Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte des Cloches

Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 154-156).


COMPLAINTE DES CLOCHES


Dimanche, à Liège.


Bin bam, bin bam,
Les cloches, les cloches,
Chansons en l’air, pauvres reproches !
Bin bam, bin bam,
Les cloches en Brabant !

Petits et gros, clochers en fête,
De l’hôpital à l’Évêché,
Dans ce bon ciel endimanché,
Se carillonnent, et s’entêtent,
À tue-tête ! à tue-tête !


Bons vitraux, saignez impuissants
Aux allégresses hosannahlles
Des orgues lâchant leurs pédales,
Les tuyaux bouchés par l’encens !
Car il descend ! il descend !

Voici les lentes oriflammes
Où flottent la Vierge et les Saints !
Les cloches, leur battant des mains,
S’étourdissent en jeunes gammes
Hymniclames ! hymniclames !

Va, Globe aux studieux pourchas,
Où Dieu à peine encor s’épèle !
Bondis, Jérusalem nouvelle,
Vers les nuits grosses de rachats,
Où les lys ne filent pas !

Édens mûrs, Unique Bohème !
Nous, les beaux anges effrénés ;
Elles, les Regards incarnés,
Pouvant nous chanter, sans blasphème :
Que je t’aime ! pour moi-même !


Oui, les cloches viennent de loin !
Oui, oui, l’Idéal les fit fondre
Pour rendre les gens hypocondres,
Vêtus de noir, tendant le poing
Vers un Témoin ! Un Témoin !

Ah ! cœur-battant, cogne à tue-tête
Vers ce ciel niais endimanché !
Calme, à jaillir de ton clocher,
Et nous retombe à jamais BÊTE.
Quelle fête ! quelle fête !

Bin bam, bin bam,
Les cloches ! les cloches !
Chansons en l’air, pauvres reproches !
Bin bam, bin bam,
Les cloches en Brabant[1] !

Liège. Août 1883.



  1. Et ailleurs.