Les Contes drolatiques/III/Prologue

Les Contes drolatiquesGarnier frères (p. 427-433).


PROLOGUE


Aulcuns ont interrogué l’Autheur sur ce que il y avoyt tant de raige à ces Dixains, que nul an ne pouvoyt escheoir sans que il en eust dict sa ratelée, et la raison de ce, et pour quoy finablement escribre des virgules entremeslées de maulvaises syllabes auxquelles refrongnoyent publicquement les dames, puis mille aultres bogues vuydes ! L’Autheur déclaire que ces proditoires paroles, semées comme pierres en sa voye, l’ont touchié dans le plus profond du cueur, et il cognoyst suffisamment son debvoir pour ne point faillir de bailler à son espéciale audience, en ce Prologue, aulcuns arraisonnemens aultres que les précédens, pour ce que besoing est de tousiours arraisonner les enfans iusques à ce que ils soyent grandelets, conçoivent les chouses et se taisent, et que il veoit bien des meschans garsons en ce numbre infiny de gens criards, lesquels ignorent à plaisir ce dont il s’en va dans ces Dixains. En prime abord, saichez que si aulcunes vertueuses dames, ie dis vertueuses pour ce que les truandes ou femmes de petit pied ne lisent point ces feuillets, aymant mieulx en faire de inedicts, tandis que au rebours les dames ou bourgeoyses à doubles paires de manches, pleines de religion, estant desgoustées sans doubte aulcun de ce dont s’agit, les lisent pieusement pour contenter le malin esperit, et par ainsy se tiennent saiges. Entendez-vous, mes bons vendengeurs de cornes ? Mieulx vault estre coux par le conte d’ung livre que coux par l’histoire d’ung gentil homme. Vous y gaignez le desguast, paouvres braguards, oultre que souvent vostre dame enamourée s’en prend à vostre mercerie des fécunds triballemens esmeus en icelle par le présent livre. Et par ainsy ces Dixains adiouxtent de belles graines à la gésine du pays et le maintiennent en ioye, honneur et santé. Ie dis ioye pour ce que vous en prenez moult en ces Contes. Ie dis honneur, pour ce que vous saulvez vostre nid des griphes de ce démon, touiours ieune, nommé Kockuaige en langue celtique. Ie dis santé, pource que ce livre incite à la chousette prescrite par l’Ecclise de Salerne soubz poine de pléthore cérébrale. Treuvez proufficts pareils aux aultres cayers noircis typographicquement. Ha ! ha ! où sont les livres qui font des enfans ? Cherchez, point. Ains vous rencontrerez par razières enfans faisant des livres dont est conceu force ennuy. Ie reprends la phrase. Doncques saichiez que si aulcunes dames vertueuses de nature, cocquardes en esperit, se livrent publicquement à des querimonies au subiect de ces Dixains, ung numbre assez plaisant d’icelles loing de semondre l’autheur, advouent qu’elles l’ayment bien fort, l’estiment vaillant homme, digne d’estre moyne en l’abbaye de Thelesme, et que, pour autant de raisons que il y a d’estoilles aux cieulx, il ne quitte la fluste à bec avecques laquelle il déduict ces dessus dicts Contes, ains se laisse blasmer, aille tousiours à ses fins, veu que la noble France est une femelle qui se refuse à ce que vous scavez, criant, se tordant, disant : « Non, non, iamais ! Hé ! monsieur, que allez-vous faire ? Ie ne sçaurois, vous me guasteriez. » Puis, alors que le Dixain est faict et parfaict en toute gentillesse, reprend : « Hé ! mon maistre, y en aura-t-il encores d’aultres ! » Comptez-en dà l’Autheur pour ung bon compaignon, qui ne s’effarouche mie des crys, pleurs et tortillemens de la dame que vous nommez Gloire, Mode ou Faveur publicque, veu que il la sçait très-pute et de nature à s’accommoder d’ung beau viol. Il sçayt qu’en France son cry de guerre est : Mont-Ioye ! Un beau cry, cuydez-le, mais que aulcuns escripturiers ont défiguré et qui signifie : La ioye n’est pas à terre, elle est là ; faictes vivement, sinon adieu ! L’Autheur tient ceste signifiance de Rabelais, qui la luy ha dicte. Si vous fouillotez l’histoire, la France ha-t-elle iamais soufflé mot alors que elle estoyt ioyeulsement montée, bravement, montée raigeusement montée, esraument montée ? Elle est furieuse à tout et se plaist aux chevaulchées par-dessus le boire. Hein ! ne voyez-vous point que ces Dixains sont françoys par la ioye, françoys par la chevaulchée, françoys devant, françoys derrière, françoys partout ? Arrière doncques, mastins, sonnez les musicques, silence, cagots ; advancez, messieurs les ribaulds ! mes mignons paiges, baillez vostre doulce main en la main des dames, et grattez-les au mitan, ie dis la main ! Ha ! ha ! cecy sont raisons ronflantes et péripatheticiennes, où l’Autheur ne se cognoyst point en ronflemens ne aristotelisme. Il ha pour luy l’escu de France, l’oriflamme du Roy et Monsieur sainct Denys, lequel estant sans teste ha dict : « Monte-ma-Ioye. » Direz-vous, quadrupèdes, que cettuy mot est faulx ? Non. Il ha esté certes bien ouy par plusieurs dans le temps ; mais, en ces iours de profunde misère, vous ne croyez plus à rien des bons religieux !

L’Autheur n’a pas tout dict. Doncques saichez, vous tous qui lisez ces Dixains des yeulx et des mains, les sentez par la teste seulement et les aymez pour la ioye que ils donnent et qui vous monte au cueur, saichez que l’Autheur, ayant, en la male heure, esguaré sa coignée, id est, son héritage, qui ne se est plus retreuvé, se veit desnué de tout poinct. Lors il cria en la manière du buscheron, dans le prologue du livre de son chier maistre Rabelais, à ceste fin de se faire ouyr par le gentilhomme d’en hault, suzerain de toutes chouses, et en obtenir quelque autre coignée. Ce dict Trez Hault, encores occupé avecques les congrès du temps, luy feit gecter par Mercure ung escriptoire à double godet, sur lequel estoyent engravées, en fasson de devise, ces trois lettres : Ave. Lors le paouvre enfant, ne percevant aulcun aultre secours, eut grant cure de remuer ce dict galimart, en chercher le sens abscons, en commenter les mystérieuses paroles et leur treuver une ame. Ores, veit en prime abord que Dieu estoyt poly, comme ung grant seigneur que il est, pour ce que il ha le monde et ne relève de personne. Mais veu que, en se remémorant les choses de sa ieunesse, il n’y rencontroyt nulle guallanterie faicte à Dieu, l’Autheur estoyt en doubte sur ceste civilité creuse, et songioyt moult, sans tirer aulcune réale chevance de cet outil céleste. Lors, force de tourner, retourner ce dict escriptoire, l’estudier, le veoir, l’emplir, le vuyder, le taper en fasson interroguative, le faire net, le mettre droict, le mettre de costé, le bouter à contre-sens, il lut à contrefil Eva. Que est Eva, sinon toutes les femmes en une seule ? Doncques par la voix divine estoyt dict à l’Autheur : — Pense à la femme ; la femme guarrira ta playe, bouchera le vuyde de ta gibessière ; la femme est ton bien ; n’aye qu’une femme ; habille et deshabille, dorelotte ceste femme ; debitte la femme ; la femme est tout, la femme ha son galimart : puise en ce galimart sans fund ; la femme ayme l’amour, fais-luy l’amour avecques le galimart seulement ; chatouille ses phantaisies et pourtrais-luy ioyeulsement les mille pourtraictures de l’amour en ses millions de gentilles fassons ; la femme est généreuse, et toutes pour une, une pour toutes, soldera le peinctre et fournira le plumaige du pinceau. Enfin, équivocque sur ce qui est escript là ; Ave, salue ; Eva, la femme. Ou bien : Eva, la femme ; ave, salue, ou saulve. Eh ! oui, elle faict et deffaict. Doncques, à moy le galimart ! Que ayme le plus la femme ? que veult la femme ? toutes les chouses espécialles de l’amour, et ha raison la femme. Enfanter, produire, est imitation de nature, qui tousiours est en gézine ! Doncques à moi la femme ! à moy Eva ! Sur ce, l’Autheur se print à puiser en ce fécund galimart où estoyt une purée cérébrale, concoctionnée par les vertus d’en hault, en fasson talismanicque. D’ung godet sourdoyent chouses graves qui s’escripvoyent en encre brune ; et de l’aultre, chouses frétillantes qui rubricquoyent ioyeulsement les feuillets du cayer. Paouvre Autheur ha souvent, faulte de cure, meslangé les encres, ores cy, ores là. Mais, dès que les lourdes phrases ardues à rabotter, vernir et polir de quelque ouvraige au goust du iour, estoyent parachevées, l’Autheur, curieux de s’esbattre, maulgré le peu d’encre rieuse qui est au godet senestre, en robboyt ardemment aulcune plumée avecques mille délices. Ces dictes plumées sont, vère, ces dessus dicts Contes drolaticques dont l’authorité ne peut estre soupçonnée, pour ce que elle est escoulée de source divine, ainsy que il appert de ce naïf adveu de l’Autheur.

Aulcunes maulvaises gens crieront encores de cecy. Mais treuvez ung tronsson d’homme parfaictement content sur ceste miette de boue. Est-ce pas une honte ? En cecy l’Autheur se est saigement comporté à l’instar de Dieu. Et il le prouve par atqui. Oyez ! est-il point démonstré en toute claireté aux sçavans que le souverain Seigneur des mondes ha faict ung nombre infiny de machines lourdes, poisantes, graves, à grosses roues, grans chaisnes, terribles détentes, et affreux tournoyemens complicquez de vis et de poids en la fasson des tourne-broches, mais aussy se est diverty en de petites mignonneries et chouses grotesques, légières comme le vent, que il ha faict encores créations naïfves et plaisantes dont vous riez, les voyant ? Est-ce pas vray ? Doncques, en toute œuvre concentricque, comme est la trez-spacieuse bastisse emprinse par l’Autheur, besoing est, pour se modeler sur les lois de ce dessus dict Seigneur, de fassonner aulcunes fleurs mignonnes, plaisans insectes, beaulx draccons bien tortillez, imbricquez, supercoulorez, voire mesmes dorez, encores que l’or luy fault souvent, et de les gecter aux pieds de ses monts neigeux, piles de roches et aultres sourcilleuses philosophies, longs et terribles ouvraiges, columnades marmorines, vrays pensiers sculptez en porphyre. Ha ça ! bestes immundes qui honnissez et repudiez les fugues, phantaisies, contrepeteries, musicques et roulades de la iolie muse drolaticque, ne rongerez-vous pas vos griphes, pour ne plus escorchier sa peau blanche, azurée de veines, ses reins amoureux, ses flancs de toute élégance, ses pieds qui restent saigement au lict, son visaige de satin, ses formes lustrées, son cueur sans fiel ? Ha ! testes choppes, que direz-vous en voyant cy, que ceste bonne fille est yssue du cueur de la France, concorde aux natures de la femme, ha esté saluée d’un ave gentil par les anges de la personne du donateur Mercure, et finablement est la plus claire quintessence de l’Art ! En ceste œuvre se rencontrent nécessité, vertu, phantaisie, vœu de femme, vœu d’un pantagrueliste quarré, il y ha tout. Taisez-vous, festez l’Autheur, et laissez son galimart à double godet doter la Gaye Science des cent glorieux Contes drolaticques.

Doncques arrière, mastins ! sonnez les musicques ! silence, cagots ! hors d’icy les ignares ! advancez, messieurs les ribaulds ! mes mignons paiges, baillez vostre doulce main aux dames, et grattez-la leur au mitan, de la gentille fasson, en leur disant : « Lisez pour rire. » Après, vous leur direz quelque aultre mot plus plaisant, pour les faire esclatter, veu que, quand sont rieuses, elles ont les lèvres descloses et sont de petite resistance à l’amour.


Escript à Genève en l’hostel de l’Arcq, aux Eaux Vifves, Febvrier 1834.



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