Les Décrets et les Doctrines de la Commune

Les Décrets et les Doctrines de la Commune
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 96 (p. 835-857).
LES DOCTRINES
DE LA COMMUNE

Toutes les insurrections ont leur mot d’ordre. Quel que doive être leur destin, elles prétendent se justifier des ruines qu’elles font et du sang qu’elles répandent. Triomphantes, elles n’ont plus besoin d’excuse, le succès est leur complice; elles sont classées dans l’histoire au chapitre indulgent des révolutions. Vaincues, elles protestent contre l’arrêt de la force, elles tentent de réhabiliter, au nom d’un principe, d’une idée ou d’un droit, les plus criminelles entreprises. L’armée est dispersée, mais le mot d’ordre reste. C’est ce que nous montre la formidable insurrection qui, sous le titre de commune, a récemment ensanglanté et incendié Paris.

Il est inutile de rappeler à la suite de quels événemens, si douloureux pour la France, cette insurrection est née, comment elle s’est développée, quels ont été ses personnages et ses actes. Cette enquête sur les faits matériels appartient à la justice. Ce qui importe aujourd’hui, c’est la recherche des causes premières qui ont produit le désordre dans un si grand nombre d’intelligences, tant d’illusions complaisantes et presque complices à Paris, en France et en Europe; c’est l’étude des doctrines de la commune. La commune a donc des doctrines! Beaucoup nous blâmeront de lui faire cet honneur, et parmi ceux-là il s’en trouve sans doute plus d’un qui, sans le savoir et surtout sans le vouloir, a contribué par ses paroles ou par ses écrits au progrès de pareilles doctrines. Il faut cependant reconnaître qu’un soulèvement populaire n’aurait pu atteindre de telles proportions au simple appel de quelques chefs, inconnus ou tarés, qui n’auraient promis aux foules que la violence et la destruction; il faut admettre que l’insurrection n’aurait point obtenu dans d’autres villes des sympathies qu’il serait puéril de dissimuler, si on ne lui avait attribué que des pensées d’incendie et de pillage; enfin la commune, après les crimes qu’elle a commis, ne serait même plus mentionnée ni discutée dans certains pays étrangers, si l’on ne croyait y apercevoir, par une illusion d’optique que le lointain favorise, certaines idées, certains principes dignes de discussion.

Le 2 mai, au sein du parlement de l’Allemagne, M. de Bismarck, exposant ses projets pour l’organisation des provinces de l’Alsace-Lorraine, s’exprimait ainsi : « Il y a toujours dans les insurrections françaises un grain de raison ; ce grain se retrouve dans le mouvement actuel de Paris, dans l’aspiration à l’organisation municipale prussienne... » Voilà comment, aux yeux de M. de Bismarck, la commune était sinon justifiée, du moins expliquée au nom d’un principe. Une partie de l’Allemagne a partagé cette erreur. De même en Angleterre. La presse anglaise a vu dans l’explosion de la commune la revendication des droits municipaux si chers à la race anglo-saxonne, et cette opinion était celle de beaucoup de personnes éclairées. Nous trouvant à Londres au commencement de juin, nous eûmes la curiosité d’entrer dans une taverne de Fleet-street, où se tient tous les jours une espèce de club. Le programme de la discussion affiché d’avance portait : la commune en France et la république en Angleterre. Il y avait là une vingtaine de personnes d’apparence aisée et d’humeur fort tranquille, assises, fumant, buvant un verre de bière ou une tasse de café, et attendant l’ouverture de la séance. A neuf heures, le président en habit noir prit place au fauteuil et donna la parole à un jeune homme de fort bonne tenue qui fut un long mémoire sur la question proposée. L’orateur, après avoir flétri l’assassinat des otages et les incendies, fit grandement l’éloge des principes de la commune, qui voulait, dit-il, doter la France de la liberté municipale, supprimer les jeux de hasard et autres habitudes déshonnêtes, en un mot régénérer la France. Quant à l’établissement de la république en Angleterre, il l’appelait de tous ses vœux; mais il craignait que ce ne fût long à venir, le peuple étant très ignorant et l’aristocratie très puissante. Cette lecture fut écoutée avec attention, sans interruptions et sans impatience. Lorsqu’elle fut terminée, l’un des assistans prit la parole et dit à son jeune ami qu’il ne s’opposait nullement à l’approbation de la commune en tant qu’il s’agissait de franchises municipales, mais qu’il ne se souciait pas de voir changer les institutions anglaises. La grande majorité parut être de cet avis. On pérora pendant une heure fort tranquillement du reste sur ce thème, anglo-français, et les consommateurs se séparèrent.

Ainsi à l’étranger la commune de Paris passait pour avoir des doctrines, que l’on discutait et dont une partie était approuvée. Si en Allemagne, en Angleterre, en Italie, des intelligences éclairées ont pu se laisser prendre à ces nuages d’idées, à ces semblans de principes, doit-on s’étonner que des foules y aient été trompées? Voyons donc quelles sont ces doctrines qui ont fait tant de mal; jugeons la commune, non point dans ses actes, mais dans ses prétentions politiques, législatives et sociales. La commune a longuement siégé et beaucoup écrit ; elle a proclamé et déclamé à profusion ; c’est d’elle-même que nous tenons les documens irrécusables d’après lesquels ses partisans essaient de former un corps de doctrine. Cette étude peut être utile pour nous guider sur des laves encore brûlantes, à peine sorties d’un volcan mal éteint.


I.

En réalité, l’insurrection du 18 mars a été un mouvement révolutionnaire et socialiste, absolument analogue à celui qui en 1848 a produit les journées de juin, et prenant pour prétextes les tendances monarchiques de l’assemblée nationale, la prétendue décapitalisation de Paris au profit de Versailles, où l’assemblée avait établi son siège, enfin la nomination du général de la garde nationale par le gouvernement. Aux yeux d’une partie de la population, ces prétextes avaient un certain caractère de vraisemblance; ils suffirent pour enrôler dans les rangs de l’insurrection un grand nombre de citoyens qui, désirant maintenir purement et simplement la république et se croyant humiliés par l’éloignement de l’assemblée, n’avaient aucun goût pour les utopies socialistes. Le signal et les premiers actes de l’insurrection sortirent d’un comité central de la garde nationale où s’étaient installés la plupart des chefs d’émeute. Dans le manifeste que publia ce comité le 19 mars, il n’est point fait mention de franchises municipales; cette revendication eût d’ailleurs été fort inopportune, car à ce moment même le gouvernement et l’assemblée nationale étaient d’accord pour organiser sur les bases de l’élection les conseils municipaux de Paris et de Lyon. Ainsi ce ne fut pas tout d’abord l’idée de commune qui arma les foules parisiennes, et ce ne fut point pour conquérir à Paris l’exercice des droits municipaux, consentis dès le premier jour, que tant de révolutionnaires étrangers, polonais, garibaldiens et autres, vinrent grossir les rangs de l’insurrection. Non, il s’agissait uniquement alors de réaliser l’avènement du prolétariat. Les premières publications du comité central, qui fut le véritable auteur du 18 mars, indiquent clairement la pensée qui l’animait. Dès le 20 mars, il insérait dans son journal officiel une longue note, où on lisait ce qui suit :


« Les travailleurs, ceux qui produisent tout et ne jouissent de rien, ceux qui souffrent de la misère au milieu des produits accumulés, fruit de leurs labeurs et de leurs sueurs, devront-ils donc être sans cesse en butte à l’outrage? Ne leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans soulever contre eux un concert de malédictions? La bourgeoisie, leur aînée, qui a accompli son émancipation il y a plus de trois quarts de siècle, qui les a précédés dans la voie de la révolution, ne comprend-elle pas aujourd’hui que le tour de l’émancipation du prolétariat est arrivé? Les désastres et les calamités publiques dans lesquels son incapacité politique et sa décrépitude morale et intellectuelle ont plongé la France devraient pourtant lui prouver qu’elle a fini son temps, qu’elle a accompli la tâche qui lui avait été imposée en 89, et qu’elle doit, sinon céder la place aux travailleurs, au moins les laisser arriver à leur tour à l’émancipation sociale? »


Ce sont bien là les idées et les phrases des agitateurs révolutionnaires, qui, depuis 1848, n’ont fait que se répéter et se copier. Vainement, à côté du comité central, les maires et adjoints qui demeuraient fidèles au gouvernement représenté par l’assemblée de Versailles déclaraient-ils, dans une proclamation du 22 mars, qu’il suffisait d’obtenir le maintien et l’affermissement de la garde nationale, ainsi que les libertés municipales, et que par conséquent la population parisienne ne devait pas se rendre aux élections illégales ordonnées par le comité pour la constitution d’une commune. Le comité ne jugeait point que la revendication ainsi limitée répondît aux vœux et aux intérêts du peuple. Il voulait une commune, sa commune à lui, destinée à devenir « la première pierre du nouvel édifice social, » et, quand cette commune fut nommée, il reprit de nouveau ses thèses socialistes, qui n’avaient aucun rapport avec la simple organisation d’un mécanisme municipal. Voici comment le 5 avril il s’adressait à la population de Paris :


«... Travailleurs, ne vous y trompez pas, c’est la grande lutte, c’est le parasitisme et le travail, l’exploitation et la production, qui sont aux prises. Si vous êtes las de végéter dans l’ignorance et de croupir dans la misère, si vous voulez que vos enfans soient des hommes ayant le bénéfice de leur travail, et non des sortes d’animaux dressés pour l’atelier ou pour le combat, fécondant de leurs sueurs la fortune d’un exploiteur ou répandant leur sang pour un despote, si vous ne voulez plus que vos filles, que vous ne pouvez élever et surveiller à votre gré, soient des instrumens de plaisir aux bras de l’aristocratie d’argent, si vous ne voulez plus que la débauche et la misère poussent les hommes dans la police et les femmes à la prostitution, si vous voulez enfin le règne de la justice, travailleurs, soyez intelligens, debout! et que vos fortes mains jettent sous vos talons l’immonde réaction!... »


Les deux citations qui précèdent ne laissent aucun doute sur l’origine ni sur le caractère de l’insurrection du 18 mars. Les témoins rapprochés des événemens, ceux qui connaissent Paris, ceux qui l’ont vu au lendemain de février 1848 et pendant les journées de juin, s’accordent tous à cet égard. En 1870 comme en 1848, c’étaient les mêmes doctrines, les mêmes excitations, le même langage; mais dans les départemens, mais surtout à l’étranger, cette similitude devait être moins facilement observée. La tradition révolutionnaire et socialiste y apparaissait moins nettement, parce qu’elle était enveloppée dans la question municipale, qui semblait être le motif et comme la décoration de cette terrible guerre civile. Le jour où l’insurrection eut l’habileté d’inscrire sur son drapeau ce seul mot : COMMUNE, elle acquit au loin une sorte de prestige, et à Paris une grande force. Il lui fallut cependant expliquer le sens de ce mot d’ordre de manière à satisfaire les violons et à ne point effrayer les égarés. La commune de Paris s’acquitta de ce devoir en publiant le 19 avril le programme suivant, qui contient le code de la commune modèle, et qui peut être considéré comme le document le plus important qui soit sorti de l’insurrection.


« La commune a le devoir d’affirmer et de déterminer les aspirations et les vœux de la population de Paris, de préciser le caractère du mouvement du 18 mars, incompris, inconnu et calomnié par les hommes politiques qui siègent à Versailles.

« Cette fois encore Paris travaille et souffre pour la France entière, dont il prépare, par ses combats et ses sacrifices, la régénération intellectuelle, morale, administrative et économique, la gloire et la prospérité. — Que demande-t-il? La reconnaissance et la consolidation de la république, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du peuple et le développement régulier et libre de la société. — L’autonomie absolue de la commune étendue à toutes les localités de la France et assurant à chacune l’intégralité de ses droits, et à tout Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes comme homme, citoyen et travailleur. — L’autonomie de la commune n’aura pour limites que le droit d’autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l’association doit assurer l’unité française.

« Les droits inhérens à la commune sont : le vote du budget communal, recettes et dépenses, la fixation et la répartition de l’impôt, la direction des services locaux, l’organisation de la magistrature, de la police intérieure et de l’enseignement, l’administration des biens appartenant à la commune. — Le choix par l’élection ou le concours, — avec la responsabilité et le droit permanent de contrôle et de révocation, — des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres. — La garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté du travail. — L’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées, la libre défense de leurs intérêts, garanties données à ces manifestations par la commune, seule chargée de surveiller et d’assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité. — L’organisation de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille seule au maintien de l’ordre dans la cité.

« Paris ne veut rien de plus à titre de garanties locales, à condition, bien entendu, de retrouver dans la grande administration centrale, délégation des communes fédérées, la réalisation et la pratique des mêmes principes.

« Mais, à la faveur de son autonomie et profitant de sa liberté d’action, Paris se réserve d’opérer comme il l’entendra, chez lui, les réformes administratives et économiques que réclame sa population, de créer des institutions propres à développer et à propager l’instruction, la production, l’échange et le crédit, à universaliser le pouvoir et la propriété suivant les nécessités du moment, le vœu des intéressés et les données fournies par l’expérience.

« ….. La révolution communale, commencée par l’initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des privilèges, des monopoles, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres.

« …… C’est à la France à désarmer Versailles par la manifestation solennelle de son irrésistible volonté. Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu’elle se déclare solidaire de nos efforts, qu’elle soit notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par le triomphe de l’idée communale ou par la ruine de Paris.

« Quant à nous, citoyens de Paris, nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne la plus large et la plus féconde de celles qui ont illuminé l’histoire. »


Il y a de tout dans ce prospectus, qui a été sans doute élaboré et discuté comme un papier d’état. Le trait saillant, c’est la description de la commune, de la commune autonome, selon la formule des doctrinaires de l’Hôtel de Ville. Il convient donc de s’y arrêter avant de passer aux autres questions qui, ainsi qu’on a pu le voir, n’ont point le mérite de la nouveauté. La commune autonome a fait le tour de la presse démocratique et radicale dans les départemens, et il est juste de reconnaître qu’elle y a eu quelque succès. A l’étranger, on n’a vu dans ce prospectus qu’une affirmation de l’indépendance municipale, et, comme on est habitué à nous entendre dire que nos communes sont en esclavage, sous le joug d’une centralisation effrénée, les Allemands, les Anglais, les Belges, les Italiens, qui ont un grand respect pour les libertés locales, ont accepté assez facilement comme un plan de réforme sérieuse et utile, sauf amendement, le programme qui se présentait sous l’invocation de la commune.

Les objections cependant n’ont pas manqué. Des esprits très libéraux ont remarqué au premier examen le vice radical d’une combinaison qui, pour constituer l’autonomie de la commune, brise le lien national et supprime la grande patrie; mais, aux yeux des démocrates qui ont adopté aveuglément la formule à cause de son origine, les critiques du simple libéralisme auraient peu de portée. Il vaut mieux opposer à la commune autonome l’arrêt de condamnation prononcé par un révolutionnaire incontestable, M. Mazzini, qui, voyant le péril où s’engageait la démocratie, a hautement blâmé et presque flétri le nouveau système[1]. Il est superflu de dire que, dans la lutte établie entre Paris et Versailles, M. Mazzini donne complètement raison à la commune et complètement tort à l’assemblée. Cependant il est trop expérimenté en ces matières pour n’avoir point compris dès le début que la cause de l’Hôtel de Ville n’avait aucune chance de succès, et, comme il écrit surtout pour la démocratie italienne, il prémunit ses compatriotes contre les espérances qu’ils pourraient fonder sur l’exemple et l’appui des révolutionnaires français. — La France, dit-il, a fait au dernier siècle la révolution du passé, elle n’est plus bonne pour faire la révolution de l’avenir. La France est une nation vieillie et devenue impotente; elle est incapable d’achever le triomphe du principe d’association, du socialisme. Ce devoir et cette gloire appartiennent à un peuple jeune, vigoureux, vaillant, à l’Italie! Il convient donc que les révolutionnaires italiens ne se découragent pas devant la chute infaillible de la commune. Cette insurrection inopportune, presque criminelle en face des Allemands qui la contemplaient des forts de Paris, était, suivant M. Mazzini, tout imprégnée de matérialisme, et elle avait présenté un programme « qui, s’il pouvait être adopté, ferait reculer la France aux temps du moyen âge, et lui enlèverait toute chance de résurrection, non point pendant des années, mais pour des siècles ! »

M. Mazzini développe longuement les motifs de cet arrêt. — Politiquement, dit-il, le système aboutirait à l’anéantissement de la nation, qui deviendrait la proie de discordes multipliées à l’infini pour être livrée un jour à la conquête étrangère. Comment concevoir une ligue de 36,000 communes, indépendantes et souveraines, divisées de sentimens et d’intérêts, inégales en étendue, en puissance et en richesse, fatalement condamnées à mort par suite de leur isolement? La France, ainsi pulvérisés, perdrait la sainte notion de la nationalité, elle n’exercerait plus aucune influence sur le progrès général de la civilisation, elle serait perdue pour le monde; il n’y aurait plus de France. Au point de vue social, on irait directement contre les tendances de l’esprit moderne en substituant l’individualisme au principe fécond de l’association. L’égalité elle-même serait profondément atteinte, car les supériorités naturelles ou factices se maintiendraient ou s’établiraient plus aisément dans l’étroit périmètre de chaque commune. Sous le rapport économique, la production et la consommation seraient embarrassées par les entraves que les intérêts ou les caprices locaux apporteraient au mouvement des échanges. Bref, le programme considéré dans son ensemble est « rétrograde, immoral, contraire au bien de l’humanité. » La nation qui consentirait à l’accepter commettrait un suicide.

La commune, selon l’opinion de M. Mazzini, n’est qu’une parcelle du grand tout qui s’appelle la nation. Elle a droit à la liberté pour la gestion des intérêts matériels locaux, elle doit pouvoir choisir par les voies de l’élection ou du concours les agens auxquels est confiée la charge de ces intérêts. Ses attributions ne s’étendent pas au-delà. La nation conserve souverainement le droit et le devoir de diriger l’organisation militaire et l’instruction publique, de fixer les impôts, de régler la législation et de prescrire toutes les mesures d’intérêt général. « Toute révolution qui prétendra faire prévaloir des principes contraires rendra la république impossible et détruira la nation; elle ne pourra jamais fonder la commune. » Ainsi se termine cet article qu’il nous a paru utile d’analyser. M. Mazzini critique avec vigueur et souvent avec éloquence les singulières doctrines qui ont été si pompeusement délayées dans le programme de l’Hôtel de Ville; il démolit jusqu’à la dernière pierre le monument informe que les théoriciens de l’insurrection du 18 mars prétendaient édifier sur les plans de leur commune autonome. Sous le coup de cette véhémente contradiction, sous la férule d’un tel contradicteur, les partisans de l’autonomie communale voudront-ils se tenir pour battus?

Il reste à examiner comment ce système, si sévèrement désavoué par M. Mazzini, a pu être imaginé en France, proclamé à Paris, et obtenir à première vue un nombre considérable d’adhérens. — Le gouvernement républicain de 1848, effrayé par les souvenirs de l’ancienne commune de Paris, crut devoir suspendre le régime électif pour le choix des conseillers municipaux de la grande capitale. Loin de rétablir les élections, l’empire décida qu’une ville telle que Paris ne devait point remettre au suffrage local le soin d’une administration qui intéresse le pays tout entier, et qui se rattache par tant de liens politiques et financiers à l’ensemble du gouvernement. On sait les argumens qui ont été invoqués pour ou contre ce système; on sait également que dès les premières années de l’empire le droit d’élire les membres de l’administration municipale fut revendiqué avec les plus vives instances par le parti libéral et devint un thème constant d’opposition. Enfin, soit par principe, soit par dépit de se voir ravir une attribution qui appartenait à toutes les autres communes, Lyon excepté, soit par un sentiment de réaction contre certaines mesures reprochées au régime autoritaire, la majorité de la population parisienne en était venue à placer en tête de ses vœux politiques la restitution des droits électoraux pour la composition de son conseil municipal. Il était donc naturel qu’au lendemain d’une révolution qui ramenait la république, la pensée de reconstituer le municipe parisien fut accueillie avec empressement, et que ce simple mot : commune, fût accepté comme un mot d’ordre, sans être autrement expliqué. Il y eut de la part des meneurs révolutionnaires du 18 mars une grande habileté à l’inscrire sur leur drapeau et à se présenter aux yeux de la population comme les défenseurs d’un droit que les partis de l’opposition sous l’empire avaient réclamé avec tant d’énergie pendant vingt ans. En outre, comme les révolutionnaires parisiens ne sont pas égoïstes et qu’ils ont toujours voulu communiquer à la province et même à l’étranger le bénéfice de leurs opérations, ils adressèrent généreusement le plan de leur commune libre aux principales villes des départemens, où ils comptaient trouver des adhésions et recruter des auxiliaires.

Comment s’étonner que la démocratie des villes ait manifesté des sympathies pour la commune de Paris? Depuis longtemps l’extension des libertés locales figurait dans tous les programmes politiques. On disait que la vie se retirait de la province, que le sang n’y circulait plus, que les extrémités étaient froides. Les uns, remontant aux traditions du passé, demandaient le retour aux institutions provinciales, qui devaient, suivant eux, conserver à chaque région son indépendance, son génie et ses ressources. Les autres, tenant compte des changemens que la révolution et les progrès matériels ont introduits dans l’organisation nationale, proposaient d’accorder aux subdivisions politiques et administratives, au département, au canton et à la commune, des attributions plus étendues et une part plus large au choix ou à l’élection de leurs fonctionnaires. Ces diverses aspirations se résumaient en un mot vague, décentralisation, que chacun entendait à sa manière, et qui n’en était que plus efficace pour rallier les partis les plus opposés. L’indépendance de la commune rentrait ainsi dans ce plan général de réforme que le gouvernement ne repoussait plus absolument, que les esprits libéraux recommandaient avec ardeur, et dont l’école radicale ne pouvait manquer de s’emparer. On avait dit et répété partout que la commune française était privée de tous droits, qu’elle végétait, obscure et impuissante, à la merci de l’autorité centrale, qu’elle était livrée pieds et poings liés aux caprices d’un préfet ou d’un sous-préfet. On citait, comme contraste, le type de la commune en Angleterre, en Belgique, aux États-Unis et dans d’autres pays libres. A l’aide de ces réclamations et de ces exemples, les orateurs de l’opposition et les publicistes libéraux avaient habitué les esprits à la revendication des franchises communales, dans une certaine mesure à l’idée d’autonomie, de telle sorte que le prospectus de la commune autonome devait être facilement pris au sérieux dans les régions où la presse radicale avait quelque crédit.

Par cette question, à laquelle les événemens ont donné une importance si grande, on peut juger à quel point deviennent périlleuses en temps de révolution les formules vagues et les réclamations qui n’ont pas été suffisamment étudiées. Ce n’est point à la législation municipale qu’il faut s’en prendre si pendant de longues années la France a vécu dans une espèce d’engourdissement politique, c’est au système général du gouvernement. La loi municipale reconnaît aux conseils élus la plupart des attributions qui doivent être laissées aux autorités locales, et, en première ligne, le vote du budget, ainsi que l’administration des biens appartenant à la commune. Ces mesures sont, il est vrai, soumises à l’approbation soit du gouvernement, soit du préfet; cependant il est permis de dire que ce n’est là qu’une formalité, indispensable pour assurer l’unité de la législation nationale, mais tout à fait inoffensive quant à la liberté qui est due aux conseils municipaux pour leur gestion. Combien de fois arrive-t-il que le gouvernement ou le préfet rejette ou seulement modifie les budgets préparés par les conseils municipaux? Ce cas est des plus rares. Les communes peuvent augmenter leurs impôts, contracter des emprunts, dans les proportions et aux conditions fixées par les lois générales. Elles usent de cette faculté. Le gouvernement ou les préfets y mettent-ils obstacle? A l’exception du régime électif ou du concours pour le choix de tous les fonctionnaires, on peut dire que le système recommandé par M. Mazzini, système à la fois libéral et national, est appliqué en France. Théoriquement et aux termes des lois en vigueur, la commune française possède à peu près et depuis longtemps l’indépendance administrative. Cette assertion est peut-être contraire aux idées reçues; mais, en y regardant de plus près et sans parti-pris, l’on reconnaîtra qu’elle est exacte. Si les réformateurs étaient appelés à rédiger un nouveau code de la commune, ils seraient fort étonnés de n’avoir à reproduire le plus souvent que ce qui est. Que l’on accuse la mauvaise influence d’un régime politique ou la conduite de certains fonctionnaires, c’est une autre question. Quant à l’organisation, à l’institution de la commune, elle résiste aux critiques que le parti libéral a trop facilement dirigées contre elle, et que le parti révolutionnaire a très habilement exploitées.

Les comparaisons que l’on se plaît à établir entre la commune française et la commune anglaise, belge, etc., ne sont pas plus exactes. On ne tient pas compte des conditions topographiques et sociales des différens pays. En Angleterre et en Belgique, le chiffre moyen de la population par commune est plus élevé qu’en France, ce qui fait que chaque groupe peut en général se suffire à lui-même. C’est la première condition de l’indépendance et de l’autonomie. De même qu’un particulier, la commune ne peut être réellement indépendante que si elle possède en propre les ressources nécessaires, et elle ne saurait aspirer à se gouverner elle-même selon la formule autonome, si elle avait besoin de subsides étrangers. Or cette indépendance dont jouissent les paroisses anglaises avec leur population assez nombreuse et avec leurs impôts très lourds, la plupart des communes françaises ne la possèdent pas. Il y a des départemens qui ne peuvent équilibrer leurs budgets sans le secours de l’état; à plus forte raison, il existe beaucoup de communes qui seraient absolument incapables d’entretenir leurs établissemens publics et leurs routes, si l’on ne venait pas à leur aide. Dira-t-on qu’il faut, pour remédier à cette insuffisance de revenus, procéder à une meilleure division du territoire, constituer, par la réunion de plusieurs communes, des centres de population qui, avec l’économie des frais généraux, obtiendraient directement plus de ressources et seraient en mesure de vivre de leur vie propre? Cette proposition ne serait réalisable que dans des proportions très limitées, car ce sont précisément les communes les plus étendues, dans les pays de landes ou de montagnes, qui sont les plus pauvres, et déjà les hameaux qui les composent sont trop éloignés du bourg où se trouvent la mairie, l’église et l’école. C’est par milliers que l’on compte les communes ainsi aménagées. L’indépendance administrative, qui cependant ne leur est pas refusée, leur profite peu; l’autonomie les tuerait.

En résumé, l’autonomie, si emphatiquement proclamée par les doctrinaires de l’insurrection parisienne, ne serait réalisable que dans les grandes villes; mais, ainsi que l’a très justement démontré M. Mazzini, elle aboutirait à l’anéantissement de la nationalité et à la ruine de la patrie. Elle est impraticable dans les communes petites et même moyennes, c’est-à-dire dans la plus grande partie des communes de France. Ici, elle supprimerait tout à la fois la nationalité et la commune. Doctrine fausse et purement déclamatoire, à laquelle les incidens politiques ont prêté un moment quelque vraisemblance, qui a pu invoquer, en les exagérant, certaines critiques dirigées sans études suffisantes contre l’ensemble de notre organisation municipale : voilà pourtant à quoi se réduisaient le mot d’ordre de la commune et le grain de bon sens que M. de Bismarck croyait découvrir dans les sillons sanglans de l’insurrection!


II.

Lorsque l’on accuse les sectaires du radicalisme de détruire la patrie, la famille, la religion et la propriété, quelques-uns se récrient indignés, en accusant eux-mêmes leurs adversaires de tomber dans la déclamation. Le gouvernement de la commune de Paris a tristement simplifié le débat. Ce gouvernement a tenu dans ses mains, pendant deux mois, une grande capitale. Il a eu le champ libre et la place nette ; il ne s’est pas contenté d’afficher des proclamations ; il a rendu des décrets et les a fait exécuter. Il a donc, autant que cela dépendait de lui, mis en pratique ses principes et sa morale. Il ne peut plus désavouer les actes d’après lesquels il est aujourd’hui permis de juger ses doctrines.

Ainsi, dans le programme de la commune, la patrie n’existe plus; elle est remplacée par la « république universelle. » — A la suite des élections. du 26 mars, la commune est appelée à examiner si l’élection d’un étranger est valable, et elle se prononce pour l’affirmative en déclarant que « le drapeau de la commune est celui de la république universelle. » — Le 10 avril, la garde nationale ayant manifesté du mécontentement et de l’inquiétude par suite de la nomination d’un Polonais au commandement de la place de Paris, la commission exécutive lui adresse une proclamation dans laquelle elle représente ce « citoyen » polonais comme « un soldat dévoué de la république universelle. » Voici enfin comment s’exprimait le 2 avril le journal officiel de la commune : «... Il y a ce parti du passé qui, pendant la guerre, mettait sa valeur au service de ses privilèges et de ses traditions bien plus qu’au service de la France, qui, en combattant, ne pouvait défendre notre patrie, puisque depuis 89 notre patrie, ce n’est pas seulement la vieille terre natale, mais aussi les conquêtes politiques, civiles et morales de la révolution. » Que devient, ainsi entendue, l’idée de patrie? Elle se perd dans les horizons infinis de la république universelle. Les Français, les Allemands, les Anglais, etc., sont supprimés; il n’y a plus que des citoyens du monde, les habitans d’un principe, les fidèles d’une secte. Nous ne sommes plus au temps où Danton, pressé de fuir pour échapper à ses bourreaux, répondait que « l’on n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. » Cette vieille terre natale que l’on aime jusqu’à mourir pour elle n’est plus à la taille du moderne révolutionnaire; il lui faut le monde entier! Au surplus, dans sa logique inflexible, la doctrine supprime les armées permanentes; puisqu’il n’y a plus de patrie à défendre, les soldats deviennent inutiles.

Est-il besoin de le dire? Oui, il existe une région idéale dans laquelle se rencontrent les sentimens de tous les peuples, et qui est pour les intelligences comme une seconde patrie. La communauté des sentimens et des croyances n’est point enfermée dans les frontières géographiques, et la démocratie peut reconnaître partout des coreligionnaires; mais en aucun temps ni chez aucun peuple on ne s’était encore avisé de jeter ainsi au vent la poussière du sol natal. Jamais aucun législateur n’avait osé nier la patrie. C’est la commune qui, s’inspirant de vagues déclamations, a tenté la première de pratiquer cette prétendue doctrine humanitaire, et cela en face de l’ennemi et au lendemain d’une guerre funeste, où la France a senti plus que jamais que la patrie n’est pas un vain mot! Heureusement la doctrine n’est pas dangereuse, parce qu’elle est contraire à l’un des sentimens les plus vifs et les plus profonds de la nature humaine. Il n’est pas inutile cependant de montrer aux foules, qui sont patriotes, de quoi se composait le patriotisme de la commune.

Les actes de la commune relativement à la famille ont été peu nombreux; ils suffisent cependant pour montrer le cas qu’elle faisait de cette institution. Si les maires et adjoints voulaient bien procéder à la célébration civile du mariage, un bon nombre ne prenaient guère au sérieux cette fonction municipale, qu’ils consentaient à remplir par égard pour d’antiques préjugés. Parmi les pièces d’un procès plaidé à Versailles, s’est trouvée une lettre intime, dans laquelle l’un de ces officiers de l’état civil plaisantait fort agréablement sur son intervention dans les cérémonies nuptiales. Par un décret du 10 avril, la commune décida que des pensions seraient allouées aux veuves et aux enfans, a reconnus ou non, » des citoyens morts à son service. D’après l’interprétation qui fut donnée à ce décret, demeuré sans exécution faute de fonds, les veuves n’avaient pas besoin d’être plus légitimes que les enfans. Les garanties du mariage et les conditions de la paternité étaient également indifférentes. Ce n’était pas une mesure de commisération ou de politique, c’était la doctrine sociale. L’un des principaux personnages de l’insurrection n’avait-il pas proclamé dans une réunion publique, peu de temps avant la chute de l’empire, que « le concubinage est le seul mariage de l’homme d’honneur? » Nous avons vu tout à l’heure la suppression de la patrie, voici la suppression de la famille. Les décrets sont là!

Quant à la religion, la suppression n’est pas moins complète. La doctrine de la commune est de n’en avoir pas. La commune ne reconnaît que la liberté de conscience, et, au nom de cette liberté, elle fait la guerre aux prêtres, aux frères de la doctrine chrétienne et aux sœurs de charité. Le 11 mai, la délégation à l’enseignement apprend « qu’il reste encore dans beaucoup d’écoles, sous forme de crucifix, madones et autres symboles, le souvenu-de l’enseignement religieux. » Elle ordonne aux instituteurs et aux institutrices de « faire disparaître ces objets, dont la présence offense la liberté de conscience. » Il est inutile de rappeler que l’un des premiers actes de la commune fut de prononcer par décret la séparation de l’église et de l’état, la suppression du budget des cultes et la confiscation des biens, meubles et immeubles, appartenant aux corporations religieuses. A toute occasion éclate la haine de la religion, la haine du prêtre. C’est peut-être le caractère, le plus saillant de la révolution du 18 mars.

Si la commune s’était bornée à vouloir la séparation de l’église et de l’état, ainsi que la suppression du budget des cultes, elle se serait tenue dans les limites d’une opinion qui n’est point celle de la majorité en France, mais qui est adoptée dans d’autres pays et que soutient, parmi nous, le parti républicain. Ce qu’elle a voulu avec obstination, avec une sorte de rage, c’est l’abolition de la religion et particulièrement du catholicisme. D’où vient cette doctrine de la négation religieuse? pourquoi cette proscription absolue du prêtre? Est-ce seulement, comme il est dit dans les considérans du décret du 2 avril, parce que « le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté ? » Non ; il faut voir là un symptôme malheureusement trop sérieux de la maladie qui afflige le temps présent, un acte très réfléchi du matérialisme qui se couvre du manteau de la libre pensée, et qui, pour cheminer dans les bas-fonds sociaux, invoque les souvenirs révolutionnaires de 1793. Il y a quelque temps, on était simplement libre penseur; aujourd’hui l’on écrit froidement, une heure avant de marcher à la mort : « Je suis matérialiste. » Le condamné a révélé dans ce moment suprême l’un des mots d’ordre de la commune.

Il n’est pas sans intérêt de marquer ici les phases par lesquelles a passé l’esprit révolutionnaire dans ses rapports avec la religion. Les hommes de 1793 avaient aboli le culte catholique et persécuté les prêtres, mais ils ne prétendaient pas supprimer l’idée religieuse, ni même le culte, qui est l’expression et le signe de toute religion. Ils croyaient à l’Être suprême, ils honoraient la déesse Raison, ils célébraient des jours de fête. La révolution de 1830, accomplie par les classes moyennes, respecta la religion et s’abstint de persécuter le clergé, bien que ce dernier se fût associé très intimement à la politique du régime qui venait de tomber. En 1848, non-seulement la religion et le clergé furent à l’abri des attaques de la révolution populaire, mais encore l’on vit les vainqueurs de février demander respectueusement aux prêtres la bénédiction des arbres de la liberté. Après la révolution de 1870, les sentimens sont tout autres : le peuple vise aux prêtres; la commune, maîtresse de Paris, envahit les églises, décroche les crucifix dans les écoles, et pour comble fusille l’archevêque, alors que dans les principales villes de province, où la démocratie domine les conseils électifs, une ardente campagne est engagée contre l’enseignement religieux. Bien que le clergé se fût montré favorable au coup d’état de 1851, l’on ne saurait dire que pendant les dernières années de l’empire, sous l’influence des affaires de Rome, son attitude fût plus bienveillante envers le régime déchu qu’elle ne l’avait été envers la monarchie de juillet. Ce n’était donc pas un sentiment de rancune ou de vengeance politique qui déchaînait contre la religion et ses ministres les colères de la dernière révolution. Cette hostilité tout à fait systématique remonte plus haut, et tient à des causes plus profondes.

En étudiant l’origine et les progrès du mouvement socialiste en Europe, l’on observe que les premières prédications sont parties de l’Allemagne et de la Suisse. Dès 1840, la jeune Allemagne, qui avait établi ses quartiers-généraux à l’abri de l’hospitalité helvétique, inscrivait dans son programme l’athéisme pur et simple. Ses doctrinaires avaient compris que le socialisme rencontrerait dans l’idée religieuse l’adversaire le plus redoutable, et que, pour préparer son triomphe, il devait tout d’abord supprimer Dieu. Rien de plus instructif à cet égard que les publications fort nombreuses de la jeune Allemagne et les comptes-rendus des réunions fréquentes qu’elle tenait en Suisse, principalement à Lausanne, de 1840 à 1848. Le complot contre Dieu s’y dénonce avec un cynisme absolu. À cette époque, le parti révolutionnaire français était plutôt politique que socialiste, il se contentait d’attaquer le gouvernement sans s’inquiéter des choses religieuses et sans prendre part aux discussions mystiques et philosophiques qui agitaient les démocrates allemands; mais après 1848 les révolutionnaires français tournèrent rapidement au socialisme : ils reconnurent, d’après l’exemple de la jeune Allemagne, que le sentiment religieux est essentiellement rebelle à la prétendue régénération sociale. La commune de Paris s’est chargée d’exécuter le programme dans toutes ses parties, de fonder sur les persécutions le règne de la liberté de conscience et de couronner le matérialisme. Ce qui est grave, ce n’est pas qu’un certain nombre de sectaires aient osé, dans l’ivresse de leur éphémère triomphe, proclamer de telles doctrines et les affirmer par de tels actes; c’est qu’ils aient pu le faire impunément en face d’une population de près de deux millions d’âmes, dont une partie applaudissait et l’autre partie se résignait à ces manifestations violentes. Certes le mal est profond. Il faut presque rendre grâce à la commune de l’avoir si ouvertement révélé.

La propriété a été, dès le début, le point de mire du socialisme, qui n’a fait qu’imiter en cela l’exemple des révolutionnaires de tous les temps. Il n’y a pas en effet de recette plus sûre pour recruter des adhérens que d’exciter ceux qui ne possèdent pas contre ceux qui possèdent, d’opposer la richesse des uns à la pénurie des autres, et de subordonner le bien-être général au nivellement des fortunes. On lève ainsi ces armées de misérables que les chefs de révolutions ont toujours trouvées prêtes pour le combat. Supprimer la propriété, comme le demandaient les premiers communistes, c’était l’enfance de l’art, c’était une imprudence, car les plus pauvres aspirent à devenir propriétaires, et ils se battent à cette fin; la transformer était plus habile, parce que sous cette promesse vague on pouvait entendre la rectification d’un état de choses qui était dénoncé comme contraire à l’égalité, à la justice et à l’intérêt du plus grand nombre. Cependant cette rédaction a été perfectionnée. Il n’est plus question de supprimer ni de transformer la propriété; il s’agit maintenant de l’universaliser. Telle est la formule que la commune avait adoptée dans son programme, où l’on peut dire que tout est universel, la patrie, la famille, la propriété. On doit arriver au résultat par la suppression des privilèges et des monopoles, par la gratuité du crédit et par l’organisation du travail, vieux mots que semble rajeunir la formule nouvelle de l’universalité. Les parties du monde, les nationalités, les sentimens, les intérêts, tout est ainsi noyé dans le déluge universel !

La commune de Paris n’a pas eu le temps d’appliquer sa doctrine. Plus d’une fois elle a porté atteinte au principe de la propriété : elle a décrété la confiscation des biens appartenant aux corporations religieuses, elle a ordonné la destruction de l’hôtel de M. Thiers, elle a aidé très ouvertement les locataires qui déménageaient sans payer leur loyer; mais ce n’étaient là que des mesures spéciales, dictées par le sentiment de vengeance politique ou par les exigences d’une situation exceptionnelle. Il ne lui est pas resté de loisirs pour combiner un système pratique au sujet de la propriété. Il n’est pas téméraire de dire que sur ce point sa politique « expérimentale, positive, scientifique, » aurait complètement échoué. Quant à la doctrine en elle-même, il est inutile de démontrer que l’universalisation de la propriété n’est qu’un euphémisme qui équivaut à la destruction de la propriété telle que l’ont établie et conservée les lois de tous les pays civilisés. Si la commune a été empêchée d’agir, on peut se faire une idée de ses intentions en relisant les discours que ses précurseurs prononçaient avant 1870 dans les réunions publiques, où la propriété et les propriétaires ont reçu plus de trois avertissemens.

Il est probable que la commune n’aurait pas pu réaliser le crédit gratuit, vieille réminiscence de 1848, et cette lacune est peu importante, car, pendant les deux mois de guerre civile, le crédit lui-même n’existait plus; toutefois l’organisation du travail a reçu un commencement d’exécution. Un certain nombre de patrons ayant quitté leurs usines et Paris, où la sécurité et le travail leur faisaient défaut, la commune rendit, le 16 avril, un décret par lequel les chambres syndicales ouvrières étaient convoquées « à l’effet de constituer une commission d’enquête chargée : 1° de dresser une statistique et un inventaire des ateliers abandonnés; 2° de présenter un rapport établissant les conditions pratiques de la prompte mise en exploitation de ces ateliers, non plus par les déserteurs qui les ont abandonnés, mais par l’association coopérative des ouvriers qui étaient employés; 3° d’élaborer un projet de constitution de ces associations coopératives ouvrières; h° de constituer un jury arbitral qui devra statuer, au retour des patrons, sur les conditions de la cession définitive des ateliers aux sociétés ouvrières et sur la quotité de l’indemnité qu’auront à payer les sociétés aux patrons. » Il convient de rendre cette justice à la commune, qu’elle entendait non pas occuper gratuitement, mais exproprier pour cause d’utilité ouvrière les établissemens demeurés en chômage. Par quels fonds ou au moyen de quelles garanties les ouvriers auraient-ils payé le prix des ateliers? C’est une autre question. La dette était au moins reconnue. Le 27 avril, par un avis inséré au Journal officiel, le syndicat des mécaniciens invita les autres corporations à choisir des délégués pour la commission d’enquête. « Travailleurs, disait-il, voici une des grandes occasions de nous constituer définitivement et de mettre en pratique nos études patientes et laborieuses de ces dernières années. » La coopération, ce remède souverain, allait donc être pratiquée en grand sous les auspices de la commune, les ouvriers allaient devenir patrons : c’était la fin du prolétariat, l’émancipation des travailleurs ! Les choses en restèrent là. Pas plus que les anciens patrons, les ouvriers n’auraient pu, durant cette affreuse crise, obtenir ni exécuter des commandes, et l’on ne manquera sans doute pas d’attribuer exclusivement aux circonstances l’échec de ce beau plan, jugé digne d’être consacré par un décret. Il suffit de remarquer que, parmi les nombreux systèmes recommandés depuis 1848 pour l’organisation du travail, la commune venait d’adopter l’association coopérative, dont on avait fait tant de bruit pendant ces dernières années.

Il était du reste naturel que la commune accordât toute sa sollicitude à l’examen des questions qui intéressent les ouvriers. Elle comptait dans son sein plusieurs membres influens de la Société internationale des travailleurs, qui pouvait revendiquer une grande part à l’insurrection du 18 mars; en outre elle avait à remplir les engagemens pris envers les ouvriers parisiens, qui formaient l’élite de ses soldats. Après leur avoir dit que la révolution du 4 septembre les avait misérablement trahis, elle était tenue de leur donner quelque satisfaction. Elle avait donc institué une commission du travail et de l’échange, qui tint de nombreuses séances et s’attribua, pour l’étude des questions ouvrières, un rôle analogue à celui qu’avait joué en 1848 la fameuse commission du Luxembourg, présidée par M. Louis Blanc. Elle s’occupa des salaires, de la durée du travail, de la discipline intérieure des ateliers. A vrai dire, elle était dominée par les ouvriers plutôt qu’elle ne les dirigeait, et ses décisions n’étaient le plus souvent que des actes de docilité. Elle faillit bouleverser l’industrie de la boulangerie en interdisant le travail de nuit, contrairement à des habitudes séculaires fondées sur les intérêts de ce commerce et sur les besoins de l’alimentation. Elle voulait abolir les bureaux de placement, dénoncés comme une institution de la tyrannie. Elle supprima dans les ateliers les retenues et les amendes, qui étaient employées cependant à former les caisses de secours, et il est curieux de voir avec quelle solennité cette mesure fut notifiée aux patrons. Un contrôleur-général des chemins de fer, nommé par la commune, saisit cette occasion pour adresser aux citoyens directeurs des compagnies une grave leçon de justice et d’égalité. « La répartition des secours, écrit-il, est la plupart du temps abandonnée à l’arbitraire ou à des influences plus ou moins justifiées. Le secours lui-même est une offense directe à la dignité du travailleur, une atteinte à sa moralité. La caisse de secours peut donc disparaître. Réintégré dans la plénitude de ses droits, le travailleur saura bien, par sa seule initiative, se garantir contre les éventualités de l’avenir. La révolution du 18 mars est assise sur une base inébranlable : la justice… L’arrêté du 27 avril est une des conséquences logiques de cette révolution. » Ajoutons à notre tour que la conséquence la plus claire de l’arrêté du 27 avril devait être de procurer une économie aux grandes entreprises, qui subventionnent ordinairement sur leurs propres fonds les caisses de secours mutuels organisées pour leur personnel. C’était ainsi que la commune protégeait les intérêts des ouvriers ; mais aussi quelle belle occasion pour exalter la dignité du travailleur, pour placer les grands mots d’égalité, de droit, de justice ! L’ouvrier n’était là qu’un sujet de déclamation.

L’économie politique de la commune va de pair avec la politique révolutionnaire. Celle-ci consiste à prononcer la déchéance de la bourgeoisie et l’avènement du prolétariat, lequel est représenté par les travailleurs. D’après la doctrine, la qualification de travailleurs appartient aux ouvriers qui vivent du travail manuel. Le bourgeois de 1789 a fait sa révolution ; il a fait ses affaires, il a fait son temps. Place au prolétaire ! La commune a l’ambition d’inscrire dans l’histoire du monde la date de l’émancipation politique, économique et sociale du travailleur. Sur ce point, elle s’est bornée à une déclaration de principes, c’est-à-dire à des phrases qu’elle n’a pas eu le mérite d’inventer et qu’elle n’a pas su rajeunir. Le langage de 1871 est copié sur les prospectus démocratiques de 1848, sans corrections ni variantes. Nous en avons déjà reproduit quelques échantillons, et il serait tout à fait superflu de discuter ces monotones redites. Il s’agit simplement de mettre en haut ceux qui sont en bas ; c’est un pur changement de dynastie. On peut cependant signaler une évolution qui s’est produite dans l’attitude du parti socialiste. Pendant longtemps, ce parti a fait profession de dédaigner l’action politique en réservant toutes ses forces pour la solution des problèmes qui intéressent directement le travail. Il invoquait plus volontiers les droits de l’homme que les droits du citoyen. Lorsqu’elle entreprit ses opérations, la Société internationale des travailleurs invita ses adhérens à ne point se préoccuper des régimes politiques et à ne pas se lier absolument à la forme républicaine, le socialisme pouvant faire tout aussi bien son œuvre et produire ses conséquences sous un empire que dans une république. Peu à peu cette tactique s’est modifiée. L’idée commune de révolution a rapproché et mis d’accord le radicalisme et le socialisme, les ardeurs politiques l’ont emporté, les directeurs du mouvement ont jugé que, pour consommer la rénovation sociale au profit des travailleurs, il fallait premièrement saisir le pouvoir. On a donc inscrit en tête du nouveau programme la république universelle, gouvernée exclusivement par les délégués des ouvriers. Telle est la forme sous laquelle on prépare l’avènement du prolétariat. La commune de Paris a fourni le prologue. Elle ne s’est pas contentée d’occuper l’Hôtel de Ville, où jusqu’alors s’étaient arrêtés les triomphes populaires; elle a eu la prétention d’organiser un gouvernement.

Telle est, d’après les écrits et les actes de la commune, la série presque méthodique des doctrines au nom desquelles s’est prolongée cette formidable insurrection du 18 mars. Si la prise d’armes peut être attribuée à un fatal concours de circonstances politiques et locales, on doit reconnaître que les causes de la guerre remontaient beaucoup plus haut. La revendication des franchises municipales pour Paris n’était même qu’une occasion et un prétexte, dont on a fait un mot d’ordre. Au fond, c’est le socialisme qui, battu une première fois en 1848, a livré en 1871 un second combat plus acharné et plus sanglant. Comment donc a-t-il pu, en vingt-trois années, accroître à ce point ses forces et armer tant de bras pour des doctrines irréalisables, que le raisonnement et l’expérience ont partout maintes fois réfutées? Comment s’est-il propagé si rapidement au milieu de nous? L’égalité civile règne en France dans le sens le plus absolu, l’égalité politique est consacrée par le suffrage universel, l’égalité sociale existe aussi complète qu’on peut la concevoir avec les distinctions inévitables qui se rencontrent dans toutes les réunions d’hommes, et qui renaîtraient naturellement le jour même où l’on croirait les avoir supprimées; en un mot, il n’y a plus de privilèges légaux, plus de privilèges politiques, et du plus riche au plus pauvre, du plus élevé au plus humble, la distance est presque effacée par la familiarité des mœurs. Depuis trente ans, ce qui nous restait de vieilles lois contraires à la liberté du travail a été amendé ou aboli. On a multiplié les institutions, les combinaisons bienveillantes et utiles. Le travail est devenu abondant, et les salaires, comme les profits, ont haussé. Que la misère ne soit pas supprimée, qu’il y ait beaucoup de perfectionnemens à faire, que tout ne soit pas pour le mieux, cela est certain, et le devoir de la société, des gouvernemens et des individus est de poursuivre sans relâche la conquête de nouveaux progrès : chaque génération doit fournir son labeur; mais en fait il n’existe peut-être pas un pays au monde où l’on observe moins qu’en France des causes légitimes de haines ou de révolutions sociales. Comme on l’a dit avec raison, il ne resterait plus de révolutions à essayer que pour le partage des biens. Comment donc, encore une fois, sommes-nous exposés plus que d’autres à ces effroyables crises ? Il faut assurément que le socialisme ait rencontré sur notre sol des conditions favorables et de faciles alliances.

C’est à l’étranger, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, que le socialisme élabore ses dogmes et prépare ses plans de campagne; il réserve à la France la proclamation et l’exécution. La France seule possède à ses yeux la tradition révolutionnaire. Depuis la fin du dernier siècle, elle a fourni pour ce genre de luttes un champ propice et de nombreux soldats. Quoi qu’en ait dit M. Mazzini, et nous voudrions que sur ce point son arrêt fût définitif, la France est loin d’avoir perdu la confiance du socialisme européen. Elle lui offre au contraire par le suffrage universel son levier le plus puissant. La loi du suffrage universel a consacré la supériorité du nombre, et, comme le socialisme s’adresse plus particulièrement aux foules ignorantes et misérables, il y trouve aisément des aveugles qu’il trompe et des auxiliaires qui le servent. Voilà comment il est redoutable en France plus qu’ailleurs; il y pénètre directement dans la politique, il exerce son influence sur les votes, il fait ainsi le dénombrement périodique de ses forces, et il peut saisir le moment où il lui sera le plus facile de passer du scrutin à l’action.

Dans une monarchie fondée sur le suffrage universel, la popularité est le point de départ et le but du souverain. Celui-ci fait tout pour se rendre populaire, pour conserver les suffrages qui l’ont élu et pour écarter les concurrens qui viendraient détourner à leur profit la source de son pouvoir. Dans ces efforts, la toute-puissance elle-même s’épuise et doit un jour ou l’autre se heurter contre l’impossible. Il ne lui suffit pas de donner satisfaction aux vœux légitimes ni de se montrer constamment prodigue pour le bien-être du peuple ; il faut qu’elle parlemente avec le nombre, qu’elle cède à ses préjugés, flatte ses illusions et parfois capitule, car à côté se tient le socialisme, qui, exploitant les plus mauvais sentimens de l’âme, excite les convoitises, remue les passions, élève au plus haut les exigences, et promet audacieusement aux foules tout ce que le souverain est incapable de leur donner. Il arrive alors que le gouvernement emprunte certaines parties du programme qu’on lui oppose, croyant désarmer par ce moyen son adversaire; mais, s’il conserve sa popularité, s’il maintient l’ordre matériel, il risque de compromettre l’ordre moral et la grande discipline des idées. C’est ce que nous avons vu durant quelques années, dans une mesure que l’on a exagérée quand on a dit que l’empire et son chef étaient socialistes, mais qui a suffi pour entretenir parmi les catégories de citoyens récemment appelés à l’action politique des prétentions excessives et une ambition déréglée. L’empire a contenu les entreprises révolutionnaires des socialistes; il n’a point arrêté, il a plutôt laissé se développer, à l’ombre du suffrage universel, le progrès de leurs doctrines.

D’un autre côté, n’ayant pour lutter que des armes fort inégales, une partie des adversaires de l’empire s’inclinaient avec une égale indulgence devant les passions du suffrage universel. Les uns recherchaient, les autres subissaient le concours du parti socialiste, qu’ils eussent combattu énergiquement, s’ils avaient tenu le pouvoir ou s’ils avaient eu l’espoir d’y atteindre. C’était surtout à Paris et dans les grandes villes, au milieu des populations ouvrières, qu’ils s’adressaient à des électeurs tout imprégnés déjà des doctrines socialistes. Enfin, s’il était rationnel et nécessaire que, sous le régime du suffrage universel, toutes les pensées, tous les travaux eussent pour objectif l’intérêt du peuple, il est permis de dire que, dans les divers partis, la recherche de la popularité a produit les plus regrettables écarts. C’était à qui ferait le plus bas la cour aux ouvriers. On leur parlait sans cesse de leurs droits, rarement de leurs devoirs; on écartait de leurs regards les vérités rigoureuses de l’expérience et de la science; on leur répétait, dans des discours passionnés ou dans des livres éloquens, les sophismes de l’école révolutionnaire. Les problèmes si importans qui se rattachent à la question du travail étaient habilement accommodés aux goûts et aux illusions de ceux que l’on prétendait instruire et dont on voulait conquérir les votes. Des esprits éminens se laissaient entraîner dans l’ardeur de la lutte et sous le charme de la popularité qui ne manque jamais à de pareilles thèses. On pourrait, si la tâche n’était pas trop ingrate, relever dans les proclamations et dans les décrets de la commune bon nombre d’idées et même de phrases empruntées à des orateurs ou à des écrivains qui repoussent aujourd’hui avec la plus vive indignation les doctrines comme les œuvres du socialisme. Il en est qui ont déjà demandé pardon à Dieu et aux hommes. Pendant ce temps-là, les socialistes écoutaient, applaudissaient et retenaient. Laissant la gloire aux prédicateurs, ils gardaient le profit pour leur église, qui recrutait chaque jour dans les ateliers de nombreux prosélytes. Que l’on ajoute à cela les excitations des clubs, rouverts sous le titre légal de réunions publiques, et l’on comprendra comment, au milieu de nos indicibles désastres, nous avons eu l’explosion du 18 mars.

Quelle leçon ! Combien il faudra de temps et d’efforts non-seulement pour réparer les ruines matérielles que la commune a faites, mais surtout pour porter remède à la désorganisation intellectuelle et morale qui est le fruit du socialisme ! Négation de la patrie, de la religion, de la famille, de la propriété privée, résurrection des haines de castes, règlement empirique des conditions qui régissent le travail, déplacement du pouvoir politique par la subordination de l’intelligence à la force brutale du nombre, voilà ce que l’on trouve en décrets et en actes, lorsqu’on étudie de près l’histoire de la commune de Paris; voilà nos ruines morales! La commune de Paris a été vaincue; ne voit-on pas cependant qu’elle conserve, comme tous les vaincus, l’espoir de la revanche ? Il faut donc que les gouvernemens et les sociétés se tiennent prêts à la défense commune contre une conspiration permanente qui se déclare elle-même internationale et universelle. Aux gouvernemens il appartient d’appliquer les lois avec fermeté, — aux sociétés, de rectifier les mœurs publiques, d’instruire les citoyens sur leurs devoirs comme sur leurs droits, de démontrer aux populations ouvrières à quel point leurs intérêts se confondent avec l’intérêt général, enfin de soumettre à un contrôle plus sévère la parole, les écrits, les alliances politiques de ceux qui aspirent à gouverner. C’est ainsi seulement que nous pouvons, sous le régime du suffrage universel, combattre les doctrines de la commune.


C. LAVOLLEE.

  1. The Commune in Paris, article publié à Londres par M. J. Mazzini. (Contemporary Review, juin 1871.)