Les Dernières Colonnes de l’Église/Texte entier

Mercure de France (p. 5-222).


À


“ IGNIS ARDENS ”


PRÉDÉCESSEUR


DE


“ RELIGIO DEPOPULATA ”

La dernière page de ce livre, qui sera regardé comme un pamphlet par tous les connaisseurs, a été écrite le 4 août, fête de saint Dominique, deux ou trois heures avant la nouvelle de l’élection de Pie X.

Dieu sait ce qu’il fait et l’Église n’a, sans doute, qu’à rendre grâces, très-humblement.

Toutefois, et plus humblement encore, on voudrait savoir comment se réalisera, en la personne du Nouveau Pontife, la prophétie fameuse : Ignis ardens. On se demande surtout de quelle manière il résoudra le problème effrayant dont fut aggravée par son prédécesseur la misère déjà sans nom des peuples chrétiens.

On espère que la solution sera divine, dans le sens de la Tradition, de la Justice et de la Beauté, sinon on aimerait mieux que ce très-vieux monde prît fin et que tout rentrât dans le néant.

Les figures peintes ici ont été prévues pour ce voyage.


I

FRANÇOIS COPPÉE

de l’Académie Française.


Je me déplais moins qu’autrefois.
La Bonne Souffrance, p. 17.


La conversion de Coppée a été le chemin de Damas de tout le monde… À dater de ce jour, on a su que la vie chrétienne était une chose facile. Après La Bonne Souffrance, il n’est plus permis d’ignorer qu’on est un très-présentable chrétien quand on peut dire « avec ce tour humoristique dévolu au seul Huysmans : Il faut que Dieu ne soit pas difficile pour se contenter de gens comme moi ! » ou qu’on peut ajouter immédiatement : « Et comme moi, donc ! » avec cette bonhomie de vieil oncle à sous-ventrière qui est la marque spéciale de l’auteur des Humbles. Un autre signe c’est de reconnaître de bonne foi qu’on a fait « un peu de bien au cours de sa vie et qu’en somme on ne fut pas un méchant » ; qu’on n’a pas, il est vrai, « la tête théologique », mais que, tout de même, on a « écouté le Verbe divin avec autant de simplicité que les pêcheurs du lac de Tibériade », peut-être même avec plus de simplicité. Alors, en y pensant bien, il paraît hors de doute que « cette conversion doit être attribuée à la grâce divine[1] ».

La joie que cet événement détermina chez nos catholiques a dépassé toutes les joies prévues. On lit dans l’Évangile selon saint Luc qu’il y aura autant de joie au ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. C’est exactement ce qu’on voit dans notre société religieuse qui est une manière de ciel, comme chacun sait.

À supposer que Coppée ait été vraiment un pécheur, ce dont lui-même paraît incertain, on peut dire qu’il y a peu d’exemples d’un retour à la vertu qui ait édifié un aussi grand nombre de contemporains. Songez que j’ai lu La Bonne Souffrance en Danemark, il y a cinq ans, chez un professeur qui avait conçu l’ambition bien jutlandaise de surprendre ainsi le secret de notre plus beau langage.

Même succès dans tous les pays du monde. La Bonne Souffrance est lue sous la tente mongole, dans le gourbi vermineux des Touareg, dans les bateaux-fleurs du Céleste Empire, au fond de la yourte souterraine des Kamtchadales. Quel livre eut jamais un succès plus étourdissant ? Je l’ai vu, moi qui vous parle, à l’étalage des merceries ou lampisteries, dans les quartiers pieux, et sous la vitrine des vendeurs d’ornements d’église, entre des chasubles et des candélabres. Enfin, je l’ai trouvé, ô miracle ! chez des prêtres et jusque parmi ceux-là qui ont fait vœu de ne rien lire avant la consommation des siècles…

Triomphe étonnant, mais si explicable ! Le monde catholique avait besoin d’un poète gâteux. L’idiotie humaine, longtemps méprisée, criait vers le ciel. L’imagerie pieuse affamée de lyrisme rugissait dans toutes les boutiques sulpiciennes. Coppée converti, ce monde affligé crut entendre la musique des sphères. Lui-même l’a si bien compris que, dès l’épigraphe, il se compare nettement à Lazare, l’ami du Seigneur. Empruntant un texte fameux de saint Jean : « Cette maladie, déclare-t-il, n’est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu. » Quelle maladie ? La sienne propre, évidemment, cet aimable et joyeux gâtisme envoyé pour encourager nos déliquescences. Ce bon souffrant parle de « la résignation avec laquelle il a toujours accepté les disgrâces de la vie ». Beati mites, ajoute-t-il dans la candeur de son vieux cœur. Et, par là, tout est expliqué. Dieu est son ami parce qu’il est un doux et, selon la suite du texte, il possédera la terre : « Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram. »

L’étonnement cesse, d’ailleurs, aussitôt qu’on apprend qu’ayant eu « le cœur vraiment filial » il a eu pour mère « une immaculée ». « Il faudrait une plume exquise et légère que je n’ai pas, il faudrait choisir des mots aériens pour exprimer ce sentiment pieux… Je n’en puis donner une idée qu’en rappelant le mystère de la foi chrétienne, si touchant et si profond, qui entoure la Mère de Jésus d’une idéale (?) pureté. » Le chapitre Souvenir filial est extraordinaire, même dans le gâtisme coppéen. « Je ne relis jamais mes anciens vers. » Je te crois, répondrait Jehan Rictus, mais alors qui, diantre, les relira ? N’importe, il nous sert une chose qu’il nomme « un très-vieux dizain » dont voici le début :

J’écris près de la lampe. Il fait bon…

et les deux rimes finales :

Elle met une bûche au foyer plein de flammes.
Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes.

On sait qu’au temps de la Commune l’église de Notre-Dame-des-Victoires fut envahie par une marée de crapules et profanée autant que Dieu le permit. Il est raconté qu’une citoyenne grimpa sur l’autel de la Vierge Immaculée et montra généreusement son derrière à la multitude.

Les admirateurs de La Bonne Souffrance iraient d’un bond aux extrêmes confins de la stupéfaction si on leur disait que ce geste historique diffère très-peu, dans l’Absolu, du dernier vers qui vient d’être cité et qu’un tel usage littéraire ou sentimental d’une forme aussi sainte que la Salutation Angélique est une profanation inexprimable. Mais la paralysie générale des catholiques modernes étant elle-même confluente à la liquidité de cet élégiaque, leur admiration en devient plus grande. Les curés atteints de littérature peuvent débiter ça devant le Saint Sacrement lorsqu’ils veulent émotionner leur pâturage.

Villiers de l’Isle-Adam a dû contribuer plus qu’on ne pense à la gloire de François Coppée, lorsqu’il l’a si génialement ramassé tout entier dans ce vers unique et fameux :

Donnez-lui de l’argent puisqu’il aime sa mère.

Coppée nomme Jésus « l’humble artisan de Galilée ». Comment voulez-vous que les âmes sensibles résistent à ça ? « Lui, l’amoureux et le poète…, lui de qui, jadis, toute fleur avait le baiser[2]… il a appris dans l’Évangile l’art de souffrir et de mourir. » Celui de raser, il l’avait appris auparavant. « Les démons impurs qui troublaient et possédaient son âme en sont à jamais chassés… Sa conscience est devenue plus exigeante… Pourtant il n’a rien d’essentiel à se reprocher, sinon d’avoir fait pleurer sa mère, sa sainte mère !… Et si, parfois encore, il chancelle et s’il a peur, comme saint Pierre en marchant sur les flots[3] », dites-vous qu’il est bientôt rassuré par « les ailes d’ange, qui lui poussent aussitôt après une absolution[4] ». La Bonne Souffrance fourmille de ces expressions rafraîchissantes. Il faudrait tout citer, tout copier. Songez qu’il nomme l’Ave Maria un « délicieux appel » !

Ah ! il a raison de ne pas se mépriser ! — Si l’on n’allait que chez les gens qu’on estime, dit un personnage de comédie, on n’irait presque chez personne et même il y aurait des jours où on ne pourrait pas rentrer chez soi. Qui donc oserait se flatter d’un domicile si Coppée couchait dans la rue ?

Aujourd’hui Coppée est devenu une espèce d’homme politique. En même temps qu’il soutient l’Église, il a mis son âme allégée de turpitudes au service de la patrie. Il préside des réunions et fait même, je crois, des discours. Cela m’afflige et je regrette l’époque déjà si lointaine où le Journal publiait, chaque semaine, une chronique de ce renaissant chrétien. La plupart du temps, cette chronique pouvait être considérée comme le bulletin hebdomadaire de son impotence. Rien de plus, rien de moins. Mais qui dira combien cela remuait les cœurs ?

Généreux et cher vieillard ! Je crois le voir encore écrivant dans son lit mécanique entouré d’« êtres chéris », continuellement réparé par l’infatigable chirurgien qui lui « sauve la vie » tous les quinze jours et « rêvant d’innocence immortelle » entre les fioles et les vases. Aussi longtemps que dura son mal, nous priva-t-il, une seule fois, du récit de ses douleurs ? Quelqu’un eut-il le droit d’ignorer les vicissitudes cruelles de sa digestion ou les poignantes péripéties de son uretère ? Eh bien ! ce moribond sans cesse ajourné trouvait la force de nous consoler et de nous instruire. Et quelle surprenante, juvénile et délicieuse fantaisie ! Quelle liquidité de style, quelle transparence, quelle fluidité de pensée ! Quelle lecture pour les familles !

Un jour il s’attendrissait sur une vieille malle ; un autre, il se comparaît lui-même à une source pure souillée bientôt par les blanchisseuses et devenue plus loin un vaste fleuve qui recevait dans ses ondes les désespérés et les charognes ; un autre jour encore, il protégeait la religion — déjà ! — et, avec cette acuité de regard et ce merveilleux discernement prophétique insoupçonné de lui-même, il nous proposait comme un des derniers boulevards de la Foi le si digne prêtre qui a nom Victor Charbonnel. Le lendemain de l’incendie du Bazar de Charité, ce généreux gaga, transporté d’indignation, écumant, fumant de rage et ne pardonnant pas à Dieu d’avoir consenti à l’immolation d’un aussi grand nombre de personnes riches, sut parler comme il convenait, lui reprochant, je crois, d’être un Dieu « rouge de sang » ou quelque chose de semblable[5].

Plus tard, lorsqu’il avait dû vendre la Fraisière où « un peu de son âme resté dans les fleurs qu’il avait aimées[6] » allait être acquis — à vil prix, sans doute — par quelque inconnu ; avec quel art ne sut-il pas, en nous donnant l’adresse du notaire, étaler aux petites bougies son cœur désolé. Ces pages sont dans toutes les mémoires.

Oui je l’aimais mieux à cette époque, décidément. Ce qui l’a perdu, c’est de ressembler à Napoléon. Du moins on lui fit croire autrefois à cette ressemblance, et cela est resté sur toute sa vie.

J’ai connu, dans mon enfance, un horloger de Périgueux qui passait pour ressembler, lui aussi, à Napoléon et qui se promenait, comme sur la Colonne, la main dans son gilet, en consultant l’horizon.

De là le goût constant de notre François pour le bonnet à poil et la passementerie héroïque. De là aussi, je l’imagine, la mélancolie de ce poète sans batailles forcé de descendre du cheval de Bonaparte avant Rivoli ou les Pyramides et de se mettre à la tisane sans espoir d’attraper jamais le ventre de l’Empereur. Il a fallu que l’occasion du nationalisme le déchaînât et c’est un joli spectacle pour la pensée que celui de ce général en chef, lieutenancé de stratèges tels que Jules Lemaître ou le Vénérable Edmond Lepelletier, galopant, son parapluie à la main, sur le front de bandière de cette grande armée de chie-en-lit.

Ô Waterloo ! je pleure et je m’arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands…

Faut-il que l’Église soit malheureuse et que les catholiques aient tout mérité pour que ce ridicule vieillard soit cru quelque chose et pour que des prêtres et des évêques soient avec lui contre leurs propres troupeaux !



II

LE RÉVÉREND PÈRE JUDAS

des Frères Prêcheurs


On tient pour dit chez les Révérends Prêcheurs que Jésus était un dominicain.


J’espérais ne plus avoir à m’occuper du Père Didon. Lorsque, en 1884, il publia Les Allemands, je pris occasion de cette catapulte d’ennui qui décocha de si pesantes réclames dans le camp retranché du journalisme, pour m’exprimer sans détour sur ce mauvais prêtre.

J’écrivais alors dans une feuille très-retentissante, peu coutumière de telles audaces, et j’eus la douceur d’attirer sur moi quelques malédictions imbéciles.

Je supposais un peu niaisement, j’ose l’avouer, que le prurigo littéraire de cet écrivassier dominicain le ravirait bientôt à l’Église et qu’il irait se faire gratter chez les protestants, vers qui le portaient si bien les pentes lâches de son vaniteux esprit.

On sait, d’ailleurs, qu’il est de tradition, parmi tous les hérétiques de recueillir, avec une pieuse allégresse, les Judas ou les impudiques du Sacerdoce que le Catholicisme est trop heureux de voir décamper.

On l’aurait sans doute amoureusement adopté dans la cafarde cité de Calvin, dont il eût été le décor.

On l’aurait adoré en Prusse, dont il a chanté les grandeurs et qu’il estime le premier des peuples.

On l’aurait marié, je pense, à quelque Poméranienne viandeuse et féconde, afin qu’il procréât une autochtone postérité de petits Didons sur l’Oder, non moins idoines que leur facteur au mépris des commandements de Dieu et au respect le plus attentif du Caporalat.

Mais tout cela, voyez-vous, c’étaient des chimères.

J’oubliais qu’il y a deux écoles de trahison et qu’il est deux sortes de villégiatures en Haceldama.

La première manière, tout à fait classique, c’est d’être un transfuge et de livrer carrément à l’ennemi ce qu’on a le devoir de défendre à quelque prix que ce soit.

La seconde manière, beaucoup plus roublarde, consiste à se montrer inextirpable comme un acarus, en déballant, à tout propos, un cœur de martyr acheminé dès l’enfance à toutes les immolations ; à répandre, par l’orifice de tous les clairons, qu’on est le plus fidèle et le plus indispensable des serviteurs, à l’instant même où l’on remplace le vin par de la litharge et les sonnettes de la maison par des crotales.

Tel fut le choix du Révérend Père Didon, hétérodoxe furtif et théologastre capitulard, dont l’incontinence littéraire n’est surpassée que par l’accablante sottise de ses prétentions de savant.

Évidemment, la destinée du Père Hyacinthe n’était pas pour exercer sur son âme une irrésistible fascination.

Avoir été l’un des enfants spirituels de saint Jean de la Croix, de sainte Thérèse et même du prophète Élie, avoir péroré, non sans fracas, dans la chaire de Notre-Dame, pour finir par le jupon retroussé d’une sectarienne et par la sale mendicité d’une sacristie interlope en la chasuble contaminée d’un cocu probable ! — assurément un tel avenir était peu capable d’enivrer Didon.

L’exemple du Déchaussé préserva, fort heureusement pour lui, ce Dominicain de l’épouvantable gaffe qu’il allait commettre. Il ne lâcha pas son Ordre et, plein d’énergie, se cramponna au tréteau de Savonarole.

Il put continuer ainsi d’allaiter l’admiration de quelques bas-bleus et d’un grand nombre de catholiques au douceâtre cœur dont le zèle religieux n’est certes pas dévorant, mais qu’un esclandre un peu trop corsé ferait déguerpir.

N’obtenant pas la permission de clabauder, comme autrefois, dans ces chaires sonores de Paris où les cabots apostoliques peuvent si aisément se faire adorer des femmes en les attisant de chastes conseils, l’obéissant Prêcheur écrivit avec frénésie.

C’était une autre manière de patrociner, sans la ressource, il est vrai, de la gesticulation et du gueuloir, mais avec le formidable renfort d’une de ces médiocrités absolues, compactes, indéfectibles, que le giron seul des Académies peut récompenser et dont la platitude contemporaine est si joyeuse de se prévaloir.

Admirateur pantelant de Taine, de Renan, de Dumas fils, de monsieur Ledrain (!) et de plusieurs autres pédants infâmes qu’il croit évidemment de fort grands artistes et de hauts penseurs, il s’avisa que le comble de la finesse pour un apologiste chrétien consisterait à leur carotter leurs idées et leurs procédés.

Il se fit à lui-même cette confidence que la simple foi des martyrs et des confesseurs était décidément une vieille blague indigne de l’attention d’un robuste moine et qu’il était, en somme, étonnant qu’aucun prêtre catholique n’eût sérieusement entrepris de laïciser l’Évangile.

Aussitôt il s’adjugea le filon et se mit à l’œuvre.

Si les Jésuites ou les Capucins ne sont pas contents les rationalistes et leurs dames lui enverront des baisers, — cependant que Dominicains et Protestants sèmeront des fleurs sous ses vastes pieds, en le bénissant d’avoir assez élargi l’arche séculaire de la Tradition pour que désormais tous les animaux à la fois puissent y pénétrer.

Mais je crois bien qu’ils n’y pénétreront guère. Le dragon du Surnaturel est toujours au seuil de l’Église et sa présence décourage les envahisseurs.

Il faudrait, d’ailleurs, un autre cerveau que celui du père Didon pour restituer un peu de saveur à cette sottise éventée d’un Catholicisme « des bonnes gens » où tout le monde serait entre soi et pourrait entrer de plain-pied.

Tout ce que peut faire cet étrange apôtre, c’est d’exaspérer un peu plus les affamés d’Infini et les lions de l’Absolu qui rugissent en vain dans la fosse obscure où la sereine médiocrité de nos pasteurs les condamne à mourir de faim.

« Jésus-Christ est le grand nom de l’histoire ! » Tel est le premier mot de l’introduction à l’exégèse publiée par le R. P. Didon.

Il est clair qu’on peut très-bien continuer cette ravissante lecture et même se relever la nuit tout exprès, pendant un mois, jusqu’à l’épuisement des deux tomes. Cela dépend du plaisir qu’on y trouvera.

Mais un homme de synthèse peut se contenter de ces dix syllabes. Le reste se déduit le plus aisément du monde.

Un prêtre cérébralement organisé pour ne voir en la Personne indicible de Jésus-Christ, de ce Dieu fait homme qui descend en lui chaque jour, qu’un grand nom, — sans majuscule, — pour l’embellissement de l’histoire et qui ouvre, par cette affirmation lapidaire, une monographie de ce même Dieu ; — un tel prêtre, je le suppose, est aussitôt conjuré par d’invisibles milliards d’esprits terrestres ou angéliques, de ne pas écrire, de ne pas parler, de ne pas penser, mais de plonger son crâne imbécile dans les ornières pleines de boue que font les convois funèbres à la porte des cimetières et d’attendre là son dernier jour, en priant à voix très-basse pour les âmes des trépassés !

Conjurations bien inécoutées du misérable au cœur perclus qui a, depuis longtemps, enterré sa foi, son espérance et sa charité sous les déjections des blasphémateurs qu’il adore !

Car il est cent fois évident que le P. Didon ne croit pas du tout à la divinité de l’Église. Je ne sais pas s’il se juge athée, mais, à coup sûr, il n’est plus chrétien.

L’examen de son livre ne m’a pas permis, après cela, d’apercevoir autre chose en lui qu’un publiciste sot et un sacrilège moine.

Son habileté, je l’ai dit plus haut, consiste à se maintenir avec fermeté dans l’apparente orthodoxie que sa clientèle réclame et c’est le plus clair profit qu’il ait retiré de ses lectures en théologie.

Quant aux trois autres prêcheurs qui l’ont approuvé et dont l’« imprimatur » autographié décore le seuil de son livre, ils doivent être, en vérité, de jolis garçons et de dignes prêtres !

Ah ! la maison de saint Dominique, fameuse naguère par ses docteurs, nourrit aujourd’hui de bien étranges théologiens et des compères d’une philosophie singulièrement exorable !

On le leur a dit, pourtant, à ces thomistes superbes, que c’était un danger d’apostasie pour les pauvres diables, d’insinuer, à la façon des rationalistes, que l’histoire de Notre Seigneur Jésus-Christ est une histoire comme une autre et d’expliquer la vie du Maître, son attitude et son langage, ainsi que le ferait Taine, par le milieu judaïque où fût opérée la Rédemption.

On pourrait ajouter qu’il est inouï pour un prêtre de mépriser ostensiblement la Vulgate, en affectant de citer d’autres traductions du Livre sacré ; de toujours parler de documents quand il s’agit des Évangiles, platement nommés par lui « des modèles d’esthétique et des tableaux de maîtres » ; de remplacer invariablement le mot Parabole par le mot allégorie, en ayant l’air de les supposer identiques ; de qualifier d’anecdote l’histoire de l’Enfant prodigue et de justifier les divines Assimilations par des « emprunts littéraires » que le Verbe de l’Éternité aurait faits, par indigence, à la rhétorique du Temps.

Une critique vraiment amoureuse de la Vérité pourrait encore signaler, parmi beaucoup d’autres âneries blasphématoires, cette papelarde phrase que « si Jésus avait quitté la terre au moment du Thabor, dans la majesté de sa Transfiguration, rien d’essentiel n’eût manqué à ses desseins », — ce qui met la Croix au rang d’accessoire de grand opéra ; et cette affirmation prodigieuse que Jésus était le seul être innocent qu’il y eût au monde, — ce qui réduit à néant le dogme de l’Immaculée Conception.

Mais on n’en finirait pas et ce serait perdre son temps que d’entreprendre l’opération de la cataracte des idiots sur ce carillonnant échassier de saint Dominique.

Cependant la gloire de passer pour un exégète sublime ne suffit pas au Père Didon, Que dis-je ? Elle n’est presque rien si on la compare à sa dévorante faim de célébrité littéraire.

Je cherche vainement un acéphale, parmi les contemporains, qui soit plus ravagé de cet effroyable cancer et disposé à tant sacrifier pour obtenir un peu de vacarme autour de ses misérables compilations.

Je me demande quelle compromission pourrait rebuter l’auteur de ce livre bête ou criminel intitulé Les Allemands, qu’on a vu prostituant sa robe de moine dans les plus fangeuses boutiques de la publicité et qui récoltait avec dévotion les éloges déshonorants que la vénalité de certains journaux lui vomissait à la face.

J’ai dit alors que je le croyais capable de livrer son Dieu pour une trentaine d’applaudissements canailles, et c’est précisément ce qu’on lui voit faire aujourd’hui, mais avec la circonstance d’une hypocrisie plus odieuse encore que la trahison.

Il déclare simplement, à la page 84 de l’introduction, qu’il n’a cherché, dans son livre, qu’à donner aux paroles de Jésus « plus de relief et plus d’éclat !!! ».

Ce petit mot serpentin se glisse le plus insidieusement du monde sous les renoncules et les pissenlits d’une agreste déclaration d’innocence et d’humilité.

En présence d’un aussi reployé Tartufe, il faut abdiquer tout espoir d’un pénitentiel mouvement de pudeur sacerdotale.

Tout ce qu’on peut faire, c’est d’avertir le pauvre monde et de mettre en garde les faibles contre la réclame éhontée qui se fait à peu près partout en faveur d’un livre que le caractère sacré de son auteur rend plus pernicieux que les élucubrations impies de ses prétendus adversaires.

Cette œuvre sera certainement réprouvée le jour où l’autorité religieuse accomplira son devoir que la politique lui fait oublier, depuis quelque temps. Je ne puis être, jusque-là, qu’un buccin dénonciateur.

Mais ce néfaste bavard est du ressort de la critique par ses prétentions littéraires. Quand les aumailles du journalisme auront cessé de mugir leurs admirations dans les pâturages de l’annonce, il se trouvera, sans doute, quelque voix autorisée pour dire le néant de deux énormes volumes où ne se rencontre jamais, fût-ce par hasard, un seul de ces mots qui sont la marque de l’écrivain ; où l’on se promène, comme en un jardin d’hiver, sous les frondaisons peu exotiques d’une pépinière de descriptifs ou de savantasses mis à contribution par le titulaire ; où se décèle enfin constamment, de la plus indiscutable façon, le désir de plaire à Renan, de ravir les dames et de coiffer un jour son front orageux de la sédative coupole des Académies.

Une chose, pourtant, sera difficile à dire, c’est l’insupportable et pluvieux ennui de ce bouquin dont la grisaille éternelle me fait songer à ce Val Sinistre du Dauphiné, que le soleil n’a pas visité depuis six mille ans, où de blanchâtres crétins remuaient à l’entour de moi, comme des fantômes, dans la pénombrable torpeur.

Ah ! les descriptions du Père Didon ! ce mélange récrémentitiel de la pituite sébacée de Renan et des mucosités harmonieuses de Lamartine !

Oh ! ses réflexions morales et ses homélies psychologiques ! ce ravaudage besogneux des chaussettes à l’abandon de nos analystes passionnels !

Il faudrait pouvoir citer ce Dominicain promu grand artiste et qui peut écrire ceci que je picore à l’aventure parmi cinq cents notes :

« L’histoire de l’Enfant prodigue fait lever un dernier soleil dans les vies les plus coupables et les plus déshonorées. »

Le comble du facile serait de cueillir à profusion de petits muguets tels que ceux-ci : « Jésus était l’orgueil de sa mère », ou « Jésus était le plus chaste des législateurs » ; à moins qu’on ne préférât l’avertissement de « ne pas prendre à la lettre les paroles de Jésus » ou l’ineffable recommandation de « lire entre les lignes » de l’Évangile.

Un protestant me disait, il y a quelques jours, que les plus ombrageux pasteurs luthériens ne pourraient pas trouver, en ce livre d’un moine romain, un seul mot capable de les offusquer et que cela ferait, au contraire, une excellente lecture pour fortifier l’esprit chancelant des congrégations réformées.

Ce témoignage précieux est déjà corroboré littérairement par le suffrage universel des imaginations à hauteur d’appui qui ne demandent pas qu’un poète les entraîne au fond de l’azur.

Et voici comment tout appartient, dès à présent, à ce Judaillon de Père, en attendant le jour plus ou moins prochain, mais inévitable, où sa condamnation sera prononcée par la lente Église qui n’envoie généralement ses sapeurs-pompiers que lorsque la maison est réduite en cendres.

La Genèse raconte qu’aux temps anciens, « la terre étant mouillée et molle du déluge », Abraham vit venir à lui, comme trois fleuves de lumière, trois jeunes hommes formidables et mystérieux dont les visages devaient singulièrement resplendir, car la Tradition suppose que ces étrangers arrivaient du ciel et n’étaient pas moins que les Trois Personnes de Dieu.

Et c’était, dit le Texte, au moment de la grande « ferveur du jour ».

Le Patriarche était jeune aussi, quoiqu’il eût cent ans. Il était jeune comme l’Hospitalité et l’Adoration, et tout ce récit biblique a l’air de se dérouler ainsi qu’une trame de rayons vivants.

Sur le point de partir, ces visiteurs pleins de prophéties déclarèrent à leur hôte qu’ils reviendraient un certain jour, accompagnés de la Vie, et les siècles ont coulé sous l’arche de cette promesse colossale.

Aujourd’hui, le Père de la multitude est devenu infiniment vieux. Il n’est plus assis, comme autrefois, sous les ombrages de Mambré et il ne se met point en peine d’accueillir honorablement les voyageurs. Il vend des lorgnettes et tarife la semence humaine.

L’universelle Église l’a supplanté depuis longtemps, quant au sens divin, et c’est Elle seule désormais qui pourrait héberger les trois Co-Égaux de la Substance.

Mais, hélas ! qu’ils sont devenus eux-mêmes décrépits et lamentables, à force de courir le monde !

Les adolescents glorieux d’il y a quarante siècles sont maintenant les Trois Pauvres, les trois indigents effroyables et saboulés du mépris du monde, qui implorent la charité des chrétiens aux seuils des chapelles.

Il y a le Père dont la douleur silencieuse intimide les constellations, et il y a le Fils, toujours couvert de blessures, que ses plaies saignantes empêchent de cheminer, mais qui va, quand même, les bras étendus sur son porteur, lequel est l’ineffable Troisième, dont la face est si invisible et dont les gémissements perpétuels ont l’air de sortir du fond des abîmes.

Faut-il-voir en ces malheureux le Dieu très-puissant qui confabulait avec les Prophètes et les Patriarches en leur faisant épeler sa gloire ?

Assurément, la moderne Église ne le pense pas. Ce qu’elle possède encore d’attendrissement ou d’entrailles appartient à des calamiteux d’un aspect plus divertissant, et lorsque ces terrifiques Agonisants de l’Éternité, dont les tremblotantes mains ont pesé les nébuleuses, passent dans les vents et les déluges au niveau de ses pieds d’argile, — tout ce qu’elle peut faire, c’est de leur jeter, comme à des chiens, un os littéraire pris à la carcasse d’un Dominicain sans sépulture que les nobles fauves et les vautours même ont dédaigné.

22 novembre 1890.


III

FERDINAND BRUNETIÈRE

de l’Académie Française.


Dieu n’en est pas plus grand ni plus heureux pour avoir créé Brunetière. — Bossuet, Élévations sur les mystères.


Un jour, il y a plus de dix ans, une puissante rafale de gifles passa tout à coup sur le cuistre impondérable qui tenait l’emploi de critique à la Revue des Deux-Mondes. Par un miracle inouï, et qui n’a certes pas obtenu l’étonnement qu’il méritait, tout ce qui portait alors une plume le conspua, exactement comme s’il eût été un Écrivain.

Pour la confusion inexprimable des Visibles et des Invisibles, il obtint précisément le même décri dont fut honoré toute sa vie et après sa mort le grand Baudelaire outragé par lui.

Car il avait eu cette habileté, le pauvre homme, et il en devint, une minute, le semblant d’un individu. On comprend qu’une telle gloire n’était pas pour durer. Il était même sans exemple qu’elle eût pu se prolonger au delà des quelques instants qui représentent la longévité d’un animalcule.

Donc ce Brunetière ayant eu la cautèle de feindre l’existence juste au moment où naissait la fantaisie de se mettre quelqu’un sous la dent, on imagina que cet insulteur de la Poésie avait cessé d’appartenir au néant. Je me souviens d’avoir félicité de l’aubaine ce successeur des Curculionides fameux traditionnellement affermés par tous les Buloz pour tarauder la littérature. Celui-là, du moins, pouvait désormais, non sans orgueil, réintégrer le Rien qui était sa patrie et chauffer, avec la nonchalance d’un victorieux, le nombril qu’il croyait avoir à la flamme sans chaleur des petits fagots qui s’étaient égarés éventuellement sur l’échine qu’on lui supposait.

Quant à Baudelaire, pourquoi se fût-il réveillé ? Il lui avait, si longtemps à l’avance, répondu ! « Ah misérable chien, lui avait-il dit dans les Petits Poèmes en prose, si je vous avais offert un paquet d’excréments, vous l’auriez flairé avec délices, et, peut-être, dévoré. Vous ressemblez au public à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l’exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »

Ce chien de Baudelaire est, aujourd’hui, une des Dernières Colonnes de l’Église.

« Ce sont autant de colonnes que vous élevez à votre gloire », a dit Bossuet, le grand et triste Bossuet qui parvint à peine à n’être pas un schismatique, et que déshonore un peu plus l’admiration de Brunetière ! Car cet instituteur ne s’arrête jamais de citer Bossuet.

Parlant de Shakespeare, Victor Hugo a écrit :

« J’admire tout, comme une brute. » C’est ainsi que Ferdinand Brunetière admire Bossuet. Pauvre grand Bossuet des Variations et des Sermons, mais aussi, hélas ! du Discours homicide sur l’histoire universelle et, surtout, de la déplorable Défense gallicane — cette dernière heureusement écrite en latin !… On m’a montré sa dalle funèbre dans le chœur de la Cathédrale de Meaux et je médisais que cette pierre serait usée par les genoux des pèlerins, si celui dont elle recouvre la poussière avait pu être le saint Ambroise ou le saint Thomas de Cantorbéry que les contemporains espérèrent.

Au lieu de cela, silence et banalité. Le bon chanoine qui me servait de guide n’eut rien à me dire, sinon qu’il valait mieux ne se souvenir de rien. Il avait raison, je pense, mais, tout de même, une telle absence de gloire sur les restes d’un homme dont le nom fracasse l’imagination, c’est d’une tristesse trop étrange et, vraiment, le culte — quelque canin ou chevalin qu’on le suppose — d’un Brunetière ne suffit pas.

Il suffit, cependant, à l’Académie Française à qui tout suffit et que tout contente, excepté la grandeur intellectuelle, et qui élira des juments, quand elle aura épuisé ses Rostand, ses Bourget ou ses Hanotaux.

C’est, en effet, l’admiration sans entrailles de Brunetière pour « l’aigle de Meaux » qui l’a précipité à l’Académie. On n’avait jamais vu un admirateur comme ça. J’imagine pourtant qu’il y eut autour de ce titre quelques petites saletés favorables… Mais je m’écarte sensiblement de mon objet. Je voulais faire voir la colonne que ce pion est devenu, l’inimaginable unité que ce pédagogue représente parmi les Dernières Colonnes de l’Église. Il faut avoir heureusement franchi la cataracte de bêtise absolue par où le vieux Nil de l’idiotie humaine fait son entrée dans le vingtième siècle, pour affronter, le temps d’un éclair, une aussi déconcertante pensée !

Il sera raconté plus tard à des malins qui refuseront de le croire que, le 27 novembre 1894, M. Ferdinand Brunetière a eu l’honneur d’être reçu par Sa Sainteté, nominatim et privatim, en sa qualité de Nonce de la Revue des Deux Mondes. Ce qui fut dit alors ne sera jamais révélé. C’est un secret entre M. Petdeloup et le Vicaire de Jésus-Christ. Telle fut l’origine du Columnat de Brunetière. La brochure peu apocalyptique née de cette entrevue l’a mis sous l’entablement. Qu’il y reste pour la joie durable des mascarons qui ne furent pas comme lui achevés en cariatides.

Cette brochure de cent pages se nomme la Science et la Religion. Balzac a écrit cinquante volumes du plus grand art dont plusieurs signifient Religion et Science. L’Académie s’est passée de sa figure, à celui-là, aucun pape n’a songé à le recevoir et l’Église a pu se soutenir sans son coup d’épaule. La situation de l’auteur de la Comédie humaine est autre que celle de Brunetière, décidément.

Ce qui est inouï, par exemple, et ce dont Balzac eût été bien incapable, c’est d’avoir écrit, en style de proviseur, la dite centaine de pages pour parler de la Religion en vue de la Science ou de la Science en vue de la Religion, sans nommer, une seule fois, Ernest Hello, qui a épuisé la matière, il y aura bientôt un demi-siècle[7]. Il est vrai que celui-ci non plus ne fut pas de la Congrégation des pilastres. L’excellent homme eut assez à faire toute sa vie de soutenir convenablement son vieux parapluie, même quand il n’y avait ni pluie ni vent. Je le vois encore. C’est à peine s’il put porter son âme extraordinaire et douloureuse, mais il y parvint et la consolante théologie nous enseigne qu’il y a plus de quarante places à la droite de Jésus-Christ.

Oui, je viens de feuilleter une dernière fois cette plaquette qui finit par le nom de Bossuet. Impossible d’y découvrir le nom d’Hello. Le crétin d’Hulst, dit Monseigneur, est nommé, Taine est nommé, Berthelot et Renan sont nommés, Clemenceau, Brisson, Homais, Bouvart et Pécuchet, tous sont nommés, jusqu’à Jean Jaurès. Ernest Hello ne l’est pas.

C’est ahurissant, abrutissant, idiotifiant, mais c’est ainsi. L’ignorance pure et simple étant insupposable, reste le prodige tout nu de ce silence qui est parmi les choses les plus mystérieuses qu’on ait vues depuis le commencement des siècles.

Enfin Brunetière est une Colonne. Il y en a peut-être d’un plus élégant module, mais voyez ce chapiteau : « Il ne s’agit plus que de choisir entre les formes du christianisme (!!!) celle qu’on pourra le mieux UTILISER à la régénération de la morale et je n’hésite pas à dire que c’est le catholicisme. » Ce maître d’études « n’hésite pas », peut-être parce qu’il y a en lui quelque chose de la nature des centaures auxquels il fut, je crois, comparé. Il est le centaure de la religion et de la critique échappé aux flèches de Pirithoüs et aux illécébrances des Sirènes.

Étant un penseur, il n’hésite pas à croire à la pluralité des religions, comme Fontenelle croyait à la pluralité des Deux Mondes ; mais parce qu’il est en même temps un homme juste, il tient expressément à « ne pas méconnaître la haute valeur du protestantisme ». De là à proclamer, fût-ce dans un semblant d’ironie, que « le protestantisme a la raison pour lui », il y a un si petit cheveu que cela ne fait presque pas de différence.

Et voilà donc ce que soutient cette colonne : Un protestantisme large tolérant l’Église, Bossuet et Calvin sur le même plan intellectuel[8] ! Le Bossuet des Variations ! Mais Brunetière est si pion qu’il n’a pas dû lire autre chose que les Oraisons funèbres, le fameux Discours et, peut-être, deux ou trois panégyriques ou sermons. Le reste où il était question de Dieu a dû tellement le raser !

Dans un éclair de raison, de cette raison qui est certainement le privilège du protestantisme, il pousse l’audace de l’intuition et le casse-cou de la transcendance jusqu’à dire qu’« il n’y a qu’une question à résoudre : Jésus-Christ est-il ou n’est-il pas Dieu ? » C’est ici que l’allégresse des catholiques, à commencer par Léon XIII, ne connaît plus de bornes. Un homme s’est rencontré… pour trouver ça ! Il arrive, alors, — l’époque étant inouïe — que cet homme est reçu par le Pape, tellement reçu que l’auguste auteur de l’Encyclique De conditione opificum, devenu, pour l’étonnement du monde, le pavillon du Socialisme et de la Démocratie, l’écrase, comme une punaise, de sa Bénédiction irréparable. « Le Concordat philosophique, » écrit alors à cet aplati un correspondant opportun, « que, nouveau Bonaparte, vous êtes allé signer à Rome, au nom de la pensée française !… » N’est-ce pas un péché de lire ces choses ?

À l’heure où j’écris, le successeur de Pie IX est sur le point de mourir. Peut-être est-il déjà mort et devant Dieu, face à face. Que va-t-il dire au Pasteur qui lui redemandera son troupeau ? Quel compte rendra cet intendant qui a enfoui le talent de son Seigneur, ce berger qui a sacrifié les brebis pour réconcilier les chiens avec les loups ? Que répondra-t-il à son Maître, ce premier de tous les Vicaires du Fils de Dieu qui ait encouragé la Canaille et restitué la parole à la servante de Caïphe, silencieuse depuis tant de siècles ? Alléguera-t-il « le côté d’où vient le vent », « la queue de la poële » ou « l’assiette au beurre », au milieu du ruissellement des Anges et parmi les cataractes de la Lumière ?

Enfin ce dissipateur du Syllabus fera-t-il à son Juge cette déclaration prodigieuse :

— Autant que je le pouvais, j’ai détruit la foi en frappant au cœur l’obéissance des peuples et la discipline du clergé. Je me suis tu chaque fois que les forts massacraient les faibles et j’ai donné ma bénédiction à ceux qui Vous outrageaient. Les victimes de la violence ou du mensonge qui me nomment leur Père ont en vain crié vers moi.

À cause de moi, la France est au désespoir.

Enfin, le danger de mes doctrines républicaines et la parfaite abomination de mon inertie pontificale ont été un scandale comme on n’en avait jamais vu.

Seulement, voici Brunetière qu’aucun autre pape n’aurait pu séduire. Ce précieux bavard n’est-il pas une de vos plus fermes Colonnes ? L’ai-je payée d’un trop grand prix, ô Seigneur ?…

Le catholicisme contemporain suppose qu’une telle conquête est plus qu’il ne faut pour effacer tous les Reniements.

Post-Scriptum. — On me communique une conférence de Brunetière : la Question du Droit de l’Enfant, lue à Lille, « sous les auspices des Unions (sic !) de la Paix sociale et au nom de la Ligue de la Liberté d’enseignement (!!!) » le 18 janvier 1908. L’objet publié par le Temps a plus de mille lignes et la lecture en est terrible.

J’ai essayé pourtant. J’ai vu « la revendication de la liberté de l’erreur, au nom de la liberté de conscience » ! Ailleurs c’était « l’admission en principe de la neutralité de l’école et de son indépendance à l’égard de toute confession ». Ailleurs encore, et dans le même patois, j’ai trouvé ceci : « Quelque intérêt que je porte aux congrégations, enseignantes ou autres, hospitalières ou contemplatives — et dont je crois leur avoir donné plus d’une preuve — j’en porte davantage encore à la liberté de l’enseignement, qui les dépasse ou qui les déborde. »

Un Monsieur Gréard, par exemple, débordant (?!?!) saint Jean de la Croix ou saint Philippe de Néri !…

Eh bien ! j’y renonce, la vie est trop courte.



IV

J. K. HUYSMANS

de l’Académie Goncourt.


I


Les âmes qui marchent dans la lumière chantent des cantiques de lumière ; celles qui marchent dans les ténèbres chantent le cantique des ténèbres.

P. de Caussade, L’Abandon à la Providence divine.


Je ne répéterai pas le mot terrible de Barbey d’Aurevilly à qui je l’avais présenté et qui ne put jamais vaincre son antipathie. Il y a de cela seize ou dix-huit ans. Huysmans venait de publier À Rebours et j’étais seul encore à pressentir la courbe infiniment elliptique par laquelle ce disciple de Médan devait arriver un jour au catholicisme de bibelot.

Que dirait aujourd’hui le vieux maître, le pauvre vieux maître plein d’enfantillages et de splendeurs, mais si noble, si profondément généreux et dont le tact était infaillible en matière de catholicisme ? Que dirait-il en voyant ce saint Paul du chemin de velours dont la conversion étonne les architectes et décourage les marchands de curiosités ?

Un jour que saint François d’Assise était en prières, une voix sortit du crucifix devant lequel il était prosterné et il lui fut dit par trois fois : « Va, François, et répare ma maison que tu vois tomber en ruines. » Huysmans a peut-être entendu quelque chose de semblable et, tout de suite, il s’est mis bravement à étayer la vieille Église avec des dictionnaires et des documents archéologiques.

Le malheur — ou le bonheur — c’est l’inouï, surnaturel et irrévélable ennui de cette manigance, ennui sans pardon qu’aggrave sans mesure une langue dénuée de probité, la plus fabriquée des langues littéraires, la plus plaquée, frelatée, sophistiquée, biseautée et maquillée qu’on ait jamais vue.

Le prurit du « mot rare », de « l’épithète rare » dont l’auteur d’À Rebours était déjà dévoré et qui le faisait se gratter partout, s’est exaspéré incroyablement. Le catholicisme semble avoir mis en lui des démangeaisons inconnues, des démangeaisons impersonnelles. Il en arrive à gratter les autres.

Il ignore que ce qu’il nomme le mot rare, c’est-à-dire l’invention dans le style et ce merveilleux remuement de l’âme par l’arrangement des vocables même les plus simples, surtout les plus simples ; il ignore, le malheureux ! — et pour toujours, je le crains bien — que c’est un instrument dont il faut savoir jouer, comme le violon ou la clarinette.

Un homme qui écrit « mésavenir » pour forniquer ou « d’obscurs évêques, d’illucides saints » pour des statues d’évêques et de saints placées à contre-jour et, par conséquent, mal éclairées[9] ; ou « nescience » pour ignorance, ou « achristes » pour non chrétiens et « stigmatifères » pour stigmatisées ; ou « diagnostiquer » pour préfigurer, prophétiser[10] ; ou mieux encore — ô Patriarches et Prophètes, ô Samaritaine sur mesure et toi, ô Belle Jardinière éternellement assise au coin du quai ! — le « Testament neuf » pour le Nouveau Testament[11], ainsi désigné comme un pantalon, etc., etc., etc. ; cet homme, dis-je, est un littérateur infortuné, captif d’un maître implacable.

Alors, je le répète, quel ennui sans nom ! Il faut croire que le monde catholique avait soif de s’embêter d’une façon extraordinaire. Il a donc fait un succès à cette fontaine. Dieu sait pourtant s’il est rosse, le monde catholique, et s’il traite chiennement les gens de talent ! Rappelez-vous Verlaine et le lamentable Hello. Mais dans le cas de Huysmans, il avait, avec l’infaillible flair des médiocres, subodoré le faux écrivain, de même que, dans le cas de Coppée, il ne cesse de renifler voluptueusement le faux élégiaque, tout le long des murs. Être assommé par ces convertis, ne serait-ce pas aussi le secret d’avoir part au torrent des faveurs divines qui les inondent ?

« Je m’ennuie à crever, dit l’auteur de La Cathédrale[12]… J’ai l’ennui de moi-même, indépendant de toute localité, de tout intérieur, de toute lecture… De moi-même, ah ! oui, par exemple ! Ce que je suis las de me surveiller, de tâcher de surprendre le secret de mes mécomptes et de mes noises ! Mon existence, quand j’y songe, je la jaugerais volontiers de la sorte : le passé me semble horrible, le présent m’apparaît faible et désolé et, quant à l’avenir, c’est l’épouvante. »

On conçoit que de telles déclarations fassent venir du monde ! L’ennui de Huysmans tout seul, sans aucune roublarde concomitance de François Coppée ou de toute autre Colonne, a fait des conquêtes. Je l’ai rencontré, cet ennui de givre, non loin du cercle polaire, dans des pays cuistres et congelés où la compilation acharnée, la documentation furieuse et le bâillement des portes de l’enfer sont regardés comme des signes de grandeur. Je serais peu étonné d’apprendre que des Norvégiens ou des Islandais, asservis par La Cathédrale et Sainte Lydwine, sont devenus catholiques en se décrochant la mâchoire, — des catholiques Scandinaves, bien entendu, c’est-à-dire d’excellents pupitres pour les antiennes des démons de la Médiocrité.

Et même, sans aller si loin, j’imagine que plusieurs grenouillères de la Hollande ont dû coasser d’aise à l’apparition de ce catholicisme glacial engendré d’un de ses enfants, car Joris-Karl est infiniment Hollandais, malgré les registres et les cartons de l’état civil.

Comment la patrie des immenses pions bataves résisterait-elle au professorat cumulatif du symbolisme des cloches, des vitraux, des pierres, des bêtes, des couleurs, des odeurs, des fleurs, des légumes — oui, des légumes ? Quelle défense contre l’écrasante énumération des auteurs qui ont écrit sur ces matières ? Où trouver le moyen de rechigner, par exemple, à l’interminable dissertation sur « les principes d’un rituel coloré » ? — dissertation approuvée, cela va sans dire, par l’abbé Plomb, qui, d’ailleurs, approuve tout et paraît avoir un fier estomac.

Il y a, dans La Cathédrale, de la page 288 à la page 300, le plan d’une basilique en fleurs par le moyen de l’horticulture symbolique, plan qui est bien certainement le tour de force le plus compliqué d’un lyrisme bondieusard à tout casser, à tout démolir. La rue Saint-Sulpice est par terre, d’une extrémité à l’autre. En cet endroit se lit une phrase étrangement perverse où Huysmans tâche de jeter un peu d’infamie sur la Rose et même sur le Lys[13]. Il m’a rappelé l’affreux paysan de Zola, lançant à pleines mains ses excréments à travers une noce. Il déteste ces fleurs de Marie comme il déteste le Soleil, le Midi, le Bleu du ciel. Ah ! c’est un vrai Hollandais, c’est-à-dire un mufle derrière une digue, avec des élans de garçon coiffeur très-avisé.

On se demande où peut bien être la place de la pensée dans des livres dont l’unique objet paraît être de nous tenir au courant des lectures de leur auteur. L’inintelligence des choses dont il parle à coups de citations serait incroyable si on ne se souvenait pas que Huysmans a débuté dans la maison et sous l’aile du Crétin des Pyrénées.

En veut-on quelques exemples ? Après une explosion d’étonnement sur l’accomplissement des Prophéties, il finit par cette ânerie colossale qui démontre qu’il n’a jamais eu même un commencement de compréhension des Saints Livres :

« En supposant, par impossible, que les Évangiles disparaissent, l’on pourrait les reconstituer, narrer en abrégé l’existence (sic) du Sauveur qu’ils racontent, rien qu’en consultant les révélations messianiques des Prophéties[14]. »

Le pauvre homme, catholique d’hier et par conséquent très-altier, qui n’avait jamais ouvert une Bible avant sa conversion, n’en revient pas de découvrir les Prophètes et divulgue avec une audace de Prométhée des secrets connus de tout le monde depuis deux mille ans. Qu’un peu d’exégèse rudimentaire lui soit conférée, aussitôt il ressemble à une haletante vierge de banlieue qui aurait mis la main sur un album de photographies captivantes

Autre exemple : « Pour bien comprendre David, dit l’abbé Plomb, il faut ne pas le séparer de son milieu[15]. » L’abbé Plomb n’arrive pas à prendre son parti de la sainteté du Roi prophète. Il ne l’injurie plus, comme dans En route, — le vide-lecture qui précéda immédiatement La Cathédrale — mais c’est tout juste. Pour ce qui est de l’auréole, il veut qu’on sache qu’il la lui refuse absolument.

Troisième exemple : Quand Jude Thaddée l’interroge pendant la Cène, « Jésus répond à côté, ou, pour mieux dire, ne répond pas[16] » !!!

Quatrième exemple : Huysmans ne conçoit pas qu’un moine écrivain soit dispensé de « se retremper dans la prose d’Hugo, de Baudelaire, de Flaubert[17] ».

Cinquième exemple et dernier, pour finir, la matière étant, d’ailleurs, inépuisable. Lire les pages 84,85 et 86 sur « l’âme des cathédrales », où il est expliqué que celles de Paris, d’Amiens, de Laon n’ont pas d’âme, tandis que celles de Rheims, de Rouen, de Dijon, de Tours, du Mans, de Bourges et de Beauvais en ont une, si on veut, mais plus ou moins agonisante et qu’il n’y a, en somme, que la cathédrale de Chartres, Notre-Dame-des-Victoires à Paris et Notre-Dame de Fourvières à Lyon, qui aient ce qui peut s’appeler des âmes. C’est un peu décourageant, on l’avouera, de se dire que la présence du Saint Sacrement ne suffit pas pour constituer une âme à toutes ces pauvres diablesses de basiliques.

Mais ne viens-je pas d’écrire la locution adverbiale en somme dont l’emploi, incroyablement fréquent et pouvant être comparé à un tic, singularise avec tant d’ironie l’écrivain le plus incapable de résumer et de conclure ?

Dans un article intitulé L’Incarnation de l’Adverbe, publié il y a douze ans, au lendemain de l’apparition de Là-Bas, j’écrivais ceci :

« Arrivons maintenant à l’Adverbe. Le goût passionné de Huysmans pour cette partie du discours est étrangement et profondément caractéristique.

« Pour qui cherche, dans les œuvres des écrivains, autre chose qu’un délassement ou une trépidation nerveuse, le titre d’un livre a l’importance d’un ostensoir de grandeur ou de vanité.

« Qu’il le veuille ou non, l’auteur est forcé d’étaler là son espèce que ne consacre pas toujours le ravissement du lecteur.

« À ce point de vue, les titres de Huysmans sont peut-être les plus étonnants qui soient : En Ménage, À Rebours, En Rade, À Vau-l’eau, Là-Bas. Remarquez que ce n’est pas même l’adverbe, c’est la locution adverbiale.

« Le dynamomètre de son esprit, c’est la locution adverbiale. Le simple adverbe serait encore trop précis, trop mâle, trop dogmatique et trop tranchant pour un appareil cérébral incapable de fonctionner autrement que dans un mode subjonctif et satellitaire. La pensée de cet homme a l’évolution triste et lointaine de la planète des calamités.

« L’adverbe, selon la grammaire, est un mot invariable qui modifie le verbe, l’adjectif ou un autre adverbe par une idée de lieu, de temps, de circonstance, etc. Ce dangereux subalterne est le chien du troupeau des phrases. Quand il commande, c’est pour dévorer.

« Le même adverbe, selon la littérature saturnienne, est un vocable de crépuscule qui se charge d’inféconder l’Affirmation, d’estomper à la plombagine les contours de la Parole et de favoriser d’un brouillard les monstrueux accouplements de l’Antinomie. C’est le bienfaiteur du Néant.

« C’est pourquoi Huysmans idolâtre si jalousement jusqu’au simulacre de l’Adverbe qu’il lui a bâti des chapelles où ne peuvent entrer qu’en tremblant les génitives Prépositions ou les Conjonctions obscènes, mais d’où sont bannies avec rigueur les patibulaires Interjections. »

Rien à changer aujourd’hui à ces vieilles lignes, sinon la dernière, qu’il faudrait remplacer par je ne sais quoi. En se convertissant au catholicisme, Huysmans s’est converti surtout à l’Interjection. Comment ce découvreur pantelant et toujours stupéfait du plain-chant, de l’architecture, de la mystique, du symbolisme, de la liturgie et de tant d’autres arcanes aurait-il pu s’en passer ? Que sera-ce le jour où il découvrira enfin le catéchisme ? L’interjection ne sera plus assez, il lui faudra la Prosopopée.

Tout de même, 488 pages, rien que pour La Cathédrale, sans rencontrer une idée, c’est atterrant ! Rien, sinon la lecture même du paquet, ne pourrait montrer l’incomparable sottise des conversations entre Durtal et ses deux abbés dont l’abbé Plomb, l’ineffable abbé Plomb, entretiens d’un ennui à tuer les mouches, où chacun apporte son petit carnet de notes archéologiques, hagiographiques, liturgiques ou exégétiques, avec toutes les références ; où les plus savants bouquins et, autant que possible, les plus inconnus, ont été mis à contribution par ces trois bavards qui dégorgent leurs lectures, pendant des heures, sans jamais obtenir la grâce d’un aperçu, d’un pâle trait de lumière, d’un semblant de conclusion sur quoi que ce soit.

La prétention déclarée de Huysmans est d’être en forts bons termes avec la Sainte Vierge. — Ah ! vous, il vous sera beaucoup pardonné parce que vous l’aurez beaucoup aimée ! se fait-il dire par une femme de ménage qui est une Sainte, bien entendu, « une colonne de prières », et dont l’admiration pour lui est sans bornes.

J’y consens de tout mon cœur. Mais ce banlieusard a des façons de parler de Marie qui doivent produire comme un remous d’effroi dans le torrent des Dix Mille Anges que la visionnaire d’Agreda voyait autour de l’Immaculée Conception.

Il est vrai qu’un catholique neuf qui sait presque tout et qui a lu des bonshommes aussi obscurs que Théodore le Changeur, aussi complètement illucides que Durand de Mende ou saint Méliton, peut ignorer ce que c’est que l’Immaculée Conception. Confondant ce dogme avec celui de l’Incarnation, il pense, comme feu Zola et les autres commis-voyageurs, que le Vocable consacré par Pie IX, le 8 décembre 1804, et ratifié à Lourdes, quatre ans après, par la Mère de Dieu elle-même, est assez traduit, par Vierge-Mère, sans autre éclaircissement. Conférer, pour cette ânerie puissante, lignes 19, 20 et 21, page 77 de La Cathédrale.

Outillé de la sorte, il prie la Sainte Vierge d’avoir pitié de sa « rosse d’âme » qui se cabre, qui rue et n’avance pas[18] ; prière qui aurait pu être belle et qui est si péniblement, si pauvrement fabriquée ! En cet endroit, de même qu’en plusieurs autres, il est visible que Dieu a donné quelque chose qui coûte peut-être épouvantablement cher à un inconnu accroupi depuis des années dans un caveau de torture, et ce quelque chose, qu’en a-t-il fait, le malheureux ? Ébloui de son succès, encouragé par de misérables prêtres qui ne l’avertissent pas de son danger, il paraît avoir choisi, dans ses tristes livres et dans sa vie, de ne regarder que lui-même.

Chose remarquable ! Marie de laquelle il veut qu’on le croie éperdu d’amour, il ne la nomme presque jamais par son admirable et très-saint Nom qui fait trembler les diables et que l’Église honore d’une fête particulière. Avec lui, c’est toujours la Vierge, ou Notre-Dame, ou la Madone, ou bien encore « la fille de Joachim[19] ». Pour un rien il dirait : la fille à Joachim. Ici, Notre-Dame de Lourdes est nommée — ô Jésus en agonie ! — « la Madone des sourires, la Tenancière (!!!) des glorieuses Joies[20]… la Vierge pour tout le monde » par opposition à Notre-Dame de la Salette, qui est « la Vierge pour les mystiques et les artistes ». Là, elle est dite monstrueusement, énormément, « la Mère en gésine », comme s’il s’agissait d’une femelle sur le point de mettre bas[21].

Mais il se peut très-bien, après tout, que ces irrévérences quasi-sacrilèges se combinent tant bien que mal avec une sorte de respect très-inférieur, car il ne faut pas oublier l’école de ce moutardier. Chez les naturalistes il y a, comme chez les empailleurs, une impuissance congénitale à différencier la femme de la femelle, ce qui est peut-être une excuse, quoniam imbecilles facti estis ad audiendum, a dit saint Paul[22].

Néanmoins, puisque je nomme, une fois de plus, l’école naturaliste, voici une réserve que la stricte équité m’impose. La pente de Zola et de sa clique ayant été d’écrire à la manière des cochons, Huysmans, un jour, rêva d’écrire à la manière des hommes et se sépara, non sans quelque fierté, mais n’ayant pas de quoi soutenir son rôle, il ne put atteindre au style désenchaîné, se noya dans le Rubicon et resta naturaliste réfractaire.

De là le manque absolu de générosité d’esprit qui fait partie de la célébrité de cet écrivain. De là aussi, très-certainement, cette haine carthaginoise du lyrisme, de la mélodie dans le discours, qui est sa marque indélébile. Quand une phrase pourrait finir avec éloquence, Huysmans la mutile tout à coup, lui coupe la queue méchamment, perversement, avec des cisailles grinçantes et ébréchées, de même qu’un barbare ou un méchant garçon qui détruirait à plaisir une belle chose.

Il paraît être l’inventeur d’une sorte d’inversion germanique ou d’enjambement qui lance le régime à l’extrémité de la proposition ou même de la période, ainsi qu’un paquet, par-dessus toutes les incidences, et sans le moindre souci de savoir où il tombera, ce qui produit quelquefois des effets extraordinaires. Cela, vous le rencontrerez à chaque page. Évidemment, c’est une manie et les citations seraient puériles, celle-ci par exemple : « Les bourrasques qui parcourent, sans que rien les puisse arrêter, la Beauce[23]. » Autant dire : Rendre à un facteur de la poste qui s’est trompé, faute de savoir lire, une lettre, au lieu de Rendre une lettre, etc., ou bien Se faire de la femme du receveur de l’enregistrement, des domaines et du timbre aimer. Tel est le rudiment. On comprend ce que cela peut devenir avec des complications et des entrecroisements. Un chef de gare qui manœuvrerait avec ses trains comme Huysmans avec ses phrases écraserait mille bourgeois par jour, ce qui, au demeurant, ne serait pas une occasion de désespoir.

Quand on en arrive, à force de rareté, à cesser tout à fait d’écrire, il y a d’autres inconvénients plus graves, le Ridicule et la Sottise, pour commencer. On vient de les voir fonctionner, mais il y a des pages de déroulement ininterrompu, telles que le récit du voyage de Durtal à La Salette.

Que vous semble de cette phrase qu’on croirait avoir été écrite sous un parapluie : « Le paysage était sinistre ; l’on éprouvait un extraordinaire malaise à le contempler, peut-être parce qu’il déroutait cette idée de l’infini qui est en nous[24]. » Remarquez qu’il s’agit d’un des plus beaux paysages de montagnes qui soient au monde, mais la sorte d’infini qui est en Huysmans ne s’arrange pas des sites en casse-cou[25]. Il lui faut l’azur plus calme des images de piété. Les montagnes ne lui plaisent pas du tout, les rocs non plus, ni les précipices, ni les eaux furieuses. Les pèlerinages où il peut arriver des accidents surmènent la dévotion de M. Folantin et le font hennir vers son cabinet de travail et ses chaussons feutrés.

« Penché à la portière du vagon, Durtal plongeait directement dans l’abîme ; sur cette ligne étroite à une seule voie, le train longeait, d’un côté, les quartiers accumulés de pierre, et de l’autre, le vide. Seigneur ! Si l’on déraillait ! Quelle capilotade ! » se disait-il[26]. Voilà tout l’effet sur son âme du sublime torrent de La Salette que déshonore aujourd’hui le voisinage d’un chemin de fer. Le Drac lui fiche le trac, simplement, et il ne s’en cache pas. Ne s’est-il pas vanté, il y a quelque vingt-cinq ans, d’avoir fait la guerre de 70 dans les hôpitaux, en proie à une continuelle colique ?

Tout dépend du point de vue. Quand l’héroïsme semble grotesque, la chiasse devient glorieuse. Il n’est pas loin de se considérer comme un martyr pour avoir accompli le pèlerinage de La Salette, et les montagnes environnantes, qu’il compare à « des tas géants de coquilles d’huîtres », lui font si peur qu’il y a vu — lui, le naturaliste condamné pourtant aux travaux forcés de l’exactitude photographique — « des glaciers et des neiges éternelles ![27] » se croyant sans doute au Mont Blanc ou à Chamouny.

Mais il en veut terriblement à ce pauvre Drac qu’il déclare « hideux… rivière de bile, maléficiée, pourrie avec ses plaques savonneuses, ses teintes métalliques, ses fragments d’arc-en-ciel échoués dans des boues ». Cette admirable nature l’enrage et c’est tout juste s’il excuse la Sainte Vierge de s’y être manifestée. Alors, n’osant pas se venger sur Elle, il tombe sur ses images.

« Au point de vue de l’art, sur cette minuscule promenade, près de la source captée par des tuyaux à robinets, s’érigent, à trois places différentes, des statues de bronze. Une Vierge accoutrée de vêtements ridicules, coiffée d’une sorte de moule de pâtisserie, d’un bonnet de Mohicane, pleure, à genoux, la tête entre ses mains. Puis, la même femme, debout, les mains ecclésiastiquement ramenées dans ses manches, regarde les deux enfants auxquels elle s’adresse : Maximin frisé tel qu’un caniche et tournant entre ses doigts un chapeau en forme de tourte, Mélanie engoncée dans un bonnet à ruches et accompagnée d’un toutou de presse-papier, en bronze : enfin la même personne encore, seule, se dressant sur la pointe des pieds, lève, en une allure de mélodrame, les yeux au ciel[28]. »

Telles sont les expressions haineuses et basses lancées par ce catholique sur ces trois statues admirables, exécutées, avec l’exactitude la plus religieuse, d’après les indications des Innocents et qui sont, pour ce qui regarde les privilèges irrévélables de Notre-Dame de la Transfixion, l’epitome symbolique le plus universel et le plus complet. Huysmans a si peu le sens mystique et il est tellement privé de l’intelligence des Signes qu’il a cru voir là des reliefs imaginés par un plâtrier d’Académie ambitieux de commandes épiscopales.

Et le Discours, qu’est-il devenu ? Le Discours de l’Apparition aux deux enfants, le Discours inouï et trois fois surnaturel où la Dame des Sept Douleurs, rompant un silence de dix-neuf siècles, depuis les Noces de Cana, parle enfin publiquement et « à tout son peuple », comme Dieu seul pourrait parler :

J’ai donné six jours pour travailler. Je Me suis réservé le septième, et on ne veut pas Me l’accorder.

Huysmans l’a-t-il jugé ridicule aussi, ce vêtement du Verbe éternel ? L’a-t-il connue, seulement, cette effrayante Parole qui réglera, un jour, tous les battements des cœurs et qui paraît être le Verbum novissimum de l’Esprit-Saint ? Il n’en dit absolument rien et on se demande ce que ce pèlerin est allé faire sur cette Montagne.

Dieu sait pourtant s’il ressasse le symbolisme, l’honnête garçon ! Seulement, comme il n’est fait aucune mention de celui-là dans les recueils ou spicilèges qu’il a consultés ; comme saint Nil n’en dit pas un traître mot, non plus que le sympathique Durand de Mende ou le pétulant abbé Bulteau, et que Petrus Gantor, Honoré le Solitaire, Walafrid Strabo, Pierre de Capoue, Raban Maur et jusqu’au décisif abbé Vigouroux gardent le silence ; comme, d’autre part, l’auteur des œuvres de J. K. Huysmans n’est pas précisément doué d’intuition et d’initiative, surtout en matière de glose ou d’herméneutique, cet impartial voyageur, heureusement doublé d’un critique d’art, est dans la nécessité invincible de ne rien comprendre à ces effigies. Alors il tape dessus comme un Visigoth ou comme un Cosaque. Ainsi le veut sa logique d’enfant de Flaubert invité au discernement des choses divines.

Puis, que dirai-je encore ? Il y a le mot dont je n’ai pas voulu au commencement de cette étude, l’affirmation de ce pauvre mort qui ne fut pas sans grandeur quand il était sur la terre et de qui nous n’avons plus la mesure depuis qu’il est dans l’éternité. L’infortuné Huysmans peut écrire tout ce qu’il voudra, aux applaudissements de tous ceux qui sont faits pour l’admirer. Sa nature triste le condamne à détester la Force, la Grandeur, la Santé, la Beauté, la Noblesse, la Magnificence,… la Béatitude.

Il parle quelque part de l’impuissance, de l’inefficacité de sa prière. Je crois bien. La prière est un don de Dieu, gratuit, sans doute, comme tous ses dons, mais qu’on ne peut pourtant pas supposer départi à un cœur si bas. Ce serait trop inouï d’avoir cruellement poussé son frère dans les ténèbres après l’avoir dépouillé, de triompher de ce crime depuis quinze ans et de recevoir, quand même, le baiser de la Bouche de Jésus-Christ ! C’est assez terrible déjà d’être devenu, en cette manière, la plus cannelée d’entre les dernières colonnes de son Église.


II


Quel malheur tout de même que d’avoir une bobine dans la cervelle et de se dévider ainsi ses récentes lectures !

L’Oblat, page 134.


Sainte Lydwine est un intermède au beau milieu du roman autobiographique de Durtal. Un garçon clairvoyant, l’abbé Plomb, sans doute, lui aura dit : — Mon cher ami, vous êtes trop amusant, trop guilleret, trop enjoué, trop épanoui, laissez souffler vos lecteurs. On finirait par vous rappeler que la vie n’est pas un carnaval, la vie chrétienne, bien entendu. On vous reprocherait de n’être pas un converti sérieux. Considérez à quoi vous engage cette précieuse qualité de converti qui fait que le monde catholique a les yeux sur vous. Voyez notre Coppée, comme il porte bien ça ! Ce n’est pas lui qui ferait un livre divertissant comme La Cathédrale ! Le voilà, le vrai converti, le converti tout de bon qui jamais ne bronche dans la rigolade. Croyez-moi, faites-nous une vie de sainte. Quand on a pondu les Sœurs Vatard on est tout désigné pour la rénovation de ce vieux genre. L’hagiographie manque de bras, c’est indiscutable. Prenez-moi votre compatriote sainte Lydwine, par exemple. Avec un pareil sujet, vous obtiendrez, presque sans effort, un livre grave, documenté et ravissant, pouvant être lu par les dames.

J’imagine que telle a dû être la genèse de Sainte Lydwine. Il faut se souvenir de l’outrecuidance particulière aux convertis de la onzième heure en littérature pour ne pas tomber par terre à la vue de sainte Lydwine écrivant l’histoire de Huysmans, car tel m’a paru être le vrai sens du livre et son intention profonde.

Je voudrais bien savoir s’il y a un seul homme au monde capable d’entrevoir encore ce que c’est que d’écrire l’histoire des saints. Cela exige des notions si oubliées, des sentiments si défunts, si enterrés ! Parmi les êtres les moins étrangers, en apparence, aux choses divines, chez les catholiques les plus pieux, l’ignorance maintenant est si complète et les cœurs sont situés si bas que la Sainteté leur paraît un superlatif de la Vertu.

Cette Essence exclusive et incompatible est devenue un élixir pour ces intelligences de parfumeurs.

Personne n’a plus l’air de savoir que la sainteté est l’Octroi surnaturel qui sépare autant un homme des autres hommes que si sa nature était changée. Et cela ne se fait pas tout à coup ni peu à peu. C’est une chose qui se passe au fond de Dieu, dans les avenues silencieuses de sa Volonté. On est un saint comme on est un homme de génie, c’est-à-dire une créature aussi à part, aussi séquestrée, aussi prodigieusement solitaire que pourrait l’être une espèce végétale du Paradis perdu. Il n’y a pas de route pour aller du talent au génie et tous les torrents mugiraient à l’aise entre la vertu la plus gigantesque et une sainteté rudimentaire.

Mais comment parler de l’âme d’un saint ? Si on peut dire, pour la confusion de l’esprit, que l’âme d’un boutiquier ou d’un employé de chemin de fer est un univers dont l’immensité morne a déterminé l’Agonie du Rédempteur, que sera-ce de ce tourbillon d’abîmes de lumière qui constitue l’âme d’un saint ? Edgar Poe, dans Eurêka, parlant de la planète Jupiter qui est trois ou quatre cents fois plus grosse que la terre et supposant la puissance de vision d’un Ange, se demande ce que pourraient être ses pensées en voyant pirouetter au-dessous de lui cet effrayant globe !…

Les paroles et les images manquent totalement ici. Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’histoire d’un saint, c’est-à-dire d’une créature humaine inconcevablement identifiée au Créateur, est, par force, exégétique bien plus qu’apologétique. Pour l’écrire, cette histoire, à notre époque où la simplicité d’enfant des vieux narrateurs n’existe plus, il semble que le génie même ne suffirait pas, à moins que ce ne fût précisément le génie de l’exégèse. Or, l’impuissance, à cet égard, de notre auteur, est une espèce de spectacle.

Entre mille exemples, voici ce que je trouve dans L’Oblat, page 108 : « Le souvenir l’assaillait de ce passage si suggestif, si divinatoire (sic), de saint Fulgence commentant l’Évangile de saint Jean sur la résurrection de Lazare et disant très-nettement : « Jésus pleura, non pas, comme le crurent les Juifs, parce que son ami était mort, mais il pleura parce qu’il allait rappeler celui qu’il aimait aux misères de la vie. » Et le fait est, ce qu’une fois suffit et amplement ! » soupira Durtal[29].

Que voulez-vous qu’on dise à un homme qui lit l’Évangile comme ça ou qui peut trouver divinatoire une telle interprétation ? Que penser de ce coin de feu de l’Esprit-Saint, de cette tisane du Paraclet, de ce gilet de flanelle de Joseph expliquant les songes, de ces pantoufles de Daniel au festin de Balthasar ? Qu’espérer d’un historien forcé par son sujet de rester dans le voisinage de l’Écriture et qui ne sait pas qu’elle est exclusivement l’histoire personnelle de Dieu, l’Autobiographie de la Trinité — l’Ange dont il était parlé tout à l’heure, un des plus grands anges, si on veut, ayant renoncé à lui faire comprendre que Dieu ne parle et ne peut parler que de Lui-même ?

Le nouvel historien tel quel de sainte Lydwine a certainement beaucoup compté sur le tableau synoptique de l’Europe qui ouvre son livre. Il n’y a pas grand’chose à dire de cet honnête pensum. Cela se fabrique avec de très-braves bouquins que l’art de la typographie a heureusement multipliés, et j’ai connu, dans cette partie, des ouvriers qui avaient moins de conscience et surtout une bien moindre volonté d’écrire. Il y manque seulement ce que nul bouquin ne donne : la pensée personnelle et la magnanimité.

J’ai assez dit son étonnante rage de rapetisser, d’avilir. Je cherche un personnage intéressant qu’il ait épargné. Le plus sympathique de tous les princes d’alors, Jean-sans-Peur, est qualifié de « petit chafouin, malingre et taciturne, sournois et cruel ». Quand on sait l’histoire, on croit rêver en lisant de telles choses sur le héros de Nicopolis et on se demande ce qu’un écrivain organisé de la sorte peut avoir à faire chez les Saints.

Après ce tableau, un peu de lyrisme est offert. C’est le dénombrement des milices religieuses qui composent l’armée du Christ, milices devant assister, contre « les cohortes de l’enfer », les trois saintes, Lydwine, Colette et Françoise Romaine qui, malgré leur dévouement et leur bravoure, eussent infailliblement succombé sans ce renfort. Mon Dieu ! cette imagerie pourrait être touchante si elle avait un peu de simplicité, mais l’idée même de simplicité fiche le camp aussitôt qu’il est parlé du « champ de bataille de l’au-delà ».

C’est même une occasion de demander quand on nous délivrera de ce fameux au-delà dont il n’avait jamais été question dans les temps de foi et qui est devenu un difforme substantif, de locution adverbiale qu’il était, depuis que les romanciers naturalistes travaillent dans la piété. C’est surtout à Huysmans que revient l’honneur d’avoir introduit ce phylloxera dans la pauvre Vigne du Seigneur qui n’en pouvait déjà presque plus de ses dix-neuf siècles.

Enfin, pendant des pages, il est rabâché de stratégie, de tactique, de troupes en première ligne qui s’avancent « sous l’abri des redoutes contemplatives et des forteresses mystiques » ; d’avant-garde formée par les bataillons des Franciscains et des Frères Prêcheurs. Il est parlé avec une tranquille assurance de « l’immense armée manœuvrant derrière ces éclaireurs, dont une des ailes composée par les régiments drus des Carmes, l’autre, par les masses compactes des Augustins…, son centre étant constitué par les robustes et invincibles divisions de l’ordre de saint Benoît. »

Toute la technique militaire y passe : les dépôts Bernardins de l’Espagne ; les escouades nombreuses et « très-famées » en France des Célestins, malheureusement mal entraînées et peu solides ; les Olivétains mieux aguerris et pouvant être menés à l’assaut ; la légion d’élite des recluses dénombrées à part et divers soldats non incorporés faisant la guerre de partisans. On ne sort pas des phalanges, des cadres, de l’équipement, du maniement des armes, de la « manœuvre des coulpes »[30], de « l’endurance de piété dans les marches de la voie mystique », du « service des places mystiques », des garnisons, des conscrits ou des recrues pour les bataillons de renfort. Les tringlots eux-mêmes ont été si peu oubliés qu’on les voit protégés par l’arrière-garde redoutée des compagnies cartusiennes, « vieux soldats bronzés au feu des batailles infernales[31] ». Cependant cette multitude héroïque ne se bat pas. Elle ne figure que pour préparer le lecteur à sainte Lydwine, « enfant perdue qui valait à elle seule une armée ». J’y consens bien volontiers, ne fut-ce que pour mettre fin à ce terrible bavardage.

Il y a, dans La Légende des siècles, un volcan de l’Amérique du Sud scandalisé par l’Inquisition espagnole et qui refuse carrément le baptême accepté par tous les autres volcans. Interrogé par le poète, il rappelle, en de rudes vers, les antérieures abominations de l’idolâtrie indienne et déclare, pour finir, que « ce n’était pas la peine de changer ». Cette pièce, d’ailleurs médiocre, a pour titre Les Raisons du Momotombo. L’aventure presque inouïe de Huysmans et de la rue Saint-Sulpice m’y fait penser. Bondieuserie pour bondieuserie, assurément ce n’était pas la peine de changer.

Pour être juste, néanmoins, autant que magnanime, ce qui n’est pas très-facile avec un auteur si peu engageant, il faut reconnaître que, malgré ses tares, Huysmans a tout de même quelques bons endroits, surtout dans cette Sainte Lydwine. Le sujet l’a miséricordieusement porté un assez grand nombre de fois. Dans la gueuserie incomparable de la littérature catholique, on comprend que cela étonne les imbéciles, que cela les scandalise même, et qu’il soit regardé par eux comme un dangereux prodige. Au milieu de tant de guenilles, ce rapiécé a l’air de marcher dans la pourpre.

Il y a des pages, comme la plupart de celles du chapitre IV, capables d’honorer n’importe qui ; mais, là encore, dans cette eau limpide où trempe la lumière, on aperçoit d’autant mieux des bêtes noires qui font reculer. Ah ! si Des Esseintes pouvait, une bonne fois, renoncer aux trouvailles !

Que penser, par exemple, de ceci : « En un constant miracle, Notre Seigneur fit de ces blessures des cassolettes de parfums ; les emplâtres que l’on enlevait, pullulant de vermine, embaumaient ; le pus sentait bon, les vomissements effluaient de délicats arômes ; et, de ce corps en charpie qu’il dispensait de ces tristes exigences qui rendent les pauvres alités si honteux, il voulut qu’il émanât toujours un relent exquis de coques et d’épices du Levant, une fragrance à la fois énergique et douillette, quelque chose comme un fumet bien biblique de cinnamome et bien hollandais de cannelle[32] » ?

Que dire aussi de la « mort abominable d’un Dieu » ; de sainte Colette qui « se pend aux jupes de la Vierge »[33], de sainte Françoise Romaine « devenant une succédanée, tantôt de sainte Colette et tantôt de sainte Lydwine[34] » ? Enfin et surtout, que croire de cette monstrueuse image digne d’un marguillier ou d’un fabricien quêteur : « Les plaies des mains de Jésus sont des bourses toujours vides et il les tend pour que chacun les remplisse avec la menue monnaie de ses souffrances et de ses pleurs[35] ? »

On lit cette dernière phrase dans une espèce d’épilogue où l’auteur, ayant l’air de jeter sa pensée comme un filet sur le monde, prononce que, seule entre les nations, la Belgique paraît avoir conservé la foi et que les dames du Bazar de Charité étaient des femmes vraiment pieuses venues pour « faire le bien », suivant l’expression si originale de François Coppée, notre maître à tous.

Ces réserves faites et quelques autres encore que je laisse à débrouiller, il se peut très-bien qu’il y ait un pas considérable de La Cathédrale à Sainte Lydwine. Je ne pourrais pas, sans me vomir, adhérer à la sale troupe qui accuse Huysmans d’être un saltimbanque. Je sais trop et mieux que personne, mieux sans doute que Huysmans lui-même, ce que sa conversion a coûté, mais je crains aussi de savoir ce qu’est devenu le Don de Dieu. Si le malheureux a fait un pas, qu’il en fasse un autre. Chrétien, alors, de la tête aux pieds, il se détournera de ses livres pour demander pardon à ceux qui ont acheté si cher sa pauvre âme et qu’il a si odieusement abandonnés…

Le cœur me manque pour continuer, surtout quand je songe qu’après Sainte Lydwine il faudra encore parler de L’Oblat, dont l’ennui pleut sans intermittence dans un si morose et si monotone décor.

Mais comment pourrais-je, sans pitié ou sans colère, me souvenir du pauvre vieil historien de sainte Lydwine, le vénérable Bruchman, ou Brugman, dont le livre, écrit en latin et publié par les Bollandistes, m’a tellement suffi depuis des années, même dans la traduction française, que Huysmans — est-il besoin de le dire ? — place immédiatement au-dessous de tout ?

Oubliant sa « basilique en fleurs » et tant d’autres imageries précieuses inventées la veille par Des Esseintes, il méprise par exemple des diminutifs tels que « la petite servante du Christ, la petite femme, la petite pauvresse, la petite plante, la petite rose, la petite agnelle, la petite Lydwine, Lydwinula », qui ont au moins le mérite d’être amoureux et qui peuvent très-bien faire pleurer des saints.

Or voici ce qui peut faire pleurer des hommes seulement pitoyables. Ce Jean Brugman, à la page 168 de la traduction française de son livre, s’exprime ainsi : « Je vous prie, ma sœur Lydwine, de demander au Seigneur, par d’instantes prières, qu’il daigne retrancher en moi ce qui déplaît davantage aux yeux de sa Majesté. » Page 210 de sa Sainte Lydwine, Huysmans, ennemi et contempteur de Brugman, mais ne dédaignant pas de translater le bonhomme en sa langue rare, s’en acquitte de la sorte : « Je vous serais obligé d’exorer le Sauveur pour qu’il m’élague de ce qui lui déplaît le plus. »

Alors quoi ? Rapporterai-je l’histoire du lait[36] qui l’eût fait se rouler par terre, il y a vingt ans, et qui serait à peine supportable d’un saint la racontant à genoux et tout en larmes ? Parlerai-je de « l’aspect inhumain de Lydwine[37] », de sainte Thérèse, « l’inégalable historienne », après avoir été « l’inégalable abbesse » dans La Cathédrale, pas très-loin de l’endroit où l’on voit avec stupeur saint Jean-Baptiste « étêté » par Hérodiade ? Citerai-je quelque chose de la longue énumération des saintes stigmatisées ou non stigmatisées dont la vie fut pleine de miracles et qui vécurent du quinzième siècle à la fin du dix-neuvième ? Cette partie redoutablement copieuse et sans aperçus nouveaux donnera peut-être le vertige de l’érudition à ceux qui n’ont pas lu la Mystique de Gorres ou vingt autres compilations du même genre. Toutefois l’honneur appartient au seul Huysmans d’avoir observé que sainte Lydwine « ne fît point partie du groupe des Myroblites »[38], exclusion qui paraîtra rigoureuse à bien des gens.

Déplorerai-je, une fois de plus, les ravages de la bondieuserie chez cet écrivain qui fut naguère, en littérature, une si hautaine et si véridique arsouille ? Dirai-je enfin l’inconvénient lamentable de n’avoir que du talent, un certain talent, juste ce qu’il en faut et celui qu’il faut pour ne pas déplaire à une multitude engendrée dans les pacages paroissiaux — alors que serait indispensable, je ne dis pas du génie, mais quelque chose comme le Souffle de Dieu ?

L’histoire de sainte Lydwine est encore et plus que jamais à écrire, depuis le jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort ; l’histoire, non de ce qu’elle parut être, mais de ce qu’elle fut. Lorsque viendra l’historien, s’il doit venir, il faudra que cet ami véritable du Dieu vivant confonde une bonne fois, et pour jamais, non plus les séculaires sottises de l’impiété, non plus les suavités infâmes de la bondieuserie sulpicienne, mais l’implacable dévotion blanchie de quelques sépulcres littéraires.


III


Je suis le morphinomane de l’office.

L’Oblat, page 8.

Oui, l’on devient des ronds de cuir pieux et l’office lui-même sent la conserve, avec ses psaumes marines dans la saumure du chant des moines.

Idem, page 236.


Je ne me représente pas Huysmans mis en demeure de tout vendre et de tout quitter pour suivre Jésus. « IL certifie (sic), dit-il, que les riches auront plus de mal que les pauvres à être admis en sa Présence[39]. »

Plus de mal ! C’est ainsi qu’il entend le Væ divitibus et les autres évangéliques sentences contre les riches, sentences d’une si terrible précision et qui sont à la base même du Christianisme.

« Quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple. » Nul moyen de fuir. Il faut prendre toutes les conséquences de cette loi ou renoncer à être chrétien. Je ne sais pas ce qui se passe au fond du cœur de Huysmans et ne suis pas curieux de le savoir. Je devine encore moins ce qui pourra lui être demandé un jour et je m’interdis à cet égard toute conjecture, mais le précité comparatif laisse peu d’incertitude sur sa volonté bien arrêtée de se faire aussi peu de bile que possible et de galoper modérément vers le ciel.

Il est clair qu’un chrétien, qui a lu dans l’Évangile que les riches auront « plus de mal », a l’intelligence bouchée hermétiquement et pour toute la durée des siècles à toute notion d’Absolu.

Alors le redoutable Vaisseau de l’Église où Jésus dort parmi les vagues en fureur devient le commode bateau paroissial qui navigue douillettement sur de pacifiques ondes. L’Oblat, c’est M. Folantin à la recherche d’un restaurant spirituel — sans exclusion toutefois d’une cuisine plus terrestre — et les pages où il est question du bien-être ou de l’absence du bien-être sont assez nombreuses pour qu’on soit presque embarrassé d’en trouver d’autres.

Lisez, par exemple, ses plaintes, ses jérémiades alternées contre le gel et le dégel[40], vous serez stupéfait de ces Acta Martyrum, — en un livre écrit à la gloire de l’ascétisme religieux, — pour mettre en valeur l’héroïsme d’un dévot allant à la première messe par un froid sec ou un froid humide, à quelques pas de sa demeure.

« J’ai répudié, de moi-même et depuis bien des années, tout ce qui flatte le goût des autres[41] », assure-t-il avec une singulière ingénuité, mais il paraît avoir fort attentivement retenu ce qui flatte son propre goût, ne fût-ce que son éternelle cigarette dont la mention isochrone est comme une ressource littéraire. Il ne dit pas ce qu’il a quitté, mais assurément ce n’est pas lui-même. Il avoue, d’ailleurs, très-candidement, que l’oblature n’a rien de farouche, surtout pour celui qui ne hait pas la fine cuisine et qui a des finances lui assurant du loisir dans les environs d’un cloître.

Lorsqu’il était employé au ministère de l’Intérieur, combien de fois l’ai-je entendu jalouser le sort des bourgeois peu favorisés, mais qui ont tout de même leur existence assurée dans un humble coin, sans la servitude quotidienne et parfois intolérable d’un bureau ! Il ne se consolait pas d’être forcé d’écrire ses livres de bric et de broc sur un coin de table, en se cachant de ses chefs, et semblait croire qu’un chef-d’œuvre lui serait facile s’il arrivait à l’indépendance. Il l’a maintenant, cette indépendance, et depuis longtemps déjà. Elle lui a été donnée d’une large et munificente main, seulement le chef-d’œuvre ne sort pas.

Converti au plus juste prix, sans foudroiement, sans entorse ni tour de reins, il s’est mis à la littérature de converti, celle qui rapporte, au lieu de se cantonner — intentionnellement du moins — dans un genre superbe et fort, dont la grâce ne lui eût peut-être pas été refusée, malgré son incomparable défaut de génie. Mais, alors, il eût été seul, privé de toute espérance de succès, et cela ne pouvait, en aucune manière, convenir à son faux dédain.

Puis ne faut-il pas que la nature triomphe, la juste nature ? Plus que beaucoup d’autres, Huysmans avait besoin d’être vu dans la lumière. Quand il faisait A Rebours ou Un Dilemme, on pouvait, sans courbature, lui supposer de la profondeur. Maintenant qu’on l’aperçoit dans l’irradiation lumineuse du Catholicisme, comment cette illusion serait-elle possible encore ? Le pauvre homme apparaît tel qu’il vint au monde, tel qu’il est en réalité, un bondieusard aimant ses aises, un imagier dévot confortablement assis… Et, comme si le reflet de la Porte splendide ne le démasquait pas assez, le malheureux laisse échapper des aveux tels que celui-ci : « Je suis le morphinomane de l’office. »

Hélas ! faire ce qui plaît et vivre pour soi, uniquement, n’a jamais passé pour fort héroïque. Élaborer de la dissertation liturgique, à coups de lectures, pendant des centaines de pages, comme on mangerait des petits gâteaux ou des bonbons en se promenant à travers un bois semé de papiers, voilà certes un procédé d’apologétique étrange et bien exclusif de la grandeur.

Veut-on voir si j’exagère ?

« Durtal se disait : Je puis d’autant mieux me dispenser d’assister à la grand’messe, ici, que je commence à la connaître par cœur. Elle est la même depuis six jours ; l’octave de l’Épiphanie ayant, pour une semaine, refoulé le défilé des saints. Sans doute cette messe est charmante, malgré son médiocre introït[42]. Le Kyrie est très-beau, plaintif, un peu précieux, le Gloria est allègre et vénérant, et la deuxième phrase du Graduel « Surge et illuminare Jérusalem » et l’alleluia sont exquis ; à l’Offertoire, le « Reges Tharsis » est lancé droit tel qu’une flèche, et l’on entend jusqu’au dernier vibrement de son parcours ; mais j’ai encore demain pour l’écouter ; une messe basse me suffira aujourd’hui[43]. »

Que dites-vous de cette manière de concevoir l’assistance à la grand’messe ? Ne croirait-on pas qu’il y va comme un expert en sucreries chez un confiseur ? Toutefois son jugement n’est pas aussi ferme que le granit rose. Il lui arrive de lâcher la dragée pour revenir à une praline déjà sucée plusieurs fois et de se raviser encore un peu plus loin : «… Il avait beau la connaître par cœur, cette messe ne parvenait pas à le déravir[44]. »

À propos de cette messe, il se lance, une fois de plus, dans l’exégèse, toujours avec le même bonheur, et découvre décidément l’Épiphanie. Occasion nouvelle de prouver, pour me servir d’un de ses mots, son insens particulier de l’Écriture qui va jusqu’à ne savoir pas même démarquer les vieux interprètes qu’il a consultés.

Il faudrait presque tout citer. Bornons-nous à signaler la précieuse page 264 où, à propos d’une messe de saint Benoît « exquise », elle aussi, il est parlé de « la délicieuse messe des abbés » et du « Gaudeamus des cocagnes liturgiques ». « Quant au plain-chant, il était celui du répertoire de luxe, c’est-à-dire qu’il était prétentieux et médiocre. Le Kyrie à filandres et à tire-bouchons, le Gloria de toit et de cellier (?), le Credo pour pochette de maître de danse, tout s’y trouvait. »

Malgré sa spécialité liturgique, Huysmans, appelé à instruire les hommes, ne refuse pas de dire ce qu’il pense des événements contemporains. « Aucun Pape, déclare-t-il, n’a plus que Léon XIII aimé la France. » Voilà qui est rudement et fièrement observé, mais il y a plus beau.

Embêté du silence de ce Pontife dans l’affaire des Arméniens et dans celle du Transvaal ; un peu aussi, je présume, dans l’affaire plus récente encore des congrégations ; excessivement embarrassé pour expliquer ce silence, il s’en tire en la façon que vous allez voir : « Pour des motifs évidemment péremptoires[45], Sa Sainteté, qui a dû pleurer des larmes de sang de ce silence obligé, s’est tue. Ah ! le pauvre Pape[46] !.

Après ça, je pense qu’il faut tirer, comme on dit, l’échelle.

Huysmans est surtout caricaturiste. C’est ce qu’on ne veut pas voir et, bien plus, ce qu’on ne veut pas dire. Mais il est sûr que les meilleures parties de ce dernier livre, les seules qui puissent être citées sans risque d’écraser d’ennui le lecteur, sont les pages, malheureusement en trop petit nombre, telles que le portrait de Mme Bavoil au commencement, celui du père Philogone Miné, celui encore de Mlle de Garambois qu’on croirait emprunté à un album de Topfer, enfin les falotes figures des châtelains du voisinage.

La caricature est la véritable vocation de Huysmans, vocation si impérieuse qu’elle peut aller, ainsi que je l’ai montré plusieurs fois, jusqu’à la caricature de Dieu, inclusivement. Dans ce dernier cas, il est caricaturiste sans le savoir, à force d’inintelligence. Un ennemi sans entrailles irait jusqu’à dire qu’il est un caricaturiste pharisien, épigramme spécieuse, très-probablement injuste. On lui a persuadé ou il s’est persuadé à lui-même qu’il a des dons lyriques de premier ordre. Il est difficile d’exprimer à quel point cette aberration est lamentable.

À la fin de L’Oblat il y a un « extrait du catalogue » de l’éditeur dont il me paraît équitable de recommander la lecture. Ce sont de prétendues coupures d’articles sur les ouvrages antérieurs, sur la Sainte Lydwine surtout. On sait que ces petites réclames sont ordinairement confiées à la plume de l’auteur, présumé plus compétent qu’un autre pour ce qui regarde la quantité de louanges que sa modestie est capable de supporter. Or, il est notifié : 1o que cette vie de sainte Lydwine est « non seulement le chef-d’œuvre de Huysmans, mais le chef-d’œuvre de toute la littérature religieuse de notre temps » ; 2o que, « depuis des siècles, depuis les temps de Pascal et de Bossuet, c’est pour la première fois qu’un grand écrivain prend la peine de traiter chrétiennement des sujets chrétiens. Son style même, est-il ajouté, y perd un peu de son amertume pour prendre une onction, une douceur charmantes ; et c’est comme si Dieu, pour récompenser l’auteur d’A Vau-l’eau de ses pieux efforts, venait brusquement de lui conférer le don de la poésie ». M. Folantin, qui montre ici le bout de l’oreille, ne se veut évidemment aucun mal.

Il y aurait peut-être à dire de Huysmans, à propos de ses trois derniers livres, ce qu’il dit du grand artiste qui a sculpté le Puits de Moïse à Dijon et qui eût été bien autrement admirable si les noms immenses des Prophètes n’écrasaient pas ses hommes de pierre. La Cathédrale, Sainte Lydwine et L’Oblat sont des livres mal étiquetés. L’auteur est un bon peintre de nature morte, il ne devrait pas prétendre à autre chose.

Psychologie curieuse et banale tout ensemble. Huysmans, qui n’aime personne et qui ne pense à personne, ni aux vivants ni aux morts, au point de n’avoir pas de compassion, même liturgique, pour les défunts dont il ne dit pas le plus petit mot ; Huysmans, que le succès a si démesurément comblé et qui semble désormais ne pouvoir admettre que lui-même en la présence de lui-même ; Huysmans enfin veut être un martyr de l’injustice. Il se confesse incapable de pardonner les longues et mortelles offenses dont il assure que quelques-uns l’abreuvèrent, alors pourtant que ce pardon, « pierre de touche de la sainteté », est promis chaque jour par tous ceux qui récitent l’Oraison Dominicale.

On pourrait lui répondre qu’une pierre de touche plus sûre serait de s’humilier, de demander soi-même ce pardon à ceux qu’on a réellement offensés soi-même et, dans son cas très-particulier, à cet homme obscur bien connu de lui, qui l’a poussé dans sa voie nouvelle, à qui, peut-être, il doit, après Dieu, sa conversion profitable et dont il a brisé, désolé la vie autant qu’il était en son pouvoir de le faire…

Finissons-en. LES CATHOLIQUES ONT TOUT MÉRITÉ. On l’a beaucoup dit et il faudrait une autre voix que celle-ci, une voix beaucoup plus qu’humaine pour le redire. Lorsque parlera ce clairon de l’abîme, « toutes les surdités voleront en éclats », selon l’étonnante expression de Victor Hugo. En attendant, la misère de ces eunuques de l’orthodoxie est si effrayante qu’il faut encore leur savoir gré d’accueillir un pareil homme. Ils ont repoussé Hello, ils ont eu horreur de Barbey d’Aurevilly, ils n’ont pas même voulu connaître Verlaine, mais ils se jettent à Huysmans, et il faut tout de même leur dire merci. C’est à sangloter.


EXTRAITS DU JOURNAL LE TEMPS


1er et 2 mai 1903.


Opinion d’un Bénédictin de Ligugé
sur M. Huysmans.


Au fond de Vaugirard, dans une maison de religieux qui sert d’hôtellerie aux moines de passage. Le parloir, où j’attends, a cette nudité de cellule qui emprunte parfois aux sites et aux horizons, au milieu desquels s’élèvent la plupart des grands monastères de province, quelque chose de leur beauté sereine, mais qui, dans l’atmosphère terne de ce quartier parisien, apparaît sous son véritable aspect de stérilité triste et laide.

Je suis venu là pour répondre à la convocation bien inattendue d’un père Bénédictin qui fut jadis mon professeur, dans une petite ville du Sud-Ouest où sa famille possède une maison de commerce assez importante. Je rends de la sorte et pour ainsi dire visite à un passé déjà lointain et qui m’est devenu, je le sens au mélancolique malaise que j’éprouve, bien étranger. Mais ce qui donne de l’intérêt à cette entrevue, c’est que le père X…, qui rejoint son couvent maintenant établi en Belgique, se trouvait à Ligugé à l’époque où M. Huysmans, confortablement installé dans une maison de campagne, auprès de cette abbaye, se donnait l’illusion de la vie monacale. Je compte bien avoir, sur ce séjour, dont on a tant parlé, des renseignements inédits. Il est en outre fort intéressant de savoir ce que les Bénédictins pensaient, eux-mêmes, de leur hôte et de sa conversion.

Après quelques instants de conversation consacrée à nos souvenirs communs, le père X… répond sans hésitation et avec une franchise toute militaire aux questions que je lui pose sur l’auteur de L’Oblat, mais en me faisant observer qu’il me donne seulement son opinion personnelle, sans que celle-ci puisse engager celle des autres religieux de son couvent.

Voici, du reste, les déclarations qu’il veut bien me faire et dont il ressort très-nettement que, contrairement à ce qu’on avait dit, dans la presse, et à ce que M. Huysmans lui-même avait laissé entendre, l’écrivain catholicisant n’a jamais appartenu à aucun degré à l’ordre de Saint-Benoît.

« Nous avons eu très-peu de rapports avec M. Huysmans qui, d’ailleurs, très-discret, n’a cherché en aucune façon à s’insinuer parmi nous, Il venait uniquement, soit pour voir le père abbé, soit pour s’entretenir avec son confesseur dont la cellule était voisine de la mienne. Je l’ai ainsi rencontré assez souvent sans avoir jamais échangé, avec lui, la moindre parole. Il assistait, tous les jours, à la grand’ messe et aux vêpres, dans la partie de notre chapelle qui était réservée au public ; deux ou trois fois l’an, il partageait notre repas, à la table des étrangers, au centre de notre réfectoire, et c’était tout. Il n’a jamais été plus avant dans notre communauté, dont il ne faisait du reste partie à aucun titre.

« En ce qui me concerne, j’ai maintes fois déploré sa présence, pour le bruit qu’elle faisait dans la presse autour de nous. C’était là une publicité de mauvais aloi dont j’ai éprouvé souvent le plus grand ennui,

« Vous me demandez ce que je pense de sa conversion et de ses livres. C’est une question qui intéresse bien des gens et qui préoccupe même très-vivement les milieux religieux, car à X…, d’où je viens, tous les prêtres que j’ai vus me l’ont également posée. Et je sentais qu’ils n’étaient pas à cet égard sans inquiétude. Dois-je l’avouer, cette inquiétude est aussi la mienne. En dépit de tout ce que l’on désirerait, et malgré la joie que nous avons eue en somme à voir venir à nous un écrivain célèbre, sa conversion ne me paraît pas avoir le caractère de détermination, de froide et calme raison, nécessaire à la solidité d’une transformation semblable. Comprenez bien que je ne mets nullement en doute la sincérité de cette conversion, je crains simplement qu’elle ne procède surtout d’une sensibilité exacerbée et d’un dilettantisme d’art qui la rendent sujette à des variations inhérentes à un esprit dominé par des impressions nerveuses.

« S’il faut même vous dire tout à fait ma pensée, j’ai grand’peur que M. Huysmans ne soit un nouveau Léo Taxil, un Léo Taxil très-supérieur sans doute, mais qui, comme le premier, se retournera peut-être, un jour, contre nous.

« Quant à ses œuvres, je parle des plus récentes, celles qui s’inspirent de sa dernière évolution religieuse, je crois que la meilleure opinion sur elles a été formulée par le père Augustin, abbé de cette trappe de Ligny où M. Huysmans fit jadis une retraite, et qu’il décrivit, dans En route, je crois, sous le nom de l’Abbaye de l’Atre, Le père Augustin a répondu ainsi à cette même question que vous me posez :

— « Les livres de Huysmans ne peuvent faire de bien qu’à ceux qui n’en lisent que de mauvais.

« Et c’est mon avis. Nous n’avons, nous, rien à y apprendre ; notre culture spirituelle n’a rien à y gagner. J’ai parcouru ces livres et ils m’ont bien souvent choqué. J’y ai trouvé d’ailleurs de magnifiques paraphrases de certaines hymnes, celle notamment consacrée au Vexilla Regis, dans je ne sais plus lequel de ses ouvrages, est une pure merveille de littérature chrétienne. Mais cela au milieu de quel fatras inutile et troublant ! Dans Sainte Lydwine de Schiedam, par exemple, de très-belles pages sur la mystique sont salies fréquemment par des images stercoraires, par un goût de l’ordure, qui n’ont rien à voir avec une inspiration saine et une compréhension droite des choses de la foi.

« Pour L’Oblat, dont nous avons lu une partie dans une revue belge, La Durandal, qui nous est parvenue, j’estime que son auteur a été très-injuste à l’égard du curé de Ligugé, qui est un digne prêtre et un fort brave homme, ainsi que pour certaines familles, pieuses et honorables, que nous connaissions et qui sont mises en cause dans ce livre. Ces personnes avaient peut-être le tort de ne pas partager ses idées sur l’art gothique et le chant grégorien. J’ajoute qu’en ce qui me concerne bien des gens prétendent m’avoir reconnu dans le père cérémoniaire dont parle M. Huysmans. C’est une erreur évidemment, car je n’ai jamais rempli la charge de cérémoniaire, et, de plus, comme je vous l’ai déjà dit, je n’ai jamais eu aucun rapport avec notre voisin de Ligugé. »

Telles sont les déclarations que le père X… a bien voulu me faire. Je les transcris ici, parce qu’elles me paraissent susceptibles de retenir l’attention de tous ceux qui ont suivi les diverses phases de cette conversion à laquelle la personnalité de l’auteur de A Rebours et de Là-bas — œuvres d’un artifice et d’un satanisme si étranges — a donné tout l’intérêt d’un cas psychologique passionnant par sa complexité. — Jean Rodes.

P. S. — Cet article était composé quand a paru dans le Bulletin de saint Martin et de saint Benoît la protestation suivante du Frère Abbé de Ligugé, contre le dernier ouvrage de M. Huysmans, L’Oblat :

« Avant la publication de L’Oblat, ouvrage annoncé depuis longtemps, et qui avait demandé de très-consciencieuses recherches à son auteur, il était permis d’espérer que cet intéressant sujet, sur lequel on attendait de si belles pages, ne serait pas gâté par un encadrement fantaisiste et des hors-d’œuvre déplacés, dans lesquels figurent, en relief, des personnages grotesques ou ridicules, représentant des moines et autres personnes respectables.

« Des dignitaires ecclésiastiques, faussement accusés, ne sont pas mieux traités que certaines feuilles honorables, de tout temps dévouées à notre monastère.

« Le masque des altitudes et des personnes, des noms et des lieux, ne pourrait manquer de piquer une curiosité favorable au succès du livre.

« Pour plusieurs raisons, faciles à deviner, ce sont les moines, plus que tous autres, qui avaient lieu de se plaindre de cette publication, regrettable au point de vue qui nous occupe. Cependant j’estimais que le silence convenait mieux que la plainte.

« Mais du moment que la presse libre-penseuse elle-même prend plaisir à démasquer la réalité des personnes et des situations, j’ai cru que l’honneur m’imposait le pénible devoir de protester contre des insinuations mal fondées.

« Fr. J.-B., Abbé,

« O. S. B. »


Paris, 1er mai.

Monsieur le directeur,

Vous avez publié, dans votre numéro d’hier, une interview d’un moine de Ligugé sur mon compte. Permettez-moi de croire que votre bonne foi a été absolument surprise et qu’aucun religieux de cette abbaye n’a tenu les propos qui furent rapportés. Ils sont, en tout cas, si parfaitement antimonastiques qu’il ne me resterait qu’à plaindre le moine qui les aurait commis.

En ce qui concerne la protestation de l’abbé de Ligugé contre mon volume L’Oblat, je n’ai pas cru devoir, depuis un mois, y répondre, par charité et par déférence pour sa personne. Elle me demeure, d’ailleurs, incompréhensible. Il est, en effet, spécifié, à diverses reprises, dans L’Oblat, que le monastère du Val des Saints, situé en Bourgogne, est différent du monastère de Ligugé, sis en Poitou.

Je ne vois pas très-bien dès lors pourquoi l’abbé de Ligugé veut reconnaître dans les bons moines de mon livre, les siens.

Cela dit, cette protestation ne sert, selon moi, qu’à justifier l’observation, notée dans le volume, qu’il existe un microscope spécial dans les cloîtres qui change tous les fétus en poutres ; et l’on est amené à se demander, en s’apercevant que les Bénédictins n’admettent aucune critique, si légère fût-elle, et ne veulent accepter que des adulations et des éloges, si le support dudit microscope ne s’appellerait pas, de son véritable nom, le manque d’humilité ?

Voilà, n’est-il pas vrai, un sujet de méditation tout trouvé, pour occuper ces moines.

Et puis… et puis… tous ces potins de province n’empêcheront pas heureusement que l’abbé de Ligugé — que personne ne confondra, il peut être tranquille, avec l’abbé du Val des Saints — ne demeure un brave et digne homme, et que le baron des Atours ne reste très-ridicule.

Agréez, etc.

J. K. Huysmans



V

PAUL BOURGET

de l’Académie Française.


I


Non intrabit eunuchus, attritis vel amputatis testiculis et abscisso veretro, Ecclesiam Domini.

Deut., xxiii, i.


Dans l’été de 1877, un peu après le fiasco de la conversion de Jean Richepin, raconté dans un de mes premiers livres[47], il m’arriva de rêver que l’auteur de L’Étape et de Cruelle Énigme qui n’était, à cette époque, l’auteur de rien du tout, mûrissait en silence comme un fruit suave que l’Église n’avait qu’à cueillir. Je travaillais alors dans les conversions. Richepin m’ayant échappé, il me fallait une autre proie.

Une lettre éperdue informa donc Paul Bourget que je l’attendais, à 6 ou 7 heures du matin, à Saint-Sulpice, et il fut exact. Une harpe, ici, ne serait pas inutile. J’avais espéré l’enlever du coup. Le rendez-vous était à cette chapelle des Saints-Anges si horriblement peinte par Delacroix et j’avais averti le père Milleriot.

La génération actuelle ignore le père Milleriot qui ne paraît pas avoir laissé de successeur ni d’imitateur. C’était un vieux jésuite âgé de plus de quatre-vingts ans, ancien sous-officier de cavalerie vers le temps de la conquête d’Alger et confesseur, par vocation spéciale, des plus dangereux malfaiteurs. On devine qu’il était le mien. Je crus qu’il pouvait être aussi celui de Bourget, comme il avait été auparavant celui de Richepin.

Par malheur le pauvre bonhomme, qui n’avait pas pour un sou de psychologie et qui venait de rater si complètement le poète de La Chanson des Gueux se trompa plus irrémédiablement encore avec l’impuissant rimeur d’Edel. Le dandysme de Paul fut décontenancé au delà de toute expression par ce vieux prêtre qui l’accueillait, dès la première minute, comme il aurait accueilli un souteneur pénitent ou un assassin touché de la grâce. J’avais à peine eu le temps de lui expliquer mon stratagème inspiré par l’ambition de le précipiter au sacrement.

La scène fut ce qu’elle pouvait être, grotesque à faire tomber les bras aux imaginatifs et aux intuitifs. À ce confesseur opiniâtre qui le traitait de « petit cochon » et qui voulait à toute force l’enfourner dans son confessionnal, au-dessous des quatre pieds du cheval d’Héliodore, Bourget opposa de gémissants apophtegmes et des plaintes lyriques sur l’extinction de la foi dont il était une des plus ondoyantes victimes. Enfin il lui échappa.

Je fus, quelque temps, inconsolable de cet insuccès. Bientôt, cependant, les Essais de psychologie me découragèrent tout à fait et la vilenie rare de l’individu me dégoûta. J’ai raconté ce vieil épisode pour les personnes qui seraient curieuses de la première rencontre de Bourget avec le Catholicisme, dont il est maintenant le soutien.

Il a eu, depuis, bien des aventures. Devenu, de très-bonne heure, le Psychologue d’entre les castrats, cet adolescent élégiaque de peu de génie, mais adamantin par le cœur, n’ambitionna pas ouvertement et du premier coup les rôles fameux. Nemo repente fuit turpissimus. Avec sagesse il se fit l’auscultateur et le charmeur des femmes du monde, heureusement incapables de s’assouvir des rassurantes pâmoisons qu’il leur procure.

Pierre Corneille affirmait, un jour, avec une grande énergie, que les femmes sont naturellement inaptes à la production d’un chef-d’œuvre. « Il leur manque quelque chose », disait-il. C’est évidemment le cas de Paul Bourget. Ayant eu souvent l’occasion de m’occuper de cet icoglan, je croyais en avoir tout dit.

« La logique humaine, écrivais-je en 92, se fût révoltée en poussant de sauvages cris, si Paul Bourget n’avait pas été le disciple et l’admirateur de Renan. Il y a, dans ses sablonneux Essais, un chapitre sur la « sensibilité » de cet hydropique de satisfaction. Si l’histoire littéraire du dix-neuvième siècle est jamais écrite cette page de crocodile sera recueillie comme un trésor.

« Tout en l’auteur de la Vie de Jésus devait exciter jusqu’à l’éréthisme le compilateur d’effluves et de simagrées que l’idiotie des gens du monde a élu Psychologue. Ce que les naïfs ont appelé la bonhomie de Renan devait surtout agir avec une puissance extrême, et la fameuse déclaration de l’égoïste se félicitant d’avoir vécu dans le plus « amusant » des siècles a dû certainement lui paraître le comble de la finesse malicieuse et de l’ironie débonnaire.

« Que n’eût-il pas fait pour égaler les flaccidités et les langueurs de cette forme gélatineuse qui échappait si bien à l’étreinte et qui eut toujours l’air de trembloter sur l’esprit du vieux farceur comme le fromage de tête de cochon sur la galantine !

« Lorsque Bourget ose écrire, par exemple, que « ce n’est pas le manque d’argent qui fait que les pauvres sont les pauvres, mais que c’est leur caractère qui les a faits tels et qu’il est impossible d’y rien changer », ne dirait-on pas que c’est Renan lui-même, le suave Renan qui s’exprime ainsi ?

« Ah ! ils se seront tous les deux rudement fichus de la douleur et des douloureux de ce monde assez renégat pour les applaudir ! Âmes légères et pieds de plomb pour l’écrasement des chétifs, quand la terre aura roulé quelque temps encore, ils seront descendus si bas que les esprits souterrains eux-mêmes ne sauront plus où les retrouver.

« Mais un chien sur pattes vaut mieux, dit-on, qu’un académicien enterré, et le délicieux Bourget m’intéresse encore. Je crois être sûr que les dames resteront fidèles à un charmeur si peu dangereux et que même l’infernal ennui de ses écritures ne prévaudra pas contre le sortilège précieux de son impuissance. »


II


Eh bien ! la matière n’est pas épuisée. L’évolution religieuse de Narcisse vieillissant nous met en présence d’une cocasserie imprévue. De même que la conscience du monde catholique réclamait un poète gâteux, si heureusement obtenu en la personne de François Coppée, de même ce monde brûlant d’amour et de générosité guerrière sentait le besoin d’un écrivain bistourné qui réfrigérât ses ardeurs. La fibule intellectuelle du Psychologue le désignait à tous les espoirs. De bonne grâce, il s’exécuta, et L’Étape vit le jour.

Mais ce romancier sans muscles ni cartilages n’ayant pas précisément le génie des titres se vit forcé d’emprunter à un autre pauvre. En Route suggéra L’Étape ; consécution qui ne paraît pas avoir été suffisamment remarquée. Il est aisé de prévoir, dès à présent, que les bouquins à venir s’intituleront carrément : « L’Église paroissiale », « La Vie des Saintes Femmes du monde », enfin « Le Néophyte » ou « Le Catéchumène », pour correspondre à La Cathédrale à Sainte Lydwine et à L’Oblat. Les dames ne connaîtront plus leur bonheur.

Pour la centième fois, les épouses parfumées du haut négoce « le regarderont comme si elles étaient surprises par ses discours. Elles auront dans les yeux cet étonnement ravi et involontaire de la femme quand elle rencontre soudain chez un homme l’expression inattendue d’une nuance sentimentale qu’elle croyait réservée à son sexe[48] ».

Alors, il lui suffira, comme auparavant, d’en appeler aux « âmes fines » et aux « personnes distinguées », c’est-à-dire, au fond, à tous les gens riches dont « l’opinion, même erronée, n’est pas négligeable » et pour lesquels, exclusivement, il s’est fait, depuis tant d’années, l’habitude pieuse « d’étudier la genèse, l’éclosion et la décadence de certains sentiments inexprimés ». Ah ! ces intelligences délicieusement impondérables et nuancées le comprendront !

Un jour il inventa « le sens du scrupule »[49] en vue d’exprimer l’embarras ou le débarras — je ne sais plus très-bien — d’un penseur qui tenait à « s’estimer tout à fait ». Il y a bien dix ans de cela. Je me rappelle avoir plusieurs fois relu ces mots vraiment prodigieux, et je me demande si son actuelle tendance catholique est favorisée ou entravée par le sens du scrupule, s’il est parvenu, de manière ou d’autre, à s’estimer et combien il s’estime. Les créatures exquises pour lesquelles il ne se lasse pas d’écrire savent peut-être ces choses.

Elles l’ont suivi sans corset, presque en peignoir, avec une confiance en pantoufles, sûres que cet apôtre agréable ne les fatiguera pas et ne les mènera jamais bien loin. Quelles délices d’être chrétiennes avec lui et comme lui ! Et combien le Règne de Dieu en est avancé ! Le Règne de Dieu sans surnaturel, juste à la hauteur et à la portée de ces jolis animaux ! Le Règne de Dieu avec la richesse et les joies mondaines, avec les bals, et les toilettes, et les spectacles, et les châteaux, et surtout avec le mépris des pauvres, le vomissant et sempiternel mépris des pauvres !

À défaut d’aristocratie dont il est lui-même, hélas ! très-indigent, Bourget veut, au moins, un long passé d’opulente bourgeoisie. « Depuis cent ans, dit-il pour conclure, notre pays a cru à la toute-puissance du mérite personnel et que l’on peut brûler l’étape ». Brûler L’Étape ! Il est clair que l’on peut en faire autre chose. Que ce modeste calembour me soit pardonné !


III


Et maintenant voyons ce livre dont on peut faire ce que j’ai dit, examinons-le avec soin, malgré l’ennui sombre, puisque, jusqu’à ce jour, c’est par ce seul livre que Bourget est une Colonne de l’Église.

Deux choses me frappent d’abord. Primo, Bourget n’écrit plus du tout. Secundo, tout son catholicisme tient dans une demi-douzaine de phrases du vieux de Bonald.

Pour ce qui regarde la première affirmation, que penser d’un auteur, académicien ou non, qui s’exprime ainsi : « Ce fut sur cette résolution qu’il se coucha,… ce fut sur elle qu’il se releva… ; se rencontrer en face de quelqu’un ; s’enivrer d’expectative… ; on paie bien cher ces accès d’espérance morbide, véritables intoxications produites par le surmenage émotif et qui trahissent un déséquilibre total, une incapacité pour l’esprit de se mettre soi-même à un cran d’arrêt… ; Goethe et Marc-Aurèle, génies vraiment cosmiques… ; le séminaire laïque de la rue d’Ulm… ; le respect du devoir professionnel avait toujours empêché M. Ferrand de transformer son cours de philosophie en un instrument de propagande. » Un cours transformé en un instrument ! Sera-ce une seringue ou une guitare ?

Ces citations ont été prises à la volée, le long de 515 pages. On pourrait les multiplier incroyablement et je crois qu’une lecture malicieuse m’en aurait fait découvrir de plus étonnantes. Serait-ce qu’il faut écrire comme cela pour n’être pas mis à la porte de l’Académie ? Toute espérance de style et surtout d’imagination dans le style doit donc être abandonnée[50].

Pour ce qui est de la pensée pure, de ce que l’on appelait autrefois l’entendement, quand on s’entendait soi-même, c’est à pleurer. Il serait assurément très-louable, surtout au début de la vie intellectuelle, de suivre de Bonald qui fut un bon discoureur de philosophie et qui a laissé des pages fortes sur l’Origine du langage, la Théorie du pouvoir et le Principe constitutif des sociétés, mais qui fut cartésien par Malebranche, comme tant d’autres esprits recommandables, croyant tout expliquer « par les seules lumières de la raison ».

La Raison invoquée par de Bonald, ai-je besoin de le dire ? n’est pas celle de saint Thomas et de tous les théologiens sans exception. Elle est « le développement du sens critique et rien que cela », dit Bourget, son très-bon élève. La vision particulière de de Bonald exclut donc le surnaturel, et ses disciples, quelque chrétiens qu’on les imagine, sont aussi mal placés que possible pour apercevoir Notre Seigneur Jésus-Christ.

Cela suffit pourtant, je ne dis plus à des intelligences, mais à des âmes comme celle de Bourget qui n’a dû jeter autour de lui ce catholicisme — comme certains poulpes jettent leur liqueur noire — qu’afin de pouvoir nager sans péril dans certains milieux. Que reste-t-il alors du Sang Précieux, et quel peut bien être, dans ce bavardage, la part de la Bienheureuse Marie toujours Vierge, de saint Michel Archange, de saint Jean-Baptiste, des saints Apôtres Pierre et Paul et de tous les Saints, la part de l’Eucharistie, la part de la Mort et celle du Paraclet redoutable ? Arrivé au point précis des pratiques sacramentelles, c’est à peine si le pauvre de Bonald peut encore être deviné tout au fond de l’horizon, dans un arrière-plan de ténèbres, parmi les citernes dissipées et les gouffres noirs.

« Le père Monneron n’avait pas eu besoin de la vie religieuse pour être un honnête homme. » Voilà le fond. Une pharmacie pour les indigents avec une sonnette de nuit pour administrer ceux qui agonisent, c’est à peu près tout ce que représente le catholicisme bonaldien dans la vie privée…

Ce Joseph Monneron, le héros de L’Étape, le protagoniste essentiel dont l’auteur a voulu faire une espèce d’homme de Plutarque, est indiscutablement le plus vieil idiot qui se puisse voir. « Le Dieu qu’il avait offert aux besoins religieux de sa fille et de ses fils, ç’avaient été « le postulat de la Raison pratique », « le substratum mental de la Justice immanente », la « catégorie de l’Idéal », toutes conceptions éminemment philosophiques, admirablement dégagées de la souillure des superstitions. » Il est la forteresse d’athéisme et de rengaine révolutionnaire que doit renverser la balistique du démonstrateur de l’Origine du langage.

Triomphe peu difficile. La haine la plus retorse n’inventerait pas un bonhomme aussi éculé. C’est inouï. Le prodige, c’est que Bourget a voulu en faire un héros, comme je viens de vous le dire, un véritable héros, non de roman, mais d’épopée. Le sage bonaldien qu’il lui oppose, et qui finit par le terrasser, a surtout l’avantage d’être riche, — ce qui est absolument décisif pour un penseur tel que Bourget. Si les deux pouvaient n’être qu’un, tous ses vœux seraient comblés, on le sent bien, et c’est pour cela qu’il les réconcilie invraisemblablement à la fin.

Ce n’est pas plus bête qu’autre chose. Ces deux fantoches ont un lien profond, étant, l’un et l’autre, universitaires. Quelque sujet qu’ils puissent avoir de se haïr, ils ne sont pas divisibles à l’infini. Tout supin les rapproche et tout gérondif les convie à pleurer ensemble. Le roman finit donc par un mariage et un nombre indéterminé de conversions.

Rien de subalterne comme le Bon Dieu dans ces histoires-là et rien de plus facile à résumer. Joseph Monneron n’a pas fait baptiser ses enfants pour qu’ils fussent « libres de choisir » plus tard. Bourget, qui a besoin d’un homme de Sparte, n’hésite pas à nous présenter comme très-plausible cette couillonnade. Il arrive alors que les enfants de notre imbécile, élevés d’une manière atroce, tournent fort mal, à l’exception d’un seul, dont la vertu est indispensable pour la thèse.

C’est ici que Bourget promulgue, si j’ose ainsi dire, son admirable inintelligence. Les plus pauvres gens qui soient au monde, si un atome de christianisme est en eux, ont horreur d’un homme qui n’a pas été baptisé. C’est un monstre dangereux qui les épouvante. Ils ont raison. Dans une société supposée chrétienne, les non-baptisés doivent paraître des espèces de jumarts engendrés par des incubes et ne se montrant au milieu des hommes que pour présager des calamités irréparables. Un écrivain, je ne dis pas supérieur, mais de tradition, comme voudrait l’être Bourget, et dont les empreintes cérébrales ne ressembleraient pas à des rognures de toupet ramassées dans la boutique d’un coiffeur, aurait au moins essayé de faire voir le lige des démons dans le détriment mystérieux et redoutable de son influence. C’eût été tragique et beau comme la Vérité.

L’Étape est beaucoup plus humble. C’est un livre où chacun est comme tout le monde, à commencer par les personnages qu’on voulut extraordinaires, à commencer par l’auteur lui-même dont la seule originalité paraît être d’avoir outré la ressemblance de lui-même avec n’importe qui. Ainsi qu’on devait s’y attendre, cela finit par le grand prix de Bonald décerné à la vertu et par la médiocre punition du vice. Au résumé, nous sommes en présence d’une colonne plutôt dangereuse, en ce sens qu’elle n’arrive pas tout à fait à la hauteur et que la partie d’entablement qu’elle doit soutenir est forcée de se casser légèrement pour la joindre. Je pense qu’il ne faudrait pas le bras de Samson pour jeter par terre cette architecture.


IV


« Je saurai porter ma croix. » Cette parole si originale est la seule parole nettement catholique de L’Étape. C’est l’effort suprême de Bourget. Il serait injuste et cruel de lui demander davantage, d’autant plus qu’elle est proférée par la « fine créature » qu’on est certain de rencontrer dans chacun des romans du Psychologue. Le catholicisme, d’ailleurs, puisqu’on voulait du catholicisme, eût été impossible sans elle. On ne se représente pas un roman de cet auteur orienté ou réglementé par une créature sans finesse et privée d’argent.

Le mot argent me rappelle fort à propos qu’il est temps de congédier une religion dénuée de splendeur pour nous occuper résolument des solides vues philosophiques dont elle a été le prétexte jusqu’ici. Occasion de revenir une dernière fois au vicomte de Bonald.

On sait que ce gentilhomme appuyait tout l’ordre social sur la Famille chrétienne continuée, c’est-à-dire l’Aristocratie. Idée simple et belle, mais centenaire, combien de fois ! dont Bourget fut ébloui. Ce malheureux, inconsolable d’être venu au monde fils de pion, alors que le Bon Dieu aurait si bien pu le faire naître vicomte ou archiduc, a fort heureusement étendu la doctrine.

Puisqu’il ne s’agit, en somme, que du « principe de continuité », pourquoi les cuistres ne seraient-ils pas nobles à leur manière, s’ils ont été cuistres de père en fils et surtout s’ils ont eu la gloire d’amasser une quantité raisonnable de métaux précieux ? Car il y a cette différence entre la noblesse antique et la moderne que la première versait son sang dans les batailles et que la seconde verse des pièces de cent sous dans ses coffres-forts.

Cette question est très-convenablement élucidée par notre auteur. Il a des mots, des cris de diamant, si j’ose dire. Exemple : « Une somme importante ne doit pas être avancée à un jeune homme sans capital. » Ah ! que le voilà bien ! comme disait Renan. S’il s’agissait d’un vieux, par parenthèse, persuadez-vous que ce serait exactement la même chose. Lorsque Ferrand, le cuistre riche et, par conséquent, bonaldien, prête si généreusement cinq mille francs au fils désespéré du cuistre pauvre, soyez sûr que l’auteur a senti, avant tout le monde, l’énormité de ce mouvement et qu’il s’est dit à lui-même dans le style qui convenait : « Ce n’est pas bibi qui fera jamais une pareille gaffe ! »

Il y a, de la page 185 à la page 187, un certain endroit sur les chèques et la manière de s’en servir qui m’a fait rêver et que je recommande à l’attention des philosophes.

Paul Bourget et les chèques ! C’est stupéfiant, quand on l’a connu, rue Guy-de-la-Brosse, il y a vingt-sept ans. À cette époque, il ne parlait pas de « l’expérience séculaire de ses morts », patois bizarre qui l’eût épouvanté, et je ne me souviens pas de l’avoir entendu proférer ceci : « Je ne peux pas vivre sans mes morts », parole qui pourrait être sublime si elle portait sur le dogme de la Communion des Saints, mais qui, dans telle autre acception philosophique, est affreusement dénuée de sens.

Pauvre Bourget ! Pourquoi ne voulut-il pas se confesser alors, quand il était sans argent ? Obtiendra-t-il maintenant de se traîner à la pénitence, avec ce boulet épouvantable ?

Il y a, tout à la fin de son livre de misère et lui servant de conclusion, une phrase qui sera lue par une voix haletante, un soir de terreur, quand les quatre coins du monde seront en feu : « Vous pouvez fonder une famille bourgeoise parce que vous n’êtes pas de la première génération. Il en faut plusieurs. » Si ces mots ont un sens, ils veulent dire que deux pauvres n’ont pas le pouvoir ni la permission d’engendrer des Saints et de dilater ainsi le Royaume de Jésus-Christ.

Ces choses, Bourget, ne sont pas dans l’Évangile, pas même au dix-neuvième chapitre de saint Matthieu, où il est parlé des « eunuques qui se sont châtrés eux-mêmes à cause des cieux ».


i


VI

QUELQUES AUTRES


Partout où il y a un imbécile, il y a du danger.


Après ceux qui précèdent, il ne reste plus que du gratin et il faut un fier courage pour s’en occuper. C’était méritoire déjà, combien méritoire ! Songez que, pour le chrétien qui pense, pour le spiritualiste, ces gens-là ne pouvant être que les apparences, les formes visibles d’invisibles entités, il y a lieu de compter sur une présence redoutable derrière chacun de ces fantômes.

Essayez de ramasser, par exemple, Coppée ou Didon, de condenser, de solidifier, par l’effort d’une méditation surnaturelle, ces opaques et décevantes ombres humaines. Si ce grand pouvoir vous est accordé, vous aurez une aperception telle quelle de ces bougres effrayants : un Brunetière véritable, un Huysmans rationnel, un Paul Bourget dans la pensée divine ! N’est-ce pas à prendre la fuite en poussant des cris ? Tout le temps que j’ai parlé d’eux, essayant d’expliquer leurs livres affligeants, il m’a fallu subir de terribles accointances, Dieu le sait ! Eh ! bien, j’en ai assez.

D’ailleurs, ceux qui restent ne pourraient pas, sans un abus intolérable de la métaphore, être nommés des « colonnes ». Tout au plus des colonnettes ou même de simples tuyaux de descente aboutissant à l’égout. On me signale Drumont et quelques autres de même espèce. Raca. D’abord, ils n’appartiennent à aucune littérature, même de mulets. Puis, s’il me fallait m’occuper des hommes politiques, où en serais-je et quelle ordure deviendrait mon livre ? Il faudrait nommer Arthur Meyer, Cassagnac,… Rochefort ! Ce serait inouï !

Cependant, je reconnais que ma colonnade manque de multitude. Je n’y peux rien. J’avoue aussi que mes trop rares colonnes sont de hauteurs inégales, que quelques-unes sont penchées ou déjetées et même qu’il y en a dont l’équilibre ne s’explique pas. Mais je n’ai pas vanté avec enthousiasme cette architecture. Je n’ai pas dit qu’elle était capable de défier les ouragans et les cyclones. Mon rôle excessivement humble est à peine celui d’un photographe. Finissons-en.


Henryk Sienkiewicz est un furieux Polonais. Parfaitement inconnu en France, il y a quelques années, la célébrité complète, étourdissante, lui fut acquise d’emblée par un seul roman. J’ai sous les yeux un exemplaire daté de 1901 et portant : Deux cent dix-septième édition ! Le chiffre de trois cents est aujourd’hui probablement dépassé.

Ce succès paradisiaque et sans précédent, que Zola lui-même, le Dieu du Tirage, n’obtint pas, ne peut s’expliquer que par une dépression inouïe de l’intelligence contemporaine et un renouveau simultané de sentimentalisme chrétien. Ah ! je sais bien que ces mots eux-mêmes auraient un sacré besoin qu’on les expliquât, mais ils ont du moins la valeur de locutions privatives et c’est assez pour qu’on les comprenne.

D’une manière générale, on peut dire que tout énorme succès de livre, de même que toute grandiose réussite industrielle est une chose de protestantisme. Tout livre sot est protestant et plus il est catholique, plus il est protestant. La sottise est un reniement bien plus profond qu’on ne l’imagine, égal et consubstantiel en sa profondeur à la colossale iniquité du Mammon américain qui met, dans la main fermée d’un balourd, la subsistance de cinq cent mille hommes.

Quo Vadis ? a eu des admirateurs nombreux dans le clergé catholique français et il s’est trouvé des prêtres pour le citer en chaire, en même temps que des pasteurs ou ministres protestants le propageaient. Impossible d’imaginer une plus déshonorante condamnation. Il y a un saint Pierre et un saint Paul calculés sinon par l’auteur conscient, du moins par la sottise polonaise et congénitale de ce malheureux, pour enivrer à la fois les catholiques modernes, les hérétiques, les schismatiques, les juifs et les idolâtres. Si ce n’est pas là jeter aux chiens le Pain des Anges et le Pain des Fils dont il est parlé dans la Prose du Saint-Sacrement, je renonce, dès aujourd’hui, au sens des mots. Or, il y a environ neuf cent quatre-vingt-dix-neuf catholiques sur mille qui sont persuadés que Sienkiewicz est une puissante colonne de l’Église universelle.


Après celui-là, de qui vais-je parler encore ? Je suis ivre d’ennui, très-profondément découragé. On me signale deux livres dont les titres seuls me décrochent la mâchoire : Campagne nationaliste par Jules Soury et La Crise religieuse par le Père Vincent Maumus.

Le premier, ancien élève de Renan, fut naguère, parmi les ennemis du christianisme, un des plus fétides. Quand je dis fétide, je parle aussi exactement que je peux. Aucun autre mot ne remplacerait celui-là. Les pages de cet auteur puaient littéralement. Je me rappelle une Vie de Jésus publiée, il y a environ vingt-cinq ans, où le Rédempteur était expliqué par la physiologie la plus bassement sacrilège. Ce blasphème de carabin purulent et imbécile ne sera jamais dépassé.

Je n’ai pas l’objet sous la main, je pense même qu’il est dangereux de garder chez soi de telles ordures, mais il me revient que l’auteur présentait le Génie comme une maladie honteuse aboutissant au gâtisme. Or, l’exubérance de la santé de ce penseur et l’excès de sa bienveillance ne lui permettant pas de discerner en Jésus autre chose que du « génie » (!) vous voyez où tendait ce raisonnement d’inimaginable crétin.

C’était moins fécal, si on veut, que Voltaire expliquant, par une constipation opiniâtre, le Don divin ; mais la physiologie de clinique ou d’amphithéâtre et la phraséologie monstrueuse qui en découlait — comme les liquides affreux d’un corps sur une table de dissection — donnaient la transe de quelque chose qui eût été plus abominable…

Voilà donc un de ceux qui prétendent soutenir l’Église et sur qui la pauvre Église veut s’appuyer. Si, du moins, ce Soury pouvait être appelé un converti, il faudrait, en étouffant des rugissements, se faire à l’idée que Notre Seigneur l’a reçu en grâce, malgré ses outrages ou plutôt à cause de ces outrages. Mais nous sommes loin de compte. Auprès de lui les Coppée et les Bourget sont des Longin ou des Abénadar foudroyés sur le Calvaire, et Huysmans est un Bon Larron crucifié, récipiendaire « aujourd’hui » à l’Académie du Paradis.

« Selon moi, dit-il, le phénomène subjectif appelé conscience est une propriété générale du protoplasma des protophytes et des protozoaires aussi bien que des cellules associées en tissus des métaphytes et des métazoaires[51]. » Il est difficile d’être plus clair, d’affirmer plus limpidement le catholicisme, on en conviendra.

Autre citation d’une science moindre, mais aussi concluante : « La science méprise comme un outrage d’esclave, d’ilote ivre, ces mots de « surnaturel » et de « miracle »… Nous laissons le surnaturel aux sauvages et aux barbares. » Le fier logicien, peu différent de Brunetière, qui est dans la peau de Soury veut un catholicisme sans dogmes et sans sacrements, c’est-à-dire un catholicisme identique au protestantisme. Voilà l’Église rudement soutenue et on peut concevoir l’allégresse de ses pontifes. Major sycophanta in vita sua suffulsit domum et in diebus suis corroboravit templum.

C’est si beau qu’on m’en voudrait de ne pas citer encore ces idioties incomparables : « Si l’athée ne croit pas ce que croient ses frères, ce n’est pas par orgueil, mais par humilité (!) ; il connaît mieux les limites de son intelligence (sic), l’infirmité de sa raison, la profondeur de son néant. » Vingt lignes plus loin : « Je ne voudrais pas d’une éternité bienheureuse qui me serait octroyée par le don d’une grâce[52] et d’une miséricorde infinie et que je n’aurais point su conquérir… J’avoue ne point connaître le désespoir des athées dont parle Pascal. Je sais ma misère, mais je sais aussi me passer du Rédempteur. » Dieu soit béni à jamais, tout peut crouler, de tels exemples d’humilité ne seront pas perdus ! Essayez, cependant, de vous représenter la colique de ce philosophe apprenant, un jour, que le Rédempteur ne pouvait pas se passer de lui.

Quelques lignes encore, je t’en conjure, ô postérité du Chien d’Alcibiade !

« Mon corps sera porté à l’église paroissiale, comme j’en ai exprimé la volonté dans mon testament, et, d’avance, je rends d’humbles actions de grâce au prêtre qui daignera lire devant la bière où je serai enseveli, les prières des morts. Mais que l’on ne répète pas que, moi aussi, j’ai reçu les derniers sacrements, car je suis incapable d’un si grand sacrilège (???). Que si, agonisant ou décédé (!), le prêtre arrive jusqu’à moi et fait le simulacre des rites de l’Extrême-Onction, je proteste d’avance… La religion consiste moins, à mon humble avis, dans la croyance aux dogmes et à la révélation que dans la règle de vie, dans la conscience morale des générations façonnées par la tradition de l’Église catholique, apostolique et[53] romaine, Église où je suis né et où je mourrai. »

Admirable conclusion ! — Je suis de cœur avec tous les hérétiques et schismatiques, dont je viens de réavaler devant vous le séculaire vomissement ; mais, tout de même, je prétends crever dans le giron de l’Église Romaine que je soutiens comme une ferme colonne.

Les âmes pieuses me sauront gré de leur avoir détaillé les élégances de ce balustre.


Arrivons au père Vincent Maumus. Il y a longtemps que je pleure sur la Maison de saint Dominique devenue si facilement un mauvais lieu, aussitôt après Lacordaire et en suivant sa doctrine. J’ai passé une partie de ma vie, la meilleure peut-être, à raconter le déshonneur de cet Ordre ancien qui fut celui de la Sainte Vierge, il y a une demi-douzaine de siècles, quand les Didons d’autrefois, très-dociles sous la main, puissante alors, des supérieurs, s’utilisaient en gardant les porcs et en nettoyant les latrines de la Communauté.

Quand on sait ce que fut le père Didon, c’est terrible de se demander ce que peut bien être sa raclure. Le père Vincent Maumus est à faire peur. Ayant demandé instamment d’être délivré de ce redoutable imbécile, l’idée m’est venue de reproduire sans commentaires quelques alinéas d’un excellent article de M. Demolins dans le Pays de France. Cette revue, publiée à Aix-en-Provence, est une des meilleures qui soient, et M. Demolins est une espèce de prodige. Affirmation qui ne paraîtra pas excessive quand on saura qu’il s’agit d’un catholique moderne capable de discernement et de virilité ! Franchement, je n’en vois pas d’autre, du moins à cet étage d’intellectualité supérieure.

Si nous étions à une époque normale, je n’hésiterais pas à prédire à M. Demolins un ascendant extraordinaire dans le plus prochain avenir. À notre époque, je ne peux lui pronostiquer que l’ignominie et les supplices. Je lis cet écrivain comme on boit un vin puissant et je songe à la solitude méritée d’un tel penseur.

« La Crise religieuse est écrite par un religieux dominicain non défroqué — cette indication me paraît indispensable — et publiée avec l’approbation des supérieurs de l’Ordre. Elle doit donc être l’œuvre d’un homme essentiellement croyant et pratiquant ; le père Maumus proteste, d’ailleurs, de sa soumission à l’Église et de sa foi catholique. Mais, en dehors de cette déclaration — de style, comme on dit dans le langage judiciaire — il est difficile de trouver une plus complète inintelligence des traditions, de l’esprit, de la discipline de l’Église catholique. Le livre entier est d’ailleurs écrit avec cette érudition et cette logique toutes spéciales aux discours pour réunions publiques. C’est, en effet, la seule explication possible d’une telle insanité que de la considérer comme un produit de la littérature pour périodes électorales. Pour l’honneur de l’Ordre de saint Dominique, j’aime mieux y voir l’œuvre d’un fumiste que celle d’un imbécile ; mais, dans tous les cas, nous nous trouvons en face de ce dilemme inquiétant : Cet être, qui a reçu l’initiation sacerdotale, est un niais ou un malhonnête homme.

« Je sais bien qu’une telle appréciation est plutôt vive, formulée par un laïque sur un prêtre. Mais, en conscience, c’est tout ce que mérite ce livre. Que l’on en juge. Le père Maumus, après avoir déclaré « Qu’il faut être de son siècle » (juste le contraire du nolite conformari huic sæculo), nous révèle que l’Église est en décadence pour n’avoir pas suivi le « progrès » et l’évolution des idées. Il faut, pour lui rendre sa puissance sur les âmes, que ses ministres parlent un langage qui n’effarouche pas leurs auditeurs ; il faut qu’ils adoptent leurs vocables et leurs idées, il faut qu’ils conforment leurs pensées et leurs mœurs à celles des hommes qu’ils sont chargés d’instruire[54].

« Or, il y a un dogme universellement reconnu aujourd’hui : celui des « Droits de l’homme », des grands principes, de la Révolution, de la Démocratie. Donc que l’Église prêche hardiment les « Droits de l’homme » et se fasse démocrate-révolutionnaire. D’ailleurs les régimes anciens ont été de terribles persécuteurs. Pendant les « siècles féroces » du Moyen âge comme pendant les « siècles de misère » qui ont suivi, l’Église fut traquée et persécutée par tous les Rois, tous les Empereurs, tous les nobles. Enfin l’aurore des siècles nouveaux lui a apporté la paix et la liberté, et la troisième République, en réalisant intégralement les principes révolutionnaires, a donné au catholicisme sa splendeur définitive. « Soyons donc les serviteurs dévoués de la démocratie, etc. » C’est la conclusion du livre.

« Inutile d’insister sur la partie historique. Le père Maumus doit, comme M. Floquet, d’illustre mémoire, puiser son érudition dans le Larousse. Il y a pourtant laissé de bien belles choses qu’il aurait pu nous raconter sur les horreurs de l’Inquisition, par exemple, mais il convient de relever l’erreur métaphysique. Si sotte qu’elle soit, elle a, en effet, une grande importance à cause même de la personnalité de son auteur. Elle eût été toute naturelle sortie du cerveau de Jaurès ou de Combes ; mais elle est une monstruosité sans précédent, écrite par un prêtre et par un moine…

« Il est absolument et rigoureusement exact que le dogme de la Souveraineté du peuple, les Droits de l’homme et la Démocratie sont essentiellement opposés non seulement au dogme catholique, mais encore à toute conception religieuse, et ne peuvent s’accorder logiquement qu’avec l’athéisme rationaliste le plus complet. D’où je conclus encore que l’auteur du livre, prêtre et moine, ne peut être qu’un incroyant, ou un menteur, ou un sot…

« Au point de vue politique, le père Maumus retarde terriblement. Jamais les Droits de l’homme ne furent en aussi grand discrédit… Le clergé démocrate est la pire épreuve du catholicisme. Une formule de Lacordaire, amoureusement citée par Maumus, nous initie à la bassesse d’âme de ces sortes de gens : « La liberté religieuse par le respect de tous les cultes qui ne sont pas immoraux. » N’oublions toujours pas que c’est un prêtre qui parle. Il y a donc des cultes en même temps faux et moraux ! L’Erreur peut quelquefois, souvent même, être MORALE, d’après Lacordaire et Maumus ! Une classification des religions par moralité !… Ah ! les prêtres-bourgeois ! Essayez de vous représenter cette sorte de monstre : le Prêtre destiné essentiellement à réaliser l’être d’exception et le chef, aspirant à devenir non le « serviteur », au sens évangélique du mot, mais le laquais de la démocratie, c’est-à-dire de la canaille. Le père Maumus prétend sacrifier sa dignité sacerdotale au désir de convertir les incrédules séduits par tant de platitude. Là encore il se trompe étrangement. D’instinct, l’homme suit le chef ou a foi au thaumaturge ; le plus qu’il puisse faire pour un laquais bien stylé est de lui donner un généreux pourboire. Mais même ce désir maladroit de courir au salut des âmes par des voies nouvelles est étrangement suspect. »

Résumons. Le père Vincent Maumus est un sous-Judas fort probable et un incontestable crétin.

Et après ? ainsi que me disait, autrefois, un vieux curé somnolent à qui je confessais les turpitudes sans style de mon adolescence. Après ? Eh bien ! il n’y a rien. C’est fini. La petite colonnade est interrompue. Vous ne voudriez pas que je vous parlasse de cette chère colonne brisée qui se nomme Léo Taxil.

Ce serait un triomphe trop facile de rappeler qu’il y a environ quinze ans, l’horrible drôle ayant été reçu, lui aussi, avec distinction, par Léon XIII qui l’encouragea paternellement à sauver la France, je fus SEUL à voir et à dire qu’on était mystifié d’une façon épouvantable. Plus que jamais, à cette occasion, je fus nommé le Pamphlétaire, le Lanceur d’outrages, le dur Fanatique jetant violemment et injustement la porte de l’Église à la face des hommes de bonne volonté, venus de très-loin, etc., etc…

En ce moment le Conclave est séquestré et les journaux publient le menu des repas des cardinaux « dispensés du maigre en temps de conclave ». On aurait plutôt cru à l’abstinence et au jeûne rigoureux corroborant la prière sine intermissione et j’imagine que, parmi ces mangeurs, il serait difficile d’en trouver un seul vraiment persuadé que l’élection du nouveau Pape sera faite par le Saint-Esprit. N’importe. Dieu, qui permet que ses Saints soient placés sur ses Autels par une Congrégation de simoniaques, peut bien permettre que son Vicaire soit élu par des politiciens nourris avec faste.

Les pauvres de ce monde — et telle sera ma conclusion — doivent demander avec larmes que ces Dignitaires extraordinairement assemblés pour faire « ce qu’ils ne savent pas[55] », soient inspirés d’élire un Pape qui croira enfin, devant l’annoncer à toute la terre, que les mauvais arbres ne peuvent pas donner de bons fruits.

Lagny, 4 août 1903.



Mon livre est fini et je devrais m’arrêter ici, la matière étant épuisée. Toutefois, comme l’Évangile dure toujours, j’ai pensé qu’après l’outrageante hospitalité des Pharisiens Jésus-Christ se reposerait volontiers dans l’humble demeure d’un Publicain de la Poésie que les Convertis qui se croient élus ne voudraient pas même regarder.


LE DERNIER POÈTE CATHOLIQUE




JEHAN RICTUS

du Brasero Nocturne


J’suis l’déclassé…, l’gas distingué
Qui la fait à la poésie :

. . . . . . . . . . .

J’suis l’gas dont on hait le labeur,

Je suis un placard à Douleurs,
Je suis l’Artiste, le Rêveur,
Le Lépreux des Démocraties.

Les Soliloques du Pauvre.


I


Après Verlaine, il y avait encore celui-là. Poète catholique sans le savoir et sans que personne l’ait jamais su, excepté moi, mais le dernier, sans aucun doute. Personne, maintenant, ne passera plus par cette porte.

J’ai vu cela un peu mieux, en relisant, pour la troisième ou quatrième fois, les Soliloques du Pauvre[56] qu’on vient de rééditer avec de très-belles illustrations de Steinlen. Ces images m’ont beaucoup aidé. L’obstination extraordinaire de cet artiste à reproduire, à chaque instant, la plus lamentable face, m’a forcé de me souvenir étrangement de l’Homme de douleurs et d’ignominies qui sauve le monde.

Et j’ai compris, seulement alors, — étant d’intuition bovine et de discernement tardigrade — la malice ou la béotie d’un Belge très-pieux qui me disait, il y a trois ans : « Votre Rictus est un blasphémateur et un sacrilège qui a la prétention de ressembler trait pour trait à Notre Seigneur Jésus-Christ. » Cet enfant de la Meuse ou de la Dyle était persuadé et voulait surtout persuader aux autres que le poète du Revenant « la faisait au Rédempteur » et qu’ainsi s’expliquaient ses succès à Montmartre, où l’on sait combien les personnes sont assoiffées de rédemption. Pauvres succès d’un très-pauvre grand poète, réduit, chaque soir, à dire ses vers dans un cabaret, devant des consommateurs, pour gagner son pain ! Ses vers, dont quelques-uns sont parmi les plus beaux qu’on ait écrits ! Et même il paraît qu’aujourd’hui on n’en veut plus dans les cabarets. Ça n’a pas le ragoût des bonnes ordures.

La vérité de tous les temps, c’est que Jésus pleure au fond de telles âmes, qu’il y pleure véritablement, longuement, ses plus grandes larmes et que cela finit par mettre au dehors une sorte de ressemblance. La vérité encore, c’est que Jehan Rictus a trouvé, un jour, une idée d’un prix inestimable qui semblait tombée du ciel. Son Revenant ne peut pas être comparé. C’est autre chose que tout. Existe-t-il, en poésie, un aussi douloureux, un aussi long gémissement, un aveu de peine et de misère aussi naïf, aussi intime, aussi déchirant, un aussi profond sanglot ? Je n’en sais rien et j’en doute. Peut-être que cette plainte extraordinaire tire actuellement une partie de sa force du reflet obsédant de la figure du Lamentateur dans l’illustration des pages. Non pourtant, on l’avait déjà sentie, cette force, et je crois bien qu’on l’avait sentie tout entière. Il y a une autre cause venue de l’abîme, et je veux essayer de la dire.

Jehan Rictus est un de ces monstres de mélancolie et de pitié qui ne connaissent pas Dieu et qui crèvent de l’amour de Dieu. Voilà tout. L’espèce n’en est pas très-rare. Peut-être y en a-t-il beaucoup, mais aucun n’est poète comme lui, eût-il mariné, à son instar, dans la plus atroce misère. Quand je dis l’amour de Dieu, il est entendu que je ne parle pas de l’amour d’un Dieu quelconque, Dieu identique des « bonnes gens » ou des maquereaux, mais de l’Amour de Jésus-Christ, tel que l’ont pratiqué les Saints, de l’amour qui fait que les hommes pleurent comme pleurent les petits enfants et qui agenouille dans la crotte les indomptés…

Oh ! je sais que tout cela est surnaturel et qu’il faut croire au surnaturel pour l’avaler ! Au surplus, pourquoi me défendrais-je de voir du surnaturel dans un grand poète évidemment désintéressé de tout ce qui n’est pas les Faibles, les Humiliés, les Souffrants, les Accablés ? Il n’y a pas à dire, celui-ci a tout quitté, jusqu’à son nom, qui serait le nom d’un grand de ce monde, s’il avait voulu, poursuivre Jésus au milieu des misérables, pour le chercher plutôt… Et comme il n’est permis à aucun homme de chercher en vain l’Homme-Dieu, voilà justement qu’il le rencontre, après minuit, au coin d’une rue : « Ah ! Généreux !… ah ! Bien-Aimé !… » Quel soliloque de ce Pauvre mourant de fatigue et d’inanition à la silencieuse Face du Christ !


Et Jésus-Christ s’en est allé
Sans un mot qui put m’consoler.
Avec eun’ gueul’ si retournée
Et des mirett’s si désolées
Que j’ m’en souviendrai tout’ ma vie.

Et à c’ moment-là, le jour vint
Et j’ m’aperçus que l’Homm’ Divin…
C’était moi, que j’m’étais collé
D’vant l’miroilant d’un marchand d’vins !


Quelle bouleversante et prodigieuse péripétie !


II


Je demande la permission de citer une lettre extraordinaire que m’écrivit Jehan Rictus, en 1900, un peu après les Doléances, Nouveaux Soliloques mal jugés par moi. Je lui reprochais l’argot et certaines façons de parler que j’avais trouvées trop profanes. J’ai renoncé de tout mon cœur à cette critique, restée, d’ailleurs, entre nous. Obstrué de rhétorique traditionnelle et de protocoles dévots dont je n’ai jamais su me débarrasser, je me trompais complètement, et je voudrais aujourd’hui pouvoir le confesser avec splendeur.

Voici donc la très-curieuse réponse de celui que je nomme avec certitude le Dernier Poète Catholique :

… Ma langue est épouvantable, dites-vous. Pourquoi ? Parce que j’emploie des mots qui, la plupart du temps, sont plus près des racines grecques et latines que les vocables souvent périmés des ordinaires poètes. Ceci n’est pas niable et vous êtes trop bon linguiste et étymologiste pour que j’insiste.

Vous m’accorderez bien, au surplus, que la Langue Française n’est pas immuable, et qu’elle n’est pas parvenue à sa perfection totale. Vous l’avez écrit cent fois, elle a été galvaudée par le journalisme et le roman naturaliste. Le pittoresque des vocables est délavé, anéanti par l’écriture naturaliste. Il y a des mots, des expressions qui sont devenus de vrais cadavres… Comment remplacer certains mots qu’on a pressurés jusqu’au jus, jusqu’au zest, sinon en retournant puiser à la source, au fumier (soit) même de la Langue, qui est l’Argot, quoi qu’on en dise ? l’argot joint à la locution populaire et à l’image non moins populaire, toujours, toujours dramatique et saisissante, que diable !

Balzac a écrit là-dessus une ou deux pages (Incarnation de Vautrin) qui en disent plus que je ne pourrais dire et qui sont flamboyantes et justificatrices de mes essais. Voyons ! C’était écœurant, à la fin, de voir toujours rimer étoile avec voile ou toile, alcyon et rayon, et ce Niagara perpétuel des Romantiques et des Parnassiens donne autant la nausée que le pipi naturaliste. Vous reconnaissez à l’artiste le droit de peindre avec la matière qui lui plaît. Eh bien ! toutes proportions gardées, Rabelais ne s’est-il pas forgé une langue éblouissante et ordurière, comme timidement j’essaie de m’en créer une ?

Qu’est-ce que ça peut faire qu’un vocable ou une expression ne soit pas parlementaire, classique, noble ou de bonne compagnie, si cela exprime une souffrance tellement vraie, tellement sincère qu’elle vous en tord les boyaux ? Or, c’est là ce que je cherche. Exprimer, émouvoir.

Croyez-vous que la langue littéraire adoptée ne soit pas également un jargon ? Et puis, où est la limite du bon et du mauvais français ? Qui l’a fixée ? La langue est-elle fixée ? J’estime, par exemple, que le français de Brantôme ou de Montaigne est plus pittoresque, franc et savoureux que le français de Racine. Maudissez-moi, si vous voulez, mais c’est ce que je pense. Si la langue française est fixée, elle est morte et ça serait une des raisons de la décadence française.

J’abomine le grand siècle. La langue épurée de cette époque ne marque qu’une étape inapparente du Protestantime. On a créé l’expression noble. On dit sein au lieu de téton, qui est bien plus vrai. Or, le peuple a conservé « téton » et bien d’autres mots qui sont d’un français pur du seizième siècle — le plus beau français qu’on ait jamais parlé.

Et puis vous m’écrivez l’impression affreuse que vous cause cette écriture. Mais je ne cherche pas autre chose que de provoquer l’horreur et la terreur. Alors, ici, mon but est atteint. Il importait que les Bourgeois se doutassent des douleurs qu’ils causent, des crimes dont leur hypocrisie et leur égoïsme étouffent la clameur, du sort épouvantable qu’ils font aux Inconnus qu’ils écrasent, et comment l’aurais-je fait sans employer les mots mêmes des écrasés, voyons ?

Je persiste. Il était urgent qu’un poète, se servant d’un gabarit ancien, d’un rythme, si vous préférez, retrouvât, en le modernisant un peu, le cri lamentable d’Eustache Deschamps :

Ça ! de l’argent ! Ça ! de l’argent !

Tout ce qu’on pourrait me reprocher, c’est d’avoir apocopé les vers et écrit certains mots avec la corruption de la prononciation lasse et fatiguée des pauvres et des avachis. Mais c’est là encore un souci d’exactitude et je ne puis penser que ce soit un grief sérieux. Comment ! je ne respecte pas la langue, moi qui ai l’âpre besoin de revenir à sa source, à sa saveur raide et naïve ! Ceci n’a rien à voir avec la blennorrhagie zolaïque, sapristi !

Certes, j’ai écouté la musique des conversations faubouriennes, si terriblement gouailleuses, si résignées ! C’est une longue chanson dolente, toujours par strophes de 6, 7, 3 ou 8 vers, et ces vers sont toujours octosyllabiques : c’est-à-dire la coupe même et la verve des vieux poètes de l’Ile-de-France. C’est étonnant, mais strictement vrai, et plus j’avance, plus je me figure que l’alexandrin est un cercueil où l’on couche la Poétique française.

Et maintenant, au plus injuste de vos reproches. « Vous voulez plaire », m’écrivez-vous. Moi ? Plaire ? Jamais de la vie. Je veux être entendu et compris, ce qui n’est pas la même chose.

Si je voulais plaire, je changerais ma forme, même pour le peuple, car souvent j’ai entendu des ouvriers prétendre que « ça n’était pas convenable », ce que j’écrivais, et que « l’ouvrier ne parle pas comme ça ». Rentré chez lui, il traite sa femme et sa fille de vache et de putain ; mais l’ouvrier actuel, soi-disant éclairé, confesse de plus en plus Joseph Prudhomme qui s’est fragmenté en lui à l’infini, et il ne veut pas que lui, électeur ou membre d’un comité quelconque, soit soupçonné de parler ainsi. Ce citoyen préférerait sans doute l’argot du parlement et des réunions publiques…

Non je ne cherche pas à plaire. Je lutte, au contraire, sans relâche, contre les préjugés convenables et la lèpre journalistique. Faites-moi l’amitié de me relire et vous verrez que, sous cette forme populaire, la théorie individualiste et aristocratique déborde, éclate tout le temps. Ça n’est pas tolstoïsant du tout. Dire que je ne suis pas travaillé par une violente pitié serait faux. Évidemment j’ai envie de prendre parti pour les Écrabouillés tout en cognant dessus, pour ceux qui sont, comme vous dites, « dans les ténèbres ». Mais j’ai conscience ici d’obéir à la mission traditionnelle de l’Aristocrate qui est de défendre le Peuple contre ses ennemis et, au besoin, contre lui-même. L’Histoire m’approuve, en la personne des Paladins et des Chevaliers.

Le mythe de la veuve et de l’orphelin est à ressusciter. Quoi que vous puissiez croire, je m’y emploie. Seulement, pour une telle mission, il me faut évidemment descendre dans les fosses d’aisances où vagit et se désole la masse, et si, en remontant, je n’en sauve qu’Un, un Aristocrate Inconnu, celui-là aura mérité la lumière et la vie et ma tentative n’aura pas été inutile.

Non, je ne veux pas plaire. Autrement je gagnerais beaucoup d’argent, en me servant de mon nom, et en changeant mon genre, en truquant comme n’importe quel Aristide Bruant, en faisant des besognes ou des feuilletons. J’ai reçu des offres admirables, mais j’ai refusé toujours et je m’obstine à continuer ce que j’ai entrepris, quoi qu’il advienne, quoi qu’on me propose… Et avec ce système-là je vous prie de croire que je ne me traîne pas positivement dans la soie et les parfums.

Comment ! S’il y a quelque chose que j’aie entrepris de dénoncer dans le langage populaire, c’est le Dogme du Travail sans Amour, si cher aux capitalistes et à Zola, et vous m’en blâmeriez ! Je vous demande de relire, dans Doléances, « Le Piège » et de me dire si je n’ai pas atteint le but que je me proposais, savoir : peindre, exprimer l’état de servitude et d’abrutissement absolu de l’Ilote moderne qu’est l’ouvrier d’industrie, le misérable et mécanique Enfant de l’Outil et de la Machine.

Comment ! jamais l’avilissement de l’Homme, de mon frère l’Esclave, n’a atteint un tel degré, même et surtout dans l’Antiquité, et je n’aurais pas le droit ni la force amoureuse de le démontrer ? Et d’opposer aux thrènes triomphaux des Bourgeois qui hurlent la gloire du Progrès, du Travail, etc., cette simple peinture qui dit : « Le voilà, votre progrès ! le voilà, votre travailleur ! Vous en avez fait une brute, un être comme aucune civilisation n’en a jamais créé. Alors les principes de 89 s’effondrent, voyons, avec toute la loquacité grandiloque de Homais. »

Et vous ne voudriez pas que je dise cela aux populos aussi ? Mais c’est impossible, et la tâche est si belle, si enivrante, que j’aimerais mieux y laisser ma peau que d’y renoncer.

Soyez assuré qu’un jour j’aurai dans les mains, avec des moyens d’action, une force populaire terrible, et que si jamais cela m’arrive je m’arrangerai de façon à ne pas laisser debout un seul pan de l’édifice bourgeois. Tout vaut mieux, même le retour à la barbarie, à la caverne primitive, qu’une pareille organisation sociale. Si jamais je peux, je leur en foutrai, moi, aux Bourgeois, du Progrès, du Labeur, de la Justice, de l’Égalité, de la Liberté comme ils l’entendent.

Je leur apprendrai à laisser crever de faim les Artistes sincères, à exploiter les Ouvrières de façon à les précipiter au trottoir. Je leur en donnerai de l’Alcoolisme, de la Faim, de la Folie, de la Phtisie, des accidents de chemin de fer, des coups de grisou, des fusillades de mineurs, des tueries qui créent leur richesse ! Paroles d’honneur, on devrait me couper le cou tout de suite, tant je compte détruire dans les cervelles populaires le très-abrutissant mythe du Travail ! Être un danger, un jour ! Quelle joie ! Aurai-je la force et la patience ?…

(4 octobre 1900.)


III


Je croirais outrager le lecteur, — mon lecteur, hélas ! qui en a vu bougrement d’autres — si je m’excusais de la longueur de cette lettre. Il me semble qu’on ne m’a jamais rien envoyé d’aussi beau, et, je le répète, il ne reste pas un atome de mes vieilles objections. J’ai enfin compris ! L’argot de Rictus, je l’épouse amoureusement désormais et je renonce à m’indigner de quelques mots qu’on ne trouve pas dans les paroissiens ni les eucologes que j’ai donnés à Huysmans, mais qui seront peut-être imprimés en lettres de feu dans les missels torturants de l’Esprit-Saint.

C’est vous, Jehan Rictus, qui êtes le Revenant et c’est le Sauveur du monde vagabond et abandonné qui vous implore. Ne voyez-vous pas que c’est vous qui êtes son image et qu’il vous regarde en pleurant comme « une énigme dans un miroir » ? Que cela soit dit, une bonne fois, dans la langue de saint Paul qui fut l’apôtre des Gentils, à savoir de ceux qui faisaient vomir les saints d’Israël et qui étaient, de son temps, la Canaille immense de l’Humanité.

Comment faire, dès lors, pour n’être pas un catholique, puisque l’expérience nauséeuse et quatre fois séculaire du protestantisme a démontré qu’il n’y a pas d’autre expédient pour être chrétien ?

Arrivé là, le poète des Vaincus… des Écrasés, des Sans-espoir… des Sans-baisers ; des Écœurés, des Trahis, des Pâles et des Désolés ; le poète qui se nomme lui-même l’Empereur du Pavé, le Prince du Bitume, le marquis Dolent de Cherche-Pieu, le comte Flageolant-des-Abatis,… le rôde-la-nuit,…le marque-mal à gueule-tirée, le mâche-angoisse… le cause-tout-haut ; ce poète qui fait peur, à la fin, rencontre naturellement Notre-Dame des Démolis. Sans doute il fallait cette Mère et pas une autre à « Jésus-Christ qui meurt de faim ». Et maintenant, c’est complet, la Consolatrice des affligés étant venue, rien ne manque plus au Symbole.

Ce livre étonnant et redoutable qui se nomme Les Soliloques du Pauvre, au fond, n’est qu’un long appel à la tendresse maternelle et c’est pour cela qu’il est si déchirant. Un long appel à la tendresse maternelle !…

Par deux fois, n’en pouvant plus, il a joint ses mains sur son cœur, les a tendues devant lui en levant les yeux au ciel, comme le prêtre offre le calice :

Seigneur mon Guieu ! j’suis près d’périr.
Et v’la ma peine, alle est ben vraie ;

Puis, s’accoudant sur ses genoux sans repos, il les a ramenées sur sa pauvre bouche sans pain ; puis encore, les laissant tomber sans les disjoindre, il s’est renversé pour essayer de voir le Consolateur dans la nuit mauvaise :

Quoi y faut dir’ ? Quoi y faut faire ?
J’ai mêm’ pus la force ed’pleurer.
J’sais pas porquoi j’suis sur la Terre
Et j’sais pas porquoi j’m’en irai.

Puis enfin le geste remontant et suprême des deux mains crispées ensemble, au-dessus de la clavicule, pendant que la face, tout à fait jetée en haut, implore désespérément :

Seigneur mon Guieu, sans qu’ça vous froisse,
J’vous tends mon cœur, comm’la Pucelle,
Et pis mes bras chargés d’angoisse,
Lourds du malheur universel !

Le pauvre homme est si éperdu qu’il demande « la liberté » ! cette salope soixante-dix-sept fois infâme de liberté qu’il faut prendre de force et mener au lit à coups de bottes, car elle ne se donne jamais qu’aux pourceaux ou aux assassins.

Après cela, il ne reste plus qu’à mourir. Mais auparavant il voudrait tant voir la Maison des pauvres « ousqu’on trouv’rait miséricorde » !

Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer
Où y aurait pus à travailler,

Où y aurait pus d’terme à payer,
Pus d’proprio, d’pip’let, d’huissier.

Y suffirait d’êt’ su’ la Terre,
Crevé, loufoque et solitaire,
D’sentir venir son dergnier soir
Pour pousser la porte et… s’asseoir.

Quand qu’on aurait tourné l’bouton,
Personn’ vourait savoir vot’ nom
Et vous dirait — « Quoi c’est qu’vous faites ?
Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais on dirait ben au contraire :

— « Entrez, entrez donc, mon ami,
Mettez-vous à l’ais’, notre frère,
Apportez vos poux par ici. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et pis dans les chambr’s à coucher

Y gn’aurait des pieux à dentelles,
D’ la soy’… d’la vouât’… des oreillers,
Des draps blancs comm’ pour des mariés,
Des lits-cage et mêm’ des berceaux
Dans quoi qu’on pourrait s’fair’ petiots ;

Voui des plumards, voui des berceaux
Près d’quoi j’mettrais esspressément
Des jeun’s personn’s, prop’s et girondes,
Des rouquin’s, des brun’s et des blondes
À qui qu’on pourrait dir’ — « Moman ! »


Ça s’rait des Sœurs modèl’ nouveau
Qui s’raient sargées d’vous endormir
Et d’vous consoler gentiment
À la façon des petit’s mères,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— « Moman, j’ai fait ci et pis ça ! »

Et a diraient : — « Ben mon cochon ! »
— « Moman, j’ai eu ça et pis ci. »
Et a diraient : — « Ben mon salaud ! »

« Mais à présent, faut pus causer,
Faut oublier… Faut pus penser
Tâchez moyen d’vous endormir.
Et surtout d’pas vous découvrir. »

Ma Mason, v’là tout, ma Mason,
Ça s’rait un dortoir pour broyés
Ousqu’on viendrait se £air’ choyer
Un peu avant sa crevaison.

Le poème intitulé Les Masons, par quoi s’achève la présente édition des Soliloques et dont La Maison des Pauvres est la dernière partie, n’avait pas encore été édité. Le vagabond cherche sa maison parmi les cent mille maisons de Paris et c’est un étrange cauchemar de voir cette silhouette noire de rôdeur sur ce fond de bâtisses et de ténèbres, à travers les différents quartiers, dans le bas des pages !

C’est ce que montre Steinlen et quand on a passé par là, ne fût-ce qu’un peu, il sort de cette vision comme une agonie de pitié. Il cherche sa maison, ce pauvre d’entre les plus pauvres,

Et d’ Charonne au quartier Monceau,
Au milieu du sommeil des Hommes
Me v’là seul avec ma pensée
Et ma gueul’ pâl’ dans les ruisseaux !

Quel périple ! Quelle Odyssée ! Quelles Lusiades de désespérance et d’horreur ! Il en voit de toutes les sortes, des maisons :

Y en a d’ tous poils… y en a d’ tout âge,
Y en a qui z’ont des flott’s d’étages
Et y en a qui z’ont qu’un preumier :

Y en a des r’tapées… des tout’s neuves,
Y en a d’ pimpant’s, et y en a d’ gaies,
Y en a qu’a l’air triste des veuves
Qui ne souriront pus jamais.

Quand j’ rôdaill’ dans les grands quartiers,
J’en vois qu’est comm’ des forteresses,

Bouclées, cad’nassées et grillées.
Si Jésus voulait y entrer
En disant : — « Voyez ma détresse. »
On s’rait pas long à l’ fusiller.

Y en a qu’est si rupin’s et chouettes
Qu’on s’dit qu’on aurait beau marner
Fair’ fortun’ dans les cacahouettes,
On pourrait jamais s’y plumer.

. . . . . . . . . . . .

Quant aux quartiers des Purolains,

Dans les faubourgs, dans les banlieues…

. . . . . . . . . . . . . . .

La plupart sont de grand’s bâtisses,

Qui branl’nt, qui suint’nt, qui pleur’nt, qui puent,
De vraies casern’s plein’s de ménages
Où y a, quoi qu’en dis’nt les repus,
Du malheur à tous les étages.

Des p’tiot’s sont encor pus affreuses…
A sont gâtées… ruinées… lépreuses,
On croirait des chicots pourris
Bordant la gueule de l’enfer…

Mais il lui faut sa maison, à lui, celle qu’il a décrite et qui ne peut être, en fin de compte, que la Maison d’Or invoquée dans les Litanies, désignée paraboliquement à toutes les pages du Livre Divin, l’Unique sans souillure, la Toute-Pleine de Grâce, la seule où Dieu ait voulu descendre quand il est venu chez les hommes et dont tous les habitacles de la terre ne sont que de ridicules et douloureuses défigurations.

Il a trouvé cela au fond de sa peine : un besoin immense et ravageur de Celle que les Siècles nomades ont proclamée le Refuge, la Tour, l’Arche, la Maison toute en or, la Porte du Ciel, l’Étoile du matin, le Salut des faibles, la Consolatrice et l’Auxiliatrice et que les chrétiens nomment dix fois Reine, après l’avoir appelée onze fois Mère, très-exactement.

« Il semble qu’on reste pauvre toute sa vie, quand on a pas été aimé par sa mère, » m’a dit ce grand poète, faisant sur lui-même un mélancolique retour. Être privé de tendresse maternelle, être privé de maison, voilà pour lui deux idées consubstantielles — réalisant ainsi, tout à fait à son insu, l’exégèse la plus profonde.

Et voilà que le pauvre qu’il a voulu faire, le pauvre si poignant et si bouleversant des Soliloques, ce pauvre complet, indigent surtout de foi religieuse, — en qui, pourtant, ces deux confluentes idées s’incorporent — voilà qu’il ne peut pas faire un pas dans la rue sans y rencontrer Jésus-Christ qu’il croit reconnaître, ni sans crier, de manière ou d’autre, vers Marie qu’il ne connaît pas.

Voui, j’suis un typ’, moi, j’en ai d’bonnes.
Quand les aut’s y sont dans leur lit.
Bibi y trimballe eun’Madone :
Notre-Dame des Démolis !

. . . . . . . . . . . . .

C’est quand j’ suis l’pus rauque et farouche

Qu’a m’apparaît comme un rayon !

Voui, quand j’vas ruer dans les brancards,
Tout par un coup v’là qu’a s’élève,
La Cell’ qui dort au fond d’mes rêves
Comme eun’ bonn’ Vierg’ dans un placard !

Qui c’est ? J’sais pas, mais alle est belle :
A s’lève en moi en Lun’ d’Eté,
Alle est postée en sentinelle
Comme un flambeau, comme eun’clarté !

A m’guette, alle écout’ si j’ l’appelle
Du fond du soir et du malheur ;
Mèm’ qu’elle a les tétons en fleur
Et tout l’Amour dans les prunelles !

Tout le cas du dernier poète catholique est dans cette dernière citation. Il ne sait pas ce qu’il aime, mais il meurt d’amour. Il ignore ce qui l’attire, mais il gravite par force, il tombe irrésistiblement sur Dieu et sur la Mère de Dieu toujours Vierge.

Et cela va si loin, dans l’expression, que son Pauvre — qui n’est autre que lui-même à une incroyable profondeur — ne rêve que de mourir dans les bras et sur le sein nu d’une femme qu’il appellerait « Maman » et qu’il téterait avant d’expirer,

Les yeux clos et les mains crispées
Par la mort et par le plaisir.


IV


Il y a une personne sur soixante-dix-sept mille qui comprendra ça. Et je m’en fiche. Le moyen que des gens passionnés pour l’automobilisme comprennent quelque chose à n’importe quoi ? On est forcé de penser pour soi, d’écrire pour soi et d’espérer la fin de tout. Demain ce sera pis encore.

Rictus est accusé de sensualisme grossier ou de paganisme naïf. Le public, naturellement, le croit pornographe. Oui pornographe et même rigolo, à cause de quelques traits satiriques aperçus dans ses quatrains. S’il n’est pas classé parmi les scatologues, cela tient à ce que sa tendance religieuse est ignorée jusqu’à ce jour. Lorsqu’on le saura catholique, le doute à cet égard ne sera plus permis. Je sais ce que je dis.

Telle est l’intelligence contemporaine. Vous pensez ce que deviennent les « tétons » des « petites mères », en passant par de telles âmes et de tels cerveaux ! Je serais curieux aussi de voir l’effet, sur un auditoire de beuglant, de l’épouvantable et magnifique poème Pierreuse, dans Doléances, clameur tragique s’il en fut jamais.

Il y a encore la Farandole des Pauv’s tifs Fanfans, pièce relativement très-connue par quoi finissaient les précédentes éditions des Soliloques et qui est, peut-être, en poésie, la trouvaille la plus douloureuse.

Ah ! par exemple, je ne vois pas le moyen de s’emballer luxurieusement ou joyeusement sur la Jasante de la Vieille, autre lamentation publiée, l’an dernier, en une plaquette amarante intitulée Cantilènes du malheur[57]. Cette fois encore il y avait une maman, mais les sens n’avaient rien à y voir, je vous en réponds, non plus que la rate ou la fressure des bons rigolos. « Jasante » est la délimitation argotique de l’idée de prière et la « Vieille » est une mère de douleurs venue pour gémir dans le lointain cimetière des suppliciés où est enterré son enfant. Elle ne sait pas exactement où est le corps :

… Où c’est qu’on t’a mis ?
D’ quel côté ? Dis-moi… mon ami ?
C’est plat et c’est nu comm’ la main :
Y a pas eun’ tombe… pas un bout d’croix,
Y a rien qui marqu’ ta fosse à toi…

Sa prière, c’est de lui parler, à cet invisible, et le monologue, de plus en plus cassé par les pleurs, ressemble à un bêlement de vieille brebis restée seule, dont le boucher n’aurait pas voulu. C’est poignant à crever le cœur, ce rappel têtu des anciens jours, cette lubie obstinée d’une malheureuse presque en enfance, à force de chagrin, et qui veut toujours voir le petit garçon « si doux » d’autrefois dans la carcasse putréfiée de l’assassin raccourci :

Comme ej’ t’aimais… comme on s’aimait !
C’était toi, ma seul’ distraction,

Mon p’tit mari… mon amoureux !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

T’étais râblé, frais et rosé,

T’étais tout blond et tout frisé
Comme un n’amour… comme un agneau…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et j’en ai-t’y passé d’ces nuits

(Toi dans ton p’tit lit endormi),
A coude auprès de l’abat-jour
Jusqu’à la fin de mon pétrole !
 
Des fois… ça s’tirait en longueur
Mes pauv’s z’yeux flanchaient à la peine.
Alorss en bâillant dans ma main,
J’écoutais trotter ton p’tit cœur
Et souffler ta petite haleine,
 
Et rien que ça m’donnait du courage.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ah ! en c’temps-là, dis, mon petit,

De qui c’est que t’étais la fifille,
L’amour, le trésor, le soleil,
De qui c’est que t’étais l’ Jésus ?

De ta Vieille… est-ce pas ? De ta Vieille…
 
Qui faisait tout’s tes volontés ?
Qui t’a pourri ? Qui t’a gâté ?
Qui c’est qui n’ta jamais battu ?
Et l’année d’ta fuxion d’poitrine
Qui t’as soigné, veillé, guéri ?

C’est y moi ou ben la voisine ?

Et à présent qu’te v’là ici
Comme un chien crevé… eune ordure,
Comme un fumier… eun’ pourriture,
Sans un brin d’fleurs, sans eun’ couronne
N’avec la crèm’ des criminels…
 
Qui c’est qui, malgré tout, vient t’voir ?
Qui qui t’esscuse et qui t’pardonne ?
Qui c’est qu’en est la pus punie ?

C’est ta Vieille… toujours… ta fidèle,
Ta pauv’ vieill’ loqu’ de Vieille, vois-tu !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! Louis… tiens-toi sage,

Sois mignon… j’arr’ viendrai bentôt…
Seul’ment… fais dodo… fais dodo,
Comme aut’fois dans ton petit lit…
Tu sais ben… ton petit lit-cage…

Chut !… c’est rien qu’ça… pleur’ pas… j’te dis
Fais dodo va… sois sage… sage,
Mon pauv’ tout nu… mon malheureux,
Mon petiot… mon petit petiot.

Cette mère ne sait pas s’il y a un Dieu, mais elle sait qu’il y a un Jésus qui est son douloureux fils effroyablement égorgé pour les crimes de tout un monde, exactement comme l’Autre qui était Dieu fut égorgé, avec cette différence à faire sangloter les morts, qu’il n’est pas un innocent. Mais la pauvre femme n’a pas besoin de savoir. L’horrible monde bourgeois qui tue les enfants des mères, durât-il encore des mille ans et lui fallût-il vivre jusque-là, elle viendrait toujours à ce cimetière de malédiction et d’infamie pour consoler au fond de la terre son premier-né, son dernier-né, son nouveau-né, l’enfant de ses entrailles désolées de vieille mère dont la justice des hommes a fait un berceau d’éternité silencieuse.

Ah ! le plus dur de sa peine est assurément dans ces vers que je n’osais pas citer :

T’étais si doux… et pis… si beau…
A caus’ que moi j’ t’avais nourri.

Ce dernier vers ne semble rien et il n’est peut-être pas grand’chose, mais, qu’on y prenne garde ! le poète l’a écrit dans sa maison, l’affligé poète réduit à chercher sa propre mère dans le fantôme de cette malheureuse devenue ainsi deux fois la mère du condamné, du supplicié, de celui qui est logé sous la terre, au-dessous des abominables pieds de ses juges et qui a besoin d’être consolé.

Le vieux corps de cette mère n’a plus de mamelles, mais il lui reste d’allaiter de son âme son pauvre enfant, qu’il soit un poète ou un assassin. Et ce geste de compassion surnaturelle fait chavirer toutes les Balances…

Jehan Rictus écrivant la Farandole a été, dans la pitié pour les Innocents, aussi loin qu’on puisse aller. L’effet de cette complainte est foudroyant. Mais, dans la Jasante, il paraît avoir eu la vision d’un deuil plus grand, incommensurable, le deuil des mères qui ont vu mourir leur enfant-Dieu dans l’ignominie et dont la plainte est répercutée au fond du gouffre par le gémissement inaudible des défunts.

Le secret de sa puissance de poète qui est énorme ne serait-il pas dans l’obsession simultanée de ces deux misères presque infinies : l’enfant sans sa mère et la mère sans son enfant ? Tout le mal de ce monde est assurément contenu dans ces deux formules. Cependant l’âme quasi-prophétique de Jehan Rictus le précipite surtout à la première. Sûr que les enfants ont un besoin éternel d’être allaités corporellement et spirituellement, le dernier degré de l’infortune est, à ses yeux, de n’avoir pas eu de part à cette douceur… Cela fait une détresse de toute la vie, la détresse des orphelins qui meurent de faim, à trois mois ou à quatre-vingt-quinze ans, pour n’avoir jamais pu téter leur mère !


V


Et maintenant, mon cher Poète, c’est à vous que je parle. Nous sommes, vous le savez, deux misérables, deux minables, deux anti-bourgeois, deux maudits,… deux locataires. Nul n’ignore, parmi la crapule des lettres, que nous sommes vraiment impossibles et, pour tout dire, uniques à ce point qu’il n’existe aucun moyen de s’arranger avec nous et moins encore de nous arranger. Nous sommes pour l’Art, pour la splendeur de la JUSTICE, pour la Pitié magnifique — sans putanat. Nous sommes des brûlants, et voilà pourquoi nous sommes des vomis.

C’eût été trop monstrueux que je ne parlasse pas de vous, à la fin. J’étais si désigné pour ça ! Mais il fallait une certaine heure. Je doute que mon suffrage vous soit profitable. Il est même à prévoir que vous en serez puni de manière ou d’autre par les Laurent ou les Edmond que j’utilise. Je n’ai pu, d’ailleurs, que me répéter à propos de vous. Il y aura bientôt vingt ans que je rends mes contemporains, à peu près sans exception. Que demander de plus à un seul homme ?

Vous ne seriez pas un grand poète que je vous appartiendrais encore, parce que vous aimez le Pauvre — sans anthropophagie ni cabotinisme. Richepin, Séverine, Bazar de Charité ! Ça finit quelquefois très-mal toutes ces « trompettes » exécrées dans l’Évangile. Cependant vous n’êtes pas tout à fait selon mes formules et je m’en afflige. Vous n’êtes pas davantage selon mes pratiques et j’en suis profondément triste. Mais, comme vous êtes un enfant de Dieu, il est fort probable qu’un jour vous me guérirez de la lèpre ou de la paralysie par l’imposition de vos mains et voilà ce qui me console. En attendant, il est acquis et indiscutable que vous êtes sans défense contre la Créature infiniment miraculeuse par qui tous les pauvres et tous les enfants des pauvres sont allaités. Elle est la Mère des vivants, c’est-à-dire, encore une fois, des pauvres, puisque les riches sont tous des morts et des morts en putréfaction, d’abominables charognes…

Oubliant les biscuits et les chromos, rappelez-vous seulement qu’Elle se nomme Pleine de Grâce et qu’Elle a Sept Glaives dans le cœur ; vous La reconnaîtrez à ce signe.

Un prophète qui fut le Roi des Éblouissements annonçait, il y a trois mille ans, qu’Elle rira au dernier jour et je vous donne rendez-vous pour être les spectateurs, auprès d’Elle, de l’écartellement du Monde tiré aux quatre chevaux de l’Apocalypse… Quand le moment sera venu et que les hommes agoniseront de terreur au fond d’un gouffre de silence, on entendra soudain l’éclat de rire colossal de l’Immaculée Conception !


Le Mendiant prie au seuil de l’Église…


Seigneur Jésus ! J’aimerais mieux que vous n’eussiez pas de maison. Regardez ces colonnes qui ne permettent même pas qu’on vous aperçoive de loin sur votre autel.

C’est vrai que je suis fameusement audacieux de vous parler de la sorte, puisque je suis un pécheur et que c’est à peine si j’ai le droit de lever les yeux.

C’est vrai aussi que je suis pieds nus et que je n’ai ni bourse ni besace. Mais n’est-ce pas ainsi que vous envoyâtes vos disciples, en leur recommandant avec mystère de « ne saluer personne en chemin » ?

Vous me ferez cette justice que j’ai salué peu de gens depuis si longtemps que je suis errant parmi les hommes, à la façon d’un désespéré, ayant choisi d’être compagnon du Vagabond éternel.

Je crie donc vers vous, Seigneur. Est-il croyable que vous habitiez encore une demeure que ces misérables disent la vôtre et qu’ils prétendent soutenir comme des piliers inébranlables ?

Donnez-moi la force d’un Samson pour jeter une bonne fois par terre cette caverne de voleurs et d’imbéciles plus impitoyables que des assassins.

Alors, ô Saint Sacrement, vous irez par les chemins et par les champs, porté dans les cœurs brûlants et pantelants de quelques lapidés qui seront vos pauvres et à qui vous déléguerez votre pouvoir. Et, comme l’heure est proche où le Paraclet doit enfin venir, jamais on n’aura rien vu d’aussi beau !

En ces jours espérés depuis tant de siècles par tous ceux qui souffrent, ce sera si épouvantable d’être riche qu’il y en aura qui voudront avaler leur or liquéfié pour le cacher dans leurs intestins ! Ah ! si les chrétiens avaient le respect de votre Parole, rien que le respect, il y a plus de mille ans que ce serait leur coutume de jeter à la voirie les carcasses des millionnaires et de pratiquer les funérailles de leurs épouses au milieu des excréments et des charognes d’animaux immondes.

Votre Maison sur ces colonnes, derrière ces colonnes, ô douloureux Maître !

Hier, dans une paroisse de Paris, on refusait le baptême à un enfant de pauvre qui allait mourir, parce que « ce n’était pas le jour » (!!!). Aujourd’hui, j’entends, ici, le glas des morts pour une canaille millionnaire.

Et voilà que cela dure depuis des éternités et que même, en ce moment où l’on veut abolir le christianisme, votre indigne peuple se cramponne éperdument à une demi-douzaine de Coppée ou de Brunetière, avocats ou très-humbles serviteurs du Riche !

Ne pensez-vous pas qu’il faut en finir ? Encore une fois, je vous prie, mon Dieu, et plus humblement, de me compter parmi les pauvres en petit nombre que vous utiliserez effroyablement pour votre gloire, quand votre Face de tonnerre sera lasse d’être souffletée.


Lagny, 20 août, fête de saint Bernard.


  1. Il est bien entendu que les guillemets signifient, sauf indication d’une autre source, La Bonne Souffrance. Avertissement presque inutile, d’ailleurs. Le bon vin est assez trahi par son bouquet.
  2. La Bonne Souffrance, page 30.
  3. Idem, page 200.
  4. Un jour, en 1900, à Copenhague, on me demanda ce que je pensais de La Bonne Souffrance. — C’est un lavement rendu, répondis-je. Concise appréciation qui fut goûtée. On était à table. De telles paroles ont le pouvoir de réconcilier beaucoup avec la vie.
  5. « On chercherait en vain un blasphème dans mes écrits. » La Bonne Souffrance, p. 7. Il a raison. Quand les pauvres souffrent, on ne doit parler que de résignation. Dieu reste un Père infiniment adorable. Mais lorsque les riches écopent, Dieu est un bourreau et il faut lui dire son fait. Il n’y a pas là le moindre blasphème.
  6. « L’acheteur aura peut-être cette illusion que les fleurs qui embaumèrent les promenades d’un poète exhalent une odeur plus exquise et que les oiseaux qui chantèrent pour le charmer trouvent des chants plus mélodieux. » La Bonne Souffrance, p. 82.
  7. M. Renan, l’Allemagne et l’Athéisme au XIXe siècle. Paris, Douniol, 1869.
  8. La Science et la Religion, page 31.
  9. La Cathédrale, page 35.
  10. La Cathédrale, p. 316. « Élie diagnostique l’Ascension par son enlèvement sur un char de feu. »
  11. Idem, pp. 67, 69, 197, 322, etc. !!!
  12. Page 220.
  13. Pages 283 et 284.
  14. La Cathédrale, page 316.
  15. Idem, p. 335.
  16. Idem, p. 455. Je ne souligne pas suffisamment à côté qui est d’une beauté vraiment extraordinaire. Jésus répondant À CÔTÉ !!! ?
  17. La Cathédrale, p. 360.
  18. La Cathédrale, page 350.
  19. La Cathédrale, p, 77.
  20. Id., p. 17.
  21. Id., p. 96. À rapprocher de l’effroyable mot de la page 366 : « un Christ assis sur une fesse (!) et tenant une croix. »
  22. Hébr., v, ii.
  23. La Cathédrale, page 8.
  24. La Cathédrale, page 15.
  25. « Il suffisait, pour résumer le paysage, d’une phrase : c’était la pelade de la nature, la lèpre des sites ! » Idem, p. 16. Margaritas ante porcos, dit Notre Seigneur dans son Évangile.
  26. Idem, p. 13.
  27. La Cathédrale, p. 16.
  28. Idem, page 16. In die judicii, libera nos, Domine.
  29. Ce que pour combien. — Ce qu’une fois suffit ! Ce que la sainteté est rare ! Ce que je suis las ! Ce que j’ai eu froid aux pieds pendant la messe de minuit ! Ce que le jeûne est rasant dans la vie religieuse ! Tout ce qu’il vous plaira. Il faut croire que Huysmans tient beaucoup à cette forme qui lui paraît plus familière, plus déboutonnée et, par conséquent, plus aimable que la forme grammaticale, car il ne s’en lasse pas, surtout dans les soliloques.
  30. Sainte Lydwine, page 60.
  31. On me fait remarquer qu’il n’est pas dit un mot de l’artillerie. C’est pourtant vrai.
  32. Sainte Lydwine. page 89.
  33. Page 47
  34. Page 48, pour les pharmaciens qui ne me croiraient pas.
  35. Page 315.
  36. Sainte Lydwine, page 259.
  37. Page 85. Il y a dans En Rade, livre très-antérieur à la conversion de Huysmans, le récit de la mort d’un chat qui fait, dans son agonie, des efforts surhumains.
  38. Sainte Lydwine, p. 290.
  39. L’Oblat, p. 185.
  40. Page 173.
  41. Page 253.
  42. Voici le médiocre introït : Ecce aduenit Dominator Dominus : et regnum in manu ejus, et potestas, et imperium. Cette magnifique fanfare taxée de médiocrité, j’avoue que cela dépasse mes moyens. Huysmans n’aime pas les dominateurs, c’est sûr. Le parapluie condamne le sceptre.

    Un ami me fait remarquer que je m’expose ici à paraître de mauvaise foi, le mot « médiocre » s’appliquant non au texte de l’introït, mais à la mélodie. Soit. Pourtant, il m’est difficile d’entrer dans cette distinction. Je veux bien croire que Huysmans a pu penser ainsi, le sachant peu capable de penser autrement que d’une manière successive, mais rien ne me prouve qu’il n’a pas espéré atteindre du même coup le texte même. Cela lui ressemblerait. En tout cas, il y a des mots qui ne peuvent pas être accolés. Que penserait-on, par exemple, d’un ridicule « De profundis » ou d’un pitoyable « Magnificat » ? Aucune musique n’autorise de telles expressions.

  43. Page 206.
  44. Page 214.
  45. Mais bougrement mystérieux, si j’ose m’exprimer ainsi.
  46. Page 281.
  47. Propos d’un Entrepreneur de Démolitions, Paris, Tresse, éditeur, 1884.
  48. Préface de Terre promise.
  49. Préface de Terre promise.
  50. Voir, dans les 15 ou 20 premières pages, l’imitation à la loupe et mot par mot de la phraséologie de Balzac dans ses exposés préliminaires.
  51. Mesdemoiselles, aurait dit Barbey d’Aurevilly, lequel de tous ces messieurs épouseriez-vous ? Auriez-vous un faible pour les protophytes ou un sentiment vif pour les métazoaires ? Faites votre choix.
  52. Octroyer par un don ! Français de nationaliste et de pilastre.
  53. Cette conjonction, à l’usage exclusif des gens très-humbles, n’est pas admise dans la langue officielle de la Cour de Rome. Dans la langue de M. Soury, c’est autre chose.
  54. Ce qui promet de doux moments aux missionnaires des régions anthropophages de l’Océanie.(Note de M. Demolins.)
  55. Jesus autem dicebat : Pater dimitte illis : non enim sciunt quid faciunt. Dividentes vero vestimenta ejus, miserunt sortes, Luc, xxiii, 34.
  56. Les Soliloques du Pauvre, par Jehan Rictus. Édition nouvelle, illustrée par Steinlen. Paris, Sevin et Rey.
  57. Paris, Sevin et Rey.