Calmann-Lévy (p. 28-31).


VI


Jean fut bientôt occupé tout entier par le catéchisme, les sermons, les cantiques qui précèdent la première communion. Enivré de chants d’orgue, parfumé d’encens et de fleurs, chargé de scapulaires, de chapelets, de médailles et d’images, il prit, comme ses camarades, un air important et un ton de retenue. Il se montrait dur et froid envers sa tante qui ne parlait pas avec assez d’exaltation du « grand jour ». Bien qu’elle eût mené longtemps son neveu chaque dimanche à la messe, elle n’était pas dévote. Probablement elle confondait dans une commune haine le luxe des riches et les pompes du culte. On l’avait plus d’une fois entendue sur les bancs des boulevards déclarer à quelque invalide qu’elle avait de la religion, mais qu’elle n’aimait pas les prêtres, qu’elle priait Dieu chez elle et que ses prières valaient bien celles qu’on faisait dans les églises en étalant des crinolines. Le père s’associait mieux à la nouvelle humeur de l’enfant. Il se sentait intéressé et presque ému. Il tenait à relier lui-même un livre de messe pour la cérémonie.

Quand vinrent les jours de retraites et de confessions générales, Jean s’enfla d’un vague orgueil. Il attendait quelque chose d’extraordinaire. Le soir, en sortant de Saint-Sulpice, avec deux ou trois de ses camarades, il se sentait enveloppé d’une atmosphère de miracles ; il lui semblait nécessaire que quelque chose de divin s’accomplît. Ces enfants se racontaient des histoires étranges et pieuses qu’ils avaient lues dans quelque petit livre d’édification. C’était l’apparition d’un moine sorti de la tombe avec les pieds et les mains percés et le côté ouvert ; ou quelque religieuse, belle comme les figures voilées des tableaux d’église, expiant dans le feu de l’enfer des péchés mystérieux. Jean avait son histoire préférée. Il contait en frissonnant que saint François de Borgia, après la mort de la reine Isabelle, qui était d’une beauté magnifique, dut faire ouvrir le cercueil où elle reposait dans sa robe brodée de perles ; son imagination refaisait cette morte royale, la revêtait de toutes les magies de l’inconnu et épiait sur elle les enchantements de la beauté dans les abîmes de la mort. Et tout en parlant, il entendait, par le crépuscule, passer des soupirs dans les platanes du Luxembourg.

Le grand jour vint. Le relieur, qui assistait à la cérémonie avec la Servien, songea à sa femme, et pleura.

Il approuva entièrement l’exhortation du curé, dans laquelle le jeune homme sans foi était comparé au coursier sans frein qui vole aux précipices. Cette comparaison le frappa ; et il lui arriva longtemps après de la citer avec complaisance. Il résolut de lire la Bible, comme il avait lu Voltaire, « pour se rendre compte ».

Jean quitta la nappe de lin, surpris d’être le même et déjà déçu. Il ne devait plus jamais ressentir la ferveur première.