Les Contes drolatiques/I/La Mye du Roy

Les Contes drolatiquesGarnier frères (p. 81-100).


LA MYE DU ROY



Il y avoyt en ce temps ung orphebvre logié aux forges du Pont-au-Change, duquel la fille estoyt citée dans Paris pour sa trez-grant beaulté, renommée sur toute chouse pour sa genteté ; aussy, trez-bien la pourchassoyent aulcuns par les fassons accoustumées de l’amour ; et tant que certains auroyent baillé de l’argent au père pour avoir sa dicte fille comme véritable espouse, ce qui le rendoyt aise tant que ie ne sçaurois dire.

Ung sien voisin, advocat au parlement, lequel, force de vendre son bagoust aux aultres, avoyt autant de domaines que ung chien ha de puces, s’advisa d’offrir audict père ung hostel en recognoissance de son consentement à ce mariaige, dont il vouloyt se chausser. A quoy ne faillit point l’orphebvre. Il octroya sa fille, sans avoir soulcy de ce que cettuy chapperon fourré avoyt une mine de cinge, peu de dents en ses mandibules, encores bransloyent-elles, et sans mesmes le flairer, quoique il feust ord et puant comme tous iusticiards qui croupissent de reste ez fumiers du Palais, parchemins, Olim, et noires procédures.

Ores que la belle fille le veit, elle dit de prime face : — Mercy Dieu ! ie n’en veulx point.

— Ce n’est mon compte ! dit le père, qui avoyt desià prins l’hostel en goust. Ie te le donne pour espoux. Accordez vos musiques. Cela maintenant le resguarde, et son office est de t’agréer.

— Est-ce ainsy ? feit-elle. Eh bien, devant que de vous obéir, ie luy diray son faict.

Et le soir mesme, après souper, lorsque l’amoureux commença de luy exposer son cas bruslant, luy desclairant comme il estoyt féru d’elle, et luy promettant grant chiere pour le demourant de sa vie, elle luy respondit de brief :

— Mon père vous ha vendu mon corps ; mais, si le prenez, vous ferez de moy une gouge, veu que i’aymeroys mieulx estre aux passans qu’à vous. Ie vous iure, au rebours des damoiselles, une desloyauté qui ne finira que par mort, vostre ou mienne.

Puis se mit à plourer, comme font toutes les garses qui ne sont point encores ferrées ; car, après, elles ne plourent plus iamais par les yeulx. Le bon advocat print ces estranges fassons pour des gogues et appasts dont se servent les filles affin d’allumer davantaige le feu et faire tourner les dévotions de leurs prétendus en douaires, préciputz et aultres droits d’espousée ; aussy, le malin n’en tint compte, et se rit des estouffades de la belle fille, en lui disant :

— A quand les nopces ?

— Drez demain, feit-elle, pour ce que, plus tost ce sera, plus tost seray libre d’avoir des guallans et de mener la ioyeulse vie de celles qui ayment à leur choix.

Là-dessus, ce fol advocat, esprins comme ung pinson dedans la glue d’ung enfant, s’en va, faict ses préparatives, interlocute au Palais, trotte à l’Official, achepte dispenses, et conduict ce pourchaz plus vitement que toutes ses aultres plaidoyeries, ne resvant que de la belle fille. Pendant ce, le Roy, qui se trovoyt du retourner d’un voyaige, n’entendant parler en sa court que de la belle fille, laquelle avoyt refusé mille escuz de celluy-cy, rabbroué celluy-là, finablement, qui ne vouloyt estre soubmise par personne et rebuttoyt tous les plus beaulx fils qui eussent quitté Dieu de leur part de paradiz à seule fin de iouir de ce dragon un seul iour ; doncques, le bon Roy, lequel estoyt friand de tel gibier, yssit en la ville, passa aux forges du pont, entra chez l’orphebvre, à ceste fin d’achepter des ioyaulx pour la dame de son cueur, mais item pour marchander le plus prétieux biiou de la bouticque. Le Roy ne se trouvoyt point de goust aux orphebvreries, ou les orphebvreries ne se trouvoyent point à son goust, tant que le bonhomme fouilla dans une layette cachée pour monstrer au Roy un gros diamant blanc.

— Ma mye, dit-il alors à la belle fille pendant que le père avoyt le nez en la layette, vous n’estes pas faicte pour vendre des pierreries, mais pour en recepvoir ; et si, de toutes ces bagues, vous me donnez le choix, i’en sçay une dont icy l’on est affollé, laquelle me plaist, dont à tousiours seray subiect ou serviteur, et dont le royaulme de France ne pourra iamais payer le prix.

— Ah ! Sire, reprint la belle fille, ie me marie demain. Mais, si vous me baillez le poignard qui est à vostre ceinture, ie deffendray ma fleur et vous la reserveray pour observer l’Évangile, où il est dict : Donnez à Cesar ce qui est à Cesar.

Tost le Roy luy donna la petite dague ; et ceste vaillante response l’enamoura de la fille à en perdre le mangier. Il fait son partement, en intention de logier ceste nouvelle mye à la rue de l'Hirundelle, en ung sien hostel. Voilà mon advocat, pressé de soy brider, qui, au grant despit de ses corrivaulx, mène son espousée au bruict des clochiers, avecques musicques, faict des festins à donner des diarrhées, et, le soir, après les dances, vient en la chambre de son logiz où debvoyt estre couchiée la belle fille ; non plus la belle fille, mais lutin processif, mais enraigée diablesse, qui, sise en ung sien fauteuil, n’avoyt voulu se mettre au lict de l’advocat et restoyt devant le foyer, chauffant son ire et son cas. Le bon mary, tout estonné, vint ployer les genoilz devant elle, en la conviant à la iolie bataille des premières armes ; mais elle ne sonna mot ; et, quand il tentoyt de lui lever la cotte, affin seulement de veoir ung petit ce qui si chier lui coustoyt, elle luy donnoyt ung coup de main à luy casser les os et se tenoyt muette. Ce ieu plaisoyt à mon dict advocat, lequel cuydoyt veoir la fin de ce par la chouse que vous sçavez ; et il iouoyt en bonne fiance, attrapant de bons coups de sa sournoyse. Mais tant de hucher, tant de tortiller, tant de l’assaillir, il deffeit ores une manche, ores deschira la iuppe, et coula sa main au but mignon de fischerie, forfaict dont la belle fille gronda, se dressant en pieds, puis, tirant le poignard du Roy :

— Que voulez-vous de moy ? lui dit-elle.

— Ie veulx tout ! feit-il.

— Ha ! ie seroys une grant pute que de me donner à contrecueur. Si vous avez cuydé trouver ma virginité désarmée, vous errez fort. Vécy le poignard du Roy, dont ie vous tue, si vous faictes mine de m’approucher.

Cela dict, elle print ung charbon, en ayant tousiours l’œil au procureur ; puis, escripvant une raye sur le planchier, elle adiouxta :

— Icy seront les confins du domaine du Roy. N’y entrez ; si le passez, ie ne vous faulx !

L’advocat, qui ne pensoyt pas faire l’amour avecques ce poignard, restoyt tout desconfict, mais, ores qu’il escoutoyt ce cruel arrest dont il avoyt desià payé les despens, ce bon mary voyoyt, par les deschireures, si bel eschantillon de cuisse rebondie, blanche et fresche, puis si brillante doubleure de mesnage bouchant les trous de la robbe, et cætera, que la mort lui sembla doulce, s’il y goustoyt seulement ung petit ; et alors se rua dedans le domaine du Roy, disant : « Peu me chauld de mourir ! » Et de faict, s’y gecta si dru, que la belle fille tomba fort mal sur le lict ; mais, ne perdant pas le sens, elle se deffendit si frétillamment, que l’advocat n’eut aultre licence que de touchier le poil de la beste ; encores y gaigna-t-il ung coup de poignard, qui lui trencha ung bon bout de lard sur l’eschine, sans trop le blesser : en foy de quoy il ne lui en cousta point trop chier d’avoir fait irruption dans le bien du Roy.

Mais, enyvré de ce chetif adventaige, il s’escria : — Ie ne sçauroys vivre sans avoir ce tant beau corps et ces merveilles d’amour ! Doncques, tuez-moi !

Et, de rechief, vint assaillir la réserve royale. La belle fille, qui avoyt son Roy en teste, ne feut point touchiée de ce grant amour, et dit griefvement : — Si vous menassez cela de vostre poursuite, ce n’est pas vous, ains moy, que ie tueray…

Et son resguard estoyt farouche assez pour espouvanter le paouvre homme, qui s’assit en déplourant ceste male heure, et passa la nuict, si tant ioyeulse à ceulx qui s’entr’ayment, en lamentations, prières, interiections et aultres promesses : comment elle seroyt servie ; pourroyt dissiper tout ; mangier dans l’or ; de simple damoiselle en feroyt une dame, en acheptant des seigneuries ; et finablement, que, si elle luy permettoyt de rompre une lance en l’honneur de l’amour, il la quitteroyt de tout et perdroyt la vie en la fasson qu’elle vouldroyt.

Mais elle, tousiours fresche, lui dit, au matin, qu’elle luy permettoyt de mourir, et que ce seroyt tout l’heur qu’il pouvoyt luy donner.

— Ie ne vous ay point truphé, feit-elle. Mesmes, à l’encontre de mes promesses, ie me baille au Roy, vous faisant graace des passans, lourdiers et charretons, dont ie vous menassoys.

Puis, quand le iour feut venu, elle se vestit de ses cottes et aiustements nuptiaulx, attendit patiemment que le bon mary, dont elle n’avoyt rien voulu, se destournast du logiz pour l’affaire d’ung client, et tost devalla par la ville, cherchant le roy. Mais elle n’alla point si loing que le gect d’une arbaleste, pour ce que ledict seigneur Roy avoyt mis en guette ung sien serviteur qui tortilloyt autour de l’hostel, et, de prime abord, dit à la mariée, qui estoyt encores cadenassée :

— Ne querez-vous point le Roy ?

— Oui, feit-elle.

— Eh bien, ie suis vostre meilleur amy, reprint le fin homme et subtil courtizan ; ie vous demande vostre ayde et protection, comme ie vous donne meshuy la mienne…

Là-dessus, il luy dit quel homme estoyt le Roy ; par quel costé il debvoyt estre prins ; qu’il faisoyt raige ung iour, l'aultre ne sonnoyt mot ; et comme estoyt cecy, et comme cela ; qu’elle seroyt bien appoinctée, bien fournie ; mais qu’elle tinst le Roy en servaige : brief, il cacquetta si bien durant le chemin, qu’il en feit une pute parfaicte pieçà qu’elle entrast dans l’hostel de l'Hirundelle, où feut depuis madame d’Estampes. Le paouvre mary ploura comme ung cerf aux aboys, lorsque plus ne veit sa bonne femme en son logiz, et devint d’ordinaire mélancholicque. Ses confrères luy feirent autant de hontes et mocqueries que sainct Iacques eut d’honneurs en Compostelle ; mais ce cocquard se cuysoyt et desseichoyt dans son ennuy, si tant, que les aultres finèrent par vouloir l’allégier. Ces chapperons fourrez, par esperit de chicquane, decretèrent que le dolent bonhomme n’estoyt point cocqu, veu que sa femme avoyt reffusé la iousterie ; et si le planteur de cornes avoyt esté aultre que le Roy, ils eussent entrepris la dissolution dudict mariage. Mais l’espoux estoyt affollé de ceste gouge à en mourir ; et, par adventure, il la laissa au Roy, se fiant qu’ung iour il la pourroyt avoir à luy, estimant qu’une nuictée avecques elle n’estoyt point trop payée par la honte de toute une vie. Il faut aymer, dà ! pour ce ; et il y ha beaucoup de braguards qui renifleroyent à ceste grant amour. Mais luy tousiours pensoyt à elle, négligeant ses plaids, ses cliens, ses voleries et tout. Il alloyt par le palais comme ung avare qui quert un bien perdu ; soulcieux, songe-creux ; mesmes qu’ung iour il compissa la robbe d’ung conseiller, cuydant estre iouxte le mur où les advocats vuydent leurs causes. Cependant la belle fille estoyt aymée soir et matin par le Roy, qui ne pouvoyt s’en assouvir, pour ce qu’elle avoyt des manières espéciales et gentes en amour, se cognoissant aussi bien à allumer le feu qu’à l’estaindre. Meshuy, rabbrouant le Roy ; demain, le papelardant ; iamais la mesme, et ayant des phantaisies plus de mille : au demourant, trez-bonne, iouant du bec comme aulcune ne pouvoyt faire, rieuse et fertile en folastreries et petites cocquasseries.

Ung sieur de Bridoré se tua pour elle, de despit de ne pouvoir estre receu à mercy d’amour, encores qu’il offrist sa terre de Bridoré en Touraine. Mais, de ces bons et anciens Tourangeaux qui donnoyent ung domaine pour ung coup de lance gaye, il ne s’en faict plus. Ceste mort attrista la belle fille ; et, pour ce que son confesseur lui imputa ce trespas à grief, elle iura, à part soy, que, bien qu’elle feut la mye du Roy, à l’advenir elle accepteroyt les domaines et feroyt secrettement la ioye, pour saulver son ame. Aussy commença-t-elle alors ceste grant fortune qui luy ha valu la considération par la ville. Mais aussy elle empescha beaucoup de gentilshommes de périr, accordant si bien son luth et treuvant de telles imaginations, que le Roy ne sçavoyt point qu’elle l’aydoyt à rendre ses subiects plus heureux. De faict, il l’avoyt si druement en goust, qu’elle luy auroyt faict croire que les planchiers d’en hault estoyent ceulx d’en bas, ce qui luy estoyt plus facile qu’à aulcune autre, pour ce qu’en son logiz de l’Hirunde ledict Roy ne finoyt d’estre couchié, tant qu’il ne sçavoyt faire la différence des planchiers ; baguant tousiours, comme s’il eust voulu veoir si ceste belle estoffe pouvoyt s’user ; mais il n’usa que luy, le chier homme, veu qu’il mourut par suite d’amour. Quoique elle eust le soin de ne soy donner qu’à de beaulx hommes les plus ancrez en court, et que ses faveurs fussent rares comme miracles, ses envieux et corrivales disoyent que pour dix mille escuz ung simple gentilhomme pouvoyt gouster à la ioye du Roy, ce qui estoyt faulx de toute faulseté, veu que, lors de sa noize avecques ledict sire, quand elle feut par luy reprouchée de ce, elle luy respondit fièrement : — I’abomine, ie mauldis, ie trentemille ceulx qui ont mis ceste bourde en vostre esperit. Ie n’en ay eu aulcun qu’il n’ayt despendu pour moy plus de trente mille escuz à la grille.

Le Roy, tout faschié, ne put s’empeschier de soubrire, et la guarda encore ung mois environ, pour faire taire les médisances. Enfin la damoiselle de Pisseleu ne se creut dame et maistresse que sa rivale ruynée. Ains beaucoup eussent aymé ceste ruyne, veu qu’elle feut espousée par ung ieune seigneur, qui feust encores heureux avecques elle, tant elle avoyt d’amour et de feu, à en revendre à celles qui peschent par trop grant frescheur. Ie reprends. Ung iour que la mye du Roy se pourmenoyt par la ville dedans sa lictière, à ceste fin d’achepter des ferrets, lassets, patins, gorgerettes et aultres munitions d’amour, et que tant belle et bien attornée estoyt, que ung chascun, surtout les clercs, la voyant, eussent cru veoir les cieulx ouverts, vécy son bon mary qui vous la rencontre prouche la Croix du Trahoir. Elle, qui boutoyt son pied mignon hors la lictière, rentra vitement la teste comme si elle eust veu un aspic. Elle estoyt bonne femme, car i’en cognoys qui eussent passé fier pour affronter le leur, en grand despect de sa seigneurie coniugale.

— Et qu’avez-vous ? luy demanda monsieur de Lannoy, qui par reverence l’accompagnoyt.

— Ce n’est rien, feit-elle tout bas. Mais ce passant est mon mary. Le paouvre homme est bien changé ! Iadis il ressembloyt à ung singe, mais auiourd’huy ie cuyde qu’il est l’imaige de Iob.

Ce desplourable advocat restoyt esbahy, sentant son cueur se fendre à la veue de ce pied mince et de sa femme tant aymée.

Oyant cela, le sire de Lannoy luy dit en vray goguenard de cour :

— Est-ce raison, pour ce que vous estes son mary, que vous l’empeschiez de passer ?

A ce proupos, elle s’esclata de rire, et le bon mary, au lieu de la tuer bravement, ploura en escoutant ce rire qui luy fendit la teste, le cueur, l’ame et tout, si bien qu’il faillit à tomber sur ung vieulx bourgeoys occupé à se reschauffer le cas en voyant la mye du Roy. L’aspect de ceste belle fleur qu’il avoyt eue en bouton, mais qui lors estoyt espanouïe, odorante, et ceste nature blanche, bien gorgiasée, taille de fée, tout cela rendit l’advocat plus malade et plus fol d’ycelle que aulcunes paroles pourroyent le dire. Et besoing est d’avoir esté yvre d’une bien aymée qui se refuse à vous pour parfaictement cognoistre la raige de cet homme. Encores est-il rare d’estre aussy chauldement enfourné que pour lors il estoyt. Il iura que vie, fortune, honneur et tout y passeroyt, mais que, une foys au moins, il seroyt chair à chair avecques elle, et feroyt si grant resgal d’amour, que il y lairroyt peut-estre sa fressure et ses reins. Il passa la nuict, disant : « Ho ! oui ! Ha ! ie l’auray ! Et sacre et Dieu ! ie suis son mary ! Et diable !… » se frappant au front, et ne restant point en place.

Il se forge en ce monde des hazards auxquels les gens de petit esperit n’accordent point de créance, pour ce que ces dictes rencontres semblent supernaturelles ; mais les hommes de haulte imagination les tiennent pour vrayes, pour ce que l’on ne sçauroyt les inventer ; par ainsy arriva-t-il au paouvre advocat, le lendemain mesme de ceste griefve veillée où il avoyt tant masché son amour à vuyde. Ung sien client, homme de grand nom et qui entroyt à ses heures chez le Roy, vint de matin dire à ce bon mary qu’il luy falloyt une grosse somme d’argent, sans aulcun délay, comme douze mille escuz. À quoy le chat fourré respondit que douze mille escuz ne se rencontroyent point au coin d’une rue aussy souvent que ce qu’on y rencontre, et que besoing estoyt, oultre les seuretez et garanties de l’interest, d’avoir ung homme qui eust chez luy douze mille escuz les bras croisés, et que de ces gens peu en estoyt dans Paris, quoyque grant il feust, et aultres bourdes que disent les hommes de chicquane.

— Vère, monseigneur, vous avez doncques ung créancier oultre-avide torssionnaire ? feit-il.

— Oh ! oui, respondit-il, veu que ce est la chouse de la mye du Roy ! N’en sonnez mot ; mais, ce soir, moyennant vingt mille escuz et ma terre de Brie, ie luy prendray mesure.

Sur ce, l’advocat paslit, et le courtizan s’aperceut qu’il avoyt guasté quelque chouse. Comme il estoyt au retourner de la guerre, il ne sçavoyt point que la belle fille aymée du Roy eust ung mary.

— Vous blesmissez, feit-il.

— I’ay les fiebvres, respondit le chicquanier. — Mais , reprint-il, est-ce doncques à elle que vous donnez contracts et argent ?

— Oui dà !

— Et qui doncques la marchande ? est-ce elle aussy ?

— Non, dit le seigneur, mais ces menus arrangemens et solides baguatelles se trafficquent par une meschine qui est bien la plus adroicte chamberière qui iamais feut ! Elle est plus fine que moustarde, et il luy reste bien quelques suffraiges aux doigts de ces nuictées prinses au Roy.

— I’ay un mien lombard, reprint l’advocat, qui pourra vous accommoder ; mais rien ne sera faict, et, desdits douze mille escuz, vous n’aurez pas tant seulement un rouge liard, si ladicte chamberière ne vient léans ensaccher le prix de ce cas qui est si grant alquémiste ! il mue le sang en or, vray Dieu !

— Oh ! ce sera ung bon tour, si luy faictes signer un acquit, repartit le seigneur en riant.

La meschine vint sans faulte au rendez-vous des escuz chez l’advocat qui avoyt prié le seigneur de la luy amener. Et faictes estat que sires ducats estoyent bel et bien rangez comme nonnes allant à vespres, couchiez iuz une table, et auroyent desridé ung asne en train d’estre estrillé, tant belles et luysantes estoyent les braves, les nobles, les ieunes piles. Le bon advocat n’advoyt point estably ceste visée pour les asnes. Aussy la meschinette se pourlescha-t-elle trez-humidement les badigoinces, disant mille patenostres de cinge aux dicts escuz. Ce que voyant, le mary luy souffla dedans l’aureille ces mots qui suoyent l’or : — Cecy est à vous !

— Ha ! dit-elle, ie n’ay iamais esté payée si chier !

— Ma mye, respartit le chier homme, vous les aurez sans estre grevée de moy… Et la destournant ung petit :

— Vostre client ne vous ha point dict comment on me nomme, hein ? feit-il. Non ? Ores apprenez que ie suis le vray mary de la dame que le Roy ha desbauchée de son office, et que vous servez. Emportez-luy ces escuz et revenez icy : ie vous compteray les vostres, à une condition qui sera de vostre goust.

La meschine effrayée se raffermit, et feut moult curieuse de sçavoir à quoy elle gaigneroyt douze mille escuz sans touchier à l’advocat ; aussy ne faillit-elle point à tost revenir.

— Ores çà, ma mye, luy dit le mary, vécy douze mille escuz ; mais avecques douze mille escuz on acquiert des domaines, des hommes, des femmes et la conscience de trois prebstres au moins ; par ainsy, ie cuyde que, pour ces douze mille escuz, ie puis vous avoir corps, ame, hypocondrilles et tout. Et i’auray créance en vous, comme ont les advocats : donnant, donnant. Ie veulx que vous alliez incontinent chez le seigneur qui croit estre aymé ceste nuict par ma femme, et que vous le tartruphiez, en luy contant comme quoy le Roy vient souper chez elle, et que, pour ce soir, il faut qu’il mette ordre à sa phantaisie aultrement. Puis, cela dict, ie seray au lieu de ce beau fils et du Roy.

— Et comment ? feit-elle.

— Oh ! respondit-il, ie t’ay acheptée, toi et tes engins. Mais tu n’auras pas resguardé deux foys les escuz que tu trouveras ung moyen de me faire avoir ma femme ; car, en ceste conioncture, tu ne pèches nullement ! Est-ce pas œuvre pie de s’employer à la saincte coniunction de deux espoux, dont les deux mains seulement ont été mises l’une dans l’aultre devant le prebstre ?

— Par ma ficque ! venez, dit-elle. Après souper, les lumières seront estainctes, et vous pourrez vous assouvir de ma dame, pourveu que vous ne sonniez mot. Heureusement, à ces heures ioyeulses, elle crie plus qu’elle ne parle, et n’interroge que par gestes, car elle ha de la pudeur beaucoup, et n’aime point à tenir de vilains proupos, comme font les dames de la court…

— Oh ! feit l’advocat, tiens, prends les douze mille escuz, et ie t’en promets deux foys autant, si i’ay en fraude le bien qui m’appartient en loyaulté.

Là-dessus, ils convindrent de l’heure, de la porte, du signal, de tout ; et la meschine s’en alla, emportant à dos de mulet, et bien accompaignée, les beaulx deniers prins ung à ung par le chicquanous aux veufves, orphelins et aussy à d’aultres ; lesquels alloyent tous dans le petit creuset où tout se fond, voire nostre vie, qui en vient. Voilà mons l’advocat qui s’esbarbe, se parfume, met son beau linge, se passe d’oignons pour avoir ses halenées fresches, se reconforte, se superfrise et faict tout ce qu’ung malotru de Palais peut inventer pour se mettre soubz forme de guallant seigneur. Il se donne les airs d’ung ieune desgourd, s’esguise à estre leste, et tasche à desguiser sa face immunde ; mais il eut beau faire, il sentoyt tousiours l’advocat. Il ne feut pas si avisé que la belle buandière de Portillon, laquelle ung dimanche, se voulant mettre en atours pour ung sien amant, lessivoyt son pertuys, et glissant le pénultiesme doigt ung petit où vous savez, elle se flaira : — Ah ! mon mignon ! feit-elle, tu t’advises de sentir encores ! La ! la ! ie vais te rincer avecques de l’eau bleue. Et tost et bien, remit au gué son crypsimen rusticque, ce qui l’empescha de se dilater. Mais nostre chicquanous se croyoit le plus beau fils du monde, encores que de toutes ses drogues il feust la pire. Pour estre brief, il se vestit de légier, quoique le froid pinçast comme ung collier de chanvre, et yssit dehors, gaignant au plus vite ladicte rue de l’Hirundelle. Il y patienta ung bon transon de temps. Mais, au moment où il cuydoyt avoir esté prins pour un sot, lors que nuict feut, la chamberière vint luy ouvrir l’huys, et le bon mary se coula tout heureux dedans l’hostel du Roy. Ceste meschine le serra précieusement dans ung reduict qui se trouvoyt près du lict où se couchoyt sa dicte femme, et, par les fentes, il la veit dans toute sa beaulté, veu qu'elle se despouilloyt de ses atours et chaussoyt, au foyer, ung habit de combat à travers duquel on apercevoyt tout. Ores, cuydant estre seule avecques sa meschine, elle disoyt les follies que disent les femmes en soy vestant. — Ne vaulx-je pas bien vingt mille escuz ce soir ? Et cecy, ne sera-ce pas bien payé par ung chasteau de Brie ?

En disant cela, elle relevoyt légièrement deux avant-postes, durs comme bastions, lesquels pouvoyent soutenir bien des assaults, veu qu’ils avoyent esté furieusement attaquez sans mollir.

— Mes espaules seules valent ung royaulme ! dit-elle. Ie défie bien le Roy de les refaire. Mais, vray Dieu, ie commence à m’ennuyer de ce mestier. A tousiours besongner, il n’y ha point de plaisir. La meschinette soubrioyt, et la belle fille luy dit : — Ie voudroys bien te veoir en ma place…

Et la chamberière se mit à rire plus fort, en luy respondant :

— Taisez-vous, mademoiselle. Il est là.

— Qui ?

— Vostre mary.

— Lequel ?

— Le vray.

— Chut ! reprit la belle fille.

Et sa chamberière luy conta l'adventure, voulant conserver la faveur de sa maistresse et aussy les douze mille escuz.

— Oh bien ! il en aura pour son argent, dit l’advocate. Ie vais le laisser se morfondre trez bien. S’il taste de moy, ie veulx perdre mon lustre et devenir aussy layde que le marmouzet d’ung cistre. Tu te bouteras au lict en ma place, et tu verras à gaigner tes douze mille escuz. Va luy dire qu’il tire ses grègues de bon matin, affin que ie ne saiche tes tromperies et, ung peu avant le iour, ie viendray me mestre à ses costez.

Le paouvre mary greslottoyt, et les dents luy clacquoyent fort. Aussy, la chamberière retourna devers lui, soubz le prétexte de querir ung linge, et luy dit : — Entretenez-vous chauld dans votre dezir. Madame faict ce soir ses grans cérémonies, et vous serez bien servy. Mais faictes raige, sans souffler ! Aultrement ie seroys perdue.

Finablement, quand le bon mary feut de tout point gelé, les flambeaux feurent estaincts, la meschine cria tout bas dans les rideaux à la mye du Roy que le seigneur estoyt là ; puis elle se mict au lict, et la belle fille sortit, comme si elle eust esté la chamberière. L’advocat yssit de sa froide cachette, et se fourra congruement entre les toiles, en pour pensant en lui-mesme : « Ah ! que c’est bon ! » De faict, la chamberière luy en donna pour plus de cent mille escuz. Et le bonhomme congneut bien la différence qui est entre les profusions des maisons royales et la petite despense des bourgeoyses. La meschine, qui rioyt comme une pantophle, se tira de son roole à merveille, resgallant le chicquanous de cris passablement gentils, torsions, sursaults convulsifs, comme une carpe sur la paille, et faisant des ah ! ah ! qui la dispensoyent d’aultres paroles. Et tant par elle feut adressé de requestes, et tant feurent-elles amplement respondues par l’advocat, qu’il s’endormit comme une poche vuyde ; mais, paravant de finer, cet amant, qui vouloyt conserver le soubvenir de ceste bonne nuictée d’amour, espila sa femme, à la faveur d’un soubresault, ie ne sais où, veu que ie n’y estoys point, et tint en sa main ce précieux gaige de la chaulde vertu de la belle fille. Vers le matin, quand le coq chanta, la belle fille se glissa près de son bon mary, et feignit de dormir. Puis la chamberière vint frapper legierement au front du bien-heureux, en luy disant à l’aureille : — Il est temps. Pouillez vos chausses et tirez d’icy ! Vécy le iour. Le bonhomme, griefvement marry de laisser ce sien threzor, voulut veoir la source de son bonheur esvanouy.

— Oh ! oh ! feit-il en procédant au recolement des pièces, i’ay du blond, et vécy qui est noir.

— Qu’avez-vous faict ? luy dit la meschine. Madame verra qu’elle ne ha point son compte.

— Oui, mais voyez.

— Mais, feit-elle, d’ung air de mespris, ne sçavez-vous point, vous qui sçavez tout, que ce qui est desplanté meurt et se descolore !

Et, là-dessus, elle le gecta dehors en s'esclatant de rire avecques la bonne gouge. Cela feut cogneu. Ce paouvre advocat, nommé Féron, en mourut de despit, voyant qu’il estoyt le seul qui n’eust point sa femme, tandis que elle qui, de ce, fut appelée la belle Féronnière, espousa, après avoir laissé le Roy, ung ieune seigneur comte de Buzançois.

Et, sur ses vieulx iours, elle racontoyt ce bon tour, et en riant, veu qu’elle n’avoyt iamais pu sentir l’odeur de ce chicquanous.

Ceci nous apprend à ne point nous attacher plus que nous ne debvons à femmes qui reffusent de porter notre ioug.

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