Les Contes populaires en Italie/chap03

Les Contes populaires en Italie
G. Charpentier, éditeur (p. 38-50).
III
LA LÉGENDE DU SEIGNEUR DE CARINI — CONTES ANTIQUES : RÉMINISCENCES DE POLYPHÈME, DE PSYCHÉ ET DE LAIS.

Voyons — si ces contes peuvent fournir à la science quelques documents nouveaux. Ce qui frappe tout d’abord, c’est à quel point ils ressemblent à ceux des autres provinces italiennes. Il fut un temps (c’était hier) où l’Italie, morcelée en petits états, ne permettait pas à ses enfants du midi de connaître ceux du nord. Ces états mêmes se partageaient en compartiments distincts séparés par des clôtures qu’il n’était pas facile de franchir : les Abruzzais par exemple, les Gampaniens, les Apuliens, les Lucains, les Calabrais, les Siciliens existaient bien sous le sceptre plus ou moins dur du même prince, mais n’avaient pas même un nom commun pour les désigner tous : on avait bien trouvé une combinaison géographique et politique appelée les Deux-Siciles, mais on n’avait jamais pu constituer un peuple appelé les Deux-Siciliens.

Eh bien ! malgré cette dispersion et cet isolement, les Italiens communiquaient entre eux par la poésie, échangeaient des strophes, des idées, des images, et ceci même entre illettrés, par d’insaisissables transmissions que la police ne pouvait réprimer ni prévenir.

Un rispetto sicilien dit qu’un garçon alla se confesser au pape d’aimer une femme éperdument.

— Si c’est comme cela, répond le pape, sois pardonné ; par pénitence, aime-la encore davantage.

La même idée se retrouve dans des chansons populaires de Toscane, du Piémont, de Ligurie, de Vérone et de Milan, seulement il y a des variantes : dans la chanson génoise, le pape prononce, sans trop de rigueur, cet arrêt : « que ce n’est pas un péché d’aimer, pourvu que la fille soit belle. »

À Milan, c’est au curé qu’on s’adresse : « Si c’est péché, répond-il, que ce soit péché (peccato sia), ma mère l’a fait aussi. » Voilà qui nous ramène à la pointe gauloise :

            Eh ! mes petits enfants, pourquoi,
            Si j’ai fait comme ma grand’mère.
            Ne feriez-vous pas comme moi ?

Béranger connaissait-il le couplet milanais lorsqu’il écrivit ces trois vers, ou n’est-ce pas plutôt qu’il y a dans l’air certaines idées qui viennent à tout le monde ? Ces rencontres si fréquentes entre les poètes populaires dans les contes patois de la Péninsule ont donné naissance à une thèse ingénieuse de M. Vittorio Imbriani. Ce jeune écrivain a fait un cours à l’université de Naples sur « l’organisme poétique de la poésie populaire italienne, » où il a tâché de prouver que les Italiens, comme tous les autres peuples, eurent une épopée commune, primitive et populaire, dont la partie narrative s’est en quelque sorte disjointe et a disparu. Il n’en est resté que des fragments lyriques qui, arrondis par le temps, ciselés par le peuple, ont fini par former de petits morceaux à part qu’on trouve un peu partout.

M. Imbriani ne s’est pas contenté de lancer cette conjecture dans le public ; il a cherché quelle pouvait être cette épopée primitive dont les brisures seraient devenues, selon lui, les chansons du peuple, et il pense l’avoir trouvée dans une légende sicilienne, « les amours de la fille du seigneur de Carini avec le comte d’Asturi » amours tragiques s’il en fut, car le père tua sa fille. M. Pitrè nous donne dans l’introduction de son recueil de chants siciliens un fragment de poème sur cet horrible sujet. Traduisons ce fragment mot à mot ; on y verra les franchises, les audaces, la syntaxe déréglée, les changements continuels de temps dans les verbes, les grandes ellipses et les enjambées de géant que se permet, en prose comme en vers, la muse plébéienne et rustique. Ces deux couplets nous apprennent comment le prince de Carini surprit les amours de sa fille coupable.

« Le prince de la chasse était revenu — « Je suis fatigué, je veux me reposer. » — Quand à la porte s’est présenté à lui — un moine, et il veut lui parler. — Toute la nuit ensemble ils sont restés. — Leur confession bien longue ils auront à faire.

« Jésus Marie ! quel air troublé ! — C’est le signal de la tempête. — Le moine descendait et riait, — et le prince en haut faisait rage. — La lune s'enveloppait de nuages, — la chouette en pleurant voletait. »

C’est bien là le ton de l’épopée populaire ; mais M. Imbriani aura de la peine à prouver que celle-ci soit primitive et que les Italiens de toutes les provinces l’aient connue dans le bon vieux temps. Notons d’abord que l’assassinat de la jeune fille est un fait historique qui s’est passé, dit-on, le 4 décembre 1563 : en cette année-là, le peuple connaissait déjà l’Arioste. M. Imbriani pense, il est vrai, que le poème doit ótre inspiré par un événement beaucoup plus ancien et qui peut remonter au xiiie siècle : cette conjecture a été repoussée dans une discussion où nous ne voulons pas entrer. À notre humble avis, la grande épopée commune est encore à trouver, et il ne suffit pas, pour qu’elle existe, du plaisir qu’elle ferait à certains théoriciens. Les poètes viennent quand ils veulent ou quand ils peuvent, non quand les critiques ont besoin d’eux.

D’ailleurs on peut se passer d’une source commune pour expliquer les ressemblances entre les contes ou les chansons de tous les pays. M. de Puymaigre, qui a recueilli tant de chants populaires dans le pays messin, a déjà remarqué la facilité de locomotion qui caractérise la poésie campagnarde et plébéienne. « Alerte et court vêtue, comme Perrette, elle fait un chemin énorme malgré tous les obstacles ; montagnes, fleuves, rivières, et, chose incroyable, changements de langue, rien ne l’arrête. Elle passe les Alpes aussi facilement que les Pyrénées ; elle va du Piémont à la Normandie, de la Bretagne à Venise, de la Picardie à la Provence. » Et ces noms de pays ne sont pas pris au hasard ; les gondoliers chantent bien réellement dans leur dialecte futé des chants bretons.

Il est certain toutefois que bien des contes siciliens sont de très-vieux souvenirs qui n’ont jamais quitté le pays : n’oublions pas que l’île, autrefois grecque, a beaucoup gardé de la jeunesse héroïque où elle fut chantée par Homère.

Un jour, au mont Eryx, on conduisit auprès de M. Pitrè une petite fille de huit ans, appelée Maria Curatolo, qui racontait déjà des histoires :

— Veux-tu m’en dire une ?

Et la petite fit le récit suivant que nous traduisons mot à mot :

LE MOINILLON
,

Je vais conter à présent un conte qui fait peur ou peu s’en faut, c’est le conte du Moinillon.

On conte et on raconte qu’il y avait une fois deux moines, ces deux moines allaient chaque année à la quête, car c’étaient de pauvres gens. Une fois ils perdirent leur chemin, prenant un sentier mauvais, mauvais. Le petit dit au grand :

— Ce n’est pas notre chemin, celui-ci.

— Cela ne fait rien, marchons toujours.

En cheminant, ils virent une grotte bien grande, et il y avait dedans un animal qui faisait du feu, mais eux ne croyaient pas que ce fût un animal. Il dit (le grand) :

— Nous allons maintenant nous reposer ici.

Ils entrèrent, et il y avait cet animal qui tuait des moutons (parce qu’il avait des moutons) et les faisait cuire. Comme ceux-ci entrèrent, cet animal était en train de tuer une vingtaine de moutons et les cuisait.

— Mangez !

— Nous ne voulons pas manger, nous n’avons pas faim.

— Mangez, vous ai-je dit.

— Quand ils eurent fini de manger tous ces moutons, le diable se leva (car l’animal était diable) ; eux se couchèrent, et lui, l’animal, alla prendre une très-grosse pierre, la mit devant la grotte, prit un fer très-grand, pointu, pointu, le fit rougir au feu et l’enfila dans le cou du plus grand des moines, il le brûla, et voulut le manger en compagnie du petit.

— Je ne veux pas manger, je n’ai plus faim, dit le petit.

— Lève-toi, sans quoi je te tue.

Le pauvret transi de peur se leva, se mit à table ; il prenait, le pauvret, un petit morceau, il faisait semblant de le manger et le jetait à terre.

— Marie ! je n’ai plus faim, bien vrai.

À la nuit, le bon chrétien (lu bonientu) prend le fer, le réchauffe et le lui plante (à l’animal) dans les yeux, et les yeux lui jaillirent dehors.

— Ah ! que tu me tues !

Le bon chrétien se blottit de peur dans la laine des moutons ; l’animal à tâtons va ôter la pierre de la grotte et en sort tous les moutons un à un. Vint le mouton où était le bon chrétien, et le bon chrétien n’y était plus (dans la grotte). Il s’en alla à Trapani, en mer. Il y avait à Trapani toutes les barques et les marins. Il dit :

— Faites-moi mettre là dedans, et je vous en tiendrai compte.

— Il se mit dans une barque, l’animal alla pour le repêcher, et les marins firent courir la barque (à toutes rames). Tandis qu’il court (le moinillon), il prend une pierre dans sa poitrine, et lui (l’animal), qui était aveugle, tomba et se cassa la tête. Le Moinillon s’enfuit, et l’animal resta là.

Et l’histoire est finie.

Qu’aurait dit Guillaume Grimm, qui a écrit la légende de Polyphème, en entendant l’histoire du cyclope racontée ainsi, dans l’ile où elle s’est passée, après tant et tant de siècles, par une petite fille de huit ans.

Voici encore une légende des temps antiques : ici nous sommes forcés d’abréger le récit un peu chargé de détails, mais nous en conservons l’allure et le mouvement.

LE ROI CRISTAL.
,

Il y avait une fois un père et trois filles qui n’avaient rien à manger. La grande fille dit à son père :

— Allez chercher ma fortune. Allez chez une dame (et elle la lui nomma) et demandez-lui un quarteron de vin : nous verrons alors si j’aurai du bonheur.

Ainsi fit le père, et la dame, à la première demande, lui donna le vin à la condition qu’il lui apporterait de la verdure (des légumes). Ainsi fut fait. Puis la fille moyenne dit à son père :

— Vous avez pensé à ma sœur aînée, pensez aussi à moi, et demandez-lui une galette en mon nom.

Ainsi fit le père et il paya la galette en verdure. La plus petite à son tour :

— Pensez à moi maintenant ; allez demander en mon nom un peu de monnaie pour mes dépenses. Le père alla chez une autre dame et obtint aussi l’argent en promettant de la verdure ; il s’en revint tout joyeux en disant qu’il avait trouvé la fortune de ses trois enfants. Le lendemain, comme il allait dans la campagne pour chercher de la verdure ; il n’en trouva point ; il ne trouva qu’un chou et se mit à le couper, mais il n’en put venir à bout ; le tronc jetant fort, et puis la pluie l’assassinait. Il rentra donc chez lui et ses filles lui dirent :

— Père qu’avez vous fait ? Vous n’avez pas apporté de légumes.

Le père raconta sa malechance, et les sœurs aînées s’en prirent à la plus petite parce qu’elle n’avait pas de bonheur et que leur père avait pensé se noyer à cause d’elle ; mais le père leur dit :

— Je ne veux pas qu’on touche à ma fille, vous n’avez pas de bastonnade à lui donner. Quand la pluie aura cessé, j’irai cueillir de la verdure, et je la porterai à cette dame qui l’attend.

Baste ! la pluie cessa ; le père retourna vite à son chou et se remit à le couper. Vint à passer un chevalier qui lui dit :

— Que fais-tu là ?

— Qu’ai-je à faire ? répondit le pauvre homme, j’ai mes filles à jeun et je coupe ce chou parce que je n’ai trouvé que cela.

— Combien en as-tu de filles ?

— J’en ai trois, mais elles ne peuvent se voir, les aînées font de grands mépris à la plus petite, et elles l’ont battue hier au soir parce que je m’étais mouillé pour elle.

— Cette plus petite qu’elles ne peuvent voir, je la prendrai avec moi, dit le chevalier, et en attendant voici un peu d’argent : ce sont les arrhes que je te donne.

Le père s’en revint et fut assailli par une nouvelle averse ; il rentra tout trempé avec le chou et l’argent. Les sœurs aînées battirent encore la cadette.

Ici nouvelle scène de famille, exhibition du chou qui met les grandes sœurs en colère, puis de l’argent qui les apaise ; elles courent acheter des vivres et l’on soupe gaîment. Après souper, le père révèle à ses filles la rencontre qu’il a faite.

— J’ai trouvé la fortune de marier la plus petite avec un chevalier qui lui donnera des domestiques.

En entendant ceci, les grandes sœurs se mirent à pleurer, mais d’envie, bien qu’elles disent que c’était par amour. Bast ! le père dit à la cadette de ses filles qu’elle avait trouvée la fortune, pourvu qu’elle voulût aller avec lui près d’un cavalier qui l’attendait. Elle dit que oui, et, contente d’être délivrée de ses sœurs, elle prit congé d’elles et s’en alla. Le père la remit au chevalier, qui donna au père un sac d’écus, et lui permit de l’aller voir seul quand il voudrait en lui ordonnant de ne jamais amener avec lui ses grandes filles. Les domestiques firent monter la cadette dans la maison, et lui consignèrent sa chambre à la condition pourtant qu’elle n’en sortirait jamais, et jamais n’ouvrirait la porte de la chambre qui était en face.

— Va bien, répondit-elle, je ne l’ouvrirai pas. Le soir, comme elle était couchée et qu’elle s’endormait seule et dans l’obscurité, son mari vint se mettre près d’elle. Le mari avait un système de ne jamais laisser voir son visage, il n’allait donc près d’elle que la nuit, quand il faisait noir. Elle le comprit et ne s’en inquiéta pas. Le mari se mit aussi à dormir. Le lendemain, le père alla voir sa fille et lui demanda.

— Comment te trouves-tu ? es-tu bien ?

— Oh ! répondit elle, je suis comme une petite reine : moi riche, moi joyeuse, moi servie par tant de domestiques, moi bien traitée de tous ; il n’y en a pas de plus heureuse au monde.

— Bien ! bien ! fit le père.

Et le bonhomme va rapporter la nouvelle aux sœurs aînées qui voudraient bien aller voir aussi tout ce bonheur ; mais c’est impossible, l’injonction est formelle : le chevalier a permis les visites du père, mais du père seul. Si on le priait bien de laisser revenir leur sœur une fois, une seule fois dans leur maison, les aînées seraient bien heureuses ! Le chevalier y consent, mais une seule fois. Et voilà la cadette reçue par ses sœurs avec toute sorte de cérémonies, et les questions de pleuvoir, comme on peut le penser. Comment est le visage du mari ? C’est la question capitale. La mariée fut bien forcée d’avouer qu’elle ne l’avait point vu. La grande sœur lui dit alors :

— Écoute ce que tu as à faire, prends cette chandelle de cire que je t’apporte, et puis, quand il sera couché et qu’il dormira, tu l’allumeras et tu regarderas bien le visage de ton mari, et après tu sauras bien nous dire comment il est.

Cette proposition de la sœur n’était pas faite de bonne foi, c’était l’effet de l’envie… La cadette comprit bien que c’était pour lui faire perdre la fortune, mais toutes deux firent tant et si bien, que la plus jeune fut persuadée et promit de faire ce qu’elles disaient. La jeune sœur est ramenée chez son mari, rentre dans sa chambre, se couche le soir, attend qu’il vienne, et, quand il est venu, demeure éveillée, attendant qu’il dorme, et, quand il dort, allume la chandelle de cire et se met à le regarder. Et plus elle le regarde, plus elle l’admire.

— Oh ! comme il est beau ! que j’ai donc un beau jeune homme !

Pendant qu’elle faisait toutes ces réflexions, voici une goutte de cire chaude qui tomba dans le nez du chevalier, et lui, se sentant brûler, se réveilla en disant :

— Trahison ! trahison !

Il se leva, et aussitôt il renvoya sa femme.

Dirons-nous la fin de notre conte : comment l’épouse, qui était grosse, se mit en chemin, trouva deux ermites, l’un plus vieux que l’autre, se chaussa de souliers de fer, et en marchant longtemps, longtemps, finit par arriver au palais du roi Cristal, celui à qui les fées avaient enlevé son enfant ? C’est là une seconde histoire assez mal accrochée à la première. Ce qui nous intéresse dans tout ceci, c’est le mariage mystérieux de la pauvre fille, c’est la curiosité qui la perd, c’est le sujet qui a tenté tant de poètes : aujourd’hui M. de Laprade, avant lui Corneille et Molière, La Fontaine, longtemps avant eux Apulée : c’est le vieux mythe d’Amour et de Psyché. Et n’est-il pas singulier qu’Apulée ait commencé son récit comme un conte de fées : Erant in quadam civitate rex et regina ; il y avait dans une certaine ville un roi et une reine ?

Mais voici une histoire qui nous a paru plus étonnante encore : c’est la légende de la Belle de Liccari.

LA BELLE DE LICCARI

On conte et on raconte qu’aux vieux temps il y avait à Carini une jeune fille bien plus belle que le soleil, faite de sang et de lait, et on l’appelait la Belle de Liccari. Qu’est-ce qu’elle fit ? Il vint un jour ici, en Sicile, un empereur du Levant, avec une grande quantité d’armées, et il fit la guerre au royaume. Il fut vainqueur et mit tout à sang et à feu sans pitié ; les vieux et les hommes furent décapités ; les femmes et les enfants tous captifs. Dans le tas était la Belle de Liccari.

— Oh ! puissance de Dieu ! s’écria-t-on, comment donc est-elle si belle ? Tout de suite qu’on la mène à l’empereur !

L’empereur, sitôt qu’il la vit, devint stupide.

— Elle esclave ! dit-il. Rien de cela ; il faut qu’elle soit ma femme.

Il la fit délier (elle était attachée parce qu’elle était prisonnière) et il la prit et l’emmena avec lui dans les parages du Levant et il lui mit sur la tête la couronne d’impératrice. Dans le Levant, il y avait neuf empereurs plus petits (moins puissants,) qui étaient soumis à celui qui avait pris la Belle de Liccari, et lui payaient tant par an comme tribut. Comme ils vont et voient cette extrême beauté, ils lui tombent aux pieds avec toutes leurs couronnes.

— Majesté, dirent-ils, vous êtes si belle, que nous voulons être vos esclaves ; commandez, et nous et nos royaumes nous sommes tous sous votre domination.

Et tous les neuf lui présentèrent leurs couronnes. C’est ici qu’on voit combien est puissante la beauté sicilienne… La Belle de Liccari ne pouvait naître que chez nous, et la renommée de sa beauté a passé en proverbe :

            Riche, heureuse, elle vécut bien ;
            Nous, pauvres gens, nous n’avons rien.

Telle est cette histoire, écrite sous la dictée d’une jeune fille de Borgetto et traduite en français aussi littéralement que possible. Mais quelle était donc cette belle de Liccari ? Selon toute probabilité, la belle d’Hyccara ou d’Hyccaraen, ancienne ville de Sicile, qui fut prise par les Athéniens commandés par Nicias environ 40 ans avant Jésus-Christ. Une petite fille de sept ans en fut emmenée captive et transportée à Corinthe où elle rendit célèbre le nom de Laïs. Sa beauté vénale passa en effet en proverbe : on disait qu’il n’était pas permis à tout le monde d’aller à Corinthe. Cette ville, toute fière de l’avoir accueillie, lui érigea un magnifique monument, frappa des médailles à son honneur, et, on le voit, les filles du peuple, dans l’île où elle est née, après vingt-trois siècles, gardent encore la mémoire de la courtisane immortelle.