Les Contes drolatiques/I/L’Apostrophe

Les Contes drolatiquesGarnier frères (p. 204-213).



L’APOSTROPHE



La belle buandière de Portillon-lez-Tours, dont ung mot drolaticque ha desià esté consigné dans ce livre, estoyt une fille dotée de tant de malice, qu’elle avoyt volé celle de six prebstres ou de trois femmes au moins. Aussy les mignons ne luy manquoyent point, et tant en avoyt, qu’eussiez dict, en les voyant autour d’elle, des mousches voulant rentrer le soir dans leur rusche. Ung vieulx taincturier de soyeries qui demeuroit en la rue Montfumier et y possédoyt ung logis scandaleux de richesse, venant de son clos de la Grenadière, situé sur le ioly costeau de Sainct-Cyr, passoyt à cheval devant Portillon pour gaigner le pont de Tours. Lors, par la chaulde soirée qu’il faisoyt, il feut allumé par ung dezir fou, en voyant la belle buandière assise sur le pas de sa porte. Ores, comme depuis longtemps il resvoyt de ceste ioyeuse fille, sa résolution feut prinse d’en faire sa femme ; et bientost de lavandière elle devint taincturière, bonne bourgeoyse de Tours, ayant des dentelles, du beau linge, des meubles à foison, et feut heureuse, nonobstant le taincturier, veu qu’elle s’entendit trez-bien à le pellauder. Le bon taincturier avoyt pour compère ung fabricateur de méchaniques à soyeries, lequel estoyt petit de taille, bossu pour toute sa vie et plein de meschanterie. Aussy le iour des nopces, il disoyt au taincturier : « Tu as bien faict de te marier, mon compère, nous aurons une iolie femme… » Puis mille gaudrioles matoises, comme il est coustume d’en dire aux mariez.

De faict, ce dict bossu courtoisa la taincturière, qui, de sa nature aimant peu les gens mal bastis, se mit à rire des requestes du méchanicien, et le plaisanta trez-bien sur ses ressorts, engins et aultres bobines dont il avoyt sa bouticque trop pleine. Enfin, ceste grant amour dudict bossu ne se rebuta de rien, et devint si fort poisante à la taincturière, qu’elle se résolut de la guarrir par mille maulvais tours. Ung soir, après de sempiternelles poursuites, elle dit à son amoureux de venir à la petite porte du logiz, et que, vers minuict, elle luy ouvriroyt tous les pertuys. Ores c’estoyt, notez, par une belle nuict d’hyver ; la rue Montfumier aboutit à la Loire, et, dans ce pertuys citadin s’engouffrent, mesmes en esté, des vents picquans comme ung cent d’esguilles. Le bon bossu bien empapilloté dans son manteau, ne faillit point à venir, et se pourmena pour se tenir chauld en attendant l’heure. Vers minuict, il estoyt à moitié gelé, tempestoyt comme trente-deux diables prins dans une estole, et alloyt renoncer à son bonheur, quant une faible lumière courut par les fentes des croisées et descendit iusqu’à la petite porte.

— Ah ! c’est elle ! … feit-il.

Et cet espoir le reschauffa. Lors, il se colla sur la porte et entendit une petite voix.

— Estes-vous là ? lui dit la taincturière.

— Oui.

— Toussez que ie voye…

Le bossu se mit à tousser.

— Ce n’est pas vous.

Alors le bossu dit à haulte voix :

— Comment ! ce n’est point moy ! Ne recognoissez-vous point ma voix ? Ouvrez !

— Qui est là ? demanda le taincturier en levant sa croisée.

— Las ! vous avez resveiglé mon mary, qui est revenu d’Amboise, ce soir, à l’improviste…

Là-dessus, voilà le taincturier qui, voyant au clair de la lune ung homme à sa porte, lui gecte une bonne potée d’eau froide et crie : « Au voleur ! » en sorte que force feut au bossu de s’enfuir ; mais, dans sa paour, il saulta fort mal par-dessus la chaisne tendue au bout de la rue, et tomba dans le trou punais, que lors les eschevins n’avoyent point faict encores remplacer par une vanne à deschargier les boues en Loire. De ce bain pensa crever le méchanicien, qui mauldit la belle Tascherette, veu que, son mary se nommant Taschereau, les gens de Tours avoyent ainsy désigné sa gentille femme, par mignonnerie.

Carandas, c’estoyt le facteur d’engins à tisser, filer, bobiner et enrouler les soyes, n’estoyt point assez entreprins pour croire à l’innocence de la taincturière, et luy iura une haine du diable. Mais, quelques iours après, quand il feut remis de sa trempette dans l’esgout des taincturiers, il vint souper chez son compère. Alors, la taincturière l’arraisonna si bien, luy mit tant de miel dans quelques paroles et l’entortilla de si belles promesses, qu’il n’eut plus de soupçons. Il demanda une nouvelle assignation, et la belle Tascherette, avecques le visaige d’une femme occupée de ces chouses-là, luy dit : — Venez demain soir. Mon mary restera trois iours à Chenonceaux. La Royne veult faire taindre de vieilles estoffes et délibérera des couleurs avecques luy ; cela sera long…

Carandas se chaussa de ses plus belles nippes, ne feit point deffault, comparut à l’heure dicte, et treuva ung brave souper : la lamproye, le vin de Vouvray, nappes bien blanches, car il ne falloyt point en remonstrer à la taincturière sur le tainct des buées ; et tout estoyt si bien appresté, qu’il y avoyt plaisir à veoir les plats d’estain bien nets, à sentir la bonne odeur des metz, et mille iouissances sans nom à mirer, au mitan de la chambre, la Tascherette leste, pimpante et appetissante comme une pomme, par ung iour de grant chaleur. Ores, le méchanicien, oultre-chauffé par ces ardentes perspectives, voulut, de prime sault, assaillir la taincturière, lorsque maistre Taschereau frappa de grands coups à la porte de la rue.

— Ha ! feit la Portillone, qu’est-il advenu ? Mettez-vous dans le bahut ! … car i’ay esté vitupérée à vostre endroict : et, si mon mary vous trouvoyt, il pourroyt vous deffaire, tant violent il est dans ses maulvaisetez.

Et tost elle boute le bossu dedans le bahut, en prend la clef et va vite à son bon mary, qu’elle sçavoyt debvoir revenir de Chenonceaux pour souper. Lors le taincturier feut baisé chauldement sur les deux yeulx, sur les deux aureilles ; et, luy de mesmes, accola sa bonne femme par de gros baisers de nourrice qui claquoyent tant et plus. Puis, les deux espoux se mirent à table, iocquetèrent, finèrent par se couchier, et le méchanicien entendit tout, contrainct d’estre desbout, de ne point faire de tousserie ni mouvement aulcun. Il estoyt parmi des linges, serré comme une sardine dans ung poinçon, et n’avoyt de l’aër que comme les barbeaulx ont du soleil au fund de l’eaue : mais il eut, pour soy divertir, les musicques de l’amour, les sospirs du taincturier et les iolis proupos de la Tascherette. Enfin, quand il crut son compère endormy, le bossu feit mine de crocheter le bahut.

— Qui est là ? dit le taincturier.

— Qu’as-tu, mon mignon ? reprint sa femme en levant le nez au-dessus de la courte-poincte.

— I’entends gratter, dit le bonhomme.

— Nous aurons de l’eaue demain, c’est la chatte, respondit la femme.

Le bon mary de remettre sa teste sur la plume après avoir esté papelardé légierement par la taincturière.

— La ! mon fils, vous avez le somme bien légier. Ah ! il ne fauldroyt point s’adviser de vouloir faire de vous ung mary de haulte futaye. La, tiens-toi saige. Oh ! oh ! mon papa, ton bonnet est de travers. Allons recoëffe-toy, mon petit bouchon, car il faut estre beau, mesmes en dormant. La ! es-tu bien ?

— Oui.

— Dors-tu ? feit-elle en le baisant.

— Oui.

Au matin, la belle taincturière vint, de pied coy, ouvrir au méchanicien, qui estoyt plus pasle qu’ung trépassé.

— Oh ! de l’aër, de l’aër ! feit-il.

Et il se saulva, guarry de son amour, emportant autant de haine en son cueur qu’une poche peut contenir de bled noir. Ledict bossu laissa Tours et s’en alla dans la ville de Bruges, où aulcuns merchans l’avoyent convié de venir arrangier des méchaniques à faire des haubergeons. Pendant sa longue absence, Carandas, qui avoyt du sang maure dans les veines, veu qu’il descendoyt d’ung ancien Sarrasin quitté quasy mort dans le grand combat qui se donna entre les Moricauds et les Françoys en la commune de Ballan (dont est question au Conte précédent), auquel lieu sont les landes dictes de Charlemaigne, où il ne poulse rien, pour ce que des mauldicts, des mescréans, y sont ensevelis, et que l’herbe y damne mesmes les vasches ; doncques, ce Carandas ne se levoyt ni ne se couchioyt en pays estrange, sans songier comment il donneroyt pasture à ses dezirs de vengeance, et il resvoyt tousiours et ne vouloyt guères moins que le trespas de la bonne buandière de Portillon, et souventes foys se disoyt : « Ie mangeroys de sa chair. Da ! ie ferois cuire l’ung de ses tettins et le crocqueroys, mesmes sans saulce ! » C’estoyt une haine cramoisie, de bon tainct, une haine cardinale, une haine de guespe ou de vieille fille ; mais c’estoyent toutes les haines cogneues, fondues en une seule haine laquelle rebouilloyt, se concoctionnoyt et se résolvoyt en un élixir de fiel, de sentimens maulvais et diabolicques, chauffé au feu des plus flambans tisons de l’enfer ; enfin, c’estoyt une maistresse haine.

Ores, ung beau iour, ledict Carandas revint en Touraine avecques force deniers qu’il rapporta des pays de Flandres, où il avoit trafficqué de ses secrets méchaniques. Il achepta un beau logiz dans la rue Montfumier, lequel se veoit encores et faict l’estonnement des passans, pour ce que il ha des rondes-bosses bien plaisantes praticquées sur les pierres des murs. Carandas le haineux treuva de bien notables changemens chez son compère le taincturier, veu que le bonhomme avoyt deux iolis enfans, lesquels, par cas fortuit, ne présentoyent aulcune ressemblance ni avecques la mère, ni avecques le père ; mais comme besoing est que les enfans ayent une ressemblance quelconque, il y en ha de rusés qui vont chercher les traicts de leurs ayeulx, quand ils sont beaux, les petits flatteurs ! Doncques, en revanche, il estoyt treuvé par le bon mary que ses deux gars ressembloyent à ung sien oncle, iadis prebstre à Nostre-Dame de l’Esgrignolles ; mais pour aulcuns diseurs de gogues, ces deux marmots estoyent les pourtraictures vivantes d’ung gentil tonsuré, desservant de Nostre-Dame la Riche, célèbre paroësse située entre Tours et le Plessis. Ores, croyez une chouse, et inculquez-la dans votre esperit ; et quand, en cettuy livre, vous n’auriez broutté, tiré à vous, extraict, puisé que ce principe de toute vérité, resguardez-vous comme bien heureux : à sçavoir, que iamais ung homme ne pourra se passer d’ung nez, id est que tousiours l’homme sera morveux, c’est-à-dire qu’il demourera homme, et, par ainsy, continuera dans tous les siècles futurs à rire et boire, à se treuver en sa chemise sans y estre meilleur, ni pire, et aura mesmes occupations : mais ces idées préparatoires sont pour vous mieulx ficher en l’entendement que ceste ame à deux pattes croira touiours pour vraies les chouses qui chatouillent ses passions, caressent ses haines et servent ses amours : de là, la logique ! Par ainsy, du premier iour que le dessus dict Carandas veit les enfans de son compère, veit le gentil prebstre, veit la belle taincturière, veit le Taschereau, tous assis à table, et veit, à son détriment, le meilleur transon de la lamproye donné d’ung certain air par la Tascherette à son amy prebstre, le méchanicien se dit : — Mon compère est cocqu, sa femme couche avecques le petit confesseur, les enfans ont esté faicts avecques son eaue benoiste, et ie leur demonstreray que les bossus ont quelque chouse de plus que les aultres hommes.

Et cela estoyt vray, comme il est vray que Tours ha esté et sera tousiours les pieds dedans la Loire, comme une iolie fille qui se baigne et ioue avecques l’eaue, faisant flicq flacq en fouettant les ondes avecques ses mains blanches : car ceste ville est rieuse, rigolleuse, amoureuse, fresche, fleurie, perfumée, mieulx que toutes les aultres villes du monde, qui ne sont pas tant seulement dignes de luy paigner ses cheveux, ni de luy nouer sa ceincture. Et comptez, si vous y allez, que vous luy treuverez, au milieu d’elle, une iolie raye, qui est une rue délicieuse où le monde se pourmène, où tousiours il y ha du vent, de l’umbre et du soleil, de la pluye et de l’amour. Ha ! ha ! riez doncques, allez-y doncques ! C’est une rue tousiours neufve, tousiours royale, tousiours impériale, une rue patrioticque, une rue à deux trottoirs, une rue ouverte des deux bouts, bien percée, une rue si large que iamais nul n’y ha crié : Gare ! une rue qui ne s’use pas, une rue qui mène à l’abbaye de Grant-Mont et à une tranchée qui s’emmanche trez-bien avecques le pont, et au bout de laquelle est ung beau champ de foire ; une rue bien pavée, bien bastie, bien lavée, propre comme ung mirouer, populeuse, silencieuse a ses heures, cocquette, bien coëffée de nuict par ses iolis toicts bleus ; brief, c’est une rue où ie suis né ; c’est la royne des rues, tousiours entre la terre et le ciel, une rue à fontaine, une rue à laquelle rien ne manque pour estre célébrée parmi les rues ! Et, de faict, c’est la vraie rue, la seule rue de Tours. S’il y en ha d’aultres, elles sont noires, tortueuses, estroictes, humides, et viennent toutes respectueuses saluer ceste noble rue, qui les commande. Où en suis-je ? car une foys dans ceste rue, nul n’en veult yssir, tant plaisante elle est. Mais ie debvoys cette hommaige filial, hymne descriptive venue du cueur, à ma rue natale, aux coins de laquelle manquent seulement les braves figures de mon bon maistre Rabelais et du sieur Descartes, incogneus aux naturels du pays. Doncques, le dessus dict Carandas feut, à son retour de Flandres, festoyé par son compère et par tous ceux dont il estoyt aymé pour ses gogues, droleries et facétieuses paroles. Le bon bossu parut deschargié de son ancien amour, feit des amitiés à la Tascherette, au prebstre, embrassa les enfans ; et, quand il feut seul avecques la taincturière, luy ramenteva la nuict du bahut, la nuict de l’esgout en luy disant : — Hein ! comme vous vous estes gaussée de moi !

— Cela vous estoyt deu, respondit-elle en riant. Si vous vous estiez laissé, par grant amour, turlupiner, trupher, goguenarder, encores ung transon de temps, vous m’auriez peut-estre fanfreluchée comme tous les aultres ! …

Là-dessus, Carandas se print à rire en enraigeant. Puis, voyant ledict bahut où il avoyt failly crever, sa cholère devint d’autant plus chaulde, pour ce que la belle taincturière s’estoyt encores embellie comme toutes celles qui s’enraieunissent en soy trempant dans les eaues de Iouvence, lesquelles ne sont aultres que les sources d’amour. Le méchanicien estudia l’alleure du cocquaige chez son compère, afin de soy venger : car autant sont de logiz, autant sont de variantes en ce genre ; et, quoique tous les amours se ressemblent de la mesme manière que les hommes ressemblent tous les uns aux aultres, il est prouvé aux abstracteurs de chouses vraies que, pour le bonheur des femmes, chaque amour ha sa physionomie espéciale, et que, si rien ne ressemble tant à ung homme qu’ung homme, il n’y a aussy rien qui diffère plus d’ung homme qu’ung homme. Voilà qui confond tout, ou qui explique les mille phantaisies des femmes, lesquelles querrent le meilleur des hommes avecques mille poines et mille plaisirs, plus de l’ung que de l’aultre. Mais comment les vitupérer de leurs essays, changemens et visées contradictoires ? Quoi ! la Nature fretille toujours, vire, tourne, et vous voulez qu’une femme reste en place ! Sçavez-vous si la glace est vraiement froide ? Non. Eh bien, vous ne sçavez pas non plus si le cocquaige n’est pas ung bon hazard, producteur de cervelles bien guarnies et mieulx faictes que toutes aultres. Cherchez doncques mieulx que des ventositez sous le ciel. Cecy fera bien ronfler la réputation philosophicque de ce livre concentrificque. Oui, oui, allez ; celuy qui crie : Vécy la mort aux rats ! est plus avancé que ceulx occupez à trousser la Nature, veu que c’est une fière pute, bien capricieuse et qui ne se laisse veoir qu’à ses heures. Entendez-vous ? Aussy dans toutes les langues, elle appartient au genre féminin, comme chouse essentiellement mobile, féconde et fertile en pipperies.

Aussy, bientost recogneut Carandas que, parmi les cocquaiges le mieulx entendu, le plus discret, estoyt le cocquaige ecclésiasticque. De faict, vécy comme la bonne taincturière avoyt estably ses traisnées. Elle se despartoyt tousiours devers sa closerie de la Grenadière-lez-Saint-Cyr la veille du dimanche, laissant son bon mary parachever ses travaulx, compter, vérifier, payer les labeurs d’ouvriers ; puis, Taschereau venoit la rejoindre lendemain matin, et trouvoyt ung bon desieuner, sa bonne femme gaye, et tousiours amenoyt le prebstre avec luy. De faict, le damné prebstre traversoyt la Loire en ung bateau la veille, pour aller tenir chauld à la taincturière et luy calmer ses phantaisies, affin qu’elle dormist bien pendant la nuict, ouvraige auquel s’entendent bien les ieunes gars. Puis, le beau brideur de phantaisies revenoyt au matin en son logiz, à l’heure où le Taschereau advenoyt le requérir de se divertir à la Grenadière, et tousiours le cocqu trouvoyt le prebstre en son lict. Le batelier bien payé, nul ne sçavoyt ceste alleure, veu que l’amant ne voyageoyt la veille que de nuict, et le dimanche de grant matin. Lorsque Carandas eut bien vérifié l’accord et constante praticque de ces dispositions guallantes, il attendit ung iour où les deux amants se reioindroyent bien affamez l’ung de l’aultre, après quelque caresme fortuit. Cette rencontre eut lieu bientost, et le curieux bossu veit le manége du batelier attendant au bas de la grève, prouche le canal Saincte-Anne, le susdict prebstre, lequel estoyt un ieune blond, bien gresle, gentil de formes, comme le guallant et couard héros d’amour tant célébré par messire Arioste. Alors le méchanicien vint trouver le vieulx taincturier, qui tousiours aymoyt sa femme et se croyoyt seul à mettre le doigt dans son ioli bénoistier. « Hé ! bonsoir mon compère ! » feit Carandas à Taschereau. Et Taschereau d’oster son bonnet.

Puis, vécy le méchanicien qui raconte les secrettes festes de l’amour, desbagoule des paroles de toutes sortes et picque de tous costez le taincturier.

Enfin, le voyant prest à tuer sa femme et le prebstre, Carandas luy dict : — Mon bon voisin, i’ay rapporté de Flandre une espeé empoisonnée, laquelle occit net quiconque, pourveu qu’elle luy fasse une esgratigneure ; ores, dès que vous en aurez tant seulement touchié vostre gouge et son concubin, ils mourront.

— Allons la quérir, s’escria le taincturier…

Puis, les deux merchans d’aller grant erre au logiz du bossu, de prendre l’espée et de courir en campaigne.

— Mais les treuverons-nous couchiez ? disoyt Taschereau.

— Vous attendrez, feit le bossu se gaussant de son compère.

De faict, le cocqu n’eut pas la griefve poine d’attendre la ioye des deux amans. La iolie taincturière et son bien aymé estoyent occupez à prendre, dans ce ioly lacqs que vous sçavez, cet oyseau mignon qui tousiours s’en eschappe : et rioyent, et tousiours essayoyent, et tousiours rioyent.

— Ah ! mon mignon, disoyt la Tascherette en l’estreignant comme pour se l’engraver dessus l’estomach, ie t’ayme tant, que ie vouldroys te crocquer ! … Non, encore mieulx, t’avoir en ma peau, pour que tu ne me quittasses iamais.

— Ie le veulx bien, respondoyt le prebstre ; mais ie ne puis y estre tout entier, il faut se contenter de m’avoir en destail.

Ce feut en ce doulx moment que le mary entra, l’espée haulte et nue. La belle taincturière, à qui le visaige de son homme estoyt bien cogneu, veit que c’en estoyt faict de son bien aymé le prebstre. Mais, tout à coup, elle s’élança vers le bourgeoys, demy-nue, les cheveulx espars, belle de honte, plus belle d’amour, et luy dit : — Arrête, malheureux, tu vas tuer le père de tes enfans !

Sur ce, le bon taincturier, tout esblouy par la maiesté paternelle du Cocquaige et peut-estre aussy par la flamme des yeulx de sa femme, laissa tomber l’espée sur le pied du bossu, qui le suivoyt, et par ainsy, le tua.

Cecy nous apprend à n’estre point haineux.