Les Comètes du XIXe siècle

Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 4 (p. 827-833).

LES COMÈTES DU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

Les pages que l’on va lire, écrites pour une des dernières séances publiques de l’Institut, se rattachent à une série de travaux où l’auteur aura occasion de revenir sur l’ensemble des questions relatives aux comètes. Quant à certaines influences mystérieuses dont il est dit un mot à propos des influences attribuées aux comètes, il y aurait encore là le sujet d’une étude spéciale qui l’occupera peut-être ici quelque jour.

Depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’aux travaux de Newton, en 1680, les comètes ont été considérées comme des présages de malheurs publics. Leur aspect si différent de celui des autres corps célestes, leur marche bizarre au travers du ciel et dans des régions inaccessibles aux planètes, leur courte apparition, tout concourait à les faire regarder comme des prodiges. « Tel, dit Homère, on voit briller un de ces astres que Jupiter aux pensées profondes envoie en présage soit aux expéditions maritimes, soit aux grandes armées de terre. L’astre est éclatant, et on en voit jaillir des traînées d’étincelles. » Virgile et tous les poètes latins, jusqu’à Claudien, qui a paraphrasé les vers d’Homère, se sont épuisés en épithètes funestes, et jusqu’au XVIIe siècle les comètes furent pour le genre humain le triste pronostic des maux dont la colère céleste menaçait l’humanité. Seul ou presque seul, le philosophe Sénèque opposa sa puissante logique aux idées superstitieuses de ses contemporains et de ceux qui avaient vécu dans les siècles antérieurs. Les comètes, suivant lui, se meuvent régulièrement dans des routes prescrites par la nature, et jetant un regard prophétique vers l’avenir, il affirme que la postérité s’étonnera que son âge ait méconnu des vérités si palpables. Il avait raison contre le genre humain tout entier, ce qui équivaut à peu près à avoir tort, et pendant seize siècles encore, la question ne fit aucun progrès, même dans ce XVIe siècle si hardi pour secouer le joug d’autorités bien autrement puissantes. Kepler lui-même après 1600, Kepler le libre penseur, le novateur astronomique, l’inventeur des lois qui règlent les mouvemens célestes, admit les pronostics et les influences cométaires ; et cependant on ne peut pas reprocher une faiblesse superstitieuse à celui qui osait dire aux théologiens attaquant la doctrine de Copernic et de Galilée : Ne vous compromettez pas avec les vérités mathématiques. La hache à qui l’on veut faire couper du fer ne peut pas ensuite entamer même le bois.

Les observateurs du ciel, habitués à la grande régularité des mouvemens des astres, à ce calme, à cette paix qui caractérisent les régions célestes, ne pouvaient voir sans surprise et sans effroi des astres qui semblent éclore subitement dans toutes les régions du ciel, dont la forme et les appendices diffèrent en aspect des autres astres, qui semblent suivis ou précédés de traînées lumineuses souvent immenses, enfin dont la marche, contraire à celle de tous les autres corps célestes mobiles, se termine par une disparition aussi brusque que leur arrivée a été subite. Il n’est point étonnant que la crainte prît naissance entre l’étonnement et l’ignorance, tant il est naturel de voir des prodiges dans les choses qui paraissent extraordinaires et inexplicables.

Pour faire disparaître le prodige, il fallait donc avoir les lois du mouvement des comètes : c’est ce que fit Newton à l’occasion de la grande comète de 1680. Ayant trouvé que, d’après la loi de l’attraction universelle qu’il avait découverte, la marche de la comète devait être une courbe très allongée, il essaya, aidé de Halley, son collaborateur et son ami, de représenter mathématiquement la marche de l’astre nouveau, et il y réussit complètement. Halley s’empara activement de cette branche de l’astronomie, et reconnut plus tard que la comète de 1682 était tellement semblable, dans sa marche autour du soleil, à deux comètes précédemment observées en 1531 et en 1607, que c’était sans doute la même comète, qui dès lors devait reparaître vers 1750.

Par les travaux théoriques de Newton et par les calculs de Halley, la prédiction de Sénèque était accomplie : les comètes, ou du moins quelques-unes d’entre elles, suivaient des orbites régulières. Leur retour pouvait être prévu ; elles cessaient d’être des existences accidentelles : c’étaient de vrais corps célestes à marche fixe et réglée. Le merveilleux cessait, ou plutôt il passait au génie qui avait percé le mystère de la nature ; car, après la puissance créatrice et organisatrice du monde, le premier rang appartient à l’intelligence qui a pénétré la pensée du créateur.

Comme l’histoire de cette comète, qui porte le nom de Halley, se trouve curieusement mêlée à l’histoire des opinions et des événemens humains, il ne sera pas sans intérêt d’en tracer une légère esquisse depuis les siècles passés jusqu’à nos jours. Par sa dernière apparition en 1835, elle appartient essentiellement au XIXe siècle.

M. Hind, aidé des déterminations des cométographes anciens, des annales astronomiques chinoises traduites par Édouard Biot, et des travaux de M. Laugier, a pu suivre cette comète dans toutes ses apparitions jusqu’à l’an 12 avant notre ère. Depuis cette époque jusqu’en 1835, la comète s’est montrée vingt-quatre fois à la terre, ce qui fait une apparition tous les soixante-dix-sept ans. Voyons de quels événemens elle était témoin, et même presque acteur, en 1456, à l’une de ses apparitions. Les musulmans, avec Mahomet II à leur tête, assiégeaient Belgrade, défendue par Huniade, surnommé l’exterminateur des Turcs. La comète de Halley paraît, et les deux armées sont prises d’une égale crainte. Le pape Calixte III, frappé lui-même de la terreur générale, ordonne des prières publiques, et lance un timide anathème sur la comète et sur les ennemis de la chrétienté. Il établit la prière dite Angelus de midi, dont l’usage continue encore dans toutes les églises catholiques. Les frères mineurs amènent 40 000 défenseurs à Belgrade, assiégée par le conquérant de Constantinople, le destructeur de l’empire d’Orient. Enfin la bataille se livre ; elle dure deux jours sans désemparer. Une mêlée de deux jours fait périr plus de 40 000 combattans. Les frères mineurs, sans armes, le crucifix à la main, étaient aux premiers rangs, invoquant l’exorcisme du pape contre la comète, et détournant sur l’ennemi la colère céleste, dont personne ne doutait alors qu’elle ne fût une manifestation. Quels rudes astronomes ! Enfin, Mahomet II, grièvement blessé, se retire avec une immense perte, abandonnant dans sa fuite tout le matériel du siège, tandis que le vainqueur Huniade meurt des suites de la fatigue qu’il a éprouvée dans un combat, ou plutôt dans une boucherie humaine de vingt-quatre heures consécutives. Voilà de puissans effets d’opinions scientifiques !

Mais remontons plus haut dans l’histoire de cette comète. Elle apparaît au mois d’avril 1066. Les Normands ont à leur tête leur duc Guillaume, surnommé depuis le Conquérant, et sont prêts à envahir l’Angleterre, dont le trône a été usurpé par Harold, malgré la foi jurée à Guillaume. Personne ne doute que la comète ne soit le précurseur de la conquête. Nouvel astre, nouveau souverain. Nova stella ! novus rex ! Tel était le proverbe du temps. Je n’aurais que le choix entre les chroniqueurs qui disent unanimement : Les Normands, guidés par une comète, envahissent l’Angleterre. Ainsi l’un des rayons de la brillante couronne de la reine Victoria est emprunté à la comète de Halley.

Je dois à l’érudition obligeante du savant bibliothécaire de l’Institut la communication du fac-simile de la fameuse tapisserie de Bayeux, où la reine Mathilde, femme du conquérant, et sans doute aussi les femmes qui la servaient, ont dessiné les principales scènes de la conquête, avec des légendes en assez bon latin. On y voit Harold intronisé et recevant les hommages du clergé, de la noblesse et du peuple. Tout à côté une foule de gens tend les bras et les yeux vers une comète qui brille sur leur tête, et dans le même compartiment Harold sur son trône, soucieux, le corps et la tête penchés, reçoit des nouvelles de l’apparition céleste qui le menace. — Voilà qui est bien composé, me disait un membre de l’Académie française, qui suivait avec moi ce curieux dessin. — Ces idées d’influences cométaires, si chimériques aujourd’hui pour nous, étaient dans les siècles précédens d’importantes réalités qui décidaient du sort des nations et des rois. — Encore un exemple de l’influence de la comète de Halley ! Nous sommes en 837, sous le règne de Louis le Débonnaire, triste fils et successeur de Charlemagne. Pour abréger, je laisse parler un chroniqueur : « Louis était astronome. Ayant observé une comète en 837, il crut qu’elle lui annonçait de nouveaux malheurs, et tomba dans une mélancolie qui n’eut de fin que celle de sa vie. » Aujourd’hui, dire d’un personnage qu’il est astronome, ce serait précisément dire qu’il n’a aucune peur des comètes. Au reste l’empereur Louis Ier survécut à l’apparition de la comète jusqu’en 840, et s’épuisa en fondations religieuses ; il bâtit des églises et dota des monastères pour détourner de dessus sa tête la colère du ciel, évidemment manifestée par la comète de Halley, que nous allons retrouver encore en France au milieu du siècle dernier, sous le règne de Louis XV, faisant naître de bien autres préoccupations dans l’esprit public.

Halley avait calculé à grand’peine que l’action des planètes retarderait le prochain retour de la comète, et il l’avait prédit pour la fin de 1758 ou le commencement de 1759. Il fallait avec les formules mathématiques perfectionnées calculer exactement l’époque de ce retour. Clairaut entreprit et accomplit en maître la partie algébrique du problème ; mais il restait la tâche immense de calculer numériquement les formules. Deux calculateurs eurent ce courage. C’étaient l’astronome Lalande et Mme Hortense Lepaute, qui, par parenthèse, a donné son nom à l’hortensia, rapporté des Indes par l’astronome Legentil. Pendant six mois, prenant à peine le temps de manger, les deux calculateurs mirent en nombre les formules algébriques de Clairaut, et, au mois de novembre 1758, celui-ci annonça publiquement le retour de la comète pour les premiers mois de l’année suivante. À quelques jours près, la comète fut exacte au rendez-vous, au grand honneur de la loi de l’attraction, comme à celui de Newton et de ses successeurs dans la souveraineté de la science. La comète rentra ensuite dans les espaces célestes, ajournant sa prochaine visite à l’année 1835 ; mais alors, nouveau changement dans l’opinion des savans et du public !

Tant que les comètes, depuis Aristote, Hipparque, Ptolémée, Tycho-Brahé, Kepler, Cassini, avaient semblé jeter à l’esprit humain un défi intellectuel et lui dire : Tu ne connais pas la loi qui me guide ! — une attention anxieuse avait suivi leurs pas. En 1835, tout était connu. Le savant n’avait plus rien à apprendre, l’homme du peuple n’avait rien à espérer ni à craindre. Il n’y avait plus pour le premier un reproche d’ignorance, pour le second un péril de superstition. Tout le monde disait : Comète, que me veux-tu ? Tout récemment, pour la troisième comète de cette année 1853, qui le 31 août brillait au couchant d’un grand éclat à huit heures du soir, par un crépuscule qui aurait éteint toute étoile ou planète, le peuple de Paris qui passait en foule sur les ponts jetait sur ce bel astre un regard de quelques instans en ajoutant : « C’est sur le journal, il y a trois mois qu’on la voit à l’Observatoire ! » Je doute fort que la comète de Halley, à son prochain retour, excite davantage l’attention publique. C’est le cui bono de Cicéron, c’est-à-dire dans quel but d’intérêt s’en occuperait-on ? Non, jamais plus les reines ne dessineront cette comète sur leurs tapisseries, car jamais plus elle n’aura donné le trône aux conquérans.

Combien y a-t-il de comètes dans le ciel ? Autant que de poissons dans l’Océan, répondait Kepler. Ceux qui ne sont pas initiés au progrès des sciences ne se font guère l’idée du nombre de comètes qu’aujourd’hui, en plein XIXe siècle, on découvre dans le ciel. La présente année 1853, si rebelle aux travaux astronomiques, nous en a déjà donné quatre. L’année 1846 en a fourni huit. Tandis que les astronomes du siècle dernier en avaient observé soixante-quatre, les modernes, depuis 1801 jusqu’à 1851, c’est-à-dire dans la première moitié du XIXe siècle, en ont déjà catalogué quatre-vingts. Il y a à peu près en tout six cents comètes bien observées à partir du commencement de notre ère. Depuis quelques années, on en découvre en moyenne trois ou quatre par an. On voit donc que si l’on rattachait comme autrefois les événemens politiques et naturels à ces astres, ce seraient aujourd’hui les événemens qui manqueraient aux comètes, tandis que c’était le contraire dans le moyen âge. Les astronomes, ou plutôt les astrologues, parmi lesquels je regrette sincèrement de trouver Kepler, en étaient réduits à dire que les comètes ne faisaient souvent que déposer le germe des événemens qui se produisaient ensuite.

Jusqu’au commencement de ce siècle, la seule comète de Halley était reconnue périodique et avait été revue deux fois. Trois autres comètes semblables sont venues enrichir notre système solaire de trois nouveaux astres soumis au domaine de notre soleil comme les planètes : ce sont les comètes qui portent les noms de Encke, de Biéla et de notre compatriote et confrère M. Faye. Ces trois comètes sont les seules qui aient été revues deux fois. La dernière a même offert, suivant M. Hind, cette curieuse particularité, qu’elle est revenue au périhélie à l’heure même indiquée par les calculs de M. Le Verrier. Neuf ou dix autres comètes sont attendues à leur second retour, pour établir ou pour infirmer la théorie de leurs mouvemens autour du soleil : mais que dirai-je de la grande comète du XIXe siècle, attendue en 1848, et qui, à l’heure qu’il est, n’a pas encore reparu ?

En 1556, une grande et belle comète apparaît. Charles-Quint, qui temporisait pour son abdication, n’hésite plus : c’est à lui seul que la comète s’adresse, comme au plus illustre de tous les souverains d’alors. Il espère que l’influence qui le menace comme tête couronnée n’aura plus de prise sur un homme privé, sur un moine. Il se hâte de se rendre en Espagne, au monastère où il doit encore vivre près de deux ans. Tout ceci n’a rien d’étonnant : c’est l’esprit, ce sont les croyances du siècle ; mais au milieu du siècle dernier, on calcule cette comète de Charles-Quint, et on la trouve analogue à d’autres comètes qui, à trois cents ans de distance, se sont montrées dans le ciel. Toutes sont très brillantes, pourvues de traînées lumineuses ou queues immenses ; l’aspect physique et la marche sont les mêmes. On calcule donc le retour de cette grande comète pour 1848. Point de contradicteurs ; ce retour est inscrit dans tous les livres d’exposition scientifique. Plusieurs astronomes, un peu avant 1848 et depuis, cherchent inutilement cette précieuse comète de trois cents ans de révolution et qui serait une si belle acquisition pour notre système solaire ; mais déjà 1848, 1849, 1850, 1851, 1852 et presque tout 1853 se sont écoulés, et nous n’avons point de nouvelles de l’astre tant attendu, tant espéré. Sans doute personne ne perdra l’appétit et le sommeil à la triste nouvelle astronomique que je révèle ici ; mais cependant, si les lois de l’attraction sont réelles, si ces lois qui dirigent la lune autour de la terre, les planètes et les comètes autour du soleil, les étoiles doubles elles-mêmes aux confins du ciel étoile à des distances qui confondent l’imagination, sont vraies, pourquoi la comète de 1550 ne reparaît-elle pas ? Le voici :

À côté de l’influence prépondérante du soleil se place l’action bien plus faible, mais cependant sensible, des planètes, comme Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, qui fausse un peu la régularité de la marche des comètes autour du soleil. Il restait donc, pour savoir à quoi s’en tenir sur le compte de la comète de trois cents ans, il restait, dis-je, à faire pour cette comète ce que Clairaut, Lalande et Mme Lepaute avaient fait pour la comète de Halley à son retour de 1769. Mais qui oserait tenter une entreprise si gigantesque pour une orbite parcourue en trois cents ans, tandis que pour soixante-dix-sept ans la difficulté des calculs était presque inabordable ? M. Hind nous apprend qu’un astronome de Middelbourg, en Zélande, M. Bomme, animé par une de ces passions froides qu’on dit être encore plus énergiques que les passions ardentes, a entrepris et accompli ce travail herculéen avec une immense dépense de temps et de labeur. Le résultat a bien payé sa persévérance : il a trouvé que le retour de la grande comète du milieu de ce siècle serait retardé de dix ans, et qu’avec une incertitude seulement de deux ans, nous aurions la comète en 1858. L’incertitude provient des observations peu exactes de Fabricius, astronome de Charles-Quint, et sans doute plus actif à tirer des pronostics de la comète qu’à en fixer bien exactement la marche. Or, quand une fois ce bel astre aura été conquis, on ne le perdra plus, et tous les trois cents ans on recevra infailliblement sa visite. Attendons-le donc patiemment et sûrement de 1856 à 1860. Les faiseurs de revues théâtrales, qui spéculent sur tout ce qui attire l’attention de la société, peuvent, dès aujourd’hui, tailler leur plume et se préparer pour la comète de Charles-Quint. À ce propos, je dirai combien je fus frappé, en 1835, de la pauvreté d’imagination de ceux qui mirent sur le théâtre la comète de Halley, qui nous fait à peu près quatre visites en trois siècles. Quoi ! pas une allusion aux nations qui précédemment avaient vu la comète, et que la comète avait elle-même frappées de ses rayons ! Pas un souvenir du siècle de Louis XV, du siècle de Mahomet II, du siècle de Guillaume le Conquérant, du siècle de Charlemagne ! Je disais hautement alors : si les savans ont le droit de n’avoir point d’imagination, ces auteurs dramatiques-là empiètent sur les droits de la science.

Sortons des moyens artistiques de second ordre, et voyons ce que trouvera la comète de Halley à son prochain retour sur la terre, en 1911. Sans doute, dans notre Europe, tout marchera sous les lois de la sagesse, de la raison et de la science ; mais ce qui est bien plus certain, c’est qu’en Amérique, à cette époque, une ville de plusieurs millions d’âmes, comme autrefois Rome, Alexandrie ou Constantinople, ou comme aujourd’hui Londres, vérifiant les prévisions de M. Ampère fils, occupera l’isthme de Panama. Les États-Unis compteront cent vingt-cinq millions de citoyens, et au retour subséquent de la comète de Halley, vers 1988, ils en compteront comme l’Europe, qu’ils surpassent en étendue, en fertilité et en activité laborieuse, deux cent cinquante millions. Un astronome du milieu du XVIe siècle s’excusait de pousser ses calculs jusqu’à 1600, comme à un futur incommensurablement éloigné. Depuis lors, trois siècles se sont écoulés. Dans la vie des nations, comme dans celle des sciences, 1800, c’est hier ; 1900, c’est demain !

Au risque de paraître trop scientifique, je dirai en deux mots que les comètes, en perdant de leur influence populaire, en ont acquis une très grande et très nouvelle dans la science positive par les questions précédemment insolubles qu’elles nous ont permis d’aborder. Déjà, avec les perturbations du mouvement de la comète de Encke, on a pesé la planète Mercure ; résultat inespéré ! Plus tard, on vérifiera le poids déjà connu de la Terre au moyen de la comète de Biéla. Celle de Faye nous dira un jour la masse de Mars. Enfin M. Séguin, qui a donné la vie et la force aux locomotives, a entrevu et fait concevoir l’espérance que les comètes traversant, au hasard toutes les régions qui entourent le soleil, nous révéleraient par les dérangemens que leur marche éprouve l’existence et la quantité de cette matière chaotique qui circule avec les planètes autour de notre astre central et qui nous fournit ces curieuses masses météoriques appelées si justement pierres tombées du ciel. Ce sont de véritables échantillons du monde primitif avant que la matière solaire se fût conglomérée en planètes et en lunes, mais non pas en comètes, lesquelles sont des étrangères fixées au milieu des planètes, et qui n’ont avec elles aucun trait de ressemblance.

Les nations, affranchies des craintes superstitieuses qu’elles concevaient à la vue des comètes, sont-elles maintenant devenues plus sages et plus éclairées ? Nous qui avons secoué le joug de l’astrologie, paraîtrons-nous aux yeux de la postérité plus exempts de préjugés que nos pères ? Leurs croyances étaient fausses, mais non ridicules. J’ai bien peur, à voir l’interprétation qu’on a donnée à ce fait des tables tournantes, si curieux au point de vue de la physiologie et de la mécanique, que nos croyances ne soient jugées un jour et fausses et ridicules ! « Comment pouvait-on croire aux comètes ? me disait un homme de la classe très éclairée de la société. En vérité je serais tenté de donner un démenti à l’histoire ! Adieu, on m’attend à une admirable soirée de tables intelligentes. Oh ! ce sont de vrais prodiges que ceux-là ! » Que dire à de pareilles convictions ? Attendre que la fièvre se calme, que la frénésie s’en aille et que la raison malade entre en convalescence.

Si l’homme, pris en masse, est et sera toujours le même, avide de merveilleux et surtout d’émotions, il importe d’opposer à ces épidémies de crédulité passionnée l’influence d’un nombre considérable de têtes calmes et pensantes qui résistent à l’entraînement universel et veillent à l’honneur du bon sens public. C’est là une des importantes missions de la presse quotidienne, et dans la dernière éclipse de la raison (je dirais presque totale), la presse quotidienne n’a-t-elle rien eu à se reprocher ? Les croyances astrologiques de nos aïeux nous font aujourd’hui sourire de pitié ! Et cependant n’était-il pas plus noble de rattacher les destins des nations aux influences célestes des planètes et des comètes que d’aller demander des oracles à un meuble des plus communs, à un objet d’équipement, à un ustensile de cuisine ? C’est rivaliser de fétichisme avec les races les plus dégradées de l’espèce humaine.

BABINET, de l’Institut.