup des Dieux miſe en arriere.
    D’aultre coſté, Priam appercevant
Que tout l’aſfaire eſtoit la bien avant :
Dit aux Gregeois, & Troiens tous enſemble.
Ie m’en iray, Seigneurs, ſi bon vous ſemble :
Ie ne pourrois de douleur me garder,
S’il me faloit de mes yeulx regarder
Mon filz Paris combatant ſa Partie.
Les Dieux haultains, ont la mort departie
À l’ung, ou l’aultre : Et ſi ont ordonné,
Auquel des deux ſera l’honeur donné.
    Ces motz finiz au Chariot monta,
Et les Aigneaulx avec foy emporta.
Print Antenor, & tant ſes Chevaulx preſſe,
Qu’en ung moment il fut hors de la preſſe :
Et toſt apres à Troie ſe rendit.
    Le preux Hector, cependant entendit
Et Vlyſſés à meſurer le lieu
Propre au combat, aſſis droict au mylieu
Entre les camps. Conſequemment pour voir
Lequel des deux devoit l’honeur auoir
Du premier coup, aſſaillant l’adverſaire,
Feirent les ſortz, comme eſtoit neceſſaire
En cas pareil, dans ung Armet mectans
Deux Bulletins, pour les deux combatans :
Et cil à qui le Sort premier viendroit,
Premierement l’ennemy aſſauldroit.
    Tous les Souldardz, de ſcavoir curieux,
Tenoient ſans ceſſe & l’eſprit, & les yeulx,
Sur ceſt Armet ; & quelqu’un deulx prioient
Les Dieux haultains en leurs cueurs, & diſoient.
Ô Iuppiter, Dieu des dieux, & grand Roy
De tous humains, fay nous huy ceſt octroy,
Que cil des deux qui cauſe ces encombres,
Face deſcente aux infernales vmbres :
Et que Gregeois & Troiens de ce faix
Lors deſchargez, vivent en bonne paix.
    Ayant Hector ſon regard deſtourné
De ſon Armet, tourné & contourné
Par pluſieurs foys, pour mieulx meſler les ſortz,
Il meit la main dedans, & tira hors
Cil de Paris. Quoy faict, en brief eſpace
Chaſcun ſe meit à part, laiſſant la Place
Du combat vuyde, & de maintien raſſis,
Tout à l’entour furent en terre aſſis.
    Paris voyant qu’il devoit aſſaillir
Menelaus, ne voulut pas ſaillir
À bien ſ’armer. Si print pour le premier
Son beau harnois de jambes couſtumier,
Et ſes Cuyſſotz, attachez par art gent
À beaux boutons & grandz Boucles dargent
Secondement print la Cuyraſſe forte
De Lycaon ſ’accommodant de ſorte
Qu’on euſt jugé eſtre pour luy trempée.
Apres ceignit une peſante Eſpée,
Pendant à doux d’argent poly & clair.
Puis ſe chargea d’ung dur & fort Boucler
Sur ſon eſpaule : Et pour couvrir ſa teſte
D’ung riche Armet, ayant une grand creſte
Faicte du poil, qu’on voit pendre en la queue
Dung grand Cheval tant horrible à la veue
Que auſſi ſouvent que ſa teſte il haulſoit,
On euſt penſé, que cela menacoit.
Finablement il print en ſa main dextre
Ung Dard ſerré, puis ſoubdain ſe vint mettre
Emmy le camp, ſe monſtrant fierement.
    Menelaus ſ’arma tres ſeurement
D’aultre coſté, & comparut en place,
Plein de colere, & amere menace.
    La ne ſut lors ſi courageux Souldard
Qui n’euſt frayeur, contemplant ce hazard.
Meſmes voyant leurs geſtes, leur marcher,
Et l’eſbranler des Dardz à l’approcher.
    Entre au camp, Paris de beau prinſault,
Fort ſur ſes piedz, feit le premier aſſault.
Lancea ſon dard, de bien grande roideur,
Et vint ſrapper droict : parmy la rondeur
Du fort Eſcu du Grec : mais il n’eut force
De tranſpercer tant ſeulement l’eſcorce.
Et fut la poincte au faulſer empeſchée,
Par la durté de l’Eſcu rebouchée.
    Menelaus ſans ſeſbahyr, ſoubſtint
Tres bien le coup, Puis debout ſe maintint,
Priant ainſi. Ô Iuppiter puiſſant,
Qui es le droict : clairement cognoiſſant,
Octroye moy ores que je puniſſe
Mon ennemy, de ſon grand malefice.
Las ſay qu’il meure, ainſi qu’a mérité.
À celle fin que la Poſterité,
Saichant ſa mort, & la faulte punie,
Craigne touſjours de faire villenie
Dans le Logis, ou par honeſteté
Eſt l’eſtranger receu, & bien traicté.
    Apres ces motz, il feit ſon Dard branſler,
Et tout ſoubdain ſi rudement voler
Contre Paris,que l’Eſcu luy perca.
Puys la Cuyraſſe entierement faulſa,
Et tous les draps juſques à la Chemiſe.
Et euſt eſte, encor la poincte miſe
Dans l’eſtomach, ſi Paris n’euſt tourné
Ung peu à gauche, & le coup deſtoumé.
    Menelaus apres ce coup, deſguayne
Sa belle eſpée, à l’argentine guayne
Et ſe haulſant, ſur l’Armet aſſenna
Son ennemy, ſi fort qu’il l’eſtonna.
Mais au tiers coup ſon eſpée rompit :
Dont il cuyda forſener de deſpit.
Ô Iuppiter meſchant Dieu, je voy bien
(Ce diſoit il) que tu ne vaulx plus rien :
Ou que tu es le plus malicieux
De tous les Dieux, qui repairent es cieulx :
Las, je penſois que l’heure fuſt venue,
Que l’ennemy n’auroit plus de tenue.
Et maintenant je n’ay rien avancé
Du javelot, & mon Glayve eſt froiſſé
Ce nonobſtant tout enflammé de rage,
Il luy court ſus : & le prend au Pennage
De ſon armet l’efforcant de grant cueur,
Le mectre hors du Camp, comme vainqueur.
Ce quil euſt faict, d’autant que la Courroye
Soubz le Menton luy empeſchoit la voye
De reſpirer, & pour vray l’eſtrangloit.
Adonc Venus, qui ſaulver le vouloyt,
La feit toſt rompre, & n’eut aultre conqueſte
Menelaus, que le Harnoys de teſte :
Qu’il jecta loing entre les ſiens. Puis cuyde
Venir frapper deſſus la teſte vuyde :
Mais la Deeſſe avoit en ung inſtant
Mis en lieu ſeur, le laſche combatant.
    Si l’emporta en une Nue obſcure,
Dans la Cité, puys luy oſta l’armure,
Et le remeit, pour repoſer ſes membres,
Tout doulcement, en l’une de ſes Chambres
Plus perfumée : Apres de luy ſe part,
Pour amener Heleine celle part.
Laquelle eſtoit alors en une tour
Parlant le temps, non ſans avoir autour
Mainte Troiene, & gente damoiſelle,
Qui deviſoient enſemble avecques elle.
    Venus avoit, pour eſtre deſcognue,
Prins ung habit humain à ſa venue,
C’eſt de Grea la bonne chambriere,
Bien vieille d’ans : mais excellente ouvriere
En Broderie, & a filer la Laine.
Si vint tirer tout gentement Heleine
Par ſes habitz, en luy diſant. Maiſtreſſe,
Le tien Paris ma donné charge expreſſe
De te prier t’en venir promptement
Iuſque au logis, ou à l’accoutrement
Qu’il à veſtu : tu penſeras ſans faille,
Qu’il n’a eſté ce jourdhuy en bataille :
Tant il eſt frais. Et à ſa contenance,
Tu jugeras qu’il vienne de la dance.
    Ainſi diſoit la Deeſe amoureuſe,
Luy remectant la flamme vigoreuſe
En ſon eſprit : Laquelle cognoiſſant
La belle gorge, & l’oeil reſplendiſſant
Du Corps divin, fut de craincte ſurpriſe :
En luy diſant. Quelle faulſe entrepriſe,
Fais tu ſur moy ? Me vouldrois tu mener
Encore ung coup, pour mary me donner,
Par les Citez de Phrygie prochaines,
En Meonie, ou aultres plus loingtaines :
Pour guerdonner quelqu’un qui ta ſervie :
Puis que tu voys que cil qui ma ravie
Eſt la vaincu, & qu’il fault que je voiſe
Une aultre fois, en la marche Gregeoiſe ?
Pourquoy viens tu ſoubz ce faintif langaige
Me decevoir, celant ton perſonage ?
Ie croy que c’eſt pour l’aveugle deſir
De ſon amour, qui t’eſt venu ſaiſir.
Laiſſant les cieulx, & la Troupe divine :
    Pour eſtre icy Eſclave & Concubine
De ton Paris. Or puis qu’il eſt ainſi,
Garde le bien, & ne bouge dicy.
Il ne m’en chault : jamais dedans ſon lict
N’aura de moy compaignie ou delict.
Et à bon droiſt. Qu’en diroient les Troienes
Dames d’eſtat, & aultres Cytoienes ?
Trop ſe pourroient de moy mocquer & rire :
Dont j’en mourrois de faſcherie, & d’ire.
    Quand la Deeſſe entendit ſa parole,
Soubdainement & d’une chaulde cole,
Luy dit ainſi. Miſerable chetive,
Ne dy plus mot, & contre moy n’eſtrive,
À celle fin que ſi je me courrouſſe,
Trop rudement ne te chaſſe ou repouſſe.
Et que d’autant que t’ay eſté amye
D’autant ou plus, je ſoys ton ennemye,
En concitant par mes divins moyens,
Encontre toy, & Gregeois & Troienſ :
Qui (ſans eſpoir qu’on te peuſt ſecourir)
De male mort te facent toſt mourir.
    De ce courroux ſut la Belle eſtonnée.
Si ſe partit ſimplement attournée,
Couvrant ſa face avec ſa riche robe,
Et peu à peu de la tour ſe deſrobe,
Suyvant Venus, qui l’eut bien toſt conduicte
En ſon logis. Apres toute la ſuytte
S’en retourna, les unes à filler,
Aultres à tixtre, & pluſieurs à parler.
    Eſtans dedans la chambre bien parée,
Fut par Venus, la Chaire préparée,
Ou fut aſſiſe Heleine, vis à vis
De ſon eſpoux. Laquelle bien enuys
Le regardoit : Et lors tres courroucée,
Luy deſcouvrit le fondz de ſa penſée
Doncques tu viens (Ô laſche malheureux)
De ce Combat, rude & avantureux ?
Que pleut aux Dieux qu’y fuſſes tu pery,
Occiz des mains de mon premier Mary.
Tu te ſouloys aultreſfois tant venter,
Qu’il n’oſeroit à toy ſe preſenter :
Tu le voulois vaincre legierement,
Et maintenant t’en fuys ſi laſchement.
Laiſſe le donc, & plus ne t’eſvertue
De l’aſſaillir, ſi ne veulx qu’il te tue.
    Ainſi diſoit la Grecque par courroux.
Mais Alexandre avec ung parler doulx,
Se parforcoit de l’appaiſer. M’amye
(Ce diſoit il) ne te courrouce mye,
Si le Gregeois (ſecouru de Minerve)
M’a ſurmonte, encores je reſerve,
Que quelque ſois par moy vaincu ſera :
Alors qu’ung Dieu me favoriſera.
Car je ne ſuis de leur faveur ſi loing,
Que je ny treuve ayde, à mon grand beſoing.
Or je te pry maintenant ma tres chere,
De me monſtrer plus agreable chere
Reſjouys toy, & couchons nous enſemble,
Car je ne fus (au moins comme il me ſemble)
Onc enflammé de ſi ardent deſir :
Non quand je vins premierement geſir
Avecques toy, dedans l’iſle Cranée.
    Apres ces motz, ſut la belle amenée
Sur le beau Lict :, ou ſans plus de propos,
Les deux Amans ſe meirent en repos.
    Menelaus ce pendant plein de rage,
Plus furieux qu’une beſte ſaulvage,
Parmy le Camp ne faiſoit que chercher
Son ennemy, pour toſt ſ’en deſpeſcher.
Mais les Troiens n’y leurs gens ne povoient
Le deſcouvrir, pour ce qu’ilz ne ſcavoient
Ou il eſtoit. Et ſ’ilz l’euſſent cogneu,
    La l’amytie n’euſt aulcun retenu
Que ſur le Champ, n’euſt eſté deſcouvert.
Car l’Adultere, à tous clair & ouvert,
Luy concitoit une ſi grande hayne,
Qu’on deſiroit ſa fin & mort ſoubdaine.
    Agamemnon voyant eſtre notoire
À tout le Camp, que l’honeur, & Victoire,
Appartenoit à ſon Frere par droit,
Quand la raiſon entendre l’on vouldroit :
Se meit avant, diſant. Troiens Souldards,
St vous auſſi qui ſoubz leurs eſtandards
Eſtes venuz, ſouſtenant leur querele.
De voſtre foy je vous Somme & appelle.
Vous avez veu Menelaus le fort,
Avoir vaincu par Martial effort,
Voſtre Paris qui à laiſſé la Place :
Or faictes donc que l’on nous ſatifface.
Rendez la Grecque, avec le bien ravy :
Et neantmoins pour l’honeur deſſervy,
Soit aux Gregeois, deſſus Troie, aſſignée


Certaine Rente, & à noſtre Lignée

    Ainſi parla, dont les ſiens le louerent :
Et ſa ſentence en criant auouerent.



FIN DV TROISIESME LIVRE.