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II


Elle n’était pas du tout telle que je l’avais imaginée, madame Heine. Je me l’étais représentée fine, élégante, langoureuse, une pâle et ardente figure animée par de grands yeux veloutés et perfides ; je vis une bonne grosse dame brune, qui avait le teint coloré et le visage jovial, une de ces personnes dont on dit « qu’elles ont besoin de marcher et de prendre de l’exercice ». Quel douloureux contraste que cette femme robuste, faite pour vivre au grand air, et ce pâle mourant qui, du fond d’une tombe anticipée, retrouvait ce qu’il faut d’énergie pour gagner, avec le pain quotidien, de quoi acheter de belles robes. Les mélancoliques plaisanteries que des biographes complaisants ne cessent de représenter comme des traits d’esprit d’un mari trop épris pour ne point être prodigue ne sauraient faire illusion à quiconque a pénétré dans cet intérieur. Il est inutile de transformer en personnage d’idylle celle dont le poète lui-même n’a jamais songé à faire un personnage d’idylle. Pourquoi de la poésie aux dépens de la vérité, surtout quand cette vérité ne peut qu’honorer la mémoire du poète ?