Les Deux parlementarismes - La Cour Suprême des États-Unis

Les Deux parlementarismes - La Cour Suprême des États-Unis
Revue des Deux Mondes5e période, tome 7 (p. 284-308).
LES
DEUX PARLEMENTARISMES

LA COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS

Cette fois, il semble bien que les Chambres elles-mêmes, qui devaient s’en apercevoir les dernières, étant les plus intéressées, aient senti dans quel discrédit est dès maintenant tombé chez nous tout ce qui est parlement, parlementaire et parlementarisme, sous les espèces où depuis un demi-siècle, et surtout depuis vingt-cinq ans, il nous a été donné de le connaître. Obligés de s’en prendre à quelque chose, faute de pouvoir en accuser quelqu’un, ce qui est toujours plus commode, nos députés, en confessant que la Chambre est ce qu’elle est, — c’est-à-dire qu’elle est ce qu’ils sont, c’est-à-dire qu’elle est ce que sont pour chacun deux ses voisins de pupitre et collègues, — en attribuent le mal à leur origine : ils ont été viciés et corrompus aux sources de leur génération ; ils sont, si l’on ose à présent se servir de ce mot, les tristes et innocens produits d’un suffrage universel avarié. Tant de médiocrité, de si misérables passions, des préoccupations si mesquines, cet aveuglement quotidien par la menue poussière de tout petits intérêts, les sept péchés sous lesquels on les accable et dont ils ne se défendent même plus, ce seraient en eux, à les en croire, les tares paternelles et maternelles, fils qu’ils sont des comités et de la masse électorale, engendrés dans la platitude du scrutin d’arrondissement. Ah ! qu’il est étroit et obscur, le scrutin d’arrondissement ! De l’air, de la lumière, du champ, des ailes ! Ouvrez les fenêtres, abattez la muraille, percez la circonscription, rasez la sous-préfecture ! Donnez-nous le scrutin de liste ; si nous avions le scrutin de liste !

Si nous avions le scrutin de liste, il en serait à peu près comme il en est quand nous avons le scrutin d’arrondissement. Si nous avions le scrutin de liste, nous demanderions à revenir au scrutin d’arrondissement, comme, ayant le scrutin d’arrondissement, nous demandons à aller au scrutin de liste. Le roi de Naples était un sage : « Habillez-les en blanc ou en vert, scapperanno pure !… » Il ne faut plus espérer nous guérir en retournant simplement notre veste. Non ; la substitution du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement serait insuffisante, inefficace, y ferait si peu qu’elle n’y ferait rien.

Il est vrai qu’on ne s’en tient pas à cette substitution toute sèche et que l’on commence enfin, dans nos Chambres françaises, qui sont bien l’un des endroits politiquement les plus arriérés de l’Europe, à parler de saisir l’occasion, pour introduire, à la faveur du scrutin de liste rétabli, la représentation proportionnelle. Du coup, ce serait une autre affaire. Nul ne peut en effet se permettre de traiter la représentation proportionnelle avec le même dédain que la conversion du scrutin d’arrondissement en scrutin de liste ou sa réciproque ; et, sans la parer à l’avance de plus de vertus qu’elle n’en aurait, sans dire que ce soit peut-être l’organisation définitive du suffrage universel, ni la forme la plus complète et la plus parfaite, la forme totale et sociale en quelque sorte de cette organisation, il est néanmoins certain que, par rapport à ce que nous avons, elle constituerait un très grand progrès. Si donc le retour au scrutin de liste doit avoir pour effet ou pour conséquence de nous amener à la représentation proportionnelle, souhaitons-le, aidons-le et hâtons-le de toutes nos forces. Ce serait le premier pas dans la voie qui conduira du su tirage universel inorganique au suffrage universel organisé, du désordre à l’ordre, du chaos au monde, du néant à l’être : ce premier pas, le seul qui coûte, puisque nécessairement nous devrons le faire un jour et que nous ne pouvons que gagner à le faire, nous ne le ferons jamais trop vite.

Mais point d’illusions pourtant ; et, cela fait, ce pas fait, même franchement et hardiment, tout ne serait pas fait. Car le mal n’est pas uniquement, — à nous de leur rendre cette justice, — dans le parlement et dans les parlementaires ; j’entends dans ce parlement et dans ces parlementaires ; ce n’est pas un accident qui leur soit propre et personnel, auquel d’autres qu’eux-mêmes, ou eux-mêmes nommés autrement, échapperaient : il est aussi, pour une large part, dans le parlementarisme, j’entends dans ce parlementarisme, dans ce mode du parlementarisme, qui est une des façons de le concevoir et de le pratiquer, mais une entre plusieurs, et telle qu’il ne peut guère en être de plus mauvaise.

Ce parlementarisme, quel en est le caractère, et quelle définition en peut-on donner ? De tous les traits dont se compose assez désavantageusement son image, — n’est-il pas agité, bavard, brouillon, incohérent, incompétent, etc. ? — il en est un qui frappe et qui domine ; celui-ci : étant tout ce qu’il est de détestable et de déplorable, le parlementarisme, chez nous, notre cas de parlementarisme, s’aggrave encore de cette circonstance que, de plus, il est « illimité. » J’entends par là qu’il n’est maintenant en France pas d’heure et pas de matière où le législatif ne déborde, n’empiète et n’usurpe sur ce que l’école appelle « les autres pouvoirs. » Et non seulement sur ces autres pouvoirs ou ces autres fonctions, sur tous et sur toutes, mais encore sur tous les droits de tous les citoyens : l’État en bloc et chacun de nous en son particulier, tout en France a son maître, que rien n’arrête ; à qui personne ne vient dire : « Tu n’iras pas plus loin ; » qui va sans cesse plus loin ; qui est d’autant plus capricieux, d’autant plus fantasque, d’autant plus despotique qu’il a huit cent quatre-vingts têtes ; et ce maître de tout et de tous, c’est lui. Voilà, en lui, le vice des vices, ou sans même retenir pour le moment que c’est son vice, voilà son caractère principal et général ; voilà ce par quoi il s’oppose, se pose et se définit : il est illimité.

Au fond, d’ailleurs, s’il y a plusieurs modes du parlementarisme, il n’y en a que deux espèces ou deux catégories, dans lesquelles ils rentrent tous et sous lesquelles ils se peuvent ranger : il y a, d’une part, le parlementarisme limité, et, de l’autre, le parlementarisme illimité. Il importe peu, ou du moins il n’est que d’une importance relative, que le parlementarisme soit limité d’une manière ou de l’autre ; et sans doute une manière pourra valoir mieux que l’autre, — c’est précisément un des points que nous nous proposons d’élucider : laquelle de ces manières vaut le mieux ; — mais enfin le plus important, l’essentiel est de savoir que le parlementarisme n’est pas fatalement illimité ; qu’il y a aussi un parlementarisme limité ; que l’on en connaît des exemples, et notamment un très illustre exemple, non suspect au point de vue démocratique et républicain ; que, dans le parlementarisme illimité, à l’anglaise, et surtout dans quelques-unes de ses exagérations et de ses déformations continentales, le Parlement, suivant l’adage, « peut tout ce qu’il veut, excepté changer une femme en homme et un homme en femme ; » mais que, dans le parlementarisme limité, à l’américaine, le Parlement lui-même ne peut que ce que lui permet la Constitution ; que certains droits restent antérieurs et supérieurs à son droit ; et que le dernier des citoyens est garanti de ses excès par une sorte d’Habeas corpus politique, qui lui demeure inviolable et sacré.

Je fonde sur cette raison et sur ce fait d’expérience ma thèse, qui est simple. Si nous soutirons de ce que, chez nous, le parlementarisme est illimité, tâchons de nous guérir en le limitant. Si le type anglais, sans les circonstances qui l’ont rendu tolérable et même fécond en Angleterre, ne nous convient pas, et si la preuve en est acquise, comme elle ne l’est que trop, rapprochons-nous du type américain. Si les Etats-Unis ont réussi par la création d’une Cour Suprême à limiter le parlementarisme, empruntons-leur cette institution bienfaisante, essayons d’en adapter une copie à notre tempérament, à nos mœurs et à nos besoins.

Ce qu’est la Cour Suprême des Etats-Unis, quel est son rôle et quelle est son œuvre, le public français, depuis le traité classique de Tocqueville et après les consciencieux travaux du duc de Noailles, ne saurait l’ignorer tout à fait ; ici même, plus d’une fois déjà, on a abordé ou effleuré ce sujet, mais peut-être sous son aspect abstrait ou théorique plutôt que du côté pratique ou concret[1]. Aujourd’hui qu’il ne s’agit plus seulement de théorie, mais de pratique, nous voudrions dire aussi brièvement et exactement que possible comment est composée la Cour Suprême des Etats-Unis, comment elle est nommée, comment elle fonctionne ; quelle est son origine, quelle est sa compétence, quelle est sa procédure. La traduction qui s’achève du monumental ouvrage de M. James Bryce, The American Commonwealth, vient à point pour nous y aider[2].


I

La Constitution des États-Unis, du 17 septembre 1787, l’Acte fondamental de la Confédération, signé par les représentans de douze États sur treize[3], portait, en son article III, section I : « Le pouvoir judiciaire des États-Unis sera conféré à une Cour Suprême et à telles Cours inférieures que le Congrès pourra en temps et lieu instituer et établir. Les juges, ceux de la Cour Suprême comme ceux des Cours inférieures, conserveront leurs sièges tant qu’ils tiendront une bonne conduite (during good behaviour), et ils recevront pour leurs services, à des époques fixes, une indemnité qui ne pourra être diminuée tant qu’ils resteront en fonctions. » Le même article III ajoutait, section II : « Le pouvoir judiciaire s’étendra à toutes les causes ressortissant à la juridiction de loi et d’équité, qui relèveront de la présente Constitution, des lois des États-Unis, et des traités faits ou à faire sous leur autorité ; à toutes les causes concernant les ambassadeurs, les autres agens diplomatiques et les consuls ; à toutes les causes d’amirauté et de juridiction maritime ; aux contestations dans lesquelles les États-Unis seront partie ; aux contestations entre deux ou plusieurs États, entre un Etal et un citoyen d’un autre État, entre citoyens d’États différens, entre citoyens du même État réclamant des terres en vertu de concessions faites par des États différens, et entre un État ou les citoyens de cet État et des États, des citoyens ou des sujets étrangers. » La compétence ainsi déterminée, le paragraphe suivant réglait en gros la procédure : « Dans toutes les causes concernant les ambassadeurs, les autres agens diplomatiques et les consuls, et dans celles où un État sera partie, la Cour Suprême exercera la juridiction du premier degré. Dans toutes les autres causes ci-dessus énumérées, la Cour Suprême aura la juridiction d’appel, en droit comme en fait, avec telles exceptions et d’après tels règlemens que le Congrès pourra introduire. » Plus loin encore, à l’article VI : « Cette Constitution et les lois des États-Unis qui seront faites en conséquence… seront la loi suprême du pays ; et les juges, dans chaque État, seront tenus de s’y conformer nonobstant toute disposition contraire dans la constitution ou les lois de l’un quelconque des États… Tous officiers de l’exécutif et du judiciaire, tant des États-Unis que des divers États, seront tenus, par serment ou affirmation, de maintenir cette Constitution. » Puis, quelques mots par-ci par-là, une mention faite incidemment : « Si le Président des États-Unis est mis en jugement, le Chief Justice (président de la Cour Suprême) présidera… » Le Congrès aura le pouvoir… « de constituer des tribunaux inférieurs à la Cour Suprême… » (article premier, sections III et VIII). Le Président des États-Unis « désignera et, avec l’avis et le consentement du Sénat, nommera… les juges de la Cour Suprême… » (article II, section II).

Et c’est tout : on chercherait vainement dans le texte de 1787 un mot de plus sur la Cour Suprême. Elle est créée en vertu de l’article III, section I. En vertu de cet article III, l’inamovibilité sous une certaine condition, et une indemnité fixe, sont assurées à ses membres. Sa juridiction s’étend, soit en première instance, soit en appel, à toutes les causes de loi ou d’équité, notamment à celles « qui relèvent de la Constitution. » Cette Constitution étant, avec le corps des lois fédérales, la loi suprême du pays, la Cour Suprême, parmi et par-dessus toutes les autres cours, a le devoir de la maintenir, et ses membres en font le serment. Ils sont désignés par le Président des États-Unis et nommés par lui sur l’avis conforme du Sénat.

Le nombre des juges qui forment la Cour Suprême avait été fixé d’abord, par le Judiciary Act de 1789, à un président (Chief Justice) et à cinq membres (Associate Justices). Elle se compose à présent d’un président et de huit membres. Le président reçoit un traitement annuel de 10 500 dollars (52 500 francs) et chaque juge, de 10 000 dollars (50 000 francs). Une disposition en date de 1869 permet aux membres de la Cour de prendre leur retraite, avec leur solde entière, à soixante ans d’âge et après dix ans de service. Le ministère public est représenté près de la Cour Suprême par un procureur général (Attorney general), qui est à tous égards un personnage considérable. « Conseil du gouvernement pour toutes les questions de droit, il a rang de ministre et exerce une charge qui rappelle les fonctions de notre Garde des sceaux[4]. » Ses réponses aux avis que le Président des Etats-Unis lui demande sont réunies, publiées, et forment, sous le titre de Official opinions of the Attorneys general of the United States, comme le commentaire perpétuel de la Constitution, qui, dès 1873, remplissait treize gros volumes, et qui jouit d’une autorité incontestée, bien qu’il la tire toute de la valeur intellectuelle et professionnelle de ce magistrat.

La Cour Suprême, au complet et en tant que telle, — car ses juges ont en outre la charge de parcourir individuellement les circuits pour y présider des assises, — tient chaque année une session qui commence le second lundi d’octobre et finit en mai. Les séances sont quotidiennes, sauf les samedis et les dimanches, et s’ouvrent à midi. La Cour siège à Washington, au palais du Capitule, dans la salle où précédemment siégeait le Sénat. L’ouverture de la Cour est annoncée par le cri de : « Oyez ! Oyez ! Oyez ! Toutes les personnes, ayant affaire devant l’Honorable Cour Suprême des Etats-Unis sont averties de s’approcher et de prêter attention, car la Cour va entrer en séance. Dieu garde les Etats-Unis et cette Honorable Cour ! » Les témoignages sont unanimes à constater que la Cour Suprême « travaille avec infiniment peu de frottement[5]. » Tranquillité, solennité, dignité, rapidité, voilà ce qui distingue sa procédure. Les argumens sont présentés devant elle sur le ton ordinaire, presque à voix basse, sans longueur, et sans occasion ni tentation de déployer le brillant ou le clinquant oratoire d’une rhétorique apprêtée. Le coût d’un procès devant la Cour Suprême est relativement peu élevé. Les frais de cour sont véritablement modiques ; le plus gros de la dépense s’applique aux honoraires de l’avocat et à l’impression du mémoire.

Chaque samedi matin, les juges mettent en délibéré et tranchent les cas plaidés pendant la semaine. Pour la solution d’un cas, six des neuf juges constituent le quorum, et les décisions sont acquises à la majorité des votes. Un juge de la majorité est désigné dans chaque cas pour préparer une « opinion écrite. » Des « opinions » dissidentes sont souvent aussi préparées et lues. Le prononcé des arrêts a lieu chaque lundi matin.

Toutes les décisions de la Cour Suprême sont, naturellement, définitives. Il n’est point de mode prévu par lequel un tribunal supérieur puisse réexaminer à nouveau ce que la Cour Suprême a résolu ; et, d’ailleurs, il n’est point prévu qu’il puisse exister un tribunal supérieur à la Cour Suprême. Mais le cas tranché ne l’est pas une fois pour toutes ; les motifs de la décision restent seulement comme précédens qui serviront à trancher les cas similaires, s’il s’en produit à l’avenir. Ces précédens mêmes, il arrive parfois, — quoique rarement, — qu’il n’en soit pas tenu compte. Jusqu’à la fin de la session, toute cause jugée au cours de cette session est considérée comme « reposant dans le sein de la Cour (still in the bosom of the Court), » et, quand il s’en découvre une raison suffisante, peut être de nouveau appelée à l’audience. Mais la Cour Suprême ne peut pas revenir sur un cas tranché dans une session antérieure, encore qu’un autre cas, enveloppant les mêmes questions, puisse se poser, être discuté et, en dépit des précédens, tranché par une décision contraire.

Durant les premières années de son histoire, la Cour Suprême n’eut à juger qu’un très petit nombre de procès. En 1801, lorsque fut élevé à la présidence le Chief Justice Marshall, il n’y avait que dix affaires en train. Cinq ans après, le nombre total des cas résolus était de 120. De 1820 à 1830, il est de 259, en moyenne 58 par an. De 1830 à 1850, il ne fait qu’augmenter graduellement, et donne, de 1845 à 1850, une moyenne annuelle de 71 causes entendues. A partir de 1850, l’accroissement a été rapide, puisque, de 1875 à 1880,1 955 procès ont été plaides et jugés, et que le rapport de l’Attorney general pour 1889 consultait qu’au commencement d’octobre 1888,2 371 affaires étaient inscrites au rôle, sur lesquelles 423 seulement avaient été expédiées.

L’amoncellement des dossiers sur le bureau de la Cour tient sans doute à diverses raisons, telles que l’accroissement du territoire, de la richesse, de la population, le développement des lignes de chemins de fer et des lignes télégraphiques, la multiplication des brevets d’invention, la place prise dans les sociétés modernes, — et dans la plus moderne des sociétés, la société américaine, — par la propriété industrielle et scientifique, sinon artistique et littéraire. Sous cet afflux sans cesse grandissant, la Cour Suprême, si l’on n’y prenait garde, risquerait d’être débordée et de ne pouvoir plus faire sa véritable et indispensable besogne, de ne pouvoir plus remplir cette partie de sa tâche qu’elle seule peut remplir, son œuvre d’interprétation et de conservation constitutionnelle. Qu’elle ne réussisse à liquider en un an que 400 affaires, c’est pourquoi elle a un tel arriéré qu’il faut parfois à un procès inscrit au rôle de trois à quatre ans avant de venir à l’audience, malgré le labeur acharné des juges, qui siègent sept mois, au lieu de trois, et qui pendant ces sept mois sont continuellement en séance. Il y aurait injustice évidente à leur demander de faire davantage, et du reste impossibilité de leur part ; ils ne peuvent ni se multiplier ni multiplier les heures. Quoi qu’il en soit, la Cour Suprême n’arrive plus à faire tout ce qu’on attend d’elle ; et ce serait un péril public que le principal fut noyé dans l’accessoire, on s’en inquiète depuis quelque temps déjà ; mais, la grande majorité des cas étant portés devant la Cour comme appels des cours fédérales inférieures, le correctif n’est pas introuvable.

On en a proposé plusieurs : d’abord étendre la compétence de ces cours inférieures, et restreindre, rendre ainsi plus rares les cas où il pourrait être fait, de leurs sentences, appel à la Cour Suprême ; ou bien instituer entre les Cours de circuit et la Cour Suprême, des cours d’appel intermédiaires qui la déchargeraient de son plus lourd et de son plus encombrant fardeau ; ou bien enfin diviser la Cour Suprême elle-même en sections, avec ou sans augmentation du nombre de ses membres, chaque section étudiant spécialement une certaine classe d’affaires : première section, les causes d’équité ; deuxième section, les causes de common law ; troisième section, les causes de finances et d’amirauté ; à la Cour plénière, les affaires mettant en jeu soit les traités, soit la Constitution[6].

Ce qu’on reproche de plus grave à ce troisième projet, c’est, s’appliquant à une Cour Suprême qui a pour mission avant tout de garder la Constitution intacte, d’être lui-même d’une constitutionnalité douteuse. En effet, la Constitution a prévu l’établissement d’une Cour Suprême unique, et c’est une question de savoir si une Cour Suprême en trois sections serait encore cette Cour unique. Mais il y a autre chose : et c’est que, très probablement, une Cour Suprême divisée en sections perdrait, dans l’esprit populaire, du respect, de la confiance qu’inspire la Cour Suprême, du prestige qui l’entoure, qui est un élément de son pouvoir et un l’acteur de sa force, sans lequel elle n’aurait pu jouer jusqu’ici et ne pourrait jouer désormais le rôle qu’il faut qu’elle joue, et que tout le monde aux États-Unis est d’accord qu’elle doit continuer à jouer. Qu’elle fasse elle-même, si elle le peut, ou, si elle ne le peut plus, qu’elle laisse faire à d’autres ce que d’autres peuvent faire, cela est indifférent ou cela est secondaire ; mais, qu’elle ne fasse plus ou qu’elle fasse moins bien ce qu’elle seule peut faire, c’est ce que les États-Unis déploreraient comme une calamité nationale, et tout citoyen américain comme un malheur personnel.


II

Aussi vainement qu’en dehors de quelques sections de quelques articles, on chercherait dans la Constitution de 1787 un mot qui ait trait à la Cour Suprême, aussi vainement chercherait-on, dans ces articles et ces sections mêmes, en dehors des quelques bouts de phrase que nous avons cités, un mot qui détermine le pouvoir de la Cour Suprême quant à la Constitution, et qui la lie quant à la forme et quant à la mesure dans lesquelles ce pouvoir s’exercera. « Le pouvoir judiciaire s’étendra à toutes les causes de loi et d’équité qui relèveront de la présente Constitution… Cette Constitution sera la loi suprême du pays, et tous les juges seront tenus de la maintenir. » Rien de plus ; et c’est de ce rien que le temps et l’usage ont tiré une institution qui est bien l’une des créations les plus remarquables, et, sous tous les rapports, les plus considérables dont puisse s’enorgueillir la science ou l’art de la politique.

Si c’est à proprement parler une création, tirée de ce rien que donnait le texte de la Constitution, ou si c’est surtout un produit du milieu et de la coutume, poussé presque spontanément, quoique lentement développé, dans l’atmosphère légale des États-Unis ; si, après cela, ce produit est d’origine rigoureusement américaine, surgi de cette terre nouvelle, ou si, au contraire, il y a été importé et implanté de la métropole ; sans plus d’ambages, si la Cour Suprême des États-Unis est un prototype et n’a eu ni germe dans les cours des treize colonies, des treize États de la Confédération primitive, ni modèle dans les cours anglaises plus anciennes, ou si, au contraire, elle n’est que l’agrandissement de ces cours des treize États qui n’auraient été elles-mêmes qu’une transposition des cours anglaises : ce sont autant de petits problèmes, on pourrait dire de petits mystères, nullement indignes à coup sûr de piquer la curiosité des érudits, mais d’ordre historique et juridique plutôt que d’ordre politique ; nous n’avons pas à nous y arrêter.

Prenons la Cour Suprême toute faite, et faite connue on voudra qu’elle l’ait été, au commencement du XIXe siècle, en 1801, à la nomination comme Chief Justice de John Marshall, qui, par une heureuse fortune, devait demeurer en fonctions jusqu’en 1835 ; trente-quatre ans, long espace d’une vie d’homme, et long espace aussi d’une vie de nation, quand cette nation compte à peine cinquante ans d’existence. Alors une forte main, sur l’argile toute fraîche et non durcie encore, peut imprimer une forte marque. Ainsi John Marshall imprima sur la Constitution fédérale la marque de la Cour Suprême : il acheva de la pétrir et de la façonner : « Aux yeux des Américains, écrit M. James Bryce, il surpasse tous les autres juges de leur pays, plus que Papinien ne surpassa les jurisconsultes de Rome et lord Mansfield ceux d’Angleterre. Nul n’a fait la moitié de ce qu’il a fait pour le développement de la Constitution par l’interprétation, nul n’a plus contribué que lui à garantir à la justice la place qui lui revient de droit dans le gouvernement, celle de voix vivante de la Constitution. Personne ne revendiqua plus vaillamment la mission pour la Cour d’établir sur des bases solides l’autorité de la loi fondamentale du pays, personne ne s’abstint plus scrupuleusement d’empiéter sur le terrain du pouvoir exécutif ou de la controverse politique. L’admiration et la vénération que lui et ses collègues assurèrent à la Cour en restent comme le rempart ; les traditions qui naquirent avec lui et avec eux ont, en général, continué à guider l’action et à élever les sentimens de leurs successeurs[7]. »

Comme il fit de la Cour Suprême « la voix vivante de la Constitution, » John Marshall, pendant, trente-quatre ans, jusqu’à ce qu’il mourût octogénaire, en fut la jurisprudence vivante. Il fit la règle, il fut la règle. C’est en 1801, dans la première année de sa magistrature, que, pour la première fois, « la Cour revendiqua explicitement comme un devoir la faculté de tenir pour nul tout acte du Congrès incompatible avec la Constitution[8]. » La Constitution au-dessus de tout. Elle est, et elle seule est, dans toute la plénitude de l’expression, la loi fondamentale, non seulement par préférence ou par excellence, mais par exclusion et par monopole. Il ne saurait y avoir de lois que par rapport à elle et en conformité avec elle.

Ici, le parlementarisme américain étant pris pour type du parlementarisme limité et le parlementarisme anglais pour type au parlementarisme illimité, il faut en bien saisir les différences. M. James Bryce les accuse nettement : « En Angleterre et dans plusieurs autres États modernes, toutes les lois ont au même degré la même autorité. Toutes sont faites par la législature : toutes peuvent être changées par la législature. Ce qu’on appelle en Angleterre des lois constitutionnelles, telles que la Grande Charte, le Bill des Droits, l’Act of Settlement, les acts de l’Union avec l’Ecosse et l’Irlande, ne sont que de simples lois ordinaires, qui peuvent être abrogées par le Parlement à n’importe quel moment, comme il peut abroger un act concernant une grande route ou abaisser les droits sur le tabac. On a pris l’habitude de parler de la Constitution britannique comme d’une chose arrêtée et définitive. Mais il n’existe pas en Angleterre une Constitution distincte des autres lois ; ce qu’il y a est une sorte de code formé en partie de lois, en partie d’arrêts de jurisprudence, en partie d’usages acceptés. C’est ce code qui permet le fonctionnement au jour le jour du gouvernement du pays, tout en étant modifié lui-même, d’une façon constante, par de nouvelles lois et de nouveaux arrêts…

« En Amérique, il en va tout autrement. Là, le terme de Constitution » désigne un instrument particulier, adopté en 1787, amendé depuis sur quelques points, et qui est le fondement du gouvernement national. Cette Constitution fut ratifiée et rendue obligatoire, non par le Congrès, mais par le peuple. Elle créa une législature, sans cependant que cette législature, que l’on nomme Congrès, ait le pouvoir de la modifier, même dans ses infimes détails. Ce que le peuple a voulu, le peuple seul peut le changer ou l’abroger. »

Le premier de ces pays, — l’Angleterre, — a construit sur une multitude de lois et d’arrêts son système de gouvernement. Le gouvernement du second, — les États-Unis, — repose tout entier sur celle loi fondamentale, la Constitution. L’Angleterre « a placé ses prétendues lois constitutionnelles à la merci de sa législature, qui peut à son plaisir abroger n’importe quelle institution du pays, la Couronne, l’Eglise anglicane, la Chambre des lords, la Chambre des communes, le Parlement lui-même… » Oui, le Parlement anglais pourrait se détruire lui-même, en prononçant sa propre dissolution, et en ne laissant aucun moyen légal de convoquer un nouveau Parlement. Mais les États-Unis ont élevé leur Constitution au-dessus des atteintes et des prises du Congrès. Ce qui fait en somme qu’en Angleterre, le Parlement est omnipotent. Mais, en Amérique, « le Congrès est limité à deux points de vue : 1° il ne peut légiférer que sur certaines matières spécifiées dans la Constitution ; » et 2°, en ces matières même, « il n’a pas le droit de transgresser les dispositions de la Constitution. La rivière ne peut pas remonter au-delà de sa source. »

Et, pour qu’il ne reste aucun doute sur ce que peut et sur ce que ne peut pas le Parlement américain, M. James Bryce emprunte des comparaisons familières : « Voici un propriétaire qui donne à son régisseur des instructions pour toucher ses fermages, ou pour payer des dettes à un marchand ; le régisseur n’a pas, cela est évident, le droit d’engager son mandant par des actes qui dépasseraient les ordres qu’il a reçus : il ne pourrait pas, par exemple, acheter un champ. Ou bien encore, voici un directeur d’usine qui prescrit à son contremaître de réglementer dans son établissement les heures de travail et de repas, et le contremaître, au lieu de s’en tenir là, détermine aussi les vêtemens que les ouvriers devront porter, les offices religieux auxquels ils devront assister ; ces derniers règlemens ne seront pas l’expression de la volonté du directeur, et les ouvriers ne sauraient être blâmés de n’en tenir aucun compte. »

Ainsi des Parlemens, qui ne sont que des régisseurs ou des contremaîtres, au-dessus desquels il y a un propriétaire ou un directeur, un supérieur qui ne leur a délégué qu’un pouvoir limité d’agir et de réglementer, lequel pouvoir, étant limité, ne doit s’exercer que sur certaines matières et sous certaines conditions. S’ils excèdent les limites de ce pouvoir délégué, s’ils agissent, réglementent, légifèrent sur d’autres matières et sous d’autres conditions, les lois qu’ils feront ne seront pas des lois ; elles seront nulles et inefficaces ; aucun citoyen ne leur devra ni obéissance, ni respect.

C’est ce qui se passe aux Etats-Unis. « Le pouvoir suprême, en fait de législation, est le peuple… Le peuple a, par sa suprême loi, la Constitution, donné au Congrès un pouvoir limité de légiférer. Toute loi votée en vertu de ce pouvoir et conformément à la Constitution a toute l’autorité de la Constitution qui est derrière elle. Toute loi votée en dehors de ce pouvoir est illégale et dépourvue de sanction[9]. »

Voilà qui est clair et catégorique. Mais qui déclarera que le Parlement a ou n’a pas excédé son pouvoir, et qui décidera en conséquence de la légalité ou de l’illégalité d’une loi ? Qui examinera, en rapprochant la loi de la Constitution, s’il existe entre elles une contradiction ; si l’objet de la loi en question est ou n’est pas un de ceux qui sont mentionnés ou impliqués dans la Constitution ; si quelque disposition de cette loi heurte ou néglige quelque clause de la Constitution ? Ce ne peut être le Congrès lui-même, puisque le Congrès y est partie intéressée, ayant fait la loi dont la constitutionnalité, et par suite la légalité, est en cause. Ce ne peut être le Président, puisqu’il se peut, ayant proposé ou ayant promulgué la loi, que lui aussi soit intéressé dans l’espèce. Mais, d’autre part, il est difficile que ce soit, par voie de referendum, le peuple, qui est censé avoir fait la Constitution, parce que, le plus souvent, un pareil examen « n’exige pas seulement la subtilité d’un avocat expert, mais aussi la connaissance des précédens qui ont éclairé le même point ou des points analogues[10]. » Ce seront donc les cours de justice, si c’est à elles qu’appartient l’interprétation des lois, « non seulement pour en assurer l’exécution vis-à-vis des citoyens, mais pour les ajuster aux faits, c’est-à-dire pour en déterminer la signification précise et pour en faire l’application aux circonstances d’un cas particulier ; » et s’il n’y a, d’ailleurs, « aucune autre autorité capable de prendre une décision à ce sujet. » Entre toutes les cours de justice, et avant toutes ou après toutes, ce sera donc la Cour Suprême.

Là-dessus, sur ce motif de droit : « Le pouvoir judiciaire s’étendra à toutes les causes qui relèvent de la Constitution, » que les juges sont obligés de maintenir, et sur ce motif de fait qu’aux cours de justice appartient l’interprétation des lois, le Chief Justice John Marshall et ses successeurs à la présidence de la Cour ont, depuis 1801, bâti la puissance de la Cour Suprême, qui n’est pas sans doute la toute-puissance, mais qui est la dernière puissance, la puissance en dernier ressort, ou du moins qui peut l’être, qui peut valider ou invalider les actes et les décrets des autres. La Cour Suprême traite la Constitution fédérale de la manière qu’il est admis que les cours de justice traitent les lois ; « non seulement pour en assurer l’exécution vis-à-vis des citoyens, » mais « pour l’ajuster aux faits, » c’est-à-dire « pour en déterminer la signification précise et pour en faire l’application aux circonstances d’un cas particulier ; » ou plutôt ce n’est pas tant la Constitution, ce sont bien les lois que la Cour Suprême traite de la sorte : elle les interprète par rapport à la Constitution ; elle en assure l’exécution en harmonie avec la Constitution ; elle les ajuste, elle ajuste le l’ait légal à la Constitution ; elle en détermine le sens précis selon le sens général de la Constitution ; et, par les points qu’elle pose, de cas particulier en cas particulier, qui vont se rejoignant, elle trace, dans le plan de la Confédération américaine, la ligne infranchissable de la Constitution.

J’ai souligné ces mots : de cas particulier en cas particulier. La Cour Suprême, en effet, ne perd jamais de vue qu’elle est une cour de justice, et, en matière constitutionnelle comme en toute matière, elle procède en cour de justice. Elle attend le cas particulier. Elle ne va pas au-devant de la loi, elle laisse la loi venir à elle, et y venir ainsi que les lois viennent devant les cours, dans une espèce et par un procès. Elle ne s’émeut et ne se meut que sur la requête d’une partie. « Quelquefois, le demandeur ou le défendeur peuvent être le gouvernement national (fédéral) ou un gouvernement d’État ; le plus souvent, ce sont, l’un et l’autre, des particuliers qui revendiquent des droits privés ou cherchent à les défendre. Ainsi le fameux cas qui a consacré la doctrine d’après laquelle une loi votée par un État pour révoquer une concession de terre faite à un particulier sous certaines conditions et en vertu d’une loi antérieure est une loi « détruisant les effets d’un contrat, » et, par suite, nulle, conformément à l’article I, § 10 de la Constitution fédérale. « La Cour fut saisie de la question sur la plainte d’un certain Fletcher contre un certain Peck, à propos d’engagemens écrits contractés par ce dernier, et, pour pouvoir juger équitablement entre le demandeur et le défendeur, il était nécessaire d’examiner la validité d’une loi votée par la législature de Géorgie[11]. »

De même le cas non moins fameux de Dred Scott, — Scott contre Sandford (1857). — À propos d’un procès intenté pour coups et blessures par un nègre à la personne qui prétendait être son maître, la Cour Suprême, non contente de déclarer « qu’un esclave transporté temporairement dans un État libre et dans un territoire où le Congrès a prohibé l’esclavage, mais revenant ensuite fixer sa résidence dans un État esclavagiste, n’était pas un citoyen capable d’ester devant les Cours fédérales, s’il était resté esclave en vertu de la loi en vigueur dans l’État esclavagiste ; » non contente de trancher ainsi le cas particulier de Dred Scott, la Cour, à cette occasion, résolut « nombre de dicta sur d’autres points relatifs à la législation des nègres ou aux dispositions constitutionnelles concernant l’esclavage, » et notamment « considéra le compromis du Missouri, adopté par un acte du Congrès en 1820, comme dépassant le compétence du Congrès[12]. »

De même encore, en 1870, 1871 et 1884, pour les Légal Tender Cases, où il s’agissait au bout du compte de savoir si le Congrès avait le droit de voter des acts établissant le cours légal du papier-monnaie, et que la Cour Suprême, après les avoir d’abord résolus par la négative, résolut ensuite par l’affirmative[13]. En somme, « rien de ce qui constitue partout le domaine plus spécial du législateur n’échappe, en Amérique, à l’examen et au contrôle éventuels du juge. » On ne sait jamais quelles questions l’affaire en apparence la plus banale peut soulever, et c’est là vraiment qu’il faut dire que tout est dans tout. « Les considérans d’un arrêt rendu dans une cause de mur mitoyen se trouvent contenir la sanction ou l’interprétation définitives des lois constitutionnelles. On appelle devant la Cour l’affaire du citoyen Hylton, qui refuse d’acquitter la taxe des voitures. Le débat va bientôt s’élargir et porter sur les pouvoirs du Congrès en matière d’impôts. La plainte d’un milicien réfractaire condamné à l’amende permettra au tribunal de traiter les plus hauts problèmes relatifs au droit de paix et de guerre[14]. »

Mais le point d’aboutissement seul est incertain et lointain, le point de départ est toujours certain et prochain. Cela peut aller jusqu’au droit pur, jusqu’à la philosophie politique, qui sait ? jusqu’à la métaphysique constitutionnelle ; mais cela part toujours du choc des intérêts de deux personnes en chair et en os, de la plainte d’un citoyen ou d’un État américain, et de la plainte formelle, judiciairement introduite, de tel citoyen ou de tel État. C’est toujours un procès de deux citoyens l’un contre l’autre, ou d’un citoyen contre un État, ou d’un citoyen contre la Confédération, ou de deux États l’un contre l’autre, ou d’un État contre la Confédération. Mais, l’incident devenant le principal, la loi au sujet de laquelle peut se poser l’objection d’inconstitutionnalité est alors une sorte d’accusée traduite à la barre de la Cour. « La Cour reconnaît-elle l’objection fondée, elle condamne la loi en refusant de l’appliquer, et donne raison au plaignant, quand même celui-ci aurait pour adversaires tous les pouvoirs publics réunis et l’opinion du pays entier[15]. »

Insistons-y, car il n’y a pas à chercher ailleurs le secret de la force et du succès de la Cour Suprême. Elle n’agit jamais de sa propre initiative, mais sollicitée, ni ne frappe une loi dans son ensemble par un grand coup, mais en détail et par petits coups répétés. Jamais elle ne s’avise de casser d’elle-même et en bloc un acte du législatif. Jamais elle ne conteste en théorie, et avant d’en être priée ou requise, ni le droit qu’avait l’exécutif de rendre ce décret, ni le droit qu’avait le législatif d’accomplir cet acte. Le décret de l’exécutif et l’acte du législatif ne viennent devant elle que lorsque quelqu’un, — un citoyen ou un État, — les lui apporte, les lui défère : de ce moment, ils comparaissent dans la personne des parties : ils sont ses justiciables, et elle les juge : elle en a non seulement le pouvoir, mais le devoir, et plus encore le devoir que le pouvoir, sous peine de « forfaiture » ou de « déni de justice[16]. » La Cour Suprême, qui ne se met pas en mouvement sans qu’elle soit saisie par une plainte, ne rend donc qu’une décision d’espèce, sur cette plainte seule, en cette seule affaire, et pour cette personne seule. Mais « supposons que, dans un procès ordinaire entre Smith et Jones, la Cour se prononce en faveur de Jones, qui prétendait que la loi invoquée par le demandeur était nulle comme transgressant une disposition de la Constitution,… est-ce que tout le monde n’estimera pas que la loi qui a méconnu ses droits privés doit tomber[17] ? » Ou du moins, quand un certain nombre de Jones en auront fait juger ainsi un certain nombre de fois, est-ce que la loi, indirectement et implicitement en litige, quoiqu’elle ne soit pas supprimée du recueil des actes du Parlement, ne sera pas caduque en fait et inapplicable à tout le monde ?

Mais, qu’elle ne devienne inapplicable à tout le monde qu’en étant déclarée inapplicable à Jones dans telle espèce et à tel propos, c’est justement ce qui permet à la Cour Suprême, et, aux degrés inférieurs, au pouvoir judiciaire des États-Unis en général, de jouer son rôle de pouvoir modérateur, de remplir sa fonction de « gardien des gardiens, » de former cran d’arrêt ou cran de sûreté contre l’exécutif et contre ; le législatif, sans empiéter sur eux, ni s’opposer à eux. C’est ce qui fait que presque toujours, sinon toujours, ce qui n’était point humainement possible, la Cour Suprême a pu limiter efficacement soit l’exécutif, soit le législatif sans entrer en conflit ni avec l’exécutif ni avec le législatif. Elle a constamment « refusé de s’immiscer dans les questions purement politiques. » Elle a constamment refusé « de se prononcer sur des questions abstraites, ou de donner son opinion d’avance en guise de conseil au pouvoir exécutif. » Elle l’a refusé même quand on le lui demandait. « Quand, en 1793, le Président Washington lui demanda son avis sur l’interprétation du traité de 1778 avec la France, les juges déclinèrent cette offre[18]. » Grâce à cette réserve, à cette discrétion, à cette sagesse, la Cour Suprême a donc presque toujours évité les conflits. Il y a bien eu quelques froissemens, quelques tiraillemens ; mais ce ne sont que des exceptions : la règle a été la correction et la confiance réciproques : une vraie collaboration dans un intérêt supérieur.

Comme elle se comportait envers l’exécutif, la Cour Suprême s’est comportée aussi envers le législatif ; et le législatif aussi l’a payée de retour : avec lui aussi, on peut dire qu’elle a vraiment collaboré : « Vous m’objectez, disait un représentant au Congrès, qu’en adoptant le bill qui nous est soumis, nous l’exposons à être infirmé par le pouvoir judiciaire des Etats-Unis, qui peut le déclarer contraire au pacte fondamental, par conséquent nul, et se refuser à en poursuivre l’exécution. Cette objection ne me trouble pas. Le contrôle des tribunaux ne m’inspire qu’orgueil et confiance; il me rend plus libre pour traiter toutes les questions débattues ici. Je réfléchis que, si, par inadvertance, par manque de précision ou par quelque autre défaut, je volais de mauvaises lois, nous avons un pouvoir institué pour empêcher l’exécution de lois préjudiciables à nos commettans… Notre gouvernement se fait gloire de fournir le remède aux erreurs des assemblées législatives elles-mêmes[19]. »

Telle est, dans la règle, l’attitude de l’exécutif et du législatif vis-à-vis de la Cour Suprême, aussi bien que de la Cour Suprême vis-à-vis de l’exécutif et du législatif. Chacun chez soi et tous pour tous. Cependant ce grand corps, on ne peut le cacher, a son point vulnérable. Les juges à la Cour Suprême sont nommés par le Président des Etats-Unis. Or, le Président est l’homme d’un parti, et il est porté à choisir des hommes de son parti. Mais, heureusement, ce corps de la Cour Suprême est si grand que ses membres, dès qu’ils en sont membres, vivent de sa vie à elle plus que de la leur propre, et le juge, en eux, tue l’homme, autant que l’homme peut jamais se tuer dans l’homme. Arrivés là, ils sont de plus sans crainte et sans espoir. Nec spe, nec metu. Sans espoir, parce que, comme le dit M. James Bryce, ils ont atteint « le sommet de l’arbre et ne peuvent grimper plus haut. » Sans crainte, parce qu’ils sont inamovibles during good behaviour, « tant que leur conduite est bonne, » et leur conduite est bonne tant qu’ils ne sont pas sous le coup d’une accusation d’impeachment ; à peine en pourrait-on citer un eus depuis celui du juge Chase, en 1805 ; encore fut-il renvoyé indemne, et, par son acquittement, l’indépendance de la Cour, que peut-être on visait, fut sauvée[20].

Il reste, malgré tout, ce danger, que, le nombre des juges de la Cour Suprême n’étant pas fixé dans la Constitution, le Président, avec la complicité du Congrès, serait à même de la modifier profondément, de la transformer radicalement, par « le système des fournées, » en augmentant ce nombre d’un seul coup, en le doublant au besoin, et en nommant aux nouveaux sièges des créatures de son parti, pour y faire majorité. Alors, oui, suivant un autre mot de M. James Bryce, « la garantie fournie pour le maintien de la Constitution disparaîtrait comme la brume du matin. » Mais, contre cette complicité hypothétique du Président et du Congrès, la Cour Suprême est protégée par sa conspiration tacite avec l’opinion publique, souveraine maîtresse aux Etats-Unis. Ce n’est pas seulement à tel ou tel représentant qu’elle inspire « orgueil et confiance ; » c’est au peuple, qui est le souverain maître.

Le crédit de la Cour est universel et son prestige incomparable. « J’ai entendu, rapporte M. Bryce, j’ai entendu des hommes d’un âge mûr rappeler l’accueil sympathique qui fut fait, par le barreau de sa ville natale, à son retour, à un avocat éminent qui était allé, à l’époque de leur jeunesse, plaider une affaire devant le tribunal suprême. Je les ai écoutés raconter comment on se pressait en foule autour de lui pour recueillir des renseignemens sur le combat qui s’était livré dans cette arène où avaient lutté les intelligences d’élite de la nation, comment le respect avec lequel il parlait de la science et de l’impartialité de la Cour avait gagné ses auditeurs, comment l’admiration avait engendré l’acquiescement, et comment enfin tout le monde avait accepté la décision intervenue, bien qu’elle fût inattendue pour plusieurs, peut-être mal accueillie de la plupart. Quand on comprit que les juges avaient cherché honnêtement à interpréter la Constitution, et quand la force de leurs raisonnemens fut admise, le ressentiment qui avait pu subsister s’évanouit, l’obéissance du peuple fut assurée[21]. Et l’auteur de la République américaine d’en conclure ; — quelle autre conclusion serait plus saisissante ? — « La Cour Suprême est, aux Etats-Unis, comme une sorte de Mecque vers laquelle les visages des Croyans sont tournés. »


III

Ainsi conclut M. James Bryce ; mais, nous-mêmes, que devons-nous conclure de sa conclusion ? C’est qu’aux Etats-Unis, en matière constitutionnelle, on tient pour un axiome, pour un dogme politique auquel l’Union demeure fermement attachée, qu’une assemblée législative ne peut pas excéder ses pouvoirs ; que, si elle le fait, ses prétendues lois ne sont pas des lois, sont dépourvues de toute sanction. Et c’est que, par l’action de la Cour Suprême, le parlementarisme américain est un parlementarisme limité, tandis que le parlementarisme anglais et ses imitations, ses déformations, — presque toutes, ou toutes plus ou moins, — sont du parlementarisme illimité.

La question, pour nous, est donc de savoir d’abord si le parlementarisme américain est préférable au parlementarisme anglais ; autrement dit, si le parlementarisme limité vaut mieux que le parlementarisme illimité. Puis, dans le cas où, en effet, il vaudrait mieux, elle serait alors de savoir jusqu’à quel point nous pouvons, nous Français, rapprocher du parlementarisme américain notre parlementarisme modelé sur le parlementarisme anglais ; autrement dit, comment nous pourrions transformer en parlementarisme limité notre façon ou contrefaçon de parlementarisme illimité.

Premièrement, l’un vaut-il mieux que l’autre, et gagnerions-nous à l’opération ? Quand on songe à la médiocrité d’âme et d’esprit, à l’ignorance, à l’incohérence, à l’incompétence des Chambres issues du suffrage universel inorganique, à l’inclination vers l’omnipotence, au penchant vers le despotisme, de toute majorité sans frein ni contrepoids, la réponse n’est point douteuse. Oui, le parlementarisme limité vaut mieux que le parlementarisme illimité, et non seulement l’opération serait avantageuse, mais elle est nécessaire. En mettant les choses au pis, et en supposant que, limité, le parlementarisme ne fasse pas beaucoup plus de bien, il fera sûrement beaucoup moins de mal, et nous y gagnerons en bien tout le mal qu’il ne pourra pas faire.

Deuxièmement, suffira-t-il de limiter le parlementarisme ? Il est possible, il est probable que non ; ou, si cela doit présentement suffire, ce ne sera ni pour toujours, ni peut-être pour longtemps. D’avoir limité le parlementarisme n’empêchera pas qu’il faille encore le construire, le fonder sur une base solide, appareiller plus étroitement le régime politique et l’état social, organiser enfin le suffrage universel. Je dis bien le construire, et non pas, comme quelques-uns, le détruire. Sans en avoir le fétichisme et sans le croire du tout intangible, sans voir en lui un fait éternel et presque surnaturel ; tout en le circonscrivant, au contraire, en le localisant en tel coin du temps et de l’espace, c’est aujourd’hui dans le monde civilisé un fait trop général pour qu’il ne corresponde point par quelque côté aux conditions et aux besoins de nos sociétés en cette portion de l’espace et du temps. Le coupable, ce n’est pas le parlementarisme, en lui-même et quelle qu’en puisse être la forme ; mais telle forme défectueuse ou abusive du parlementarisme. En conséquence, il ne s’agit pas de détruire le parlementarisme sous toutes ses formes, parce que l’une ou l’autre est mauvaise ; il s’agit de trouver et de réaliser celle de ces formes qui correspond le plus exactement à nos conditions et à nos besoins. Mais, en attendant que nous l’ayons trouvée, et pour que nous puissions librement et posément la chercher, en premier lieu et comme première mesure, — ce sera, si l’on veut, la barrière, le garde-fou, l’échafaudage autour de la construction, — il s’agit dès maintenant et tout de suite de limiter le parlementarisme.

Pour le limiter, comment faire ? Si le parlementarisme américain est limité, c’est que la Constitution fixe aux pouvoirs du Congrès des bornes qu’il ne peut excéder. C’est qu’elle définit, détermine et délimite, — au sens rigoureux de ces trois mots, — les pouvoirs mêmes du Congrès ; elle les énumère, donc les compte et les pèse, et il n’en a pas, qu’elle ne les lui ait expressément donnés. Évidemment, elle le fait surtout en vue du partage de la souveraineté ou de l’autorité législative entre la Confédération et les États qui la composent : ceci à la Confédération, cela aux États ; et c’est en quoi la Constitution des États-Unis est proprement fédérale ; et c’est en quoi un pays unitaire comme la France ni ne saurait la suivre, ni ne saurait même avoir à la suivre.

Mais il est une autre manière de limiter le parlementarisme par la Constitution, toute simple, qui n’a rien de proprement fédéral, et qui conviendrait aussi bien à la France qu’aux États-Unis. Ce serait de poser dans la Constitution certains principes généraux qu’il ne serait jamais permis au Parlement de transgresser, devant lesquels la législature serait obligée de s’arrêter, et contre lesquels il n’y aurait pas de loi. Malheureusement, la Constitution française de 1875 ne pose pas de principes généraux : ce n’est qu’un compromis, un arrangement furtif et hâtif, et comme un accoutrement entre deux portes des pouvoirs strictement indispensables pour gouverner et administrer tant bien que mal, au jour le jour. Mais ce défaut n’est point sans remède, et le remède est à portée de la main.

Nous avons une Déclaration des Droits de l’homme, et nul n’est censé l’ignorer, tant on nous en rebat les oreilles. C’est à qui l’exalte, à qui s’en réclame, à qui proposera de la faire apprendre aux enfans ; on la réimprime en imitation de l’édition originale, on ouvre, pour l’encadrer dignement, des concours artistiques, on l’affiche à l’extérieur et à l’intérieur des édifices nationaux : universités, lycées, écoles, bientôt églises, hôpitaux et prisons. Que ne l’affiche-t-on aussi, pendant qu’on y est, dans toutes les salles et dans tous les couloirs de la Chambre des députés, et tous, tant qu’ils sont, nos faiseurs de lois, que ne les force-t-on à la savoir par cœur ! Elle n’est peut-être pas, — soumise à la froide analyse, — le monument parfait que des politiciens échauffés s’imaginent, et personnellement nous ne retirons aucune des critiques qu’avec d’autres et après d’autres, parmi lesquels Bentham, nous avons pu lui adresser[22]. Mais enfin, c’est, depuis un siècle, la grande Charte des Français, le grand Concordat, le grand Contrat ; — eh bien ! que cette Charte soit une vérité !

Pour que la Cour Suprême garde la Constitution, il faut au préalable que nous ayons une Constitution : constitutionnalisons donc la Déclaration des Droits de l’homme : lions-la, soudons-la à notre Constitution, incorporons-l’y ; et que, de la même façon, selon la même procédure que la Cour Suprême des Etats-Unis empêche la loi d’outrepasser la Constitution fédérale, une Cour Suprême de France soit chargée d’empêcher que rien ne puisse être fait, par le législateur, au moyen de la loi, qui soit en contradiction ou en désaccord avec la Constitution française, Déclaration des Droits comprise.

Un exemple. L’article 4 de la Déclaration de 1791 est ainsi conçu : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ;… l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits… » Si la Déclaration des Droits eût fait partie intégrante de la Constitution, si nous avions eu une Cour Suprême, et si des citoyens lésés dans leur « liberté » et dans « l’exercice » de leurs droits naturels » eussent porté devant elle certaine loi récemment votée, pense-t-on que la Cour eut pu ne pas la condamner comme attentatoire à la Déclaration des Droits, c’est-à-dire à la Constitution même ? Autre exemple. Sur l’article 6 : « Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux (aux yeux de la loi), sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talens ; » pense-t-on que certaine loi, dont on nous menace, ne serait ; pas atteinte du coup, et que le tranchant ne s’en émousserait pas, — lelum imbelle sine ictu, — si nous avions une Cour Suprême ; si quelqu’un de nous l’y déférait, — vous, moi, X. ou Y. contre Leygues, je suppose ; — si la Déclaration des Droits était dans la Constitution et de la Constitution ; si nous avions, au lieu du parlementarisme illimité, le parlementarisme limité ?

Mais limiter le parlementarisme, n’est-ce pas limiter la souveraineté nationale ? et il y a des mines qui s’effarent, et il y a des gens qui s’effraient. A ce « mais, » à cette objection, — on en trouve toujours à tout, — il faut répondre avec une pleine franchise. Je ne suis pas de ceux qu’arrête la superstition des mots, et, fort au-dessus des prétendus dogmes d’une prétendue philosophie politique, je place les réalités, dont la première est la nécessité de vivre, et, pour vivre, de respecter les conditions de la vie, ce qui fait la vie commune acceptable et supportable à tous. J’aime mieux que la nation vive en limitant sa souveraineté que de se suicider pour ne la limiter point. Or, c’est l’alternative ; ou laisser le parlementarisme illimité légiférer tout à son aise, en long et en large, et d’un bout à l’autre, et, s’il le veut, abolir successivement toutes les « garanties, » toutes les « libertés, » tous les « droits, » supprimer toute « sûreté, » ruiner toute « propriété, » enchaîner toute « résistance à l’oppression, » couper en deux la nation, y rétablir à notre usage une sorte de servitude civique, et faire par la loi la révolution sociale ; — ou bien le limiter, sans retard, et pas après-demain, — demain. Le débat est à présent entre la démocratie absolue et la démocratie constitutionnelle, comme il était jadis entre la monarchie absolue et la monarchie constitutionnelle. La démocratie absolue, comme la monarchie absolue, c’est l’arbitraire et la tyrannie, mais c’est l’arbitraire double et c’est la tyrannie multiple. Il n’y a contre elle que deux recours : la Constitution ou l’insurrection. Hésiter serait criminel.

Des trois moyens connus de limiter le parlementarisme : juridiquement, par une Cour Suprême, populairement, par le referendum, despotiquement, par diverses combinaisons, la meilleure, incontestablement, incomparablement, est le moyen juridique, la Cour Suprême. Nous conclurons donc, nous Français, pour qui il y a urgence à limiter le parlementarisme, que la France devrait se hâter de se donner une Cour Suprême, imitée, avec les modifications que conseillent les différences historiques ou politiques, de celle des États-Unis. Au prix des bénéfices que nous en retirerions, la difficulté de former et de recruter cette Cour, les autres difficultés que l’on peut prévoir, ne sont rien. Maintenant, ailleurs qu’en Amérique, le parlementarisme à l’américaine, le parlementarisme limité, réussirait-il ? M. James Bryce semble en douter[23]. Mais nous, s’il est une chose dont nous ne doutons plus, c’est qu’en France, et partout sur le continent, le parlementarisme illimité, le parlementarisme à l’anglaise, a pitoyablement et irréparablement échoué. — Ou nous nous ferons un autre parlementarisme, ou c’en est fait du parlementarisme.


CHARLES BENOIST.

  1. C’est, par exemple, ce que nous avons fait dans notre article du 15 octobre 1899, Le pouvoir judiciaire dans la Démocratie.
  2. Le quatrième et dernier volume de cette traduction a paru tout récemment chez les éditeurs Giard et Brière, dans la Bibliothèque internationale de droit public, publiée sous la direction de MM. Boucard et Jèze. — On consultera aussi avec fruit, sur la Cour Suprême, dans la même Bibliothèque, le livre de M. Albert Dicey, Introduction à l’étude du Droit constitutionnel, et la préface que M. Ribot a écrite pour ce travail.
  3. Manque à cet acte la signature de l’État de Rhode-Island, qui n’y donna du reste sa ratification que le 29 mai 1790.
  4. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1881, l’article de M. Georges Picot, la Réforme judiciaire. — II. Les États-Unis et la Suisse ; et cf. J. Bryce, trad. franc., t. I, p. 378.
  5. Cette expression tirée du langage de la mécanique, et si parfaitement américaine, est de M. Westel W. Willoughby, Fellow in History, Johns Hopkins University, auteur d’une excellente monographie : The Supreme Court of the United States, its History and Influence in our constitutional System, 1 vol. in-8o. Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1890, p. 106.
  6. Une proposition fut faite en ce sens, à la Chambre des Représentans, le 26 juin 1880, par M. Manning, du Mississipi.
  7. James Bryce, La République américaine, trad. franc., t. Ier, p. 381.
  8. Dans cette affaire, la Cour Suprême fit coup double, sur le législatif et sur l’exécutif, car, saisie d’une requête à l’effet d’obliger le secrétaire d’Etat à délivrer une commission, elle se déclara compétente pour forcer un fonctionnaire exécutif à l’accomplissement d’un devoir ministériel relatif aux droits des individus. — James Bryce, ibid., p. 382.
  9. Voyez James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 346-354.
  10. Id., Ibid., p. 353.
  11. Voyez James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 368. — Cf. Brinton Coxe, An Essay on Judicial Power and Uniconstitutional Legislation, 1 vol. in-8o, Philadelphie. Kay, 1893 ; particulièrement Introduction, ch. II et III, et Part IV, ch. XXXIV à XXXVII.
  12. Voyez James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 375, 377. Il en est de même des cours d’États pour les lois d’États. Exemples : affaire du Chinois Liu-Sing (Californie, 1858) ; affaire du collège de Darmouth (New-Hampshire, 1816, appel à la Cour Suprême), etc. — Cf., dans la Revue du 1er août 1888, l’article de M. le duc de Noailles.
  13. James Bryce, ouvr. cité.
  14. Duc de Noailles.
  15. Voyez le duc de Noailles, article cité, p. 574. — Dans les dernières années, on peut citer, comme arrêts importans de la Cour Suprême, celui par lequel elle a décidé que l’impôt sur le revenu était contraire à l’article de la Constitution sur la proportionnalité et l’universalité des taxes, et, tout récemment, les arrêts concernant les Philippines et Puerto-Rico. — Voyez, dans la Revue du 1er janvier, l’article de M. Pierre Leroy-Beaulieu, les États-Unis, puissance coloniale.
  16. Voyez le duc de Noailles, article cité, p. 573-574.
  17. James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 369. — Cf. Noailles, article cité, p. 591, où l’auteur rappelle les opinions de l’avocat Stanberry et du sénateur Charles Sumner dans le procès du Président Johnson devant le Sénat en 1868.
  18. James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 374-376. — Cf. Noailles, p. 594.
  19. Duc de Noailles, p. 597.
  20. James Bryce, ouvrage cité, t. I, p. 382.
  21. James Bryce, ouvrage cité, t. I, p. 380-381.
  22. Sophismes politiques de ce temps, ch. IV. — Cf. Bentham, Examen de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen…, Sophismes parlementaires, sixième partie (Sophismes anarchiques) traduction d’Elias Regnault, 1 vol. in-8 ; 1840, Paguerre.
  23. James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 372.