Tallandier (p. 219-222).


CHAPITRE XIX


Quelles heures d’angoisse passa la pauvre Micheline au chevet de sa fille ! Un moment, le médecin désespéra de vaincre le mal. Il dit à Mme de Revals qui venait l’interroger :

— Elle est perdue, à moins d’un miracle.

Ce miracle, Dieu l’accorda à la mère qui le suppliait avec ardeur. Les poumons se dégagèrent, la fièvre tomba un peu, et il vint un moment où Claudine — ou plus exactement Suzanne — put enfin se rendre compte du lieu où elle se trouvait.

Son regard surpris rencontra les doux yeux bleus de Micheline, rayonnants de bonheur et de tendresse. Elle murmura :

— Mais que m’est-il arrivé ?

Le docteur et Mme de Revals avaient conseillé à Micheline de ne pas révéler aussitôt à la malade qu’elle avait retrouvé sa mère, dans la crainte que cette nouvelle ne l’agitât et ne ramenât la fièvre. Aussi la veuve, réprimant son ardent désir de la serrer entre ses bras, se contenta-t-elle de répondre avec douceur :

— Vous êtes chez quelqu’un qui vous aime beaucoup et qui vous soignera bien. Vous ne serez plus malheureuse, maintenant, ma chère enfant.

Le joli visage altéré par la maladie se contracta un peu, un effroi passa dans les prunelles bleues.

— Alexis ? M. Louviers ?

Micheline posa tendrement sa main sur son front.

— Ne craignez rien. Prosper Louviers ne peut plus rien contre vous. Ne vous tourmentez pas, laissez-vous bien soigner, ma chérie.

— Qui êtes-vous donc ? murmura la malade en lui prenant la main.

— Vous ne me connaissez pas. Je vous le dirai demain, si le docteur le permet. Reposez-vous maintenant, ma petite enfant aimée.

Suzanne ferma docilement les yeux. Mais elle les ouvrit au bout d’un moment, et son regard rencontra le crucifix, les images de piété pendues au mur, près de son lit. Elle dit avec stupéfaction :

— C’est comme à l’église, ici !

Le cœur de sa mère se serra à cette parole. Elle était d’avance bien certaine, hélas ! du genre d’éducation donné à sa fille par Prosper Louviers !

Elle se pencha et mit un baiser sur le front de la malade.

— Oui, c’est comme à l’église, on prie le bon Dieu et sa sainte Mère. Ils ont bien voulu vous guérir, mon enfant chérie, je vous apprendrai à les remercier avec moi.

— Oui, je veux bien, murmura la jeune fille.

Elle referma les yeux et, cette fois, s’endormit d’un calme sommeil.

Dans l’après-midi, Mme de Revals et Mme de Mollens vinrent prendre des nouvelles. Micheline les reçut dans la salle à manger et, après leur avoir appris que le docteur, à moins d’imprudences, répondait de sauver la malade, elle les introduisit dans la chambre où Suzanne, réveillée, essayait de se souvenir de ce qui s’était passé. La jeune fille tourna la tête vers les visiteuses ; un grand frisson la secoua soudain, tandis qu’une expression d’intense souffrance remplissait le regard qu’elle attachait sur Mme de Mollens.

La marquise s’en aperçut et, après avoir dit à la jeune malade quelques mots affectueux, elle sortit avec sa cousine et Micheline.

— Ma présence a paru lui être pénible, fit-elle observer. Peut-être lui a-t-elle rappelé cette villa Lætitia où elle a dû beaucoup souffrir.

— Peut-être, madame la marquise. On voit qu’elle a peur de ce Prosper. Elle parle aussi d’un Alexis. Ce doit être le fils de cet homme ?

— Oui, il me semble qu’il s’appelle ainsi. Toujours pas de nouvelles du personnage ?

— Toujours rien, madame. Pourvu qu’il ne trouve pas quelque moyen de nous jouer un mauvais tour !

— Non, non, il aimera mieux laisser passer la chose en douceur. Ayez confiance, Micheline, votre Suzanne vous restera.

Quand Micheline fut de retour près de sa fille, elle constata une recrudescence de fièvre, le délire reparut un peu, et Micheline, stupéfaite et pleine d’angoisse, saisit ces mots s’échappant des lèvres et la malade :

— Sa fiancée ! j’étais folle ! Il s’appelle Henry, j’ai entendu sa sœur, Henry de Mollens. Mais je suis la pupille du socialiste. Oh ! que je souffre !

Pâle et tremblante, Micheline leva les yeux vers le crucifix.

— Seigneur, serait-ce là le secret de ma pauvre petite ? Oh ! mon Dieu, si cela est, guérissez-la de cette folie ! Permettez que ma tendresse soit assez forte pour effacer en elle ce souvenir !