Les Décorés/Edgar Degas

Les Décorés : Ceux qui ne le sont pasH. Simonis Empis, éditeur (p. 3-5).


EDGAR DEGAS


Un maître peintre, un chef d’école, un artiste hors pair. A prouvé la possibilité de créer des chefs-d’œuvre en reproduisant les êtres les plus ineptes : des filles, des danseuses, des chanteuses de café-concert, des gommeux et des jockeys. A appris la manière de s’en servir à de bons jeunes gens roublards qui se sont acquis des rentes en plaçant son procédé à la portée des philistins et en mettant de l’eau dans son vin : plus commode que d’élever des lapins. Ses hôtes ont déménagé de chez lui en emportant son argenterie et ses draps dont ils se servent — aux Salons annuels — après un démarquage soigneux.

Méprisant et hautain, agressif et mordant, féroce pour les naïfs qui cherchent à lui rendre service ou à chanter ses louanges, recherché des raffinés, très craint de ses intimes qui se raréfient de jour en jour et filent à l’anglaise, afin d’éviter ses mots terribles faisant mouche à tout coup. S’il existait un armorial en art, Degas porterait le même blason qu’Henri Becque, mais avec plus de fiel en gueule.

Très vert, malgré ses soixante ans qui semblent avoir été conservés dans le vinaigre de sa… misanthropie ; fuit les cohues, les expositions, les promiscuités, les halles à l’huile, les concours, les jurys, les associations et les écoles. Prétend s’être arrêté, dans ses lectures, à Alexandre Dumas père, mais a illustré les Petites Cardinal, de Ludovic Halévy, dont il a peint le portrait — une vraie merveille.

N’aime personne, et déteste tout le monde ; fait durement expier à ses amis, par ses sarcasmes empoisonnés, les niaises attaques de ses ennemis et les blessures d’un amour-propre éternellement à vif.

Presqu’autant d’esprit que de talent, c’est-à-dire énormément.

Adore Poussin, Ingres et… Degas — histoire d’embêter l’Institut qui préfère Paul Flandrin, Cabanel et Benjamin Constant.

Dans cinquante ans, la direction des Beaux-Arts paiera cent mille francs une de ses toiles pour le Louvre, et une souscription nationale lui érigera une statue dans le foyer de la danse, à l’Opéra.

Qui va piano, va sano.

Et le jour de l’inauguration, le bronze ou le marbre sera capable de tomber sur un assistant enthousiaste — un peintre, de préférence — afin de formuler une suprême rosserie parachevant la ressemblance du modèle.