Calmann-Lévy éditeurs (p. 330-332).

VII

Chouchou fit d’abord ses premiers pas aidé de béquilles, et ses membres se guérissaient si vite qu’il put bientôt se contenter d’une canne et du bras de Fanchette où il s’appuyait de toute sa confiance.

On voyait partout leur couple pareil à une image de légende. Ils se promenaient dans les vestibules du château, dans le parc, sur le chemin creux qui menait à l’usine, ils allaient jusqu’au bois, toujours inséparablement enlacés. Ils passaient comme l’illustration d’un beau roman de chevalerie. Lui était le Tristan de la conquête des airs ; elle, l’Yseult d’une cité lointaine, qu’un enchantement lui avait si longtemps défendue. Il prétendait ne pouvoir faire un pas sans le bras de Fanchette. Elle gardait toujours le regard de ses yeux de glace, mais elle devenait belle comme le jour.

Sam et Freddy dirent à Fanchette :

— Les Martin d’Oyse sont des ingrats. Nous les avons sauvés de la ruine. À la médiocrité de leur filature nous avons substitué la prospérité. Ils sont riches aujourd’hui et c’est notre œuvre. Mais ils veulent nous condamner au rôle d’ouvriers de leur opulence et limiter là notre action. Nous étions venus sans arrière-pensée, pour les aider de toute manière. Il nous semblait intéressant d’apporter à cette ancienne et illustre famille l’appui de notre puissance. Nous agissions de tout cœur, car nous leur avions donné vraiment notre affection. L’argent que nous avons mis dans leur entreprise nous a largement rapporté, mais nous voulions en outre faire du bien dans leur propre domaine. Nous nous figurions qu’ils ne nous en aimeraient que davantage et qu’ils applaudiraient aux vues et aux réalisations dont ils sont incapables, eux, rêveurs. Mais voilà qu’au rebours de ce que nous attendions, ils se sont montrés jaloux de ce bien que nous opérions. Après que nous les avons dotés de toutes sortes d’agréments pratiques, et que nous leur avons enseigné l’art de vivre que nous possédons mieux qu’eux, ils se retournent contre nous et nous traitent en ennemis. Cela nous cause une peine profonde, Fanchette.

— C’est que, dit Fanchette, lorsqu’on a rendu service à son ami le plus cher, il faut éviter ensuite d’en prendre avantage pour faire le maître chez lui.