IV

Les grands secours

La gravure dont nous donnons ici le fac-similé est extraite des Cérémonies et Coutumes religieuses de Picart (Paris, L. Prudhomme, éditeur, MDCCCVIII, t. IV, pi. 5). Cette estampe nous fait assister à une de ces réunions dans lesquelles les convulsionnaires se faisaient administrer les « grands secours ».

On désignait du nom de secours diverses pratiques usitées chez les convulsionnaires de Saint-Médard et qui avaient pour but, au dire des partisans de l'Œuvre des convulsions, d’apporter du soulagement au milieu des angoisses de la convulsion, et en second lieu, de faire éclater la protection divine, en montrant « que Dieu met, de temps en temps, une force prodigieuse dans les membres de certains convulsionnaires, et jusque dans les fibres les plus tendres, les plus faibles et les plus délicates, et que cette force est ordinairement supérieure à celle des coups les plus violents. »

Il y avait les petits et les grands secours. Les petits secours consistaient en attouchements, pressions, coups modérés sur diverses parties du corps, et il paraît vraisemblable que la satisfaction des instincts lubriques y entrait pour une bonne part.

Les grands secours, appelés aussi secours meurtriers, et particulièrement appliqués dans le but de faire ressortir l’influence surnaturelle, consistaient en violences atroces exercées sur les convulsionnaires, soit à l’aide de grosses bûches, de barres de fer, de marteaux, d’énormes pierres, qui servaient à porter des coups énergiques et répétés, soit à l’aide d’instruments piquants, d’épingles, de clous très longs, d’épées, avec lesquels on transfixait les chairs des malheureux qu’on soumettait à ces terribles épreuves.

On vit se renouveler des scènes dont l’horreur ne peut être comparée qu’aux cruautés que les Fakirs de l’Inde, aveuglés par les suggestions du délire religieux, exercent sur leur propre personne.

Chez les convulsionnaires de Saint-Médard qui, pour la plupart, présentaient les signes de l’hystérie la mieux confirmée, il convient de mettre en valeur deux points qui ressortent naturellement de l’emploi des « secours », et dans lesquels nous pouvons reconnaître les signes de la « grande névrose hystérique » telle que nous la retrouvons aujourd’hui. Le premier réside dans la présence de l’anesthésie généralisée et profonde, si fréquente chez ces sortes de malades. Cette particularité, qui ne se traduit par aucun signe objectif, devait aider singulièrement les patients à supporter les épreuves en apparence les plus douloureuses. Il est à noter que les piqûres ne rendaient pas habituellement de sang, comme il arrive d’ordinaire chez les sujets frappés d’anesthésie hystérique.

Le second point consiste dans la part qui, dans le soulagement apporté par les secours, doit être attribuée à la compression de certaines régions du corps douées de propriétés spéciales et que nous avons décrites chez les hystériques sous te nom de zones hystérogènes.


LES GRANDS SECOURS
Fac-simile d’une gravure de B. Picart extraite des Cérémonies et coutumes de tous les peuples, etc.

Une excitation mécanique de ces zones provoque les crises, qui sont enrayées par une nouvelle excitation portée au même point. L’abdomen, en la région de l’ovaire, est, chez les femmes, le siège fréquent de semblables propriétés. Dans de nombreux cas, la compression ovarienne suffit pour suspendre comme par enchantement les convulsions les plus intenses. Chez les hommes la compression testiculaire produit souvent de semblables effets.

Nous voyons que la plupart des secours des convulsionnaires consistaient en manœuvres ayant pour but de déterminer une forte compression de l’abdomen, ou de le frapper violemment à l’aide d’un instrument quelconque, mais à extrémité large et mousse.

Dans la gravure dont nous donnons ici la reproduction, la scène se passe dans une grande salle dont les murs ont pour toute décoration un crucifix entouré d’images de sainteté. La plupart des assistants ont des livres en main et semblent réciter des prières, pendant que d’autres administrent les secours. Deux hommes convulsionnaires sont à terre, l’un d’eux est frappé à grands coups de bâton, l’autre supporte le poids de deux hommes montés sur lui. Cette dernière épreuve se rapproche de celle de la planche si usitée, et qui consistait en ceci : une convulsionnaire couchée sur le dos se couvrait le ventre et ja poitrine d’une planche et supportait le poids de toutes les personnes qui voulaient bien monter sur son corps.

Une convulsionnaire, également renversée à terre, courbe son corps en arc de cercle — attitude familière aux hystériques actuelles pendant la crise convulsive — pendant qu’un assistant lui pose le talon sur le front.

Nous avons dit comment ces coups ou ces attouchements pouvaient amener un soulagement réel chez les convulsionnaires en état de crise. La raison en est actuellement dans l’existence, en différents points du corps, de zones dont la pression suffit à calmer les crises les plus violentes. Quelquefois cette pression demande à être maintenue pendant un temps assez long. À gauche, un convulsionnaire s’agite maintenu par deux personnes.

Cette gravure, dans l’ouvrage de B. Picart, est accompagnée d’une autre d’égale dimension et qui représente le cimetière de Saint-Médard. Sur la tombe du diacre, un convulsionnaire s’agite, les jambes en l’air, soutenu par deux hommes. Un autre malade dans un état analogue est conduit hors de l’enceinte ; un suisse, avec sa hallebarde, fait écarter la foule pour lui livrer passage[1].


CIMETIÈRE DE SAINT-MÉDARD
Fac-simile d’une gravure de B. Picart extraite des Cérémonies et coutumes de tous les peuples, etc.

Il semble que cette épidémie convulsive qui, née au tombeau du diacre Paris, remplit bientôt Paris puis la province du bruit des extravagances et dès agitations qu’elle a provoquées, ait épuisé pour ainsi dire la curiosité qu’éveille d’ordinaire ces sortes de spectacles et détourné d’eux l’attention. Nous n’avons plus trouvé, en effet, à partir de cette époque, pendant tout le XVIIIe siècle, de spécimens d’art représentant les démoniaques. Pourtant une exception à signaler à l’étranger est le tableau de Goya qui est une des rares représentations de ce genre qu’ait laissées l’école espagnole.

Nous retrouvons au XIXe siècle plusieurs peintures de démoniaques[2] et nous pourrions en citer un certain nombre parmi les œuvres contemporaines. Mais le XVIIe siècle a rompu la tradition, et ces produits de l’art moderne n’ont plus rien à nous apprendre au point de vue spécial qui a été dans cette compilation notre principal objectif.


  1. Ces deux gravures sont accompagnées d’une explication que nous croyons intéressant de reproduire ici. Cette légende renvoie par des lettres aux différentes parties de la gravure ; le lecteur suppléera facilement à ces indications qui manquent ici.

    « Le premier dessin représente avec toute lexactitude possible le cimetière de Saint-Médard ; et c’est là qu’on voit la tombe de l’abbé Paris marquée A, où se font les guérisons et les miracles extraordinaires si répandus aujourd’hui en France et si vantés par les nouvelles du parti… Les malades ou soi-disant tels se couchaient tout de leur long et les uns après les autres sur ce tombeau et y tombaient immédiatement dans une crise de convulsion, dont un des principaux accès consistait à sauter, à cause de quoi ces convulsionnaires ont été désignés sous le nom de sauteurs. Après avoir sauté et s’être élevés plusieurs fois en l’air, ils attendaient ordinairement, nous dit-on, la guérison de leurs maux à la fin de la Neuvaine ; ce qui n’empêchait pas que le miracle ne se manifestât aussi avant les neuf jours, selon le plus ou moins de foi du malade.

    Quoi qu’il en soit la lettre B indique un de ces malades qui est une personne de marque environnée de plusieurs dévêts du parti, entre lesquels on en voit de marqués par la lettre C qui prêtent leurs charitables soins au malade » afin qu’il saute plus dévotement et qu’il s’élève avec plus de zèle. Pendant ces agitations du malade les personnes les plus zélées du parti prient Dieu, ou récitent des psaumes et marquent leur dévotion par leur attitude et leurs gestes, etc., de même entre ceux que la lettre E fait remarquer on en voit qui baisent la tombe et prient Dieu tout auprès.

    La dévotion va même jusqu’à ratisser la terre de cette tombe. La lettre F fait remarquer une troupe nombreuse de spectateurs les uns dévêts, les autres curieux ; les uns infirmes et attendris par leurs besoins, les autres sains et indifférents. On y voit surtout comme dans le reste du dessin des ecclésiastiques et des femmes.

    Dans le second dessin on a exprimé plusieurs actions singulières et qui, pour paraître incroyables aux incrédules de notre temps n’en sont, nous dit-on, ni moins vraies ni moins merveilleuses. D’abord la chambre qui sort de théâtre aux miraculeuses agitations marque toute la modestie, toute la simplicité du parti. La première action A est celle d’une personne qui tombe dans une convulsion semblable à celles de l’épilepsie, avec des contorsions ; mais cependant sans écumer de la bouche, sans rouler des yeux. B nous montre la patience et la foi d’une personne distinguée entre les convulsionnaires. Cette personne étendue par terre, comme on le voit à la lettre B souffre avec une constance exemplaire le poids du talon d’un autre dévot, qui dans l’intention de soulager la personne infirme, appuie du pied à l’endroit de l’œil avec toute la vigueur dont il est capable. Quelquefois la guérison se pratiquait avec le pouce appuyé de la même force. C représente un autre malade assez connu dans le monde et d’ailleurs respectable par plus d’un endroit. Ce malade accablé d’infirmités et plein de confiance au pouvoir du bienheureux intercesseur souffre humblement des coups de bûche réitérés plusieurs fois par un des plus robustes dévots de l’assemblée pour le soulagement de son mal. La répétition des coups se fait sur le ventre et même sur l’estomac du patient : mais comment cette guérison est-elle possible ? dira l’incrédule. D fait remarquer une autre opération qui n’est pas moins exposée à cette incrédulité. C’est un patient étendu comme tous les autres sur lequel un homme vigoureux marche d’un pas ferme jusqu’à ce qu’il soit parvenu à la poitrine. Alors d’autres personnes le soutiennent afin qu’il pèse mieux sur la poitrine du malade : quelquefois aussi il fait l’opération sur la tête du patient convulsionnaire. En attendant le succès des guérisons miraculeuses l’assemblée marquée par la lettre E entre lesquelles on en voit que l’on reconnaîtra si l’on veut, fait ses dévotions à la manière que j’ai dit.

  2. M. le docteur Galippe nous a signalé une fresque de Perretti peinte en 1810 sous le portail de l’église de Ré (Vall. Vigezzo, Piémont) et qui représente un prêtre exorcisant une femme possédée. L’église de Saint-Lazare à Marseille possède un tableau représentant le Christ délivrant un démoniaque, de Pierre Bronzet, artiste distingué mort en 1883. Cette œuvre nous a été indiquée par le docteur Bernard. Messieurs Carlo Mariani et Giuseppe Antonini, de Turin nous ont envoyé la photographie d’un tableau peint en 1870 par M. Louis Ciardi peintre florentin et représentant le bienheureux Bernardin de Biella, délivrant une jeune femme possédée. Enfin nous signalerons parmi les fresques récemment découvertes au Panthéon, celles de Th. Maillot qui représente la châsse de sainte Geneviève entourée de malades parmi lesquels on reconnaît une intéressante figure déjeune homme possédé.