Les Dirigeables
Revue des Deux Mondes5e période, tome 46 (p. 415-446).
LES DIRIGEABLES

M. Santos-Dumont avait déjà crevé cinq ballons de sa construction, lorsque, le 19 octobre 1901, à deux heures de l’après-midi, l’observatoire de la Tour Eiffel lui fit savoir que le vent était faible, qu’il soufflait de l’Ouest-Sud-Ouest et ne dépassait pas 4m, 40 à la seconde, avec, cependant, des coups de bourrasque de 6 à 8 mètres. Brusquement, alors, le jeune aéronaute se décida à sortir son n° 6, pour tenter de gagner le prix de 100 000 francs fondé par M. H, Deutsch, prix dont les conditions essentielles étaient les suivantes : « partir du parc d’aérostation que l’Aéro-Club avait établi entre Suresnes et Saint-Cloud, sur les coteaux qui bordent la Seine, décrire, sans toucher terre et par les seuls moyens du bord, une courbe fermée de façon que l’axe de la Tour Eiffel soit à l’intérieur du circuit, et revenir au point de départ dans le temps maximum d’une demi-heure. »

A 2 h. 29, M. Santos-Dumont monte dans son ballon et part. Malheureusement, le guide-rope s’accroche dans un arbre, le ballon s’arrête, et son conducteur se voit obligé de rentrer au parc à 2 h. 35. A 2 h. 42 a lieu exactement le second départ. Cette fois, Santos-Dumont, jetant un sac de lest, s’élève à 200 mètres environ, et à une allure stupéfiante, avec une rectitude absolue, franchit la Seine, dépasse le Bois et se dirige vers la Tour Eiffel, décrivant une trajectoire d’une régularité admirable et qui n’est, en somme, que la courbe bien connue du chien qui traverse la rivière pour rejoindre son maître. Une foule compacte, massée dans le champ de courses d’Auteuil, l’acclame et attend son retour pour l’acclamer une seconde fois. Mais le ballon fait une légère embardée qui le pousse un peu trop vers la Tour Eiffel. On s’émeut ; on suit des yeux la tache blanche, qui devient de plus en plus petite dans le ciel ; après quelques secondes qui paraissent des siècles, elle s’allonge enfin, le Santos-Dumont n° 6 se présente par le travers. « Il tourne ! il tourne ! » clament des centaines de voix. Et, en effet, le ballon se rapproche de la Tour, la côtoie, passe devant, emporté même assez loin à droite, en apparence tout au moins.

Quand on voit le mince fuseau coupé en deux par la ligne noire de la Tour, entre la deuxième et la troisième plate-forme, c’est un enthousiasme bruyant, délirant : 8 min. 45 ont suffi pour faire la moitié du trajet, 5 400 mètres environ. Mais, jusqu’alors, le ballon a marché à peu près dans le vent ; il lui faut maintenant lutter contre. Aussi voit-on l’aéronat, — c’est la dénomination technique adoptée aujourd’hui pour les dirigeables, — tanguer fortement et faire de nombreuses embardées. Le retour paraît fort long ; c’est avec une fièvre véritable que les spectateurs regardent grandir lentement, très lentement leur semble-t-il, le ballon. Enfin à 3 h. 11 m. 30 s., il arrive au zénith du Parc de l’Aéro-Club. Il n’a mis pour accomplir son trajet que 29 m. 30 s. Mais il est trop haut pour qu’on puisse saisir son guide-rope, condition exigée par le règlement, malencontreusement remanié presque à la veille de la course. N’importe ! le bon sens indique que le prix est gagné, car, à ce moment, s’il eût voulu déchirer son appareil, Santos-Dumont eût touché terre en moins de dix secondes, et M. Henri Deustch, sans hésiter, félicite l’heureux vainqueur.

Toutefois, le prix une fois acquis, il s’agissait de décider si l’exploit qui venait d’être accompli marquait un pas décisif dans la solution du problème de la navigation aérienne par le plus léger que l’air. Cette question, aujourd’hui, est définitivement tranchée : on s’est mis d’accord pour reconnaître que, dans cette mémorable ascension, le Santos-Dumont n° 6 a marché avec une vitesse propre d’environ 8 mètres par seconde, dépassant ainsi de 1m, 50 la vitesse maximum obtenue par le colonel Renard, avec la France, en 1885. Le progrès est donc incontestable, mais il est incontestable aussi que, d’après les évaluations les plus modérées (voir le n° de la Revue du 15 mars 1901), M. Santos-Dumont aurait dû atteindre 10 à 11 mètres de vitesse propre ; que si, par suite des vices de construction de son dirigeable, ce résultat n’a pas été obtenu, il y a plutôt lieu, à cette heure, de s’en féliciter. Pourquoi ? On le sait maintenant, on l’ignorait alors, et c’est ce qui sera expliqué dans le cours de cette étude où la question des dirigeables tout entière est reprise ab ovo.

Elle le mérite, car non seulement ces appareils de navigation aérienne ont montré, aujourd’hui, ce qu’ils pouvaient faire, mais encore les règles qui président à leur construction et à leur direction ne sont plus un mystère, au moins dans les grandes lignes, et on peut même fixer approximativement les limites assignées à leur puissance, c’est-à-dire à leur capacité de transport, à leur vitesse et à leur rayon d’action.


I

Comme l’a fort bien dit le commandant Bouttieaux, dans une remarquable conférence faite au Conservatoire des Arts et Métiers, le problème de la navigation aérienne consiste à élever et à soutenir un corps pesant au sein de l’atmosphère, à lui faire décrire dans l’espace une trajectoire quelconque et à le ramener jusqu’au sol sans choc appréciable. D’où les quatre élémens de la question : élévation, sustentation, propulsion et atterrissage. Toutefois l’élévation et l’atterrissage s’obtenant généralement par une simple modification des forces employées à la sustentation, ces quatre termes se résument en définitive à deux : la sustentation et la propulsion.

Le problème de la sustentation peut être résolu par deux systèmes différens : le premier, excellent, facile à employer, utilise comme flotteur un ballon rempli d’un gaz moins dense que l’air ; c’est le système du plus léger que l’air, celui que les dirigeables utilisent. Le second, infiniment moins facile à employer, se fonde sur une imitation plus ou moins heureuse du vol de l’oiseau ; c’est le système du plus lourd que l’air, qu’utilisent les appareils de navigation aérienne appelés appareils d’aviation.

Quant au problème de la propulsion, sa solution consiste, pour les deux systèmes, dans l’emploi de propulseurs, qui sont généralement des hélices, et auxquels on demande d’imprimer à l’appareil une vitesse propre supérieure à celle du courant d’air dans lequel il se déplace ; — c’est, on le conçoit aisément, la condition sine qua non que doit remplir un appareil volant, à quelque système qu’il appartienne, pour être en état de fermer au moins sa trajectoire. — Si, par inadvertance, on était tenté de croire que la faible densité de l’air et la fugacité de tout point d’appui pris dans ce milieu sont des obstacles sérieux à la propulsion et que, par suite, la Navigation aérienne se trouve, à ce point de vue, dans des conditions plus défavorables que la Navigation maritime, on se tromperait du tout au tout. Dans les deux cas, en effet, la réaction du propulseur, quel qu’il soit, réaction qui produit le mouvement désiré, est proportionnelle à la densité du milieu ambiant ; mais c’est aussi à cette densité qu’est proportionnelle la résistance à vaincre, et l’air est environ 800 fois moins dense que l’eau. Par suite, dans l’air, où la résistance est donc 800 fois moindre que dans l’eau, la réaction à obtenir du propulseur est réduite dans les mêmes proportions.

En ce qui concerne les dirigeables, on pourrait croire, cependant, que vu l’énorme capacité et, par suite, l’énorme surface de leur carène, la résistance à vaincre doit être, quand même, très considérable. Ce serait encore une erreur. L’expérience montre qu’un dirigeable pisciforme tel que le Lebaudy avec son ballon (carène) d’une contenance de 3 000 mètres cubes à peu près, ses plans stabilisateurs, son gréement, sa nacelle, etc., n’exige, pour atteindre une vitesse propre de 11m, 80 à la seconde, qu’un effort de traction de 210 kg. environ. L’important est de donner à l’hélice une forme, des dimensions et une vitesse de rotation telles que les molécules de l’air se trouvent frappées assez rapidement pour être hors d’état de fuir et de se presser les unes contre les autres.

A l’origine, ces ballons ne possédaient qu’une seule hélice, douée de peu de vitesse, mais d’un grand diamètre : l’hélice de la France, le fameux aéronat dont il a été question tout à l’heure, avait 7 mètres de diamètre et ne faisait que 55 tours à la minute. Ensuite, on a diminué le diamètre, et, en même temps, augmenté la vitesse : des hélices tournant très vite, doivent, il semble, mordre mieux dans l’air. Déjà l’hélice du Santos-Dumont n° 6 faisait 400 tours et n’avait que 4 mètres de diamètre. Actuellement, on augmente encore le nombre de tours et, aussi, le nombre des hélices : le Lebaudy, — comme la plupart des paquebots de grand tonnage, — a deux hélices, de 2m, 44 de diamètre seulement, qui, placées de chaque côté de l’aéronat, tournent à 1 200 tours. Les dirigeables Zeppelin enfin, — comme le Mauretania, le Lusitania et autres paquebots géans, — ont quatre hélices de 4m, 50 de diamètre, tournant à 800 tours et placées de chaque côté de l’aéronat. Mais, la Ville-de-Paris n’a qu’une hélice de 6m, 20 de diamètre, tournant à 180 tours.

Toutefois, pour que l’organe de propulsion employé puisse faire avancer le navire aérien, encore faut-il qu’il soit actionné par un moteur d’une puissance suffisante. Ici, ne croyons pas davantage à des chiffres exagérés : tandis qu’un croiseur de 2 900 tonnes, comme le « Sentinel, » exige un moteur de 17 000 chevaux pour marcher à une vitesse de 12m, 80 à la seconde seulement, 40 chevaux suffisent pour imprimer au Lebaudy une vitesse propre de 11m, 80, et 70 chevaux avaient pu imprimer à la Patrie une vitesse de 13 mètres. Mais si la puissance nécessaire pour obtenir de ces aéronats la vitesse, déjà très appréciable, de 12 à 13 mètres, est relativement si faible, comment se fait-il, peut-on objecter, que plus d’un siècle d’efforts ait été nécessaire pour arriver à ce résultat ? La réponse est facile.

Etant donné un ballon plein d’hydrogène, si l’on déduit de sa force ascensionnelle brute, c’est-à-dire du poids que la masse d’hydrogène est capable de soulever, les poids de l’enveloppe, de la nacelle, du gréement et des accessoires, — points sur lesquels on ne peut pas gagner indéfiniment sans nuire à la solidité de l’ensemble, — il ne reste, dans les ballons de tonnage moyen les mieux conditionnés, pour la force ascensionnelle nette, qu’un tiers environ de la force ascensionnelle brute, et c’est ce tiers qu’il faut partager entre le moteur, le lest et les aéronautes. Ainsi le Lebaudy, dont le cube est exactement de 2 950 mètres, la force ascensionnelle brute de 3 540 kg., n’a que 1 100 kg. de force ascensionnelle nette à partager comme nous venons de le dire. Conclusion : pour mener à bien le problème des dirigeables, il faut, d’un côté, porter à son maximum la force ascensionnelle brute, diminuer autant que possible le poids de l’enveloppe, du gréement, de la nacelle, et la résistance à l’avancement ; de l’autre, trouver un moteur suffisamment léger et ne consommant qu’un minimum de combustible.

Dans ces conditions, non seulement le gaz hydrogène est la seule matière qu’on doives employer au gonflement d’un aéronat, mais encore il est nécessaire d’arriver à le fabriquer d’une façon parfaite. C’est ce qui a lieu aujourd’hui : alors qu’il y a cinq ou six ans, un mètre cube de ce gaz enlevait à peine 1 kg., actuellement, il enlève 1kg, 200, comme le prouvent les chiffres que nous venons de donner à l’instant même ; on ne saurait espérer mieux. Quant au gréement, on l’allège de plus en plus ; le filet, la housse qui le remplaçait dans certains modèles, ont disparu ; les câbles de suspente sont directement fixés à la carène, et la nacelle aussi légère que le comportent les circonstances.

Les dimensions réduites que l’on est ainsi forcé de donner à la nacelle, la disparition du filet, contribuent, cela va de soi, à diminuer la résistance à l’avancement. Mais c’est surtout la carène qui doit être étudiée à ce point de vue : quoique la forme sphérique présente de véritables avantages comme solidité, stabilité et utilisation de la force ascensionnelle, tandis que la forme allongée utilise mal cette force et offre le maximum de prise aux poussées latérales de l’air, il est certain que cette dernière s’impose quand même pour vaincre le vent debout, une carène comme celle de la France offrant à l’avancement une résistance 40 fois moindre, environ, que celle d’un ballon sphérique de même volume. Les avis ne diffèrent que sur le profil à adopter. En général, les carènes des dirigeables allemands, celles des Zeppelin, par exemple, sont cylindriques ; celle du dirigeable anglais Nulli-Secundus, l’était aussi ; mais en France, en Italie, on préfère les carènes fusiformes, comme celles de la France, du Santos-Dumont n° 6, du Lebaudy, de la Ville-de-Paris, de l’Italia, etc. Rappelons, cependant, que d’après certaines expériences du capitaine aérostier italien Castagneris, l’enveloppe fatigue moins si elle est cylindrique que si elle est fusiforme, les efforts étant mieux répartis, de sorte que si l’on considère la solidité comme une qualité essentielle dans un dirigeable, surtout dans un dirigeable militaire, la forme cylindrique peut paraître préférable.

Quant au choix du moteur, au lieu de nous livrer à des considérations générales, prenons pour exemple le Lebaudy avec sa force ascensionnelle nette de 1 100 kg., et supposons que pour obtenir 11m, 80 de vitesse pendant une durée de cinq heures, on veuille employer le moteur électrique dont s’est servi le colonel Renard sur la France en 1884 et 1885. Comme ce moteur pesait 500 kg. et donnait 8 chevaux et demi pendant deux heures seulement, soit un poids de 30 kg. par cheval et par heure, on voit que si l’on voulait marcher pendant cinq heures avec un moteur de ce genre porté à 40 chevaux, ce moteur pèserait 6 000 kg. La conclusion est évidente, et cependant, au moment où l’éminent ingénieur procédait à ses expériences, son moteur était réputé des plus légers.

Tout change avec un moteur à essence tel que celui du Lebaudy. Comme ce moteur ne pèse que 300 kg., soit 7kg, 5 par cheval, et qu’il ne dépense que 14 kg. d’essence par heure, ce qui met le cheval-heure à 7kg, 85 au lieu de 30, on voit que l’aéronat pourra non seulement enlever le moteur et la provision de combustible nécessaire pour 5 heures de marche, soit 370 kg., mais qu’il restera encore 730 kg. de poids utile pour le lest, les voyageurs, etc. L’apparition du moteur à explosion a donc seule rendu possible la solution du problème des ballons dirigeables, et l’automobilisme peut même revendiquer une large part dans cette nouvelle conquête de la science. N’est-ce pas, en effet, à l’idée, que l’on s’accorde aujourd’hui à trouver géniale, de l’organisation des courses, avec poids limité à 1 000 kg., que ce genre de moteur a dû ses rapides et étonnans progrès ? Et encore, notons que dans les aéronats qui circulent à cette heure, on s’interdit d’employer des moteurs de moins de 4 à 5 kg. par cheval, la sûreté du fonctionnement étant une condition de la plus haute importance, qui, évidemment, doit passer avant toutes les autres.

Toutefois, si l’on veut tirer du moteur à explosion le meilleur parti possible, on nous accordera qu’il est absolument indispensable de ne pas créer ou de ne pas laisser se créer des résistances parasites à l’avancement, d’où la nécessité : 1° de placer convenablement l’organe propulseur ; 2° d’assurer d’une façon absolue la permanence de forme de la carène.

Supposons, d’abord, l’hélice à l’avant de la nacelle, comme dans la France, le Santos-Dumont n° 6, la Ville-de-Paris : elle chassera l’air derrière elle avec une grande force et, cet air venant buter contre les parties voisines de l’aéronat, une fraction importante de la force de propulsion sera perdue. Si nous la fixons à l’arrière, autre inconvénient, car elle aspirera l’air qui est dans le sillage de la nacelle, et comme cet air est le siège de nombreux remous, elle mordra moins facilement, d’où, encore, diminution de la force de propulsion. Mêmes résultats, d’ailleurs, si elle était placée à l’avant ou à l’arrière de la carène. Le mieux, semble-t-il, serait donc de l’installer dans l’espace libre compris entre la nacelle et la carène, ce qui présenterait, au point de vue de la stabilité, des avantages dont il sera question plus loin. Malheureusement, où qu’elle soit, elle aura toujours une poussée excentrique par rapport au centre de gravité de l’aéronat et par rapport à l’axe de la carène, dans le voisinage duquel se trouve le centre de résistance à l’avancement, d’où, quand elle tourne dans un sens déterminé, des effets de roulis, de tangage et de giration fort gênans. Rien ne vaut donc le système de propulsion employé dans le Lebaudy, savoir : deux hélices placées à gauche et à droite de l’aéronat, tournant avec la même vitesse et en sens contraire, qui aspirent et refoulent l’air sans rencontrer d’obstacles et dont les efforts secondaires s’annulent les uns les autres, les mêmes avantages étant évidemment attachés à l’emploi de deux paires d’hélices.

Quant à la permanence de la forme de la carène, on conçoit facilement que si l’étoffe n’est pas toujours très bien tendue, des poches tendront à se former et se formeront à l’avant, aux points où la résistance est maximum. L’air, alors, au lieu de glisser sur l’étoffe, s’arc-boutera en quelque sorte contre elle, ce qui augmentera la résistance à la marche, souvent dans d’énormes proportions, et provoquera sûrement des variations brusques dans la stabilité du système. Il pourra même arriver que le ballon se replie sur lui-même ou s’écrase en accordéon, d’où une catastrophe presque inévitable. Les ingénieurs, à l’heure actuelle, n’ont guère à leur disposition, pour éviter ces inconvéniens, que deux moyens : d’abord, la substitution aux enveloppes d’étoffe, déformables par nature, de carcasses métalliques parfaitement rigides et, par suite, indéformables : c’est la méthode allemande, sur laquelle nous reviendrons plus tard, que le général Zeppelin a fait sienne et qui, à côté d’avantages encore un peu problématiques, a l’immense défaut d’alourdir considérablement l’aéronat. Ensuite, l’emploi du ballonnet : c’est la méthode dont, en 1872, Dupuy de Lôme avait déjà montré la sûreté et l’efficacité.

Le ballonnet, on le sait, est une sorte de grande poche, généralement semi-elliptique, placée à la partie inférieure de la carène et que l’on peut gonfler d’air à volonté, au moyen d’une pompe, ou mieux, d’un ventilateur actionné ordinairement par le moteur. Dès que l’aéronat est arrivé dans la zone d’équilibre choisie, on met en marche le ventilateur : le ballonnet se gonfle et cette augmentation de volume produit à l’intérieur du ballon une surpression capable, si elle est assez forte, de mettre l’enveloppe à l’abri de toutes les variations de forme que pourraient amener, soit la résistance de l’air à l’avancement, soit des influences diverses, un abaissement de température, par exemple, qui ferait contracter le gaz et, par suite, l’enveloppe. Encore faut-il, pour assurer ce résultat, que le ventilateur ait un débit convenable : c’est un des reproches que l’on a faits au Santos-Dumont n° 6 d’avoir un ventilateur insuffisant, de sorte que l’on voyait souvent le ballon se creuser de poches signalant un vide partiel.

Remarquons, d’ailleurs, que le ballonnet serait, à lui seul, impuissant à assurer la permanence désirée, si, par le choix même de la forme donnée à la carène, on ne la mettait pas en état de résister à l’expansion du gaz, tout en restant parfaitement semblable à elle-même. Ainsi, un ballon cubique serait impossible à réaliser : ses faces se gonfleraient spontanément et deviendraient convexes, tandis que les angles se rapprocheraient du centre. De là, la nécessité de donner aux carènes, quand elles sont en étoffe, la configuration de surfaces de révolution dont le profil peut affecter, comme nous l’avons vu plus haut, des formes plus ou moins variées, mais que l’on doit choisir de façon qu’elles puissent toujours combattre la pression intérieure.

Quoi qu’il en soit, la construction et le maniement du ballonnet ont fait de tels progrès que cet appareil en est arrivé, aujourd’hui, à jouer un autre rôle, de tout premier ordre aussi, dont on l’aurait cru incapable il y a encore quelques années. celui de permettre à l’aéronaute de choisir sa zone d’équilibre, et de s’y maintenir à peu près aussi longtemps qu’il le désire. En même temps, la dépense de lest a tellement diminué qu’un aéronat comme le Lebaudy, à condition de se tenir constamment à la même altitude, en use à peine 40 kilog. à l’heure, en moyenne, au lieu de 100, et cela malgré les ruptures d’équilibre inévitables que produisent à chaque instant les changemens d’état de l’atmosphère. Il est vrai qu’avec les vitesses actuelles ces ruptures tendent de plus en plus à perdre de leur importance et qu’il est possible de les conjurer par l’emploi de gouvernails horizontaux ou d’hélices sustentatrices. N’importe ! c’est toujours le ballonnet qui, pour des raisons qui seront exposées plus loin, présentera, à cet égard, le maximum de sécurité. D’ailleurs, même au point de vue de la stabilité proprement dite, cet accessoire joue encore un rôle capital.

Lorsque, en effet, la pression à l’intérieur du ballon ne dépasse pas quelques millimètres d’eau, — comme dans les anciens dirigeables tels que la France, où le gaz était en communication directe avec l’atmosphère par le long boyau appelé manche, — il arrive que, par suite de la mise en marche, la masse d’hydrogène contenue dans l’enveloppe est refoulée, d’abord vers l’arrière où elle se comprime, pour revenir ensuite vers l’avant et ainsi de suite. Par elle-même, cette vague alternante ne tend ni à élever, ni à abaisser le ballon ; mais on conçoit que, pour peu que celui-ci vienne à tanguer, elle contribue à aggraver ce mouvement, et puis, d’autres vagues intérieures, provenant des pulsations que les variations de tension causées par le tangage impriment à l’enveloppe, viennent encore s’ajouter à la vague alternante. Grâce à la surpression intérieure, — pouvant s’élever jusqu’à 50 millimètres d’eau, — que permet de produire, comme nous l’avons expliqué tout à l’heure, le jeu du ballonnet, actuellement, la vague alternante est évitée, et les effets des pulsations de l’étoffe, réduits à leur minimum. Mais on a dû supprimer la manche, clore complètement le ballon et munir sa partie inférieure de clapets de sûreté, s’ouvrant automatiquement dès que l’excès de pression risquerait de provoquer une explosion.

En résumé, tous les services si divers que les aéronautes français ont demandés au ballonnet, et qu’il leur a rendus, justifient amplement ces paroles d’un écrivain autorisé, M. Sazerac de Forge, que c’est à lui surtout que les dirigeables de notre pays doivent et leur puissance et leur admirable docilité. Cependant, pour le mettre à même de remplir convenablement ses fonctions, faut-il encore lui donner un volume suffisant et s’arranger de façon que sa flaccidité obligatoire au cours de l’ascension ne puisse y donner lieu à des vagues intérieures.

Le calcul permet aisément de satisfaire à la première de ces conditions. Il montre que pour qu’un dirigeable tel que le Lebaudy, par exemple, — qui ne doit pas dépasser 11 à 1 200 mètres d’altitude, — reste gonflé pendant toute la durée du voyage, atterrissage compris, un ballonnet de 500 mètres cubes est largement suffisant. Seulement, pour que le remplissage soit assuré de façon convenable, le ventilateur doit être capable de débiter 1 mètre cube d’air par seconde, environ.

Quant à la suppression de toute vague à l’intérieur du ballonnet lui-même, elle s’obtient facilement en divisant l’appareil en trois compartimens au moyen de deux cloisons transversales, percées d’ouvertures suffisantes pour le passage de l’air d’un compartiment à l’autre, et tout de même assez étroites pour que ce passage ne puisse s’opérer que très lentement. Si on prend alors la précaution de faire déboucher le tuyau du ventilateur dans le compartiment central, comme le ballon a toujours le temps de se redresser dans un sens ou dans l’autre avant le passage de l’air du compartiment central dans celui qui se trouve momentanément le plus bas, tout mouvement de flux et de reflux devient impossible et une cause d’instabilité de plus, peu grave, il est vrai, se trouve ainsi conjurée.


II

L’instabilité étant le lot ordinaire de tout corps en mouvement, surtout lorsqu’il prend son point d’appui dans un fluide, doit être, a fortiori, le lot de tous les ballons dirigeables. Or, comme dans ces conditions, la solidité du système peut, à chaque instant, être compromise, le fonctionnement du moteur devenir impossible, et la vitesse obtenue presque illusoire, vaincre l’instabilité est donc une condition absolument indispensable pour obtenir la solution du problème de la navigation aérienne par le plus léger que l’air.

Afin d’avoir une idée nette, quoique simple, de la question, plaçons-nous dans le cas idéal d’un dirigeable fusiforme, marchant d’un mouvement rectiligne, horizontal et rigoureusement uniforme, dans une atmosphère parfaitement calme.

Il est soumis d’abord à deux forces verticales : son poids, appliqué au centre de la nacelle, et la poussée de l’air, appliquée à peu près au centre de la carène, et ces deux forces qui, le dirigeable restant dans sa zone d’équilibre, sont égales, parallèles et de sens contraires, forment ce qu’on appelle en Mécanique un couple. Or, il est évident que l’action de ce couple est antagoniste de tout mouvement d’oscillation du dirigeable dans un plan vertical perpendiculaire à l’axe ; et comme, de plus, cette action est d’autant plus efficace que le centre de gravité et le centre de poussée sont plus éloignés l’un de l’autre, on voit qu’à bord des aéronats, où cette condition est généralement remplie, en dehors de quelques circonstances particulières, il n’y a pour ainsi dire pas de roulis possible, au contraire de ce qui se passe dans la navigation maritime, où le centre de gravité du bateau avoisine toujours le centre de poussée. De là le nom de couple de rappel donné à ce système de forces verticales.

Mais le dirigeable en marche est soumis encore à l’action d’un second système de forces : 1° la force propulsive due à l’hélice, force appliquée au centre de traction, c’est-à-dire à peu près au centre de la nacelle, au moins dans la plupart des dirigeables ; 2° la résistance à l’avancement, appliquée au centre de résistance du système, point situé un peu au-dessous du centre de figure de la carène. Ces deux forces, horizontales et opposées, sont égales, puisque nous supposons le mouvement uniforme, et, par conséquent, elles constituent aussi un couple appelé couple de soulèvement, on va voir immédiatement pourquoi. Considérons, en effet, les mouvemens qui peuvent se produire dans le plan vertical qui passe par l’axe de la carène : il est clair que ce couple agit, fatalement et constamment, pour soulever la pointe-avant du ballon ; mais alors, instantanément, la pression du vent créé par la marche de l’aéronat intervient, et se faisant sentir avec plus de force sur l’avant que sur l’arrière, — dont les formes fuyantes se prêtent moins à la subir, — soulève encore davantage la carène, en même temps qu’elle lui imprime un mouvement de dérive dirigé obliquement de bas en haut. La déviation imprimée dans ces conditions au ballon pourrait, on le conçoit, avec une vitesse suffisante, atteindre une valeur formidable, l’amener même à se redresser complètement, si le couple de rappel, à son tour, n’entrait en ligne pour ramener constamment le ballon à la position horizontale. Que si l’aéronat, en vertu de son inertie, venait à dépasser la position horizontale, la pression du vent aurait évidemment pour effet de lui imprimer des mouvements inverses des précédens ; mais, cette fois encore, le couple de rappel, renforcé ; en cette occasion, par le couple de soulèvement, se chargerait de faire revenir tout le système à sa position normale. Conclusion : un dirigeable fusiforme en marche tangue toujours et, en même temps, décrit une série de lacets au-dessus et au-dessous de la trajectoire. — Il en est de même d’un dirigeable cylindrique, avec cette différence, pourtant, que la pression du vent agissant également sur l’arrière et sur l’avant, la déviation est moins accentuée ; la dérive, seule, est plus considérable.

Quant aux mouvemens tournans que peut effectuer, à gauche et à droite de sa route, un dirigeable en marche, aucun des deux systèmes de forces dont il vient d’être question n’en peut être rendu responsable. Le plus souvent, ces embardées sont dues, soit à un changement de direction du vent, soit, comme nous l’avons déjà dit, à l’action excentrique de l’hélice ; mais alors, dès le commencement de l’écart, la pression du vent créé par l’aéronat agissant dans le plan horizontal comme, tout à l’heure, dans le plan vertical, le ballon, en même temps, dévie et dérive. L’action du gouvernail de direction, proportionnelle au carré de la vitesse du vent qui le frappe, peut, seule, combattre ces effets, car la pression du vent est elle-même, ne l’oublions pas, proportionnelle au carré de sa vitesse, c’est-à-dire, dans le cas simple examiné ici, au carré de la vitesse du dirigeable.

Toutefois, des embardées ne peuvent qu’affaiblir la puissance du dirigeable, en diminuant sa vitesse relative, et, par conséquent, son rayon d’action. On ne peut en dire autant des mouvemens de tangage, gênans d’abord, inquiétans ensuite, et, enfin, dangereux, car ils arrivent en peu de temps : 1° à mettre le moteur en péril par le trouble des niveaux de l’huile et de l’essence ; 2° à produire sur certaines suspentes des tractions exagérées qui peuvent compromettre la sécurité des voyageurs. Tant que la vitesse est relativement faible, — 5 à 6 mètres par seconde, — l’expérience et le calcul montrent que le couple de rappel est assez puissant pour amortir ces mouvemens, grâce, il est vrai, à l’intervention d’un troisième couple, le couple amortisseur auquel donne naissance la résistance propre de l’air, — couple qu’a signalé, le premier, le lieutenant aérostier italien Crocco, — et dont l’action peut être considérée comme proportionnelle à la vitesse de marche. Encore faut-il, pour que ces deux couples, même dans le cas d’une allure modérée, puissent produire leur effet stabilisateur, que le dirigeable ne présente pas des vices de construction pouvant donner naissance à d’autres forces perturbatrices ou accroître celles que nous venons d’examiner. Ainsi, comme nous l’avons indiqué tout à l’heure, la permanence de la forme, le cloisonnement du ballonnet, l’efficacité de son jeu sont des conditions nécessaires pour l’amortissement du tangage. Mais la forme du profil donné au ballon est aussi d’une importance de tout premier ordre.

1° Il ne doit pas être trop allongé. Avec un allongement trop grand, en effet, le frottement de l’air contre la surface de la carène tend à augmenter la résistance ; de plus, il devient difficile de réduire au strict nécessaire le nombre des suspentes sans risquer de voir le ballon se couper en deux par suite de la mauvaise répartition des poids ; enfin il y a diminution de la force ascensionnelle par rapport à la surface du ballon, c’est-à-dire, en fin de compte, augmentation relative du poids à enlever. Si on définit l’allongement par le rapport de la longueur de la carène au diamètre de sa section maximum (maître-couple), l’expérience montre qu’un allongement voisin de 6 est celui qui donne les meilleurs résultats, au moins pour les ballons fusiformes. Cet allongement était celui de la France, de la Patrie ; c’est aussi celui du von Parseval, du Lebaudy, de la Ville-de-Paris, etc. Toutefois, on tend aujourd’hui à augmenter ce chiffre : le grand dirigeable militaire de 7 500 mètres cubes, dont M. Julliot, le constructeur du Lebaudy et de la Patrie, a étudié le projet, aura 100 mètres de long et un maître-couple de 11m, 50 de diamètre seulement.

2° Tous les aérostiers français admettent, à l’heure actuelle, que pour amortir les balancemens et assurer la stabilité dans le plan horizontal, une carène, quand elle est fusiforme, doit être pourvue d’une proue et d’une poupe, c’est-à-dire constituer un fuseau dissymétrique ou, ce qui revient au même, se présenter sous un aspect plus ou moins pisciforme. Disons tout de suite que nos aérostiers ont, pour les appuyer dans cette question, la jeune et déjà brillante école italienne, ainsi que la grande autorité d’O. Chanute, le célèbre aviateur américain.

Il nous semble, d’ailleurs, qu’ils peuvent invoquer un certain nombre de raisons assez plausibles, entre autres que les poissons à marche rapide, les grands voiliers de l’atmosphère sont franchement dissymétriques ; ensuite, qu’un certain nombre d’expériences sur le mouvement dans l’eau de solides en ébonite, de même longueur, mais dont le maître-couple avait des positions différentes, ont montré, non seulement les avantages de la dissymétrie, mais encore que la meilleure position à donner au maître-couple, pour éviter tout mouvement de lacets, était à peu près au tiers de la longueur à partir de la proue, ce qui revient à établir que le ballon doit marcher le gros bout en avant. On comprend aisément, en effet, qu’en rapprochant de l’avant le maître-couple, on accroît l’action du vent sur la surface caudale de la carène, et dans le plan vertical et dans le plan horizontal ; d’où, cette action étant contraire à celle qui s’exerce sur la surface de tête, un affaiblissement des mouvemens de tangage et des embardées. Aussi, les dirigeables France, Patrie, avaient-ils une carène pisciforme ; de même, le petit Santos-Dumont no 9, qui a fait, il y a cinq ans, par ses pérégrinations aux Champs-Elysées, aux courses, à la revue du 14 juillet, etc., l’admiration des Parisiens. Le Lebaudy, l’Italia sont pisciformes ; la Ville-de-Paris, le von Parseval lui-même, sont dissymétriques.

Mais la dissymétrie est, malgré tout, une question controversée encore aujourd’hui. Il n’en est pas de même du principe en vertu duquel le système carène-gréement-nacelle doit posséder une rigidité aussi grande que possible. Remarquons, d’abord, que lorsque des balancemens se produisent, il est nécessaire que le poids de la nacelle ne porte pas sur certaines suspentes plutôt que sur d’autres ; sinon, quelques-unes de ces suspentes qui, pendant un instant, n’auraient plus rien supporté et se seraient détendues, pourraient se tendre brusquement au moment du redressement, au risque de se briser. Or cela ne peut évidemment être réalisé que si l’ensemble du dirigeable constitue un système indéformable. Cette condition remplie, on voit maintenant : 1o  que le mouvement de la carène entraînant celui de la nacelle, le couple de rappel est mis en jeu avec le maximum d’intensité ; 2o  que la nacelle joue, pour assurer la régularité de la marche contre les caprices du vent, le rôle d’un véritable volant régulateur. Dupuy de Lôme, auquel on doit l’étude approfondie de cette question, nous a donné depuis longtemps, d’ailleurs, les moyens propres à la résoudre et ce n’est pas, peut-être, le moindre des reproches qu’on puisse adresser à M. Santos-Dumont que de n’avoir pas suffisamment assuré la rigidité de la suspension dans son no 6.

Il est clair aussi que toute disposition capable de diminuer l’effet du couple de soulèvement, tout en conservant celui du couple de rappel, aurait une importance capitale, sans compter que le rapprochement du centre de traction du centre de résistance assure un meilleur rendement du moteur. Dans le Zeppelin n° 3, on est bien arrivé à rapprocher autant que possible ces deux points en plaçant les hélices à la hauteur de la carène ; mais comme, en même temps, les deux nacelles qu’emporte cet aéronat avoisinent le ballon, il se peut que le couple de rappel soit, à son tour, trop affaibli. Mieux vaut, a priori, la solution proposée déjà en 1784 par Meusnier, adoptée aujourd’hui par von Parseval, von der Gross, etc. : placer l’hélice entre la carène et la nacelle, — celle-ci gardant le moteur, — comme dans le dirigeable de La Vaulx que les Parisiens ont pu voir évoluer, il y a deux ans, au-dessus de Longchamps. Quoique dépourvu des organes de stabilisation que portent les ballons actuels, il n’en a pas moins donné des résultats merveilleux comme docilité, stabilité et même comme vitesse (10 mètres à la seconde). Seulement, vu son faible volume, — 730 mètres cubes environ, — les expériences faites avec cette machine volante ne peuvent être considérées que comme de simples essais. Il serait à désirer qu’on revînt à la charge avec des dimensions plus considérables.

Toutefois, si réduit que soit le couple de soulèvement, quelque ampleur que l’on donne au couple de rappel, quelque intense que soit l’action du couple amortisseur, comme la valeur du couple de rappel est indépendante de la vitesse, que celle du couple amortisseur n’augmente que proportionnellement à cette vitesse, tandis que les forces du couple de soulèvement et la pression du vent croissent proportionnellement au carré de ladite vitesse, on voit qu’à mesure que l’allure s’accentue, l’équilibre d’un dirigeable doit nécessairement tendre à devenir de plus en plus précaire. On peut même prévoir, et l’expérience le prouve, que pour une assez grande vitesse, celle que le colonel Renard a appelée vitesse critique, les forces stabilisatrices devenant impuissantes à combattre les forces perturbatrices, le tangage qui, comme tous les mouvemens périodiques dont la cause est permanente, ne peut aller qu’en s’accentuant, doit devenir intolérable.

En 1885, lors des expériences de la France, en 1901 même, on ignorait complètement l’existence de la vitesse critique, vitesse qui dépend, d’ailleurs, du type de dirigeable employé. Mais c’est à elle que nous faisions allusion au commencement de cet article à propos de la randonnée du Santos-Dumont n° 6. Par suite des vices de construction de cet aéronat, vices que nous avons soigneusement signalés à mesure que l’occasion s’en présentait, sa vitesse critique devait être voisine de 11 à 12 mètres, — le tangage inquiétant observé au retour semble l’indiquer. — Si donc sa vitesse propre eût atteint ou même approché ces chiffres, nous aurions probablement aujourd’hui à enregistrer, au lieu d’une victoire éclatante de la Science, une défaite retentissante d’une portée incalculable, et, peut-être même, la perte d’une vie que l’avenir devait montrer précieuse à tous égards.

Un nouveau problème se pose donc : reculer, par des moyens tout autres que ceux que nous avons examinés jusqu’ici, l’instant où la vitesse du dirigeable le prive, si parfaite que soit sa construction, de toute espèce de stabilité.

Les moyens directs ne manquent pas. Ainsi, la nacelle peut être munie, comme celle du Santos-Dumont n° 6, d’un poids mobile que l’on envoie à l’avant, pour surcharger cette partie, lorsque, par exemple, l’aéronat se soulève ; dans le von Parseval, c’est au jeu de deux ballonnets, placés l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, que l’on demande le même résultat. Mais ces manœuvres sont lentes, délicates, à la merci d’un faux mouvement ou d’une erreur du pilote. Le mieux est l’emploi, comme dans les sous-marins, de gouvernails horizontaux (gouvernails de profondeur) dont l’efficacité tient évidemment aux mêmes causes que celles qui rendent si puissante l’action des gouvernails de direction. Toutefois, on tend de plus en plus, aujourd’hui, à demander à ces appareils, non pas d’amortir le tangage, mais de servir, par leur inclinaison, à faire monter le ballon sans jet de lest, à le faire descendre sans perte de gaz ni de lest. Seulement, ils ne peuvent guère remplir cet office que dans une mesure restreinte, car, comme les gouvernails verticaux, ils n’ont d’action qu’autant que le ballon marche et on se trouve, par conséquent, avec eux, à la merci du moteur. Si, à la descente, leur emploi ne présente pas d’inconvéniens sérieux, il n’en est pas de même lorsqu’on s’en sert d’une façon exagérée pour monter ; la moindre panne produit alors, infailliblement, une descente rapide, dangereuse, une chute, en un mot, et il en serait évidemment de même, si l’on employait, à la place de gouvernails, des hélices à axe horizontal (hélices sustentatrices). Conclusion : le lest est toujours le véritable palladium des aéronautes. — On conçoit aisément, d’ailleurs, qu’un gouvernail horizontal n’aura pas la même action au centre (gouvernails de centre) qu’aux extrémités du ballon (gouvernails de queue et de tête) : dans le premier cas, la composante verticale de la pression du vent agissant sur un bras de levier presque nul, le ballon monte ou descend suivant la verticale ; dans le second, cette composante agissant à l’extrémité d’un long bras de levier, l’axe du dirigeable s’incline, et celui-ci prend, toujours dans le plan vertical, une direction oblique, ascendante ou descendante, suivant l’inclinaison donnée au gouvernail.

Quoi qu’il en soit, les moyens directs, curatifs que nous venons d’indiquer et dont on use pour affaiblir les effets du tangage, n’ayant, on le voit, qu’une valeur fort relative, la question se posait de recourir, si possible, à des moyens préventifs, c’est-à-dire à des organes de stabilisation fixes, de formes et de dimensions convenables, convenablement placés et faisant corps avec l’aéronat. Cette question est aujourd’hui résolue et les plans fixes, horizontaux ou verticaux, que l’on voit attachés à la carène des dirigeables Lebaudy, von Parseval, Zeppelin, Italia, etc. n’ont pas d’autre but. Leur emploi devait, d’ailleurs, s’imposer tout naturellement : le corps de l’oiseau, celui du poisson, ne portent-ils pas des plans de ce genre qui semblent faciliter le glissement dans l’air ou dans l’eau et s’opposer à toute déviation hors de la trajectoire ? N’est-ce pas aux plans fixes passant par son axe longitudinal (plans d’empennage), et placés très en arrière du centre de gravité, que la flèche doit de voler constamment suivant la tangente à sa trajectoire ? Les torpilles automotrices capables de fournir une vitesse de 30 nœuds, soit 15 mètres à la seconde, ne doivent-elles pas leur parfaite stabilité à un empennage placé à l’extrémité arrière ? Et la stabilisation par des plans fixes n’a-t-elle pas depuis longtemps fait ses preuves dans la navigation sous-marine ? Leur rôle, du reste, se conçoit aisément. Comme dans la navigation maritime, l’action des plans verticaux, combinée avec celle du gouvernail de direction, a nécessairement pour effet d’assurer la rectitude de la route, en réduisant au minimum les déviations de la trajectoire réellement décrite par rapport à la trajectoire à décrire ; elle amorti aussi tout mouvement de roulis, s’il venait à s’en produire, comme cela arrive, dans les virages un peu brusques. Pour les plans horizontaux, leur importance est encore plus grande, car ils ont évidemment comme but principal de diminuer et même d’empêcher le tangage. Or, comme la résistance qu’ils opposent à la pression du vent est proportionnelle au carré de la vitesse et, par conséquent, augmente proportionnellement aux effets perturbateurs, — savoir, la pression du vent sur les flancs de la carène et les forces du couple de soulèvement, — on comprend facilement qu’en leur donnant une ampleur suffisante et, cela va de soi, des bras de levier convenables, on puisse arriver à reculer la limite à partir de laquelle cette vitesse devient critique.

Comment on utilise ces organes si précieux, c’est ce que nous examinerons tout à l’heure en parlant des dirigeables Julliot, les premiers où l’on ait fait scientifiquement appel aux propriétés du plus lourd que l’air pour corriger les défectuosités inhérentes à l’emploi de la « vessie de Charles. » Pour l’instant, qu’il nous suffise de faire observer que toutes ces études sur le tangage, la vitesse critique, etc., que nous venons d’essayer de résumer aussi brièvement que possible, études sans lesquelles aucun des dirigeables actuellement en fonction n’existerait, sont, pour la plupart, postérieures à la course triomphale du 19 octobre 1901. Cette simple constatation doit suffire pour édifier nos lecteurs sur la portée réelle des expériences de M. Santos-Dumont. Pour nous, leur importance est telle que nous ne voyons pas, dans tout le courant du dernier siècle, un seul aérostier, sauf peut-être Giffard, auquel on puisse le comparer. Certes, on peut lui reprocher d’avoir par trop négligé les travaux de ses devanciers. Mais si l’on peut admettre que l’ingénieur, en lui, s’est montré médiocre, quel admirable pilote nous a fait apprécier le concours Deutsch ! et comme on est instinctivement entraîné à se demander si les critiques plus ou moins fondées qu’on lui a adressées, sur tout et à propos de tout, n’étaient pas, en somme, alimentées par la mauvaise humeur de ceux qui ne pouvaient lui pardonner d’avoir osé démontrer que la solution si désirée du problème de la Navigation aérienne exigeait d’abord que l’on commençât par naviguer. Reconnaissons, pour être justes, que la leçon a profité, et que, depuis qu’en associant, pour ainsi dire, le public à ses expériences, il l’a amené à ne plus considérer comme des fous ou des utopistes les adeptes de cette navigation et a forcé gouvernemens, ingénieurs et savans à s’occuper de cette question comme ils ne l’avaient jamais fait jusqu’alors, tout ce que nous admirons aujourd’hui en aéronautique, tous les résultats acquis, aussi bien dans le domaine du plus lourd que dans celui du plus léger que l’air, sont des preuves palpables et vivantes de la magnifique impulsion donnée à cette branche de l’activité humaine par l’énergique et intelligent sportsman que l’Amérique latine nous a envoyé.


III

L’idée d’appeler le plus lourd que l’air au secours du plus léger, en d’autres termes de munir les ballons dirigeables d’organes de stabilisation tels que des plans horizontaux ou verticaux, fixes ou mobiles, date de longtemps. En 1885, le dirigeable France était muni d’un plan horizontal qui contribua certainement à assurer la stabilité très grande qu’a toujours conservée cet aéronat. En 1901, le colonel Renard commençait une étude approfondie des moyens de stabilisation applicables aux dirigeables. Mais déjà M. Julliot, que cette question préoccupait aussi depuis quelques années, avait mené à bien la construction du Lebaudy, cette machine aujourd’hui célèbre dont les belles qualités nautiques enthousiasmèrent, dès le premier jour, les hommes les plus compétens.

Examinons donc en quoi consiste cet aéronat, ce type des dirigeables militaires français actuellement en usage ou en construction, longtemps appelé le Jaune à cause de l’enduit au bichromate de plomb destiné à protéger de l’action chimique des rayons solaires le caoutchouc de la double étoffe de coton qui constitue son enveloppe.

Signalons, avant tout, dans ce ballon, la présence d’une pièce tout à fait nouvelle, la carcasse, vaste plate-forme elliptique, de 22 mètres de long et 6 mètres de large, constituée par un cadre en tubes d’acier de haute résistance (acier au nickel). Grâce à cette pièce, sur laquelle vient s’aplatir le ventre du ballon et auquel elle est rattachée par une courte bande de filet en couronne, il est possible : 1° d’assurer presque mathématiquement la sécurité de l’enveloppe et de la suspension dans le cas où le ventilateur viendrait à s’arrêter ou à ne plus fonctionner convenablement, au contraire de ce qui se passe avec les dirigeables du type classique, France, Ville-de-Paris, etc. ; 2o de relier beaucoup plus solidement qu’on ne l’a fait jusqu’alors la nacelle au reste du dirigeable, au moyen de câbles en fils d’acier combinés, conformément aux recommandations de Dupuy de Lôme, en triangles indéformables. Enfin, la nacelle, comme la carcasse, étant constituée par des tubes d’acier de haute résistance, on voit qu’en fin de compte, le métallisme de leur construction et l’impression de sécurité qui en résulte se présentent comme un des caractères les plus frappans du Lebaudy et, en général, des dirigeables Julliot.

C’est que leur éminent constructeur a été dominé, dans ses travaux, par deux grandes préoccupations : d’abord, la réunion aussi étroite, aussi solide, aussi rigide que possible, de la nacelle au ballon, non pas à l’aide des systèmes de suspension usités jusqu’alors et qui faisaient ressembler les ballons dirigeables à « des vessies portant quelques ficelles et quelques lattes, » mais au moyen d’un réseau savant de câbles et de tubes d’acier aussi résistans et aussi légers que possible, — nous venons de dire comment il s’y est pris. — Ensuite, l’adjonction au dirigeable d’un vaste système de plans stabilisateurs destinés à assurer la rectitude de la marche et, surtout, à empêcher le tangage, problème que personne jusqu’alors, il faut le reconnaître, n’avait su ou pu résoudre.

Ces plans qui, pour le Lebaudy, dont le tonnage est exactement de 2 950 mètres cubes, couvrent 185 mètres carrés, — dont 150 affectés aux surfaces horizontales, — sont constitués par des toiles tendues sur des cadres en tubes d’acier, comme la carcasse elle-même. Le plus important de tous est le plan horizontal que forme une grande toile tendue sur cette carcasse, toile qui couvre près de 100 mètres carrés et qui, en asseyant, pour ainsi dire, le ballon sur l’air, lui permet de résister aux mouvemens de tangage que font naître à chaque instant les mille remous dont l’atmosphère est toujours le siège, surtout dans le voisinage du sol. Ensuite vient le premier des plans verticaux : une bande de toile de 10 mètres carrés, tendue sur la partie arrière d’une sorte de quille métallique qui fait corps avec la carcasse et sert à la renforcer. Puis, supportée par une poutre armée, articulée avec la plate-forme et placée à son arrière, une série d’autres plans constituée : d’abord par une penne de flèche que forment deux plans, l’un vertical, l’autre horizontal, s’élargissant tous deux comme une queue d’oiseau ; ensuite, par deux gouvernails, l’un horizontal (gouvernail de queue), composé de deux ailerons placés à gauche et à droite de la poutre armée, l’autre, vertical, qui est le gouvernail classique. Notons, enfin, la présence d’un coupe-vent en étoffe tendue, placé à la partie antérieure de la carcasse, en avant du filet, qui empêche l’air de s’insinuer entre elle et l’enveloppe.

M. Julliot aurait pu s’arrêter là : le ballon, dans ces conditions, ne pouvait subir que de légers balancemens et ne tardait pas à reprendre de lui-même sa position normale. Mais il a voulu que le tangage fût apériodique, c’est-à-dire que tout balancement, dû à n’importe quelle cause, fût immédiatement annihilé. Il est certain que si, en exagérant la surface des organes de stabilisation, on augmente les difficultés de construction, l’encombrement, le poids du système et, enfin, la résistance à l’avancement, d’un autre côté, il est évident : 1o  que tout mouvement tournant ne s’effectue qu’aux dépens de la vitesse réelle et, par conséquent, du rayon d’action du ballon ; 2o  que la sensation absolue de sécurité à bord d’un aéronat en marche constitue un facteur moral dont ou ne saurait trop tenir compte. Sans prétendre que le chiffre des surfaces couvertes par les plans stabilisateurs de M. Julliot soit intangible, on ne peut donc, à notre avis, que l’approuver d’avoir, au commencement de 1904, quelques mois après le lancement du Lebaudy, substitué à la pointe empennée qui formait l’arrière de la carène de ce dirigeable, une calotte ellipsoïdale à laquelle se trouve fixé un grand papillon horizontal en queue de poisson, couvrant 14 mètres carrés et dont le rôle est d’assurer rigoureusement l’a périodicité recherchée, en augmentant dans d’énormes proportions la résistance qu’opposait déjà le plan horizontal de la penne de flèche aux mouvemens de balancement provoqués par le ballon lui-même et ses organes moteurs.

La nacelle, très petite, — 4m, 80 de long, 1m, 60 de large, — le moteur, les hélices, etc., dans le Lebaudy, comme dans la Patrie, ne présentent rien de tout à fait remarquable. Une pièce très ingénieuse, la béquille, placée sous la nacelle et qui fait corps avec elle, mérite cependant d’arrêter l’attention : c’est une pyramide renversée, formée de tubes d’acier, dont la pointe est située sur la verticale du centre de gravité du système, et qui a pour but, non seulement de consolider la nacelle et d’abaisser le centre de gravité de l’aéronat, mais encore : 1° de maintenir le corps de la nacelle assez haut pour que les hélices, au moment de l’atterrissage, ne puissent pas se fausser ou se briser contre le sol ; 2° de constituer un point de contact unique du dirigeable avec la terre. Les hommes de manœuvre qui le tiennent par les cordes de retenue peuvent alors le faire tourner facilement, de façon à maintenir sa pointe contre le vent, et même l’extrémité terminale du centre de la béquille a été placée un peu en avant du centre de résistance, de façon que l’effort du vent tende automatiquement à fixer le dirigeable dans cette position rationnelle.

Tel est, en gros, ce fameux Lebaudy dont on nous permettra de donner ici les caractéristiques principales :


Carène : pisciforme. — Volume : 2 950 mètres cubes. — Longueur : 58 mètres. — Diamètre du maître-couple (diamètre maximum) : 9m, 80. — Force ascensionnelle brute : 3 540 kg. — Deux hélices en tôle d’acier de 2m, 44 de diamètre, tournant à 1 200 tours à la minute, comme le moteur (ce qui simplifie les transmissions), placées à gauche et à droite de la nacelle. — Moteur à pétrole : 40 chevaux, pesant net 300 kg. (370 kg. avec une provision d’essence assurant la marche pendant 5 heures) — Poids utile (aéronautes, lest, combustible, etc.) : 800 kg. — Stabilité assurée par 8 plans fixes ou mobiles, parmi lesquels le papillon vertical, beaucoup plus étroit que l’horizontal, que l’on aperçoit au-dessus et au-dessous de celui-ci, qui a pour rôle accessoire de fournir des points d’attache aux fils qui le tiennent et le fixent. — Vitesse maximum obtenue : 11m, 80. — Date de la première ascension : 13 novembre 1902. — Voyage par étapes de Moisson au camp de Châlons : 3 et 4 juillet 1905. — Installation de l’aéronat à Toul : 27 septembre 1905. — Retour par bateau à Chalais-Meudon : fin de l’année 1906.


Aucun des ballons dirigeables construits à l’étranger n’a pu égaler le Lebaudy. Seul, son congénère, la Patrie, l’a surpassé comme puissance, à la suite de modifications d’ordre secondaire sur lesquelles il serait trop long de nous étendre. Notons, pourtant, un plus grand développement donné aux deux papillons fixés à l’arrière de la carène et l’adjonction, au système stabilisateur décrit tout à l’heure, d’un gouvernail horizontal de centre, formé de deux ailerons fixés à droite et à gauche de la plate-forme elliptique, qui, convenablement manœuvré, a permis au ballon d’accomplir, le 16 novembre 1907, une véritable prouesse aérostatique : descendre d’une hauteur de 1 325 mètres sans jeter de lest et avec une dépense de gaz absolument insignifiante. Voici d’ailleurs les caractéristiques principales de cet aéronat :


Carène : pisciforme. — Volume : 3 150 mètres cubes. — Longueur : 60 mètres. — Diamètre du maître-couple : 10m, 30. — Force ascensionnelle brute : 3 717 kg. — Deux hélices, de 2m, 60 de diamètre, tournant à 1 000 tours, comme le moteur. — Moteur : 70 chevaux, pesant 550 kg. avec une provision d’essence suffisante pour marcher 10 heures. — Poids utile enlevé (aéronautes, lest, combustible, etc,) : 1 260 kg. — Vitesse maximum obtenue : 13 mètres. — Date de la première ascension : 16 novembre 1906. — Voyage d’une seule traite de Chalais-Meudon à Verdun (240 km. en 6 h. 25 m.) : 23 novembre 1907.


On sait comment, huit jours après son arrivée, un coup de vent enlevait la Patrie et la faisait disparaître à tout jamais. Mais des mécomptes de ce genre, avec les énormes surfaces des ballons dirigeables, seront toujours à prévoir : on voit bien des navires, solidement amarrés dans un port, ne pas résister aux efforts de la tempête ! Le Lebaudy, qui peut cependant invoquer à son actif soixante-dix-neuf ascensions parfaitement réussies, faillit subir le même sort le jour de son arrivée au camp de Châlons, et ce n’était pas la première fois que pareille aventure lui survenait. La béquille de M. Julliot ne rend donc pas tous les services qu’on en attendait ; pourtant, c’est déjà quelque chose d’avoir essayé d’aborder cet épineux problème : faire camper, en cas de force majeure, en rase campagne, un dirigeable, loin de tout hangar, de tout port naturel.

Que si, maintenant, il nous était permis de faire connaître notre opinion personnelle, sur ces deux dirigeables, nous dirions d’abord que les blâmes formulés sur la complication de leurs organes et la fragilité, malgré tout réelle, de l’ensemble, ne nous émeuvent guère : les navires modernes sont infiniment plus compliqués que les anciens, leur maniement plus difficile, leurs organes de direction plus délicats, et la robustesse, quand on y regarde d’un peu près, n’est pas précisément leur qualité dominante. Mais nous n’hésiterions pas à regretter : 1er que les difficultés de transmission de la force du moteur aient empêché M. Julliot de rapprocher les centres de traction et de résistance, comme dans le von Parseval, le de La Vaulx, etc. Hâtons-nous d’ajouter que ce vice de construction n’existera pas dans le grand dirigeable militaire dont il a été question plus haut ; — 2° qu’une partie considérable des plans stabilisateurs soient situés au-dessous de la carène. Depuis les travaux du colonel Renard, on peut, en effet, regarder comme établi que, pour reculer à l’infini la vitesse critique d’un dirigeable, c’est-à-dire pour assurer sa stabilité à toutes les allures, il faut que les organes fixes de stabilisation soit placés à l’arrière de la carène, dans le prolongement de son axe, ou symétriquement de part et d’autre, tout comme les plans stabilisateurs que porte une flèche.

C’est ce qui a été réalisé, tant bien que mal, dans le ballon Ville-de-Paris, construit par MM. Surcouf at Kapferer, sur des plans donnés par le regretté directeur de Chalais-Meudon, et où, abstraction faite du gouvernail de direction et de deux autres, horizontaux, l’un de centre, l’autre de queue, placés un peu au-dessus de la nacelle, la stabilité n’est assurée que par un empennage placé tout entier à l’arrière de la carène et constitué par un faisceau cruciforme de huit tubes en étoffe, réunis deux à deux, gonflés d’hydrogène, calculés de façon que la force ascensionnelle du gaz soit annulée par le poids de leur enveloppe. Mais il est évident que ces tubes, par leurs dimensions, créent de nouvelles surfaces de résistance qui contribuent à diminuer la vitesse et que, de plus, l’étranglement qui les sépare du corps de la carène ne peut que nuire à la solidité de l’ensemble. On peut reprocher aussi à ce dirigeable de n’avoir qu’une hélice, placée à l’avant de la nacelle, et trop bas, ce qui rend l’atterrissage difficile. Aussi, malgré quelques sorties heureuses, qui ont montré sa parfaite stabilité, ce ballon, quoique d’un volume à peu près égal à celui de la Patrie et armé d’un moteur de même force, n’a jamais pu l’égaler en vitesse, comme l’a prouvé, sans conteste, son voyage de Paris à Verdun, où il est allé la remplacer.

Et, maintenant, sans méconnaître les progrès accomplis, une vitesse absolue de 12 mètres en moyenne, comme celle de la Patrie, est-elle réellement suffisante pour des machines auxquelles on demande de fournir une solution, même partielle, du problème de la conquête de l’air ? L’observation montre qu’à 3 ou 400 mètres au-dessus du sol, des vents de 10 à 12 mètres et plus soufflent pendant à peu près un tiers de l’année : s’en tenir à une vitesse de 12 mètres, c’est donc s’interdire de sortir un jour sur trois. Si même nous considérons que les ballons dirigeables n’ont pas pour unique objet de lutter stérilement contre les vents, mais de se porter avec une rapidité convenable d’un point à un autre, que le moins qu’on puisse leur demander est de faire du 21 ou du 22 à l’heure et que, par conséquent, un dirigeable comme la Patrie ne peut remplir cet office qu’un jour sur sept, parce que, dans l’année, ce n’est qu’un jour sur sept que la vitesse du vent ne dépasse pas 6 mètres, on voit combien nos meilleurs ballons laissent encore à désirer. Comment remédier à cette insuffisance ?

Pour le lieutenant Crocco, elle est due à des vices fondamentaux de construction. La force motrice dont disposent ces machines étant très supérieure, toutes proportions gardées, à celle des croiseurs du même tonnage les plus rapides et les mieux établis, — et cela parce que les moteurs marins sont beaucoup plus lourds que ceux à essence, — nos dirigeables, d’après lui, devraient marcher à une allure une fois et demie plus rapide. Mais tant que le moteur, le lest et les voyageurs ne seront pas logés à l’intérieur du ballon, est-il admissible de comparer à un croiseur le système carène-stabilisateurs-gréement-nacelle ? Nous ne le pensons pas. Aussi, en attendant que le dirigeable modèle que nous promet l’éminent ingénieur italien et qui, avec un cube de 3 000 mètres, un moteur de 70 à 80 chevaux, nous donnera une vitesse propre de 19 à 20 mètres, soit construit et expérimenté, nous ne voyons — et nous ne sommes pas seuls à voir ainsi, — qu’un seul et unique moyen d’accroître la puissance des ballons dirigeables : l’augmentation de volume de leur carène, autrement dit, l’emploi des forts tonnages. Car il en est des ballons comme des navires : lorsqu’on augmente leur volume, la force ascensionnelle brute, proportionnelle à ce volume et, par suite, au cube des dimensions linéaires, augmente proportionnellement au cube de ces dimensions, tandis que la résistance à l’avancement, proportionnelle, pour une vitesse donnée, à la surface de résistance, — elle-même proportionnelle au carré des dimensions linéaires, — n’augmente que proportionnellement au carré de ces dimensions. En augmentant tout proportionnellement, on augmente donc beaucoup plus la force ascensionnelle brute que la résistance de l’air. Mais, d’un autre côté, le poids de la nacelle, du moteur, du lest, etc., ne croissent pas dans la même proportion et, même, n’augmentent que si on le veut bien. Il y a donc intérêt, au point de vue de la puissance d’un dirigeable, à faire le plus grand possible : quod erat demonstrandum.

Pour fixer les idées, imaginons un aéronat du type Patrie, d’un volume quadruple, soit 12 000 mètres cubes, dimension parfaitement acceptable à l’heure actuelle. Calculons d’abord la force motrice nécessaire pour lui donner la vitesse moyenne de 12 mètres qu’imprimait à la Patrie son moteur de 70 chevaux. Nous trouverons, en nous appuyant sur ce fait que la puissance du moteur, pour un même type de dirigeable et une même vitesse, est proportionnelle au carré des dimensions linéaires, 175 chevaux environ. Si ce moteur ne pèse pas davantage, par cheval, que celui de la Patrie, c’est-à-dire, si son poids net est d’environ 775 kg. ; s’il ne consomme pas proportionnellement plus d’essence, nous trouverons, pour le poids du moteur (combustible pour 10 heures de marche compris) 1 380 kg. environ. Il restera alors, toutes choses étant mises au pis, et essence non comprise, un poids utile de 7 000 kg., sept fois plus grand que celui de la Patrie. Mais une vitesse propre de 12 mètres est insuffisante, nous avons vu pourquoi tout à l’heure. Si l’on veut être sûr de faire, deux jours sur trois, au moins, du 36 à l’heure, il faut 20 mètres de vitesse propre, ce qui exige, la puissance du moteur, pour un même aéronat, étant proportionnelle au cube des vitesses, une force motrice de 820 chevaux environ. Avec un poids, par cheval, égal à celui du moteur de la Patrie, cette puissance, relativement énorme, ne pourrait pas être convenablement utilisée. Mais des moteurs de 2 kilogrammes par cheval, d’une marche absolument sûre, — ces moteurs n’existent pas encore, que nous sachions, mais ils existeront bientôt, — rempliraient avantageusement le but désiré. On pourrait, avec eux, étendre la durée du voyage à 24 heures, à 48 heures même, en constituant la presque-totalité du lest par de l’essence. Conclusion : il est permis d’espérer qu’avant dix ans, nous verrons passer au-dessus de nos têtes des dirigeables genre Julliot d’un tonnage de 12 000 mètres, de 20 mètres de vitesse, capables, deux jours sur trois, de parcourir d’une traite, en 48 heures plus de 1 600 kilomètres, la distance de Paris à Brindisi. Il est même probable qu’à cette époque, avec les progrès des moteurs on s’occupera de construire des dirigeables du même type, de 24 000 mètres cubes, d’une vitesse propre de 40 mètres, c’est-à-dire, capables deux jours sur trois, de faire au moins du 100 à l’heure, et dotés cependant d’un rayon d’action encore très étendu, grâce à leur force ascensionnelle nette d’environ 18 000 kg. Pour l’instant, il n’y faut pas songer. Le général Zeppelin lui-même refuserait, sans aucun doute, de s’engager dans une entreprise aussi téméraire, lui qui, le premier cependant, a osé aborder la construction de ces ballons lourds, mais rigides, de 11 000 à 12 000 mètres cubes, dont on a ri pendant dix ans, mais que l’on commence tout de même à prendre très au sérieux.

C’est qu’en effet si, pour un instant, on laisse de côté le facteur « capacité de transport » pour ne se préoccuper que du facteur « vitesse » qui, au point de vue du rayon d’action, a bien son importance, il s’agit de savoir, à l’heure actuelle, qui doit l’emporter, à cet égard, du ballon cylindrique, symétrique et très allongé ou du ballon fusiforme, dissymétrique et moyennement allongé, du système rigide ou du système souple, de l’école allemande ou de l’école française. La première prétend que si les ballons d’étoffe peuvent réussir avec des vitesses moyennes, ils ne pourront pas aller très vite sans voir leur proue, à un moment donné, enfoncée par la pression du vent ; la seconde soutient le contraire ; au fond ni l’une ni l’autre n’en sait rien. Ce qu’on peut affirmer, en tout cas, c’est que l’armature métallique a, pour elle, de simplifier la construction et les manœuvres, en permettant la suppression du ballonnet et des organes nécessaires à son jeu. Mais le fait que le poids utile du Zeppelin n° 3, le seul sur lequel on puisse un peu parler en connaissance de cause, n’atteint guère que 3 000 kg. (voyageurs, lest et combustible compris), ne saurait compenser ce faible avantage. De ce poids, remarquons-le, il faut, en effet, avec le moteur de 170 chevaux affecté à l’aéronat, défalquer, si l’on veut pouvoir marcher dix heures, comme la Patrie, 600 kg. environ d’essence, ce qui le réduit à 2 400 kg., chiffre bien faible en regard des 7 000 kg. d’un dirigeable Julliot de même tonnage, et qui montre combien l’emploi des carènes métalliques, s’il venait à s’imposer, en réduisant la capacité de transport, aurait pour effet de faire évanouir, au moins en partie, les espérances formulées tout à l’heure.

Naturellement, l’aluminium est mis à contribution, dans les Zeppelin, pour constituer la charpente de leurs carènes. Celle du n° 3 est formée de méridiennes maintenues transversalement au moyen de 15 cerceaux rendus rigides avec des rayons métalliques analogues à ceux d’une roue de bicyclette. Le tout forme un immense et relativement étroit cylindre d’une contenance de 11 000 mètres cubes, d’une longueur de 128 mètres, dont le maître-couple a 11m, 70 de diamètre, terminé à ses extrémités par des cônes ogivaux. Dans chacun des 16 compartimens créés par les cerceaux, est logé un petit ballon, incomplètement gonflé, qui a la forme du compartiment ; ces 16 ballonnets peuvent communiquer entre eux. Une enveloppe de coton, qui entoure la carcasse, facilite le glissement du ballon dans l’air

Au-dessous de la carène et dans son voisinage est fixée une poutre d’une longueur de 56 mètres, portant deux nacelles de 6 mètres de long, placées l’une à l’avant, l’autre à l’arrière et reliées électriquement l’une à l’autre. Chacune d’elles contient un moteur de 85 chevaux qui, par l’intermédiaire d’un arbre de couche vertical, commande une paire d’hélices, tournant à 820 tours et disposées de part et d’autre de la carène, à une hauteur suffisante pour annuler, ou à peu près, le couple de soulèvement. Des plans horizontaux disposés sur les flancs du ballon, une longue qu’ille entoilée, des plans d’empennage, etc., contribuent à assurer la stabilité, malgré le rapprochement des centres de gravité et de poussée.

Que le tangage, avec ces organes de stabilisation et la forme cylindrique de la carène, puisse être facilement amorti, c’est probable ; que ce ballon, malgré ses deux nacelles, soit plus aisément gouvernable qu’on ne se l’imagine d’ordinaire, c’est encore possible. Toutefois, les essais ont été trop rares et conduits avec trop de prudence pour qu’on puisse se prononcer catégoriquement. Si le Zeppelin n° 3 a pu effectuer quelques sorties heureuses, en revanche, sa vitesse propre n’a pas dépassé 12 mètres par seconde, c’est-à-dire, d’après les calculs précédens, celle d’un dirigeable Julliot auquel on aurait donné le même tonnage et un moteur de même puissance. On ne peut nier que ce soit, pour le dirigeable allemand, un grave insuccès, car on comptait sûrement sur l’allongement de la carène pour atteindre au moins 20 mètres et compenser largement ainsi, par ce gain énorme de vitesse, la perte faite sur la capacité de transport. Ajoutons : 1° que lorsqu’on voit ce dirigeable n’évoluer qu’aux abords ou au-dessus d’un lac et, à la première alerte, rentrer dans la coquille flottante qui lui sert de hangar, on conserve des doutes sur la solidité réelle des carènes en aluminium : le Zeppelin n° 2 s’est brisé la première fois qu’il a voulu toucher le sol ; 2° que la rigidité de l’enveloppe n’est peut-être pas si assurée qu’on veut bien l’affirmer : des flexions longitudinales, qui pourraient très bien, à un moment donné, amener une rupture, ont été observées, en effet, pendant la marche.

Les essais que poursuit, en ce moment, le Zeppelin n° 4 qui, du même tonnage que les autres, dispose, dit-on, d’une force motrice de 420 chevaux, donneront-ils, en fin de compte, des résultats réellement satisfaisans ? C’est à souhaiter, pour le général Zeppelin d’abord, dont on ne saurait trop admirer l’audace, l’énergie et le désintéressement, pour l’Empire ensuite, auquel son œuvre a coûté tant de sacrifices. Il nous étonnerait fort que la science allemande coure de gaieté de cœur au-devant d’un nouvel échec... Attendons.


IV

Les dirigeables seront toujours trop encombrans et trop dispendieux pour constituer jamais un moyen de transport réellement pratique. Tout au plus, pourra-t-on les employer, de temps à autre, à la place des automobiles, lorsque ces machines ne pourront pas ou ne pourront que mal remplir leur rôle ordinaire, par exemple, pour les relations entre pays séparés par la mer ou par des chaînes de montagnes aux routes rares et difficiles, inabordables en hiver.

Il n’en est pas de même pour les services qu’ils peuvent rendre à la guerre. Tous les écrivains militaires s’accordent à déclarer qu’ils seront désormais indispensables pour établir les communications urgentes entre une forteresse assiégée et l’intérieur du pays, entre les armées en campagne et le gouvernement. Dans le service des informations, surtout, ils seront d’une immense utilité pour un général en chef, un officier monté dans un aéronat à grande vitesse pouvant, d’un seul coup d’œil, saisir les directions de marche de toute une armée, se rendre compte de la disposition et de la force des différentes colonnes, des points où elles se trouvent momentanément concentrées, et tenir au courant ses chefs à l’aide de la télégraphie sans fils. Comme arme offensive, il faut remarquer, avec M. de La Vaulx, que la puissance de destruction d’un projectile dépendant principalement de l’épaisseur et de la résistance de sa carapace métallique, il serait nécessaire que ceux que l’on emporte pèsent de 200 à 300 kilos, si l’on veut obtenir un tir d’une efficacité réelle. Un Julliot de 12 000 mètres cubes en pourrait donc enlever un certain nombre, mais ce serait un poids immense sacrifié pour un résultat peut-être insignifiant, car il ne faut pas oublier que l’ennemi, lui aussi, aura des dirigeables, et que, dès lors, en cas de lutte entre deux de ces engins, l’avantage sera évidemment pour celui qui, ayant conservé le plus de lest, pourra prendre, à un moment donné, la situation supérieure. N’insistons pas plus longuement sur le rôle militaire des dirigeables ; nous sortirions de nos attributions. Aussi bien, ceux de nos lecteurs que cette question intéresse la trouveront suffisamment traitée et développée dans le joli volume de M. Sazerac de Forge intitulé : la Conquête de l’Air.

Encore un mot, cependant. Pour que les dirigeables puissent rendre, surtout en cas de guerre, les services qu’on s’apprête à leur demander, le bon sens indique qu’il faut les doter, avant tout, d’une vitesse suffisante : 20 mètres de vitesse propre, pourraient nous permettre, on l’a expliqué plus haut, de faire, deux jours sur trois, du 36 à l’heure ; avec 25 mètres, la vitesse qu’exige le colonel Gœdke d’un véritable dirigeable militaire, on ferait, dans les mêmes conditions, du 54 à l’heure. On leurrait donc un peu le public, reconnaissons-le, lorsqu’on décorait du nom de croiseurs aériens des ballons d’aussi faible vitesse que le Lebaudy ou la Ville-de-Paris, qui, malgré leur valeur intrinsèque, ne sont, en définitive, au point de vue militaire, que des canots plus ou moins bien armés, inutilisables dès que le vent fraîchit. Sur ce point, nos voisins de l’autre côté des Vosges ont toujours eu des idées très arrêtées : de là leurs efforts incessans pour arriver, non seulement à nous rejoindre, — tâche après tout facile, — mais encore à nous dépasser, et comme ils estiment que « n’est réellement apte à la guerre que ce qui peut être traité avec rudesse, » on conçoit leurs préférences pour les ballons cylindriques et rigides. Leurs écrivains militaires les plus en renom sont unanimes à déclarer que si l’on réussit à donner à ces machines la vitesse nécessaire indiquée tout à l’heure, quitte à perdre sur leur capacité de transport et, par conséquent, sur le rayon d’action, tous les efforts et toutes les sommes que l’on aura consacrés à ce but seront largement compensés. Nous sommes un peu de leur avis.

Et la mainmise complète, définitive de l’homme sur l’océan aérien, nous dira-t-on, la voyez-vous toujours, comme il y a quelques années, dans l’emploi exclusif du plus lourd que l’air ? Oui, répondrons-nous. Malgré l’infériorité que semble donner aux appareils d’aviation ce fait que leur poids mort augmente proportionnellement à leur volume, ce qui n’est pas le cas pour les ballons, — nous l’avons amplement démontré, — nous croyons toujours que, grâce aux progrès futurs de la Mécanique, les appareils plus lourds que l’air sont appelés à « maîtriser l’espace et le temps » dans le sens horizontal, ce qui est le principal, la « vessie de Charles » donnant le même pouvoir au dirigeable dans le sens vertical, ce qui n’est qu’accessoire, mais peut avoir son importance : ainsi, en cas de lutte entre un dirigeable et un aéroplane, par exemple, le premier l’emporterait sans doute, car il pourrait, en jetant du lest, s’élever beaucoup plus vite que le second. Mais ne nous laissons pas entraîner à discourir sur le plus lourd que l’air ; cette étude est suffisamment longue... Sachons nous réserver pour un prochain article sur l’Aviation, où nous aurons le plaisir, d’ailleurs, de reparler de M. Santos-Dumont.


P. BANET-RIVET.