Les Derniers Jours de Henri Heine/Préface

Calmann Lévy (p. i-iv).
I  ►


PRÉFACE



« J’ai connu Heine, sur la fin de sa vie, et je le connaissais depuis longtemps, comme écrivain et comme poète, quand, pour la première fois, je vis sa figure. Je revenais de Vienne, chargée d’un envoi pour lui : quelques feuillets de musique qu’un de ses admirateurs lui adressait. Pour plus de sûreté, j’allai moi-même les remettre à domicile, et, la commission faite, je m’en revenais, lorsqu’un coup de sonnette assez brusque résonna dans l’autre chambre. La servante rentra, je fus frappée par le timbre un peu impérieux d’une voix qui défendait de me laisser partir. Une porte s’ouvrit, et je pénétrai dans une chambre fort sombre, où je trébuchai contre un paravent recouvert de papier peint, imitant la laque. Derrière ce paravent, étendu sur une couche assez basse, gisait un homme malade et à demi aveugle. Il paraissait encore jeune, bien qu’il fût loin de l’être, et il avait dû être beau. Imaginez le sourire de Méphistophélès passant sur la figure du Christ, un Christ achevant de boire son calice. Il se souleva sur les oreillers et me tendit la main, ajoutant qu’il était bien aise de parler à quelqu’un qui revenait de là-bas. Un soupir accompagna ce là-bas, parole touchante et qui expira sur ses lèvres comme l’écho d’une mélodie lointaine et bien connue. On va vite en amitié, lorsque les sympathies s’échangent devant une couche de malade et dans le voisinage de la mort. Comme je partais, il me donna un livre et me pria de revenir. Je pensai que c’était là une formule de politesse, et je restai chez moi, craignant d’importuner un malade. Il m’écrivit et me gronda. Le reproche me flatta autant qu’il m’émut, et mes visites, dès lors, ne cessèrent plus qu’avec le jour où, par une sombre matinée de février, nous le menâmes à sa dernière demeure. »

Les quelques lignes que je viens de reproduire peuvent, en expliquant comment j’ai connu Henri Heine, servir d’avant-propos à une étude destinée à retracer la dernière période de sa vie. Quand, il y a plus de quinze ans, ce morceau paraissait dans la Revue nationale, je ne songeais point à me servir des manuscrits dont la traduction forme le principal intérêt de ce volume. La jeunesse a des réserves, des égoïsmes que l’âge mûr désavoue. Aujourd’hui que le temps, que les circonstances sont venus modifier mes idées et effacer ces scrupules, je ne me crois plus le droit de me faire le détenteur de certains écrits qui, pour m’être adressés, n’en font pas moins partie de l’œuvre de Henri Heine et peuvent, en complétant l’histoire de sa vie, ajouter à la célébrité du poète.