Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Rédaction primitive d’une partie du premier livre des Chroniques de sire Jean Froissart

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 413-477).

RÉDACTION PRIMITIVE
D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE
DES CHRONIQUES DE SIRE JEAN FROISSART,
EXTRAITE D’UN MANUSCRIT DE VALENCIENNES.


CHAPITRE PREMIER.

Adfin que les grans fais d’armes qui, par les guerres de France et d’Angleterre, sont avenus, soient notablement mis en mémore perpétuelle, par quoy les bons y puissent prendre example, je me veul ensonnier de les mettre en prose. Voirs est que messire Jean li Biaux jadis canonnes de Saint-Lambert de Liége, en grossa en son temps aucune chose. Or ay-je ceste istoire augmentée, par juste enqueste que j’en ay fait par le monde. Si en ay demandé aux chevaliers et escuiers qui les ont aidiés à achever, dont la vérité est sceue, et aussi à aucuns rois d’armes, aux marissaux et aux hiraux, tant en France comme en Engleterre où j’ay travillié après eulx pour en savoir la vérité. Car par droit tels gens sont justes inqueseteurs et voirs disant de tels besongnes, et pour leur honneur je croy qu’il n’en voldroient ne oseroient mentir. Et sur ce, chil dessus dit a fait ce livre dicter et ordonner, parmy l’ayde de Dieu, sans coullourer l’un plus que l’autre, mais affin que le bien fait, du quel costé que ce soit, soit plainement amenteus et congneus, comme vous trouverez en l’istoire. Et pour ce que en temps advenir on sace de vérité qui ce livre mist sus, on m’appelle Jehan Froissart, prestres, nez de Valenchiennes, qui moult de paines et de travaulx en ay eus en ce faisant. Et en ce livre vous trouverez autant de fais d’armes, de mervilleuses aventures, de durs rencontres, de grandes batailles et de toutes autres choses qui se appendent des membres d’armes et de proeches que de nulle istoire dont on puist lire. Et ce doivent désirer à oïr toutes manières de gentils hommes qui se désirent à avanchier ; car par le recort des bons et le renom des preux se enflamment et atissent les corages en moult de proesches. Car, que on le sace ! tant y sont advenu de grans fais d’armes, puis l’an mil trois cent vingt sis que ly rois d’Engleterre, messire Edouvart, fu couronnez dès le vivant de son père à Weismoustier, que lui et tous ceulx qui avec lui ont esté en ces batailles eureuses et fortuneuses en sont mieulx à recommander : si comme li propres rois, ly princes de Galles son fils, les deux ducs de Lencastre, messire Henry et messire Jehan qui eut sa fille, ly contes de Warvich, messire Gautiers de Maugny, messire Renaulx de Gobehen, messire Jehan Candose, messire Pierre et messire Jaque D’Audellé, messire Robert Canolle, messire Hue de Cavrelée, et plusieurs autres de qui je ne puis mie de tout parler. Aussi ne fu onques ly royalmes de France si despourveus que ly Englès n’y trouvassent moult de bonne chevallerie. Car à ce temps y fu : ly rois Phelippe, vaillans hons durement, ly rois Jehan ses fils, le duc de Bourgoingne, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, messire Charles de Blois, messire Loys d’Espaigne, messire Bertran de Claiequin, messire Ernoult d’Audenehem, et plenté d’autres barons et chevaliers dont on ne peut mie de tout parler tant qu’à présent. Et doit-on bien tenir pour vaillans et plus que preux tous ceux qui se sont trouvez en ces grandes batailles et les grans fais qu’ils ont emprins et achevez ; et se aucuns y sont demourez mors, ils en doivent bien estre recommandez entre les bons, car le mors de bons en parleront souvent, si comme dist Sainte Escripture : les mors ressussitez. Or voeil ce prologe laissier, et revenir à ma principale matère, et remontrer au vray par quelle occoison se murent premièrement les guerres entre le roy de France et le roy d’Engleterre, dont tant de mal sont depuis avenus par la terre et par la mer, comme vous orez en ceste istoire, s’ascouter le volez.

CHAPITRE II.

Certaine chose est, et telle est li oppinion des Englès, et par expérience on a veu advenir en Engleterre, que, après un vaillant roy, on a veu ensievir ung mains vaillant. Et il s’apparu bien par chils bons rois Édouart qui tant eut à faire aux Danois et aux Escos et les desconfist pluiseurs fois en bataille. Ses fils, qui fu secons Édouwart, ne fue mie si vaillans, ne plains de si grant prudence, mais gouverna le royalme nicement et simplement, par mauvais conseil, dont il lui mesquéy depuis. Car assez tost après qu’il fu couronnez, ly rois Robert de Breux qui estoit rois d’Escoce, qui tant avoit guerroié à son père, reconquist toutes les villes et chasteaux qui avoient en Escoce esté soubz lui conquises du roy Édouars, père à celui roy dont nous parlons, et aveuc ce si gasta et essilla plus de quatre journées du royalme d’Engleterre, et desconfist celui roy Édouart par bataille en Escoce, devant un chastel c’on appelle Estroumelin. Et là fu morte ou prinse toute la fleur de la chevalerie d’Engleterre. Et s’en refuy en Engleterre, à tout ce qu’il avoit de gens. Se vint à Londres. Si fu moult depubliez des gens de son pays ; et disoit-on communalsment qu’il avoit rechupt ce dommage par le malvais conseil qu’il avoit.

CHAPITRE III.

Chils rois Édouars qui fu père à celui roy Édouart, avoit deux frères de remariage, desquelx li uns estoit appeliez le conte Marissal, et estoit de moult salvage et diverse manière ; ly aultre avoit nom messire Aymon, et estoit conte de Kent. Chilz estoit sages, doulx et débonnaires et bien amez des bonnes gens d’Engleterre. Chilz rois Édouars estoit mariez en France à la fille du beau roy Phelippe ; se li avoit ly rois donnée par envie, si comme on disoit, pourtant que ly conte Guy de Flandres, qui régnoit pour le temps, lui avoit volu donner sa fille sans le congié du roy de France, car il lui desplaisoit qu’il se voloit aloyer aux Englès. Et quant le dit roy seut que le mariage s’aprocha, il manda au conte de Flandres qu’il lui envoiast sa fille qui sa filleulle estoit ; et le conte, qui nul mal ny pensoit, luy envoya ; et quant ly rois Philippe l’eut, il le mist en prison, par telle manière c’onques puis ne rentra en Flandres. Pour laquelle advenue moult de batailles se firent en Flandres et en France, et en advint la grosse bataille de Courtray où il eut mort maint vaillant homme et desconfit. Or maria chilz beaux rois Phelippe sa fille Ysabel au roy d’Engleterre ; si lui donna en mariage le conté de Pontieu ; et de celle dame issurent quatre enfans, deux fils et deux filles. Ly fils aisnez eut nom Édouart, qui tant fu vaillans hons et sur quoy ceste istoire est commenchie. Ly seconds eut à nom Jehan de Guent et morut josnes. Des damoiselles, ly une eut à nom Ysabel, si fu roynne d’Escoche et eut à mary le roy David d’Escoce, fils du roy Robert de Breux ; et lui fu donnée par paix faisant ; et ly aultre eut le duc de Guerles. Si en ot deux fils et deux filles : messire Évrart et messire Édouars qui tant fu bon chevalier ; et de ses deux filles l’une eut le conte de Clèves et l’autre le comte de Jullers.

CHAPITRE IV.

Encores pour mieulx esclarcir ceste noble matière et la declaracion des linages, je me veul un petit ensonnier dont issy ly rois Édouars qui assega Tournay, et comment il estoit prochains à la couronne de France. Il descendy, de par le femelle, de droite lingne ; car ly beaux rois Phelippe fu ses tayons, qui eut trois fils et une fille ; et furent chil trois fils bel gent et puissans chevaliers. Ly aisnez eut à nom Loys et fu à son temps roy de Navarre, et l’appela on le roy Hustin ; le second eut à nom Phelippe-le-Beau et le tiers eut à nom Charles. Et furent tous trois roy de France après la mort de leur père, par droicte succession, sans avoir hoir de leur char par mariage qui fussent masles. Si que, après la mort du derrain roy Charles, ly per de France et ly baron donnèrent la couronne à leur advis, et non mie à la seur d’iaux, qui estoit royne d’Engleterre, pour tant qu’il voloient dire et maintenir, et encores font : que le royalme de France est si noble qu’il ne doit point aler à fumelle, ne par conséquent à fil de fumelle, ne de par sa mère venir là où sa mère ne peut avoir nul droit. Si que, par ces raisons les douze pers et les barons donnèrent de certain acord le royalme et la couronne de France, en plain palaiz à Paris, à monseigneur Phelippe de Valois, cousin germain à ce beau roy Phelippe, et en ostèrent la roynne d’Engleterre et son filz qui estoit hoirs malles, filz de la seur à ce roy Charlon darrain. Ainsi ala ly royalmes hors de droicte lingnie, ce sambla à moult de gens ; par quoy grans guerres sont advenues et grans destruccions de gens et de pays. Et c’est la vraie fondation de ceste istoire, pour venir aux grans fais d’armes qui avenus en sont. Car, puis le temps le bon roy Charlemaingne, ne furent si grans guerres en France qu’elles y sont advenues par ce fait ; ainsi que vous orez en ce livre s’il vous plaist. Or veul je retraire à la droite matère commencier, et taire de cestuy fait, tant que temps en sera d’en parler.

CHAPITRE V.

Le roy d’Engleterre, père à ce gentil roy Édouart sur quoy notre matère est fondée, gouverna moult diversement son royalme, et fist moult de diverses merveilles en son pays, par le conseil et enort de messire Hue le Despensier qui avoit esté nouris en France avec lui d’enfance. Et avoient tant fait, chils messire Hue et messire Hue son père, qu’ils estoient les plus grans et les plus rices barons qui fuissent en Engleterre, et tout maistre du conseil du roy. Si voloient surmonter tous les autres barons du pays par envie ; par quoy avinrent ou pays et à eulx meismes moult de tourmens. Car après la grant desconfiture d’Estrumelin, là où li rois Robert de Breux d’Escoce desconfist le roy d’Engleterre et tous ses barons, multeplia murmure ou pays d’Engleterre entre les nobles barons et le conseil du roy et meismement contre le dit Despensier. Et disoient à plain que par luy il avoient esté desconfis, et qu’il estoit favourables au roy d’Escoce, et que par lui avoient pardue la bonne cité de Berwich, et le pays ars et gasté. Et sur ce eurent les dis barons plusieurs consaulx, pour aviser qu’il en porroient faire ; desquelx le conte Thomas de Lenclastre, qui estoit oncle au roy, estoit ly plus grans et li plus principaux. Or se perchut le dit Despensier de ceste oeuvre, comment on murmuroit sur luy. Si se doubta fort que mal ne l’en venist. Si y pourvéy soutillement. Il estoit si bien du roy et si prochains qu’il voloit, et plus creus tous seulx que tout ly aultre. Si vint au roy et lui dist : que chil seigneur faisoient aliances contre luy et pour lui débouter de son royalme s’il ne s’en gardoit. Et tant fist par son enort et par son malvais malisce que le roy fist à ung jour prendre tous ces seigneurs à ung parlement, et en fist décoller sans congnoissance de cause jusques à vingt-deux, de tous les plus grans du royalme ; dont ce fu grans pitez ; et tout premiers le conte Thomas de Lencastre qui estoit son oncle, preudons de bonne vie et sainte, et qui fist depuis moult de beaulx miracles, et pour lequel le dit messire Hue acquit moult de haynnes de tout le pays, et especiallement de la roynne d’Engleterre et du conte de Kent qui estoit frère au dit roy. Sachiés que encores ne cessa point à tant le dit Hue de tous jours enorter le roy à mal faire. Car quant il perchut qu’il estoit mal de la roynne et du conte de Kent, il mist si grant discort entre le roy et la roynne, et tant fist que le roy ne voloit voir la roynne devant lui, ne en lieu où il fust ; et se dura ce discort bien longuement. Se fu qu’on dist secrètement à la roynne et au conte, pour les périls eslongier, qu’ils s’avisaissent, et que le dit messire Hue pourcachoit durement à l’encontre d’eulx. Et quant il perchurent ce, si se doubtèrent, et s’avisèrent qu’il se partiroient et vuideroient coiement le royalme ; si s’en yroient en France devers le roy son frère et lui conteroient toutes ces piteuses aventures. Et ainsi la dame hastivement se pourvéy bellement, en disant qu’elle yroit en pellerinage à Saint-Thomas de Cantorbie. Si prist Édouart son fils, et le mist en sa nef à Wincenessée ; et là de nuyt elle y entra à tout son fil et le conte Aymon de Kent et messire Rogier de Mortemer ; et en une autre nef mirent leur pourvéance. S’eurent vent à souhet. Si furent lendemain au havre à Boulongne, comme vous oez, avec son enfant et le conte de Kent, à heure de prime.

CHAPITRE VI.

Quant la roynne Isabel fu arivée avec sa compagnie, le capitaine de Boulongne, ly abés et les bourgois de la ville vinrent contre lui et le requellirent, et honnourablement l’emmenèrent à l’abbeye et luy firent grant honneur. Si demoura deux jours, et au tiers se mist à le voie ; et tant chemina par ses journées qu’elle vint à Paris. Et le roy Charles son frère, qui tous estoit infourmez de sa venue, envoya à l’encontre de luy des plus grans seigneurs qui estoient dalez lui : monseigneur Robert d’Artois, monseigneur de Couchy, monseigneur de Soully, le seigneur de Roie, et pluiseurs autres, qui honnourablement l’enmenèrent en la chité de Paris devers le roy de France son frère ; et là ly fu fait très grant honneur et à toute sa compaignie.

CHAPITRE VII.

Quant ly rois vit sa seur, à l’entrer en sa chambre il ala contre ly et le prist par la main. Si le baisa en bienveignant doucement, et luy dist : « Ma belle seur, vous et mon beau nepveu, nous soyez bien venu. » Lors se volt la roynne ajenouiller par deux ou par trois fois contre luy ; mais il le tenoit adiès par la main et ne ly laissoit faire. Si l’enmena oultre. Dont luy demanda moult doucement de tout son estat ; et la dame luy respondy moult doucement et sagement. Si lui dist : « Mon très chier sire et frère, si nous va, moy et mon fil, malvaisement, car mon mary roy d’Engleterre m’a pris en hayne ; si ne scet pourquoy ; et tout par l’enort d’un seul chevalier, Huon le Despensier ; car celui a tellement monseigneur trait à soy, que tout ce qu’il lui veult dire est fait. Et jà par lui sont mors pluiseurs haulx barons d’Engleterre, car à ung jour en fist prendre et les testes copper jusques à vingt-deux ; et par espécial le bon conte Thomas de Lenclastre, dont ce fu grans dommages ; car chils estoit bons preudoms, de sainte vie et plains de bon conseil ; et n’y a si bon en Engleterre, tant soit noble, qui oseroit dire encontre luy. Et tant qu’à moy fu dit en grant privé que l’envie estoit si grande sur moy, que se je demouroie encore un peu ou pays, par ceste malvaise infourmacion, que ly rois me feroit morir ou languir en honte et en povreté, sans ce que je l’aye desservi, ne volroie faire ; car onques envers luy ne pensay mal, ne fis chose dont on me deuist blasmer. Et quant j’euch oyes ces dures nouvelles si périlleuses sur moy, je m’avisay, pour mieulx faire, que je me partiroie d’Engleterre ; si vous verroie véir, et remonstrer comme à mon frère la grande et dure besongne et le péril en quoy j’estois. Et pareillement en tel point est le conte de Kent que là véez, qui est frère à mon mary le roy, et par l’esmouvemens et faulx ennors de ce Huon le Despensier. Si sumes chi afuys, comme vous véez, desconseilliez, desconfortez et esgarez, devers vous, pour prier de conseil et de confort avoir ; car se Dieux et vous n’y remédiez, je ne me sçay vers qui retraire. »

CHAPITRE VIII.

Quant le noble roy de France eut oy ainsi sa seur lamenter, et tenrement plourant remonstrer sa besongne, si l’en prist grant pitié ; ce fu raison. Lors lui dist : « Ma belle seur, apaisez-vous et vous reconfortez ; car, par le foy que je doy à Dieu et à saint Denys, je y pourverray de remède. » Adont la dame s’ajenouilla, volsist ou non ; se lui dist : « Mon très chier frère et seigneur, Dieux vous en veulle oïr qui le vous veulle remérir. » Lors le prist le roy entre ses bras, et l’enmena en une autre chambre qui estoit moult richement parée pour ly et le josne Édouart son fil ; et là fu conjoye et servie comme à telle royne appartenoit, et luy fist le roy delivrer toutes les choses qui à eulx estoit mestier pour leur estat. Depuis ne demoura gaires que le noble roy Charle fist assambler plenté de grans seigneurs du royalme, pour avoir conseil et advis quel chose il porroit faire de ceste besongne, car il avoit promis par sa foy confort et ayde. Si fu conseillié au roy, pour le mieulx faire, qu’il laissast à la damme pourcachier amis, pour li conforter, ou royalme et ailleurs, et de sa personne se faindesist de ce fait ; car de mouvoir guerre entre lui et les Englès estoit grans périls ; mais couvertement et secrètement lui aidast du sien, d’or et d’argent, et elle trouveroit assez d’amis. À ce s’accorda le roy et l’eut en convent qu’il luy feroit ayde de mise. Adont fu la royne moult resjoye. Et adonc fu querquiés secrètement messire Robert d’Artois, qui estoit l’un des plus grans barons qui là fust, qu’il lui aidast à pourcachier amis aux gentils et nobles bacelers du pays et d’ailleurs. Et ainsi la roynne d’Engleterre, parmy l’ayde de messire Robert, se pourcacha ; et tant leur promist et donna, qu’elle eut moult de noble chevalerie et de bonne de son accort, qui tout lui promirent de luy aidier à remectre de force ens ou royalme d’Engleterre, et grant désir en avoient.

CHAPITRE IX.

Or vous diray un petit du malvais messire Hue le Despensier. Quant il vit que la roynne s’estoit par devers le roy ainsi retraite il s’apensa et doubta fort qu’elle ne pourcachast ce qu’elle faisoit, et que s’elle revenoit à force en Engleterre, que il n’en fust destruis. Si s’avisa que, s’il povoit, que par dons d’or et d’argent et de joiaux, il deceveroit le roy de France et son conseil, adfin qu’il ne confortaissent la dite roynne ne qu’il ne lui fesissent aucun contraire. Et quist messagiers souffisans soutils et bien afaitiés ; si leur querqua pluiseurs lettres et joiaux, avec or et argent à grant plenté ; et tant fist en brief terme que le roy et tout son conseil furent aussi froit de la dame aidier, comme ils en avoient eu grant désir et volenté. Et brisa le roy propre tout cel voyage, et deffendy, sur à perdre le royalme, que nuls ne s’en mesist. Dont pluiseurs chevaliers furent moult courrouchiés, car il avoient grant desir d’aidier à la dame ; et moult s’esmervillèrent comment le roy pooit estre en sy peu de temps retournés ; et murmurèrent fort par le pays qu’il estoit decheus par or et par argent qui d’Engleterre lui estoit venu. Encore vous diray de quoy celui messire Hue s’apensa. Quant il se perchut à plain qu’il n’avoit garde que François venissent oultre, pour mieulx florir son fait, et adfin que la royne euist aucune renommée de mesfait ou de tort, il consilla le roy d’Engleterre qu’il escripsist au Saint Père le pappe, en suppliant bien acertes qu’il mandast au roy de France que il lui volsist renvoier sa femme, car il s’en voloit aquiter à Dieu et au monde. Et monstroit que ce n’estoit point sa coulpe qu’elle s’estoit partie de luy ne du pays, car il lui voloit faire toute loyalté, telle c’on doit en mariage. Et avec toutes ces lettres, en luy escusant, il envoia plenté d’or et d’argent par devers le pappe et aux plus grans du secret du pappe. Et tellement mena le pappe soubtilement, que la royne fu du tout condempnée en tort avoir ; et mirent le roy d’Engleterre et son conseil en droit. Et par le conseil de pluiseurs cardinaulx qui à ce furent d’accort, le pappe escripsy au roy de France que, sur painne d’escuméniement, il renvoyast la royne sa seur à son mary le roy d’Engleterre. Tantost ces lettres véues, et par si espécial messager portées que par l’évesque de Saintes en Poitou, avec aultres que le pappe y envoya en légacion, adont le roy de France, qui jà par avant estoit desvoiés, par les dons qui d’Engleterre estoient venus, si se meut durement à parler à la roynne ; et lui dist plainement : « Je ne veux plus soustenir vous ne vostre fait en mon pays ; mais partez-vous hastivement. Se vuidiés mon royalme ou je vous ferai vuidier. »

CHAPITRE X.

Quant la royne oy ces nouvelles, si fu moult desconfortée, car elle se vit du tout arrière de l’ayde et confort que promis on lui avoit. Si ne savoit quel advis prendre. Car jà s’eslongoient de luy tous les barons et seigneurs qui amour et service lui avoient promis. Si ne se savoit sur qui ne à qui retourner, fors seullement sur son cousin, messire Robert d’Artois, qui loyalment lui avoit fait et monstré amour ; car il avoit oy dire et jurer au roy que, se nuls se avançoit de lui faire confort, qu’il lui osteroit sa terre et en son royalme. Adont messire Robert d’Artois, qui forment désiroit en son secret l’ayde et confort de la dame, oy et entendy que le roy estoit en volenté de faire prendre sa seur, son fil, le comte de Kent et messire Rogier de Mortemer, et de les renvoier ens es mains le roy d’Engleterre et du Despensier ; et ainsi le vint dire à la royne de nuyt, et tout le péril où elle estoit. Dont fu la dame plus esmaye que devant. Se pria moult tenrement plourant à messire Robert, qu’il le conseillast qu’elle porroit faire, ne où se porroit retraire pour confort avoir. Et il, qui grant pitié en avoit, lui dist : « En nom Dieu, dame, le royalme de France vous loe-jou bien de vuidier, et traire vers l’Empire, où il y a plusieurs grans seigneurs qui bien aidier vous porroient, et par espécial le conte Guillaume de Haynnau et messire Jehan de Haynnau son frère. Ces deux sont grans seigneurs, preud’ommes, loyal, cremus et redoubtés de leurs anemis, et bien amés de leurs amis, pourveu de grant sens. Se croy bien que en eulx, se vous les requerez, vous y trouverez toute adresse et bon conseil car aultrement ne le volroient-il faire. » Et sur cel advis la dame s’arresta ; et se reconforta un petit sur la parolle de monseigneur Robert. Si fist secrètement et hastivement apparillier toutes ses besongnes et party de Paris, elle et sa routte, en cheminant devers Haynnau, tant qu’elle se trouva en Cambresis, en l’Empire, hors du royalme son frère. Lors fu elle asseur. Si passa oultre, tant qu’elle vint en Ostrevant ; et se loga à Bougnicourt, à l’ostel d’un chevalier qui s’appelloit le seigneur d’Aubercicourt. Et là le chevalier et sa femme moult honnourablement et liement rechurent la royne d’Engleterre ; pourquoy depuis, les fils du chevalier furent moult amé et avanchié de la royne et du roy son enfant qu’elle avoit avec luy.

CHAPITRE XI.

Sachiés que la venue de la roynne d’Engleterre estoit jà sceue en Haynnau, en l’ostel du bon conte Guillaume, qui lors se tenoit et demouroit à Valenchiennes, et messire Jehan de Haynnau son frère de lez luy. Et sceurent qu’elle estoit en l’ostel du seigneur d’Aubercicourt. Adont messire Jehan, qui moult estoit désirans d’aquérir pris et honneur, monta esramment, à belle compagnie, et s’en vint à Bougnicourt, et là trouva la roynne. Si luy fist toute révérence et honneur, comme à luy appartenoit ; et la dame, qui moult estoit triste et esgarée, se commencha, en plourant forment, à complaindre et remonstrer toutes ses doleurs et mesavenues ; et comment elle estoit decacie d’Engleterre, son fil en sa compaignie, et venue en France sur l’espoir de l’ayde du roy son frère ; et comment elle cuidoit estre toute pourveue de gens d’armes du royalme de France et d’ailleurs ; et comment son frère le roy estoit retournés et consilliés au contraire. Et li conta comment et à quel meschief elle estoit là afuye avec son fil, comme celle qui ne savoit à qui ne en quel pays plus retraire pour trouver confort ne ayde.

CHAPITRE XII.

Et quant le gentil chevalier, messire Jehan de Haynnau, eut oy la royne ainsi piteusement complaindre, si tenrement plourant que toute fondoit en larmes, si l’en prist grant pitié ; et lui dist moult doucement : « Certes, madame, vechy vostre chevalier, qui ne vous faulra point, pour chose que avenir lui puist, non pour morir, se tout le monde vous falloit. Ains feray tout mon povoir de vous et vostre fil remettre en Engleterre en vostre bon estat, s’il plaist à Dieu, sans le dangier du roy de France. Et ce que je vous ay convent, je vous tenray. » Et quant la dame l’eut ainsi oy parler, elle se voult mectre à jenoulx devant le bon chevalier qui ce ly prometoit ; mais le gentil sire de Beaumont ne l’euist jamais souffert ; ains prist moult apertement la dame entre ses bras, et dist : « Ne plaise à Dieu que la roynne d’Engleterre face tel chose devant moy ! » Mais lui dist : « Madame, venez devers monseigneur mon frère, le comte de Haynnau, et madame la contesse et leurs beaux enfans qui vous receveront à grant joie. » Et la dame lui octria et lui dist : « Sire, je treuve plus d’amour en vous qu’en tout le monde ; et de ce vous rends cinq cens merchis. Et se vous le me faictes, je doy estre vo serve, et mon fil vo serf à tous jours mais. Si nous metterons le royalme d’Engleterre à vostre habandon et volenté. » Dont ly dist le gentil chevalier, qui estoit en la fleur de son eage : « Certes, ma très chierre dame, se je ne le volois faire, je ne le vous prometeroie point ; mais je le vous ay promis, si ne vous en fauray, pour chose qui advenir me puist. » Après ce parlement, messire Jehan de Haynnau prist congié à la roynne, à son fil et à leur compagnie, et s’en revint au giste à Denaing. Si se herberga en l’abbéie, et lendemain, après la messe et boire, se monta à cheval et s’en revint devers la roynne, qui à grant joie le rechut et avoit jà apparilliet pour monter quant il vint.

CHAPITRE XIII.

Lors se party la royne du chastel de Bougnicourt, et prist congié au chevalier et à la dame ; et leur dist, en eulx remerchiant la bonne chierre que fait lui avoient : que, au plaisir Dieu, ung temps venroit qui lui souvenroit de le grant courtoisie que fait lui avoient. Ainsi se party, à la compaignie du seigneur de Beaumont, qui joieusement le mena à Valenchiennes. Et encore ly vinrent au devant plenté de seigneurs et de bourgois de la ville, bien ricement parés, qui grant honneur li firent. Et ainsi fu menée devers le bon conte Guillaume, qui à grant joie le rechut, et ossi fist la contesse. Adont avoit le bon conte quatre filles : Margueritte, Phelippe, Jehanne et Ysabel. À la quelle Phelippe celui josne Édouart s’adonnoit le plus et enclinoit du regart et d’amour, et aussi la josne fille li compaignoit plus que nulle de ses seurs. Ainsi l’oy-je recorder pour vray. Ainsi trouva la royne d’Engleterre conseil et confort à monseigneur Jehan de Haynnau, quant tout le monde ly failly. Et croy que là demoura huit jours lez le bon conte et la contesse Jehenne de Valois. Et entrues fist apparillier son navire et ses besongnes. Et messire Jehan de Haynnau fit escripre lettres moult affectueuses aux bons chevaliers et escuiers en qui plus se fioit, tant en Haynnau, en Brabant, en Hasebaing et en pluiseurs autres lieux, en eulx priant, sur toutes amistés, qu’ils volsissent venir avec luy et aler en ceste noble et honnourable emprinse. S’en y eut grant plenté d’un pays et d’aultre qui pour l’amour de luy y alèrent, et grant plenté qui n’y alèrent mie, combien que priet en fussent. Et meismes messire Jehan de Haynau en fu durement blasmés du conte son frère et d’aultres de son conseil, pour tant qu’il leur sambloit que le roy son frère ly faloit, qui mieulx lui devoit aidier que nuls, et ossi que l’emprise estoit trop grant et périlleuse et durement doubtoient que de si grant emprinse il ne revenist point, ne sa compagnie. Mais quoy qu’on lui blâmast, le gentil chevalier ne s’en volt oncques délaier. Ains dist : « Je n’ay que une mort à morir, qui est en la volenté de Nostre Seigneur » ; et ceste aventuroit-il pour l’amour et honneur de la roynne ; et que sa promesse il lui tenroit jusques en fin. Et disoit qu’il ne plaindroit point sa mort, à prendre avec celle noble dame, qui à tort estoit escachie et déboutée de son pays. Car tous bons chevaliers doivent aidier à leur povoir toutes dammes et pucelles descachies et desconfortées, à leur besoing, et mesmement quant il en sont requis.

CHAPITRE XIV.

Ainsi estoit moult encoragiés messire Jehan de Haynnau pour la royne reconforter, et moult se hasta. Si fist mandement à estre les Haynuiers à Hal, les Brabencons à Bredas, les Behaignois à estre au mont Sainte Gertrud et les Holandois à Dourdrech. Dont prist la roynne moult doulcement congiet au bon conte et à la contesse, et les remerchia moult de leur honnourable et bonne chierre que fait lui avoient. Si les baisa au partir et leurs beaux enfans. Ainsi se party la royne, son fil et toute leur routte, accompaignié de monseigneur Jehan de Beaumont qui moult envis eut congiet de monseigneur son frère. Mais finablement, quant il vit que aultre chose il n’en povoit avoir, il lui donna congié moult débonnairement ; et ossy messire Jehan le prist en disant : « Monseigneur mon frère, je suy josnes ; se croy que Dieux m’a pourvéu ceste emprinse pour mon advancement ; et se Dieux m’ayt, le corage m’en siet trop bien ; et ay espoir que nous en venrons à notre honneur et que le grant envie et le péchié par quoy ceste dame est ensy escachie, sera par moy vengiés et amendés. Et croy que je y feray grant aumosne. Et elle est si noble dame ; et sommes de son sanc et elle du nostre. Si ameroie mieulx à renonchier à tout mon vaillant que à ceste emprinse. »

CHAPITRE XV.

Quant le bon conte eut oy son frère et le grant désir qu’il eut de ceste besongne, qui à grant honneur lui povoit tourner, lui et ses hoirs à tous jours, si lui dist : « Beau frère, jà ne plaise à Dieu que jamais vostre bon pourpos vous desconseille ! Si vous donne le congié ou nom de Dieu. » Et le baisa moult tenrement plourant, en estraindant la main en signe de grant amour. Ainsi se party le bon chevalier, et s’en vint gésir à Mons en Haynnau, et la roynne aussi. Et que vous alongeroie-je la matère ? il firent tant par leurs journées qu’il vindrent à Dourdrech où li espécial commandemens estoit fais ; et là endroit se pourveyrent de naves, de grans vaisseaulx et de petis. Si mirent dedens leurs chevaulx, harnas et leurs pourvéances. Puis se commandèrent en le warde de Nostre Seigneur. Si se mirent en mer. Là estoient chevaliers haynuiers avec le noble homme monseigneur Jehan de Haynnau : messire Henry d’Antoning, messire Miquiel de Lingne, le sire de Havrech, messire Robert de Bailleul, messire Ferris de Hordaing, le sire de Hertaing, le seigneur de Gommegnies, messire Perceval de Semeries, messire ly Estandars de Montigny, messire Sanses de Boussoit, le sire de Potielles, le sire de Vilers, le sire de Hennin, le sire de Sars, le sire de Bousies, le sire de Vertaing, le sire d’Obrecycourt, le sire d’Estrumiel, messire Waflars de Guistelles, et moult d’aultres nobles chevaliers et escuiers, qui par grant désir alèrent en cele noble emprinse.

CHAPITRE XVI.

Quant celle noble compagnie fu départie du havre de Dourdrech, moult estoit la navire belle, selon sa quantité, et trop bien ordonnée. Si faisoit bel temps, et air et vent assez attempré. Si s’en vinrent devant les diques de Hollande sur le département de la terre, et quant il furent tous ensamble, landemain si se desancrèrent et levèrent amont leurs voilles. Si se mirent et costiant Zélande ; et avoient entente de prendre terre à ung port qu’il avoient avisé ; mais il ne peurent, car ung gran tourment les prist en mer, qui les mist hors du chemin ; si qu’ils ne sceurent dedens deux jours leur il estoient ; mais Dieux leur fist grant grâce ; car se ils fussent embatu leur ils tendoient à venir, il estoient perdu d’avantage et cheu ès mains de leurs anemis qui bien savoient leur venue et là les attendoient à grant puissance, pour destruire et tout mettre à mort. Dont Dieux ne volt ce consentir. Et ce apparut clèrement, que malgré eulx, ainsi que de droite miracle, les destourna de celui port. Et advint que au tiers jour que chils tourmens fu passés, les maronniers perchurent et congneurent terre en Engleterre. Si trayrent celle part à grant joie, et prinrent terre, et descendirent sur le sablon au droit rivage de le mer. Si demourèrent par trois jours à petite pourvéance. Si desquerquièrent tous leurs vaisseaux, chevalx et harnas. Et pour vray il ne savoient en quel lieu en Engleterre il estoient, ou près d’amis ou d’anemis. Et au quart jour il se mirent à l’aventure de Dieu et de saint George. Si chevauchèrent tant amont et aval, d’une part et d’aultre, qu’il trouvèrent aucun petit hamelet, et un pou plus avant une grant abaye de noirs moisnes, que l’en appelloit Saint-Aymont ; et là se herbergèrent et rafresquirent par trois jours, car grant besoing leur estoit.

CHAPITRE XVII.

Adont s’espandirent les nouvelles parmi le pays, tant qu’elles vinrent jusques à ceulx par quelle seureté la dame estoit rapassée. Si s’apareillèrent au plus tost qu’ils peurent, pour aler vers ly et vers son fil qu’il désiroient à avoir à seigneur. Et le premier qui y vint bien accompaignié, fu li quens Henry de Lenclastre au tort col, qui fu frère au conte Thomas de Lenclastre qui fu décollés comme vous avez oy conter, et fus père au duc Henry de Lenclastre, qui fu à son temps li un des bons chevaliers du monde. Chils conte Henry vint par devers la roynne à grant gens d’armes. Et après vinrent tant d’aultres barons, chevaliers et escuiers qu’à merveilles ; car il leur sambloit qu’il seroient hors de tous périls ; et tous jours leur croissoient gens. Et quant ils furent tous ensamble, ceulx dedens avec ceulx dehors, si eurent conseil tout d’un accort ensamble, qu’ils en yroient droit à Bristo, à tout leur povoir, là où ly rois d’Engleterre se tenoit, qui estoit une grosse ville et bien fermée, sur un bon port de mer ; et y avoit ung chastel très fort. Si flotoit la mer tout autour. Là se tenoit le roy et messire Hue le Despensier qui estoit de l’eage de près quatre vingt et douze ans, et messire Hue son fil, qui estoit maistre conseillier du roy et cause de tous les maulx dont cy dessus avez oy parler. Et aussi le conseilloit et ennortoit le conte d’Arondel, qui avoit à femme la fille du dit messire Hue le jovène. Et y avoit pluiseurs chevaliers et escuiers, tous consentans à ces mauvais consaulx, repairant en la court du roy. Si se mist la royne et toute sa noble compaignie au chemin pour aller celle part. Et certes, par toutes les villes leur ils venoient, on leur faisoit grant feste, et habandonnoient tous leurs biens ; et partant nuls maulx ne leur estoit faist ne domage. Et tant firent par leurs journées qu’ils vinrent devant la ville de Bristo. Si l’assegèrent sagement de tous costés.

CHAPITRE XVIII.

Quant le roy et messire Hue le fil virent leur ville ainsi assise, si se mirent ou chastel. Le viel messire Hue et le conte d’Arondel et pluiseurs autres qui estoient de leur accord se tenoient en la ville. Et quant ils virent le pouvoir de la royne si grant et si enforchié, et véoient leur grant péril et dommage aparant, ils eurent conseil qu’ils renderoient eulx et leur ville, salve leurs vies et le leur ; mais onques la royne ne s’i volt accorder, s’elle n’avoit à sa volenté le dit messire Hue et le comte d’Arondel, lesquels elle héoit amèrement. Et quant ceulx de la ville virent que, pour ces deux chevaliers, il ne povoient venir à paix ne salver leurs biens, il eurent conseil et accord ensamble. S’ouvrirent les portes. Si y entra la roynne et messire Jehan de Haynnau et toute leur belle routte, et se herbergèrent aval la ville à leur plaisir. Et là fut prins le dit messire Hue, et le comte d’Arondel, et amenés devant la roynne ; et ossy y furent amené li sien josne enfant Jehan de Elthem et deux fillettes, de quoy la roynne eut grant joie. Et encontre ce eurent grant deul et grant peur le roy et messire Hue le Despensier le fil qui estoit ou chastel, qui véoient leur grant meschéance apparante ; et tout le pays tourner contre eulx avec la royne. S’il estoient en grandes pensées, ce n’est mie à doubter.

CHAPITRE XIX.

Quant la royne et tous les barons furent herbergiés tant dedens la ville comme dehors, ils assegèrent le chastel si près qu’il peurent. Adonc fist la roynne ramener devant ly et devant son fil le viel messire Hue et le conte d’Arondel ; et là devant tous les barons, dist qu’elle et son fil leur feroient droit et bon jugement selon leur mesfais. Adonc respondit le dit messire Hue et dist : « Madame, Dieux nous veulle donner bon jugement ; et se nous ne le povons avoir en ce siècle, Dieux le nous donnist en l’autre. » Adont se leva messire Thomas Waghe, marissaulx de l’ost, sages et courtois. Si leur fist lire par escript tous leur fais ; et tourna sa parolle sur ung viel chevalier qui là estoit, adfin qu’il raportast par féaulté et hommage ce que faire devoit par bon jugement de teles personnes et pour tels fais. Le chevalier se conseilla aux autres barons, et raporta, par acort de tous et par jugement, qu’ils avoient bien mort desservie par pluiseurs horribles fais qui là furent recordé et qu’il tenoient pour vrais. C’est assavoir qu’il avoient desservi d’estre traisnés tout premier, après estre décollés et puis pendus à un gibet. Et tout en tel manière que la sentence fu rendue, il fu tantost fait par devant le chastel de Bristo, véant le roy et messire Hue le fil, et tous ceulx de léans qui grant doël en avoient, ce doit-on croire. Ce fut fait en l’an mil trois cent et vingt six, le neuvième jour de novembre.

CHAPITRE XX.

Après ceste justice faite, sachiés que le roy et messire Hue, qui ensy se trouvèrent assegié, estoient à grant angoisse et ne véoient nul confort qui leur peuist venir ne aidier. Toutes voies pour eslongier le péril où il se trouvoient, il se mirent une matinée en un batelet de pescheur en mer, le roy et messire Hue, eulx dix ; à entente de aler ou royalme de Galles pour eulx mettre à salveté. Mais Dieux ne le volt mie souffrir, car leurs péchies les encombra, qu’il leur vint grant infortune. Car il furent neuf jours tous plains en un batel, et moult s’esforcèrent de nagier, mais il ne se peurent oncques eslongier que tous les jours le vent ne leur fust contraire, qui les ramenoit chascun jour une fois ou deux à mains d’un quart de lieue près du chastel. Si que tous les jours les véoient ceux de l’ost, qui moult s’esmervilloient que ce pooit estre ; mais au premier cuidoient que ce fussent pescheurs ; et quant il les virent varier sur le mer, et que bien euissent entré ou havre de Bristo, s’il volsissent, mais il mettoient peine à fuir, soupeconnèrent les pluiseurs que ce pooit estre le roy ou messire Hue. Alors, par le conseil de messire Jehan de Haynnau, aucun compaignon avec maronniers de Hollande se mirent en batiaux et alèrent nagier après, tant qu’ils peurent et tant qu’ils furent raconsievy. Ainsi furent prins et ramenés en Bristo, et livrés à la roynne et à son fil comme prisonniers ; dont ce fu grant joie pour tous ceulx de l’ost.

CHAPITRE XXI.

Ainsi eut la dame reconquis son royalme pour son aisné fil. Si le conduist et conforta ce gentil chevalier, messire Jehan de Beaumont, et sa belle compaignie, qui là furent tenus pour preux, par la grande et haulte emprise que fait avoient ; car la compaignie fu grande en bonté et petitte en nombre, car il n’y eut que trois cens armures de fer au partir de Dourdrech. Se fut grande emprinse et grans fais, car par eulx refu la damme remise de force en son pays avec l’ayde de Dieu.

CHAPITRE XXII.

Comme vous avez oy, refu la dame en son pays, et mist à destruccion ses anemis, et fu le roi prins ; dont tous ly pays eut grant joie, fors ceulx qui estoient de sa faveur. Quant le roy et le dit messire Hue furent amenés à Bristo, par le conseil de tous les barons, le roy fut envoiés à ung chastel que on appelle Bercler, qui est bel et puissant, séant sur la rivière de Saverne, et commandés à servir et garder de bonnes gens d’armes bien honnourablement, jusques à tant que le communs pays auroit advis comment on s’en maintenroit. Et le dit messire Hue fu tantost livrés à monseigneur Thomas Waghe, marissal. Dont se party la roynne pour aller à Londres à toutes ses gens, qui est chief du pays, et messire Thomas fist bien et fort lier messire Hue sur ung maigre et meschant cheval, et ly fist vestir ung tabart semet de teles armes qu’il soloit porter. Et le faisoit sievir derrière la roynne, par toutes villes, à plenté de trompes pour luy faire plus de honte, tant qu’ils vinrent à une bonne ville c’on appelle Herfort. Là fu la roynne moult honnourablement rechupte, et toute sa compaignie ; et fist la roynne une grant feste pour le jour de tous les sains qui estoit.

CHAPITRE XXIII.

Quant la feste fu passée, le dit messire Hue, qui pas n’estoit là amés, fu amenés devant la roynne et tous les barons. Si lui furent tous ses fais dis et recordés ; dont oncques riens n’y contredist. Si fu là endroit par les nobles barons jugiés à morir, de tele mort comme vous orez. Premièrement il fu traisnés sur ung bahut à trompes et à nacaires, par toute la ville, de rue en rue, et puis en une grande plache, devant tout le peuple, fu amenés et lyés sur une esquielle, leur tout le peuple le véoient. Et enmy celle place on fist faire ung grant feu. Et ensi loye on lui coppa le vit et les coulles, pour tant que l’en disoit qu’il estoit érite et bougres, et du roy meismes. Et par ce estoient d’accort d’avoir ainsi escachiet la roynne ensus du roy par son ennort. Quant son vit et coulles lut furent coppés, on les jetta au feu, et les fist-on ardoir. Après on lui fendy le ventre ; s’en osta-on, le cuer, et le jetta-on au feu, pour tant qu’il avoit le coer faulx et traytre. Après quant il fu ainsi atournés comme dist est, on luy coppa le chief, lequel on envoya à Londres pour monstrer au peuple, et le corps on mist en quattre quartiers, les quelles furent envoiés au quatre milleurs cités d’Engleterre après Londres.

CHAPITRE XXIV.

Or avez oy comment le dit messire Hue fin. Après ce fait, madame la roynne et tous les barons se mirent au chemin vers Londre. Petis et grans issirent tous hors contre la roynne et son fil aisné. Si firent grant joie à lui et à toute sa compaignie. Si donnèrent grans dons à la damme et à pluiseurs de sa compaignie, leur bon leur sambla. Et quant messire Jehan et sa compaignie furent bien festié et pluiseurs jours reposé, ils dirent à la roynne qu’ils voloient retourner en leur pays. Adonc pria moult la roynne à messire Jehan de Haynnau qu’il volsist demourer en coste ly jusques après Noël, et là dedens seroit accors pris que on feroit du roy. Et à celle prière fu messire Jehan d’acort ; mais pluiseurs firent retour en leur pays lesquels au partir la roynne fist donner moult de beaux dons d’or et d’argent et de rices joiaux, dont ils se loèrent grandement au congiet prendre. Là fisrent pluiseurs dames du pays grant honneur aux bons chevaliers au congiet prendre ; c’estoit grant joie du voir. Ainsi s’en ralèrent tout chil vaillant homme, chascun vers son lieu, fors le bon chevalier, messire Jehan de Haynnau, et aucuns de ses plus privés, qui demourèrent aveuc luy comme dit est devant.

CHAPITRE XXV.

Quant les gens de messire Jehan furent partis de Londres, adont la royne dist à ses bonnes gens que chascun s’en ralast à son hostel, horsmy aucuns de plus sages barons qu’elle retint pour son conseil ; et commanda à tous que chascun revenist au Noël à Londres, à court qu’elle voloit tenir très grande. Et quant vint au Noël tous les nobles barons et chevaliers revinrent, et aussy tout le conseil des bonnes villes du pays, pour prendre advis comment ils auroient seigneur ; car longuement ne povoient demourer ainsi. Et aussi mist on toutes les euvres et fais du roy en escript, et le malvais gouvernement qu’il avoit fait de son pays, pour lire devant les sages de le court, et ainsi fu fait. Et quant tous ses fais furent lut devant tout le conseil du pays, les barons et le conseil des bonnes villes alèrent à conseil ensamble. Et quant ils eurent tout conseilliet sur les malvais fais et usages en quoy le roy estoit trouvés coupables, il fu dit qu’il n’estoit jamais dignes de porter couronne, ne d’avoir nom de roy ; mais fu dit que son aisné fil, qui là estoit, fust couronnés tantost en lieu de son père, adfin qu’il usast par bon conseil, et que le royalme fust gouvernés et wardés sagement mieulx qu’il n’avoit esté ; et à ce furent tous d’accors.

CHAPITRE XXVI.

Adont cel accort fait, fu le josne fil couronnés à Londres, au bon jour de Noël. Si fu preux et vaillans. Ce fu fait l’an mil trois cent vingt six, à grant joie et à grant noblesce, en l’eage de seize ans. À cel couronnement fu grandement servis et honnourés messire Jehan de Haynnau de tous les prinches du pays. À celle feste furent donnés et fais grans dons et grans présens, à luy et à tous les compaignons qui demourés estoient avec lui. Là demoura le gentil sire en grant solas avec les barons, dames et demoiselles du pays, jusques au jour des roys. Adonc luy vinrent nouvelles que le roy de Behaigne, le conte de Haynnau son frère, le duc de Bourbon, messire Robert d’Artois, le conte Raoul d’Eu, le conte d’Auçoire, le conte de Sançoire et grant plenté de grans seigneurs de France, s’assambloient à Condé sur l’Escaut pour tournoier. Tantost ces nouvelles oyes, le sire ne volt plus demourer, pour prierre nulle que faire on lui peuist, car il avoit grand desir d’estre à celle feste et deveoir les seigneurs, et espécialement le roy de Behaigne que moult amoit, qui estoit le plus renommés de largesse et d’onneur qui oncques fust de son temps. Ce fu le gentil et courtois Charle, roy de Behaigne.

CHAPITRE XXVII.

Quant le josne roy Édouwart et la roynne sa mère virent que prierre n’y valoit riens, se luy donnèrent doucement congiet de coer courchiet ; et au départir, par bon conseil, luy donnèrent quatre cens mars d’estrelins de rente heritable à tenir en fief du dit roy, à payer chascun an en la ville de Bruges ; et de ce eut bonnes letres. Encore lui fist délivrer grans sommes d’estrelins pour les frais de luy et de ses compaignons pour retourner en leur pays. Si les fist conduire à grande et noble compaignie ce seigneur jusques à Douvres ; et lui fist-on délivrer et apparillier tout son passage. Et quant messire Jehan de Haynnau fu venu à Douvres, ils montèrent en nefs hastivement, car il avoit grant désir de venir à tamps au tournoy. S’amenoit avec luy quinze josnes et apers chevaliers d’Engleterre pour estre au dit tournoy avec luy, et pour eulx aprendre à congnoistre des seigneurs qui là seroient. Si leur fist-on là grant honneur quant ils furent venus ou pays ; et pour l’amour d’eulx, refist-on en celui an encore ung aultre tournoy à Condet. Or me tairay un petit de ceste matère ; si parleray du josne roy d’Engleterre.

CHAPITRE XXVIII.

Après ce que messire Jehan de Beaumont fu partis comme dit est, celui josne roy et la roynne gouvernèrent le pays par le conseil du conte de Kent son oncle, du conte Henry de Lenclastre au tort col, de monseigneur Rogier de Mortimer, de monseigneur Wautier Waghe, et de pluiseurs autres barons, seigneurs et preud’ommes. Si se passa l’yver jusques aux Pasques bien et paisiblement. Or avint que le roy Robert d’Escoce qui avoit moult eu à souffrir des Englès, et plusieurs fois avoit esté desconfis et descachiés, du temps le roy Édowart taion à cel josne roy de quoy nous parlons, s’estoit chieulx roy Robert devenus moult viel et maladieux de gouttes. Non obstant ce il avoit grant désir de guerroier, s’il y véist son bel. S’avint qu’il sceut les advenues d’Engleterre, comment le roy avoit destruit grant plenté des nobles du pays, et comment il estoit pris et déposés de sa couronne, et qu’il y avoit ung josne roy ; et pour tant cuidoit-il venir à son dessus ; se deffieroit ce noble josne roy, car il pensoit ossy que les barons fussent mal d’acort ou pays et que par les envies il porroit bien exploitier sur ceste besogne. Et ainsi qu’il l’avisa, il le fist ; car il desfia le roy et tout le pays ; et manda par ses lettres qu’il arderoit et wasteroit, ossy avant qu’il avoit esté quant la desconfiture fu à Estrumelin.

CHAPITRE XXIX.

Quant le josne roy se senty ainsi desfiés, il et son conseil le firent savoir par tout le royalme. Et fu commandé que tous fussent apparilliet, noble et non noble. Se fussent tous au jour de l’Ascension à Ewruich, une bonne cité qui siet ou north pour garder sur les frontières d’Escoce. Et tantost fist escripre et envoier en Haynnau après le noble chevalier messire Jehan de Haynnau, en priant si affectueusement qu’il pooit, que à cel besoing le venist secourir à tout ce de bonnes gens d’armes qu’il poroit avoir. Et aussi tost que celui gentil chevalier eut les lettres, il manda partout en Flandres, en Brabant, en Hasbaing avec les Haynuiers ; et leur prioit que chascun se hastast, et tous en venissent droit à Wissant pour passer oultre en Engleterre. Et sachiés que, pour ce que les bons compaignons d’armes qui avoient sceu que à l’autre fois les bons chevaliers et les compaignons qui y furent y eurent grans prouffis, que pour ce, lui vinrent gens d’armes de toutes pars si largement que, ains qu’il venist à Wuissant, il en eut plus qu’il ne volsist. Et quant ils furent tous assamblès, ils trouvèrent les nefs toutes prestes ; si montèrent et esploitèrent en peu de temps qu’ils vinrent à Douvres. Si descendirent ; et ne finèrent de chevauchier se vindrent à Londres ; et là sceurent que le roi estoit à tout son conroy à Ewruich. Donc se mirent à sievir hastivement ; et passèrent tout le grant chemin d’Escoce, tant qu’ils vinrent à Dancastre. Et puis vinrent, environ quatre jours devant le Pentecouste, à la cité de Ewruich ; et là trouvèrent le josne roy, madame sa mère, et plenté de grans barons dalez lui, qui forment atendoient après le bon chevalier de Beaumont et sa belle compagnie. Si n’est mie à demander, quant il furent venu, à quele honneur ils furent rechus et festoié. Quant toutes les gens d’armes furent venu, les archiers, les communes de loing et de près, ensy qu’il venoient par grans routtes, on les faisoit passer oultre et logier par bonne ordonnance sur frontières et sur les marches du pays.

CHAPITRE XXX.

Droit à ce jour que messire Jehan de Haynnau fu venus à Ewruich, il et sa compagnie furent trop grandement festié du roy, de la roynne et des barons du pays ; et leur fist on avoir, pour eulx bien herbergier, par les marissaulx, le plus bel faubours de la chité. Et y avoit une belle abéye de blans moines, qui lui fu délivrée pour tenir son estat. Sachiés que en la compaignie de ce gentil chevalier et à sa délivrance avoit il de Haynnau premiers : le seigneur d’Engien nommé messire Wautier, messire Henry d’Antoing, monseigneur de Faigneulles, messire Michiel de Lingne, messire Fastres du Roeux, le seigneur de Havrech, le seigneur de Gommegnies, messire Alart de Brifeul, messire Jehan de Montigny, et ses frères, messire Robert de Bailleul qui puis fu seigneur de Fontaines et de Morialmez, messire Sanses de Bousoit, le seigneur de Potielles, le seigneur de Waregny et plusieurs autres. Du pays de Flandres le vint servir : messire Ector Villains, messire Jehan de Roddes, messire Waflars de Guistelles, messire Willaume de Strate, messire Gossuins de le Meulle, le seigneur de Brughedant, et pluiseurs autres. De Brabant lui vint : le seigneur de Duffles, messire Thiery de Wallecourt, messire Races de Grès, messire Jehan de Gasebecque, messire Jehan Pillefore, messire Gille de Quaderobe, les trois frères de Harbecq et pluiseurs autres. De Hasebaing y vint : messire Godefroy de la Capelle, messire Hue de Hary, messire Jehan de Libines, messire Lambert du Pel, messire Gillebert de Hers, messire Jehan le Beau, messire Henry son frère. Et se y vinrent aucuns chevaliers de Cambresis et d’Artois de leur volenté ; tant qu’il eut en sa compagnie cinq cens armures de fer, bien armés et montés. Et pour l’amour de ce gentil chevalier y vint messire Willaume de Jullers et messire Thiery de Hinzberghe qui fu puis conte de Los.

CHAPITRE XXXI.

Celui josne roy, pour mieulx festier ces seigneurs, tint une moult grant court, au jour de la Trinité, en la maison des Frères-Meneurs, leur il tenoit son tisnel et ses chevaliers, dont il estoit bien accompaigniés de six cents. Et la roynne fu bien accompaignée de soixante dames qu’elle avoit prié pour plus grandement accompaignier le gentil chevalier et festier et ces seigneurs de sa compaignie ; et là pooit-on veoir grant noblesse. Si advint que, tantost après disner, s’esmut ung hustin entre les garchons des Haynnuiers et les archiers d’Engleterre, dont grans maulx advint, si comme vous orez. Car ainsi que aucuns garçons se combatoient à aucuns archiers englès, tous ly aultres archiers herbergiés ès faubours et dehors s’assamblèrent au hustin, et en navrèrent tout plain, et mirent par terre des garçons haynnuyers et les firent par force fuir en leurs ostels. Et les seigneurs estoient encores à court. Et si tost qu’ils oyrent ces nouvelles, chascun se party au plus tost qu’il peut, alant vers leurs ostels qui entrer y peut ; et qui n’y peut, hors lui convint demourer. Car les Englès et Englesses de leur malvaiseté, qui les hostels estoient où les Haynuiers estoient logiés, clooient huis et fenestres et les enfremoient dehors. Et chils archiers, dont il y eut bien deux mille, traioient espessement. Mais pluiseurs des seigneurs y entrèrent par force et aucuns par derière ; et brisoient hayes, parois, huis et fenestres. Si s’armèrent à grant exploit, et eulx armés par bonne ordonnance revenoient sur rue de grant corage à ces archiers qui là traioient, et par espécial à l’ostel le sire d’Engien. S’en assambla une grande flotte qui vinrent sur une place, et là se mirent ensamble tant qu’ils estoient plus de deux cents, et tous jours leur croissoit gens. Adonc se férirent à force en ces archiers, et à ce secours vinrent pluiseurs chevaliers, aussi bien Flamens, Brabençons et autres que Haynuiers. Et sachiés que se bon hardement et emprinse n’euist été, il y fussent tous mors sans remède ; mais ils coururent sur les archiers de si grant corage, qu’ils conquirent la rue et en furent maistres, et les encachèrent jusques aux camps. Si en tuèrent bien seize vingt. Et encore en euissent-il plus occis s’on les euist laissiés. Mais le roy y envoya monseigneur Thomas Waghe, le marissal, et le seigneur de Moubray, en eulx priant qu’ils se volsissent retraire, et le roy leur ferait amender celui fourfait que fait on leur avoit.

CHAPITRE XXXII.

À celle prière se retrairent les Haynuiers bellement parmi le grant rue ; et encontrèrent messire Jehan de Haynnau tout armé, banière desploié, acompaigné de monseigneur Guillaume de Jullers, de monseigneur d’Engien, et presque tous les seigneurs du pays par dechà qui tous s’estoient mis en sa routte. Quant messire Jehan les vit revenir ensanglentés de tuer et navrer ces félons et oultrageux archiers, et vit avec eulx les barons d’Engleterre que le roi y avoit envoiés, à quel prière ils retournoient, si s’aresta contr’eulx et leur demanda comment il leur estoit ; et ils dirent que bien, selon leur aventure « S’avons esté en grand péril ; mais je croy qu’ils y ont plus mis que pris. » Dont dist messire Thomas Waghe : « Certainement, sire, se nous eussiens véu que vos gens en euissent eu le pieur, nous les eussiens aidiés et confortés, car il nous estoit commandé du roy ; mais, Dieu mercy, l’onneur leur en est demourée, car ils les ont cachiés aux camps et en ont plenté occis. » — « Par ma foy, dist ly seigneur, ce poise moy de si pau. » Adont se retrait chascuns en son hostel et se désarmèrent. Si alèrent regarder aux navrés ; et ceulx qui mors étoient on fist ensevelir. Ce propre jour fu fais ung cry, de par le roy, que nuls Englès ne s’émuist aux estrangiers, sur à perdre la teste. Mais nonobstant ce mandement, se n’estoient point Haynuiers asseur. Car combien qu’ils eussent ceste chose faite sur leurs corps deffendant, si en tenoient Englès trop grant hayne, de tout le pays, réservé les nobles, et les haioient plus que les Escos qui tous les jours ardoient leur pays. Si se tenoient par nuit tout armés et sur leur garde, par connestablies, car fort se doubtoient qu’il ne boutaissent par nuit le feu en leur logis en trayson. En tele paour demourèrent bien en ces faubours par l’espasse d’un mois, car ils virent assez de fois grans apparans. Mais ils ne parosaissent pour le doubte du roy, qui bien prometoit que, se nuls s’émouvoit, qu’il seroit mors.

CHAPITRE XXXIII.

Quant on eut séjourné en celle cité ung mois, on commanda que toute gent s’aparillassent et que le roy voloit aprochier ses annemis. Adont se pourvey chascun selon son estat. Dont se trait le roy hors, et tous ses barons ; et s’en alèrent logier avant six lieuwes. Et tous jours estoit logiés messire Jehan, et sa routte, au plus près du roy, car moult avoit fiance en eulx, et aussi pour le doubte des archiers. Là séjourna deux jours, et au tierch se party. Et passèrent oultre le cité de Duram, tant qu’ils vinrent à une ville appellée Carduel, en Galles, qui fu jadis au roi Artus ; et aval la rivière tout bas siet une aultre bonne ville que on appelle Neufchastel sur le Thin. Les Escos qui adonc estoient entrés en Angleterre, avoient avec eulx deux très bons capitaines et bons guerroiers que le roy Robert de Breux leur avoit délivré pour eulx gouverner. Car il ne pooit chevauchier, pour deux grandes maladies, l’une de goutte et l’autre d’escaupine. S’avoit nom ly ung le conte de Mouret, qui s’armoit d’argent à trois orilliés de geulles, et l’autre messire Guillaume de Douglas, que on tenoit pour le plus preu et le plus hardy en fais d’armes de toute Escoce. Ces deux capitaines avoient bien trois mille hommes d’armes et dix mille d’aultres gens et bien montés. Les Englès poursievirent les Escos si avant, qu’ils virent les fumières à des feux que les Escos faisoient. Quant le roy et sa route virent les fumières, si s’aroutèrent pour aler à l’adresse celle part, et ordonnèrent trois grosses batailles de gens d’armes et d’archiers. Et avoit bien en chacune huit cens hommes d’armes et seize mille de piet. Quant ces batailles furent ordonnées, on chevauça hastivement pour aconsievir les Escos, car il véoient les fumières à environ cinq lieuwes près d’eulx ; mais raconsievir ne les pooient, pour la cause des haultes montaignes qui furent entr’deux. Enfin tant travillèrent par mons et par vaulx, pour venir droit aux Escos à leur advis ; mais encore ils trouvoient marès et crolières trop mervilleuses où on ne pooit aler qui ne se voloit perdre. Et quant toute jour eurent ainsi poursievy jusques au vespre qu’il estoient courechiet et lasset, si se logèrent d’encoste une montaigne. Adont se trairent ces seigneurs à conseil, pour avoir advis comment il se povoient maintenir pour le fort pays. Si fu dit et advisé d’aucuns seigneurs, que on ne les pooit aconsievir ne combattre, se n’estoit que on leur tolist le pas au rapasser la rivière le Thin. Dont fu accordé que on se levast à mie nuit, et que on se hastast ung petit d’aler vers le rivière pour leur tolir le pas, et qu’au son de la trompette, chascun fust prest. Et pensoient pour certain de lendemain combattre.

CHAPITRE XXXIV.

En telle manière qu’il fu dit, il fu fait. Si furent armé et monté à cheval. Mais ainchois que les batailles fussent ordonnées, commencha le jour à paroir. Si commenchièrent de chevaucier et d’eulx haster, en grant désir de venir à leur fait ; là trouvèrent bruières et montaignes sans pays plain. Si chevaucha ce josne roy et sa compaignie toute jour parmi ces désers, sans trouver villes ne chemin ; et tant que à grant paine vinrent au vespre sur la dite rivière de Thin, où les Escos avoient pass. Et leur convenoit rapasser ; ce disoient ceulx du pays. Et quant ils furent là venu, ils eurent advis qu’ils passeroient celle rivière, comme ils firent a grant paine. Et quant ils furent oultre, si se logèrent selon la rivière ; mais sachiés qu’ils eurent perdu moult de leurs gens et de leur harnois, et par espécial gens de piet ; dont ils furent moult courouchiés. Ainsy travillié, hommes et chevaux, les convint là jésir toute nuyt, tous armés, tenant leurs chevaulx par les frains, sans boire ne menger, se pau non, car leur carois ne pooit avant, pour les montaignes. Ainsi furent toute nuyt à grant mésaise. Et quant le jour fu venus, il espéroient aucun confort pour eulx et leurs chevaulx, ou de mengier ou de combattre, que moult ils convoitoient. Adont commencha à plouvoir pour tout le jour, qui encore plus les desconfist. Si les convint juner toute jour, comme il avoient fait la nuit. Et sachiés que leurs chevaulx mengoient les wasons de terre, atout les bruières et les racines que avoir on pooit. Au matin bien tempre, commanda le roy, que ceux qui mieulx savoient le pays chevauchassent pour trouver aucune aventure. Dont s’en alèrent aucuns qui trouvèrent hommes ouvrans ès bos, qui leur dirent qu’ils estoient à quatorze lieuwes englesses du Nuefchastel-sur-Thin et à onze lieuwes de Carduel-en-Galles, et n’y avoit plus près villes pour recouvrer vivres ; et ce rapportèrent au roy en l’ost.

CHAPITRE XXXV.

Ces nouvelles oyes, le conseil du roy envoyèrent chevaux et sommiers cele part, chascun selon son pooir. Et fist-on nonchier que ceulx qui amenroient pourvéances aroient sauf-conduit, et venderoient bien et chièrement et bien paié. En ce attendant, demourèrent encore celle nuit ; et lendemain au matin revinrent leur message avec pluiseurs marchans qui aportèrent vivres en l’ost pour gaignier. Dont une grant partie de l’ost fu reconfortée et apaisié pour cele espasse. Ainsy de jour en jour attendoient, entre les montaignes, les Escos à qui ils désiroient moult de combattre, et qui ne savoient riens des Englès et de la grant povreté et famine où ils estoient ; car ce qui ne devoit valoir que cinq estrelins estoit vendu vingt-quatre ; dont pluiseurs hustins s’émurent des uns compaignons aux autres. Et avec tout ce meschief ne fina de plouvoir chacun jour ; par quoy sielles et harnois estoit moult wastés et empiriés. Si leur venoit à grant mésaise qu’il ne savoient de quoy reserer leur chevaulx, ne que couvrir contre le pleuve et le vent ; et se n’avoient feuque de verde laigne, et bien peu.

CHAPITRE XXXVI.

Et quant le roy considéra le meschief de luy et de sa gent, il fist publier parmy l’ost que : qui aporteroit certaines nouvelles des Escos et de leur gouvernement, qu’il luy donroit cent livres de rente. Dont sur ce pluiseurs gentilshommes et chevaliers chevaucèrent en pluiseurs parties, tant que ung gentil escuier les trouva, lequel trouva soutilles manières de parler à eulx, et retourna au roy. Si lui dist des nouvelles, et lui dist qu’il estoient à trois lieues près de lui sur une montaigne, où ils avoient esté par six journées en lui attendant. Donc fist le roy assigner le dit escuier de le rente qu’il lui avoit promise, et demanda à son conseil qu’il avoit à faire.

CHAPITRE XXXVII.

Après le conseil, celui matin, fist le roy chanter pluiseurs messes. Si se confessa et s’acumenia et ceulx qui il leur plust ; et puis se disna chascun de ce qu’il peut avoir ; puis sonna-on les trompettes et monta-on à cheval. Si fist-on les banières chevaucier au conduit de celui gentilhomme qui savoit le chemin, bien ordonnément comme pour attendre la bataille. Si chevaucièrent ensy jusques à midi, qu’ils furent si aprochiet qu’ils virent les Escos, et les Escos eulx aussi. Et sitost que les Escos les virent à plain, ils issirent hors de leurs logis à piet, et ordonnèrent trois batailles sur le deval de la montaigne. Et devant ou val couroit une grosse rivière, à plenté de grosses pierres et moult périlleuse à passer. Et se on peuist bien oultre ; se n’y avoit-il point de bonne place pour combatre ne pour estendre leur ost.

CHAPITRE XXXVIII.

Quand les seigneurs des Englès virent le convenant des Escos, il firent toute leur gent descendre à piet, et eulx mettre en trois batailles ; et là y eut plenté de nouveaux chevaliers. Et quant ils furent ordonnés, messire Jehan de Haynnau et cinq autres, les plus grans barons, amenèrent le josne roy à cheval pardevant toutes les batailles pour resbaudir sa gent et donner cuer. Et moult doulcement leur prioit que chascuns fust preudons et loyaux et gardaissent leur honneur. Si fist crier, en paine de la vie, que nuls ne se mesist devant les banières, ne ne se desrielast. Ung petit après fu commandé que bellement les batailles s’aprochaissent de leurs anemis. Si se passèrent environ de ung bonnier de terre, en pensant que les Escos se deussent desrouter. Mais oncques ne s’en murent. Et si estoient si près de l’un l’autre qu’il se pooient congnoistre et leurs armes. Adont se fist-on arrester pour avoir aultre conseil. Se fist-on aucuns apers compaignons bien montés sur coursiers, aler aviser le passage de la rivière et esquermuchier à eulx. Et aussi envolèrent Englès à eulx des hiraulx, en requérant qu’ils volsissent bellement passer la rivière et il se trairoient arière et liveroient place, et se ce ne leur plaisoit faire, qu’ils se tiraissent arière et feyssent le cas pareil. Et quant les Escos oyrent ce, ils respondirent qu’ils ne feroient ne l’un ne l’autre ; mais il véoient qu’il estoient dedens le royalme bien avant où il avoient ars et gasté le pays ; si l’amendaissent s’il pooient, et que là ils demourroient tant qu’il leur plairoit.

CHAPITRE XXXIX.

Quant le conseil des Englès virent qu’ils ne se pooient aultrement avanchier, si furent courechié. Dont fist-on crier et mander par les marissaulx, que chascun se logast au mieulx qu’il pooit. Si le firent, et furent celle nuit moult à mésaise. Et quant les Escos virent qu’il se logoient si près d’eulx, ils firent demourer partie de leur gent là où ils avoient ordonné leurs batailles, puis se retrairent les aultres à leur logis, et firent plenté de grans feus, tant que à merveilles. Et firent le devant mie nuit si grant bruit, de corner de gros cornés et de huer à plaine geulle tout à une fois, qu’il sambloit que tous les déables d’enfer fussent là venu. En tel point estoient les deux osts, qui fu droit le nuyt Saint-Pierre entrant aoust, l’an mil trois cent vingt sept. Et quant vint à lendemain que le jour fu beaux et clers, pluiseurs seigneurs oyrent messe, Si sonna on les trompettes, et fu chascun armés et les batailles ordonnées comme devant. Et quant les Escos les virent remis en tel estat, il revinrent aussi remettre leurs batailles comme devant. Ainsi demourèrent les deux osts jusques après midi, que oncques les Escos ne firent samblant de venir vers les Englès ; ne aussi les Englès ne les pooient aprochier, fors à trop grant dommage. Adont pluiseurs compaignons bien montés passèrent la rivière, et les aucuns à piet ; si couroient escarmuchier les uns aux aultres. S’en y eut de prins et de mors et de navrés d’un costé et d’autre. Après midi, le roy fist savoir à tous, que on se retraist aux logis, car on ne faisoit là riens fors perdre. Dont pluiseurs furent lies, car ils estaient moult fort travilliés.

CHAPITRE XL.

Ainsi demourèrent là par trois jours, les Englès d’une part et les Escos d’aultre ; et plenté de fois par nuyt et par jour y avoit grans escarmuces d’une part et d’aultre, et souvent de mors et de prins. Au quart jour bien matin, les Englès regardèrent devers la montaigne des Escos, et riens n’y virent, car ils s’estoient party la nuyt. Si en furent moult esmervilliet ; dont envoièrent gens à cheval et à piet par les montaignes pour eulx trouver : si les trouvèrent logiés sur une plus forte montaigne qu’il n’estoient par avant et sur le propre rivière. Et si tost que le roy le sot, si fist deslogier et aler cele part ; et se logèrent sur une autre montaigne à l’encontre d’eulx. Et quant les Escos les perchurent, si se vinrent ordonner devant les Englès et mettre en bel aroy ; mais oncques ne vaurent venir vers eulx ; et les Englès n’y pooient aler fors à trop grant dommage. En tele manière estoient li uns d’une part de la rivière et ly aultre d’aultre, en grant paine et en grant povreté et famine. Si y demourèrent l’espasse de dix huit jours. Et moult de fois les Englès envoièrent par leurs héraulx requerre aux Escos que paisiblement il passaissent la rivière où il le peuissent passer, adfin qu’ils eussent plache pour combattre. Mais oncques les Escos ne s’i vaurent acorder ne prendre le parchon ; et si vivoient en tel povreté qu’il n’est homme qui n’en deuist avoir pitié ; et pareillement les Englès, nonobstant que un pau euissent-il mieulx que les Escos.

CHAPITRE XLI.

La première nuyt que les Englès se logèrent devant celle seconde montaigne, messire Guillaume Douglas, le vaillant guerroier, environ mie nuit, prist deux cents armures de fer et passa la rivière, mais ce fu bien loing de l’ost des Englès. Si se vint férir en leur ost bien villainement en criant : Douglas ! Douglas ! Et en son venir en tua bien trois cents. Et passa oultre jusques à la tente du roi, et en coppa trois cordes. Et bien peut estre que à son retraire il perdy aucuns de ses gens, mais ce ne fu gaires ; et là fist un fait d’armes grant et honnourable. Après ce que messire Guillaume de Douglas eut fait celle envaie, furent Englès plus en doubte que devant. Si fu ordonné que on feroit trois guès de nuit sur trois lez de l’ost, et en chascun deux cents armures de fer ; car, par aucuns prisonniers des Escos, on savoit assez qu’il ne pooient longuement endurer celle paine ; et de tant estoit il mieulx besoing de soy garder d’eulx. Sachiés que à ces guès faire estoient durement travilliet les Haynnuiers ; car il leur convenoit faire le guet contre les Escos, et se les convenoit gaitier pour les archiers, qui plus les hayoient qu’il ne faisoient les Escos, et bien pensoient d’eulx vengier de ce qui leur fu fait à Ewrunich ; et ce tenoit les Haynnuiers en doubte.

CHAPITRE XLII.

Au dix-huitième jour, en une escarmuce des Escos, fu prins ung chevalier par le main des Englès, qui moult envis leur disoit l’estat des Escos. Enfin lui fu tant enquis qu’il congnut que accordé s’estoient du tout les capitaines des Escos, que le matin devant le jour chascun fust armés et sieuwist la banière de monseigneur Willame Douglas quel part il volsist tourner, et que chascuns le tenist en secret. Mais bien disoit le chevalier qu’il ne savoit qu’il avoient enpensé. Et sur ce eurent les Englès conseil ; si pensèrent que ce pooit estre d’eulx aventurer à venir sur l’ost du roy, car ils pensoient que, par grant famine, il ne prenderoient autre conseil. Si fu ordonné que, toute celle nuyt, ils aroient leur trois batailles ordonnées en trois lieux ; et firent faire grans feus, par quoy ils véissent partout à plain, et que chascun demourast armés. Et quant vint sur le point du jour, deux trompeurs des Escos passoient devant l’un des guès aux Englès. Si furent prins et menés par devant les seigneurs. Si leur dirent qu’ils gaitioient pour nient, et que il estoient party dès le mie nuit. Quant les seigneurs oyrent ce, s’en eurent grant merveille ; et bien leur fu advis qu’il étoient dechut et qu’ils perdoient leur fait, et que le cachier après eulx ne leur valoit riens, car il ne les poroient raconsievir ; mais pour doubte de décoite, les seigueurs tinrent les trompeurs en leur ost jusques à prime. Et adont virent bien que c’estoit voir ; si s’en rala chascun luy aisier en son logis.

CHAPITRE XLIII.

Après ce qu’ils furent aisié et que bien véoient que l’ost des Escos s’estoit enfuie, pluiseurs seigneurs et compaignons montèrent sur le montaingne où les Escos avoient logiet et alèrent vers leurs logis, mais ils trouvèrent plus de cinq cens grosses bestes qu’ils avoient tuées pour ce qu’ils ne les puoient mener. Si trouvèrent grant foison de chars cuittes et gastées, et grant foison de cuirs ; et trouvèrent aucuns Englès prisonniers liés aux arbres, et autres à qui il avoient rompus les membres, lesquels prisonniers ils délivrèrent et puis s’en retournèrent.

CHAPITRE XLIV.

Quant le roy vy que la poursieute des Escos plus avant ne leur pooit riens valoir, si se porta le conseil d’eulx deslogier, qui fu grant joie à pluiseurs, car ils avoient enduré moult de paine et de povreté. Si chevaucèrent toute jour, si avant qu’ils se trouvèrent au soir en ung bel pré où il y avoit assez à paistre pour chevaulx. Et lendemain chevaucèrent tout bellement, tant qu’ils vindrent à une court d’abéie, à deux lieuwes près de la chité de Duram. Si se loga le roy et ses gens au mieulx qu’ils peurent. Lendemain passèrent emprès Duram, et le roi et aucuns des seigneurs entrèrent dedens, là où ils trouvèrent leur caroy et harnois qui y avoient esté par trente deux jours dont il furent bien joyeux.

CHAPITRE XLV.

Lendemain atelèrent chartons leur harnois, et le roy et sa route chevaucèrent tant que dedans trois jours se trouvèrent à Ewruich, là où madame la roynne attendoit la revenue de son fil et de ses gens ; et là se retraist chascun à l’ostel dont partis s’estoit ; et l’un après l’autre prinrent congiet au roy et en ralèrent en leurs marches, horsmis aucuns des barons et des estrangiers qui encores demourèrent pour faire au roy compaignie. Si demoura messire Jean de Haynnau et toute sa route dalez le roy et la roynne. Si furent Haynuiers grandement festoyé et honnouré, et après ce relivrèrent tous leurs chevaulx à monstre, qui estoient fondu et affollé, et remonstre par parolles et preuves fu faite des mors. Si fu chascun recompensés par argent et aussi pour leurs frais du retour, ce eurent-ils tout secq. Si quirent les seigneurs petis chevaulx et haghenées pour retourner sus ; et fisrent par leurs garchons tourser baghes et sommiers, et mettre sur mer et venir à l’Escluse, et les seigneurs vinrent parmy le royalme d’Engleterre bien accompaigniés de gens d’armes, pour les archiers qui trop les haioient comme dessus avez oy. Et en convint que le roy y envoia, pour le grant soing qu’il avoit, furent douze chevaliers et trois cens hommes d’armes. Premiers y fu messire Regnault de Gobeham et messire Thomas Waghe, qui estoient meneurs de la route. Si les conduirent jusques à Douvres ; et là prinrent congiet et s’en retournèrent devers le roy ; et les Haynnuiers passèrent mer et s’en vinrent à Wissant ; et là se partirent les aucuns de messire Jehan de Haynnau, qui n’avoient point leur chemin à passer parmi Haynnau. En ceste manière se fina l’emprinse dessus les Escos, et s’en rala chascun en son lieu ; et messire Jehan remerchia moult grandement les compaignons, et par espécial les plus longtains, en leur prometant amour et service s’il leur besongnoit.

CHAPITRE XLVI.

Depuis ce ne demoura gaires que le josne roy d’Engleterre, la roynne sa mère, le conte de Kent son oncle, le conte Henry de Lenclastre, messire Rogier de Mortemer et plusieurs autres du grand conseil, envoièrent l’evesque de Nordwich et deux bons chevaliers et sages, avec deux grans clercs, par devers messire Jehan de Haynnau, en lui priant aimablement qu’il volsist mettre paine que le josne roy leur sire fust mariés, et qu’il volsist prier à monseigneur le conte de Haynnau, son frère, qu’il lui pleusyst à envoier mademoiselle Phelippe, sa belle-fille, pour le roy l’avoir à famme. Ces messages vinrent à Valenchiennes en grant aroy, et trouvèrent messire Jehan de Haynnau à son hostel de Beaumont. Se le conte r’eut tout le message dont il estoient enchargiés. Quant messire Jehan eut oy leur message et il les eut festié, ensi que bien le savoit faire, il les envoia devers le conte son père. Là furent grandement rechups, et de madamme la contesse ausquels ils firent leur message. Le gentil et noble conte leur respondy moult courtoisement et par bon conseil, en remerchiant le roy et la roynne, et aux nobles seigneurs du conseil, de l’onneur qu’ils lui faisoient, et de ce qu’ils avoient envoie si souffisans gens devers luy ; et que moult volentiers s’accordoit à leur requeste, se l’Église et le Père Saint s’i acordoit. Celle response leur souffist grandement ; et sur ce tantost envoièrent deux chevaliers et deux clercs en droit par devers le saint père en Avignon, pour avoir dispensaçion ; car ils estoient si prochains de lingnage que sans ce ne se pooit faire, car leurs deux mères estoient gousines germaines issues de deux frères. Assez tôt qu’ils furent en Avignon, ils eurent fait toutes leurs besoingnes. Et accorda le saint père et le colliége ceste chose bénignement, pour le haulte noblesse dont il estoient issus tous deux.

CHAPITRE XLVII.

Quant ces messages furent revenus d’Avignon à Valenchiennes à toutes leurs bulles, ce mariage fu du tout accordé d’une part et d’aultre : si fist-on la demoiselle pourvéir et apparillier de tout ce qu’il lui appartenoit honnourablement, quant elle fust espousée par procuration souffisans apportée du roy d’Engleterre, et puis mise à le voie pour envoier devers son mary qui l’atendoit à Londres, là où il le devoit couronner. Et jusques à Londres le convoia son oncle, messire Jehan de Haynnau, qui grandement fu rechus et honnourés du roy, de la roynne et des seigneurs du pays. Adont eut à Londres moult grant feste et grant noblesse de seigneurs et de dammes, et y eut moult nobles joustes et behours, belles danses et nobles mengiers chascun jour donnés ; et durèrent ces grandes festes trois sepmaines. Et depuis ce fu messire Jehan de Haynnau dalez le roy grant pièce, ains qu’il peuist avoir congiet du roy ne de sa niepce, le josne roynne. Depuis s’en party à bon gré, et s’en retourna en Haynnau, et laissa dalez la roynne sa niepce ung josne escuier de Haynnau pour ly servir, que on appeloit Watelet de Maugny, qui puis fust messire Wautier de Maugny, bon chevalier, preux et hardis qui moult fu amés en le court et où pays, ainsi que vous orez chi après parler de luy. Mais nous nous tairons ung peu des Englès ; si retournerons aux Escos qui retournèrent en leur pays.

CHAPITRE XLVIII.

Quand les Escos furent ainsi party de le montaigne comme oy l’avez, adont s’en rala chascun d’eulx en son lieu. Assez tost après cele revenue, aucun bon seigneur et preudome d’Engleterre et d’Escoce, l’un par l’autre pour, acèrent devers l’un roy et l’autre, que une trieuwes furent fais des deux roix à durer trois ans. Dedens ces trieuwes durans, avint que le roy Robert d’Escoce qui moult preux avoit esté, fu si constrains de grosses maladies avec vieillece, qu’il vit que morir le convenoit. Et adont manda tous les barons de son royalme par devant luy, et leur dist que morir lui convenoit. Si leur pria moult affectueusement et leur charga sur leur féalté qu’il gardaissent loyalment son royalme en l’ayde de David son fil, et quant il aroit son eage, qu’il obéissent à lui et le conronassent à roy, et le mariassent en lieu si souffisant que à luy appartenoit. Après ce il appela le gentil chevalier messire Guillaume de Douglas et lui dist : « Messire Guillaume, chier amy, vous sçavez que j’ay eu moult à faire et à souffrir pour garder les drois de cestui royalme ; et quant j’eus le plus à faire, je fis un veu que je n’ay point acomply, dont il me poise ; ce fu que, se je povoie achever ma guerre, par quoy je pevisse cest royalme gouverner à paix, que je yroie aidier à guerroier les anemis Nostre Seigneur et conforter à nostre sainte foy, car à ce point a toujours mon cuer contendu ; mais Nostre Seigneur ne l’a point volu consentir ; dont il soit loés ; ains m’a envoié si grief maladie que morir me convient, si comme vous véez. Et puisqu’ensy est que mon povre corps n’y peut aler, ne achever ce que le cuer a tant désiré, je y voel envoier mon coer en lieu du corps, pour son désir acomplir et mon veu achever. Et pour ce que je ne sçay en tout mon royalme nul chevalier si preu ne si souffissant comme vous estes, je vous prie, très chier et espécial amy que cel voyage voeilliés entreprendre pour l’amour de moy, et de mon âme acquiter envers Nostre Seigneur ; car je tiens tant de vostre loyalté que, se vous l’entreprenez vous l’acheverez ; et se vous l’entreprenez j’en moray plus aise, par tel couvent que je veul que, si tost que je seray trespassés, que vous prenez le coer de mon corps et le faites Dien enbausmer. Après prendez tant de mon trésor que assez en ayez pour accomplir tout le voiage, pour vous et pour tous ceulx que vous vorez mener avec vous. Et présentez mon cuer au saint sépulcre, là où Nostre Seigneur fu ensevelis ; et le faites si honnourablement qu’il appartient en tel cas, et que j’en ay parfaite fiance en vous. »

CHAPITRE XLIX.

Quant ceulx qui là estoient oyrent ainsy leur seigneur parler, si leur ratenrist leurs cuers. Et quant messire Guillame de Douglas poet parler, il respondy et dist : « Gentil et noble sire, cent mille merchis de le grant honneur que vous me faites, quant il vous plaist de moy si grant chose chargier et recommander. Et je vous prometh que à mon loyal pooir je feray tout vostre commandement ; et jamais n’en doubtez, comment que je ne soie digne de tel chose entreprendre. » Dont dist le roy : « Grant merchy ! et ainsi le me créantez par vostre foy. » Adont le bon chevalier ly créanta par sa foy d’achever l’emprinse à son pooir. Dont dist le roy : « Dieu en soit graciés ; et j’en moray plus aise, quant je scais que les millieur chevalier de mon royalme achevera ce que je n’ay peu acomplir ne achever. »

CHAPITRE L.

Dont fu le roy d’Escoce en grant repos quant il sceut que le bon chevalier se fu chargiés de son veu acomplir. Et moult tost après le roy Robert trespassa ; et lui trespassé fu ouvers le corps, et le coer ostés, boulis et enbausmés. Du corps on fist, à une abbaie que on dist Donfrumelins le service à tele honneur que à tel roy appartient ; et y furent tous les nobles du pays. Après le service acomply, le gentil chevalier pourvéy son aroy ; et tantost son appareil fait, il monta sur mer, en Escoce, au havre de Haindebourch. Si s’en vint en Flandres droit à l’Escluse, pour savoir se aucuns de par dechà le mer s’aparilloit pour aler devers la sainte terre de Jhérusalem ; et là séjourna bien douze jours. Et toudis estoit sur la mer, ne oncques à terre ne descndy. Se menoit en sa compaignie deux chevaliers banerès, sept autres chevaliers et vingt cinq gentils hommes des milleurs du pays, sans l’aultre maisnie. Et n’avoit nulle vaisselle de cuisine ne aultre, si non toute d’argent ou d’or. Si estoit le chevalier adoubés comme celuy qui représentoit la personne du roy d’Escoce ; et tous ceulx qui l’aloient véoir estoient grandement festoié. Dont lui vinrent nouvelles que le roy de Castille avoit guerre au roy de Grenade qui est Sarasins. Si s’avisa qu’il yroit cele part pour commenchier son voiage. Si se party de l’Escluse par mer, et s’en ala droit en Espaigne ; et s’ariva au port de Vallence le Grant. Si s’en ala vers le roy Alfonse de Castille qui séoit à host contre le dit roy de Grenade ; et estoient assez près l’un de l’autre. Au premier jour après que le dit messire Guillame de Douglas fu là venus, advint que le roy de Castille yssi hors aux champs en ordonnance pour combatre ; et dalez lui estoit venus aussi en bon arroy le sire d’Engien en Haynnau pour honneur acquerre, et jà avoit esté grant espasse en Espaigne. Or advint que le roy de Grenade vint aux champs aussy, et aprocha si que li un des rois véoit l’autre à tout les banières. Si commencèrent à rengier leurs batailles li ung contre l’autre. Adont se traist le dit messire Guillame, et aussi fist le dit seigneur d’Engien sur les costés où ils furent ordonnés à tout leur charge. Et quant ils virent le bataille du roy de Castille esmouvoir, ils cuidèrent qu’elle deust assembler. Dont les deux bons chevaliers, qui point ne voloient estre des dairains à l’euvre, férirent des esporons, et toute leur route, jusques à la bataille du roy de Grenade ; et assemblèrent moult asprement en créant fermement que le roy de Castille et toutes les batailles sievyssent ; mais non firent, qui fu pités ; car la journée estoit pour eulx se le roy euist poursievy son fait. Dont yceulx furent deceu, car nuls ne les sievy des Espaignols. Et advint ainsi que le dit messire Guillame de Douglas et toute sa route y furent tous mors. Et aussy y demoura la bannière le seigneur d’Engien, que portait Gille de Hembisse, et pluiseurs autres ; mais le seigneur d’Engien se sauva. Si fu grant deffaulte pour les Espaignols, que autrement ne les confortèrent. Et sachiés que ceulx qui là demourèrent très bien se vendirent. Et parmy la mort ils acquirent très grant honneur et le salvement de leurs âmes.

CHAPITRE LI.

En peu de temps après ce que messire Guillame de Douglas fu partis d’Escoce, aucuns vaillans seigneurs et sages, pour mettre bone et seure paix entre le royaulme d’Engleterre et celui d’Escoce, traitèrent devers le conseil du roi d’Engleterre pour avoir sa soer en mariage et estre roynne d’Escoce ; et tant y eut de traictiés que le mariage se fist. Et envoia le roy d’Engleterre mademoiselle Ysabel sa seur moult honnourablement devers le josne roy David d’Escoce, lequel le rechuspt grandement et à grant honneur, et l’espousa à grant joie à Bervich en Escoce. Or me tairay ung petit des besongnes d’Engleterre et d’Escoce, et revenray au noble roy Charle de France.

CHAPITRE LII.

Ce roy Charle fu trois fois mariés, et si morut sans avoir hoir malle de nulle de ses famines, dont ce fu pitet, si comme vous orez chy après. La première de ses femmes fu la plus gente et li une des plus belle du monde, et fu fille le contesse d’Artois. Cele damme garda mal son mariage et se mesfist, parquoy elle fu longtemps en prison ou chastel Gaillard, en moult grant meschief, ainchois que son mary fust roy. Quant le royalme de France lui fu escheu, et il fu couronnés, les pers et les barons de France, pour ce qu’il n’avoit point sa famme et ils désiroient qu’il euist hoir malle, ils traitèrent tant qu’il fu remariés à la fille de l’empereur Henry de Luxembourch et seur au noble roy de Behaigne. Et fist-on tant que, par déclaracion de nostre saint père le pape, que le mariage de celle damme qui estoit en prison fu desfais. De celle seconde famme de Luxembourg, qui moult bonne fu et prude famme, eut-il ung fil qui mourut josne. Assez tost après morut la mère à Ysodun en Berry, moult soupeçonneusement tous deux, si comme renommée courut ; et en furent aucunes gens soupeçonnés. Après ce roy Charle fu remariés le tierce fois à le fille de son oncle, fille monseigneur Loys d’Evreuls, et fu nommée la bonne roynne Jehanne, seur au roy de Navare qui adont estoit. Or advint que celle damme fu enchainte, et le roy s’accoucha malade au lit mortel. Quant il perchupt que morir lui convenoit, il ordonna que se la roynne sa femme s’acouchoit d’un fil, il voloit que messire Phelippe de Valois son cousin germain en fust mainbour, et régent de tout le royalme jusques adont que ly enfès aroit eage ; et s’il avenoit que ce fust une fille, les douze pers et les autres barons euyssent advis et conseil sur ce, de mettre et de donner le royalme à celuy qui par droit le deveroit avoir.

CHAPITRE LIII.

En ces devises, le roy ala morir le dix septième jour de mars, l’an mil trois cent vingt huit. Bientost après la royne s’acoucha d’une fille, dont pluiseurs du royalme furent durement troublé. Et quant les douze pers et les grans barons de France sceurent ce ils s’asamblèrent à Paris, et donnèrent le royalme, de commun accort, à monseigneur Phelippe de Valois dessus nommé, et en r’ostèrent le royne d’Engleterre et son fil le roy, elle qui estoit demourée seur germaine au roy Charlon darrain trespassé ; par le raison qu’ils dient : que le royalme de France est de si grant noblesce qu’il ne doit par succession aler à fumelle ne à fil de fumelle. Et par conséquent, ainsi que vous avez oy au commencement de ce livre, or furent ainsi d’acors les pers et les barons de France de couronner à roy Phelippe de Valois, lequel conte avoit esté frère au bel roy Phelippe père à ce roy Charlon, par laquelle succession il eut le royalme. Après celle éleccion, gaires ne demoura que le nouvel roy Phelippe s’en vint vers Rains, pour luy faire sacrer et couronner ; et fist son mandement pour y estre le merquedy de la Pentecouste. Et le jour de le Trinitié, advint qu’il devoit recepvoir ce sacrement. Dont s’esmurent tous les grans seigneurs parmy le royalme, et pluiseurs en l’Empire qui la vinrent pour luy honnourer. Charles le roy de Behaigne et Phelippe le roy de Navare à ce jour l’adestrèrent, et là furent le duc de Brabant, le conte de Haynnau, messire Jehan de Haynnau, le duc de Bretaigne, le duc de Bourgoingne, le conte de Blois, nepveu au roy, le conte d’Alenchon, le conte de Flandres, messire Robert d’Artois qui mis y avoit grant peine à cel couronnement, le duc de Lorraine, le comte de Bar, le conte de Namur, le conte d’Auçoire, le duc de Bourbon, le sire de Couchy, le conte de Saint-Pol, le conte d’Aumalle, le conte de Harcourt ; et tant d’autres grans seigneurs que c’est merveille s’i accordèrent.

CHAPITRE LIV.

À ce jour de le Trenité fu ce roy Phelippe sacrés en la grande église de Nostre Dame de Rains, présens tous ces seigneurs. Et là estoient plenté de grans seigneurs qui avoient leurs offices, qui bien le faisoient, réserve le comte de Flandres qui se traioit arrière ; dont il fu appelés en hault ; et dit-on par trois fois ; « Conte de Flandre, se vous estes céens, se venez faire vostre devoir. » Et le conte, qui bien ooit tous ces parlers, se taisoit tous cois. Lors fu de rechief appelés le tierce fois, et amonestés, de par le roy, qu’il venist avant sur quant qu’il pooit mesfaire. Et quant il s’oy amonester ensy, il vint et s’enclina au roy et dist : « Monseigneur, si on m’euist appelé Loys de Nepvers et non conte de Flandres, je me fuisse pieçà trais avant. » — « Comment, dist le roy, n’estes vous pas conte de Flandres ? » — « Sire, dist-il, j’en porte le nom, mais la seignourie et proufit y ay je malvaisement. » Dont voult le roy savoir comment c’estoit. « Monseigneur, dist le conte, ceulx de Bruges, d’Ippre, de Popringhe et de le chastellerie de Cassel m’ont bouté hors ; et escarsement puis-je estre à Gand. » Dont parla le roy et dist : « Beau cousin, nous vous jurons par le onccion que nous avons huy rechupt, que jamais ne rentrerons en Paris, se vous arons remis en paisible possession de la conté de Flandres. » Lors s’ajenouilla le conte et dist : « Mon très chier seigneur, grant merchy. » Et depuis fist le conte son devoir, moult resjoys de le promesse ; et ce fu bien raison.

CHAPITRE LV.

Après la solempnité du roy qui fu moult haulte et moult noble, ne demoura gaires que le roy fist moult espécial mandement pour aler sur Flandres ; et s’en vint à Arras ; et là assambla grant plenté de bonnes gens. Car on luy vint dire que les Flamens estoient sur le mont de Cassel. Dont vault le roy traire celle part ; et vint à tout son ost en le valée devant eulx, qui estoient sur le mont bien seize cens ; et avoient fait ung capitaine qui s’apeloit Clais Zandequin. Celui estoit moult orguilleux, hardis et outrageux ; et lui prometoient que s’il pooit desconfir le roy et son ost, qu’il en feroient un grant seigneur. Quant les Flamens virent le roi et ses gens logiés en le valée, qui moult pau les doubtoient, si prinrent leur advis, et droit sur heure de souper, qu’ils se partiroient de desus le mont, et sans point de noise. S’avoient ordonné trois batailles, desquelles ly une en vint droit à le tente du roy ; et fu si souppris en séant à son souper, que en leur venir tuèrent messire Regnault de Loire ; et la seconde bataille s’en ala droit à le tente du roy de Behaigne, et l’eurent près decheu ; et la tierce s’en ala droit aux tentes le conte de Haynnau, qui fu près prins des Flamans ; à grant paine eurent-ils espasse d’eulx armer.

CHAPITRE LVI.

Ainsi vinrent les trois batailles jusques aux tentes des seigneurs si paisiblement que à grant paine se peurent armer ne leurs gens assambler ; et se Dieux ne l’euist fait par droit miracle, ils euissent esté perdus et desconfis. Si advint que chascune partie des seigneurs desconfist sa bataille, si entièrement et tout à une heure, que de tous ces seize mille Flamens n’en eschappa point mille. Et fu vray que le conte de Haynnau, messire Jehan son frère, et tous les autres Haynnuiers eurent premiers desconfit leur bataille, car ossy ce furent les premiers assaly ; et les Flamens passèrent se hardiement avant que, quant ils cuidèrent retourner, Haynnuiers les eurent si enclos par derière à leur encontre que les Flamens n’y sceurent remédier ; mais durement s’i emploièrent et vendirent, car ils avoient haches et pafus, maques et piques dont ils féroient grans cops. Et y rechurent ces Haynnuiers grant paine et perte d’aucunes gens ; et en y eut de bien batus, et moult de leurs chevaulx mors ; et puis leurs anemis desconfis, ils tournèrent leur bataille sur la bataille des Flamens que le roi avoit devant luy, lequel avoit la plus grosse, en criant : « Haynnau ! Haynnau. » Là se porta moult bien le conte et son frère, et là eut moult grande mortalité de Flamens. Si fu tués ung bon escuier de Haynnau, appelés le Borgne de Robersart, par son oultrage, car il se desrouta en cachant les Flamens, et si avant les sieuwy qu’ils te tuèrent. Si fu moult plains de ceulx qui le congnoissoient, car il estoit moult bons homme d’arme et hardis. Ceste bataille fu moult dure et aspre ; et bien s’i vendirent Flamens ; mais finalement tant furent combatus qu’ils furent mors et desconfis. Si portèrent les Haynnuiers leur banière sur le mont le premier, et puis le roy de France envoia saisir la ville ; et fu sa banière posée sur les murailles, et toutes les autres en sieuwant. Et y mist-on garde par luy. Ceste bataille fu en l’an mil trois cent et vingt huit.

CHAPITRE LVII.

Quant ceste desconfiture fu ainsi faite ou val de Cassel, adont vinrent les nouvelles à Bruges, à Yppre, et ailleurs, par tout leur ils estoient rebelles ; et leur dist-on comment Clais Zandequin, leur capitaine, estoit mors et desconfis. Si ne savoient que faire ; et baissèrent leurs testes en disant que Clais avoit été oultraigeux, qu’il s’estoit hastés sans leur conseil ; et pour ce l’en estoit mésavenu ; aultrement ne le plaindirent. Ainsi le plaindirent les Flamens qui devant lui avoient promis si grant honneur à faire. Adont chevaucha le roy et toute son ost jusques à Yppre. Dont vint le chastellain de Berghes, et apporta les clefs du castel au roy ; et il les prist et en rendy la seigneurie au conte de Flandres ; puis vint à Yppre et ils lui firent autel. Dont leur fist-il jurer foi et léalté à leur seigneur. Et là se tint tant et si longuement que ceulx de Bruges et du Franch furent venus à merchy au conte Loys ; et lui jurèrent qu’ils le tenroient à paix et à leur seigneur. Ainsi fu le conte remis en possession de son pays par le pooir du roy de France ; puis s’en retourna chascun en son lieu, et le roy à Paris où il n’avoit esté puis son couronnement.

CHAPITRE LVIII.

Quant le roy vint à Paris premier comme roy, il fu rechus très honnourablement ; et furent toutes les rues par où il passa jusques au palais couvertes de drap d’or ; et estoit adestré du roi de Behaigne et du roi de Navare, acompaigniés de tant de grans seigneurs que sans nombre. Et si seroit anoy du recorder les festes, les honneurs, les grans solempnités que ou lui fist. Et manda tous ses barons parmy le royalme, qu’ils venissent faire hommage et féalté à lui. Assez tost après il fist escripre et envoier devers le josne roy d’Engleterre, qu’il venist relever sa terre de Pontieu qu’il tenoit de lui, et toute sa terre de Gascongne. Et quant le roy d’Engleterre oy ces nouvelles, il requelly le messagier moult honnourablement, et le fist séjourner à Londres bien quinze jours, et entreus se conseilla qu’il feroit de ceste besongne. Si trouva à son conseil qu’il estoit tenus du faire. Dont respondy au messagier : que temprement s’ordonneroit pour passer oultre, et yroit vers le roy. Ceste response oye, prirent congiet ; si eurent de moult rices joiaux qui leur furent donnés.

CHAPITRE LVIX.

Puis s’aparilla ce josne roy, et s’en vint en France très bien acompaigniés des plus nobles et des plus sages de son pays. Si trouva le roy Phelippe à Amiens, qui l’atendoit à grant noblesce, lui quatrième de rois, le roy de Behaigne, le roy de Navare, le roy de Maillorques ; et fu le roy d’Engleterre honnourablement recheus et bien festoiés. Si y eut joustes et tournois, et grant festes maintenues par l’espasse de quinze jours. Et tous les jours ly donnoit le roy de France aucuns rices joiaux, et à ses gens aussi. Droit là fist le roy d’Engleterre hommage au roy de France de le conté de Pontieu, et de Gascoingne de ce qu’il en devoit tenir. Après ces ordonnances faites, il se party et s’en rala en Engleterre, et le roy retourna à Paris.

CHAPITRE LX.

Vous avez bien oy comment ce josne roy a fait hommage au roy de France, et comment il fu mariés à Phelippe fille au conte de Haynnau, qui fu la plus sage qui regnast en son temps de roynnes, comme vous orez chy après. Si avez oy comment il chevaucha sur les Escos, et comment unes trieuwes furent de trois ans à durer, et comment le roy maria sa seur au josne roy David d’Escoce, et en devant comment le Despensier d’Engleterre fu mors, et leur secte. Depuis ces advenues, le roy usa et ouvra grandement par le conseil de sa mère et de son oncle le conte de Kent, de monseigneur Henry de Lenclastre au tort col, et de monseigneur Rogier de Mortemer, car riens ne feist sans leur conseil. Advint que haynne, qui oncques ne morut, monta si grande du dit monseigneur Rogier de Mortemer sur le conte de Kent, qu’il lui monstra mallement car infourma le roy que le dit conte le voloit empuisonner et faire morir, pour convoitise du royalme.

CHAPITRE LXI.

À cel ennort et infourmation faire, fu party madamme la roynne sa mère. De tant le crut le roy plus legièrement, car encore estoit Jehan de Eltem, frère au roy, nouvellement trespassé. S’en fu messire Rogier plus légier de croire. Si fist prendre le dit conte son oncle ; et publiquement, devant tout le peuple, lui fist le chief coper ; ne oncques ne peut venir à excusacion, et se n’y avoit coulpe. De la quelle mort ceulx du pays, grans et petits, furent moult courouchiés ; et en eurent le dit messire Rogier en grant haynne, par quel conseil ce avoit esté ; car le dit conte avoit grace d’estre bon et loyal preudomme ; et fu dommage de sa mort.

CHAPITRE LXII.

Depuis ce ne demoura gaires de temps que fame courut, que la ditte roynne estoit enchainte ; et plus en estoit le dit messire Rogier de Mortemer mescreus que nul autre. Si monteplia la renommée, tant que ce josne roy en sceut à parler. Si retournèrent les choses, car on lui dist que, par haynne et à malvaise cause, son bon oncle, le conte de Kent, estoit mis à mort. S’en estoit le roy moult courouchiés ; et c’estoit bien raison. Dont fist prendre le dit messire Rogier de Mortemer, et amener devant luy en son palais à Wesmenster, hors de Londres, par devant grant plenté des barons. Là conta le roy mesmes tous les fais et les euvres du seigneur de Mortemer. Si en requist le dit roy à avoir jugement que sur ce appartenoit à faire. Le jugement en fu assez tost rendus ; car chascuns des seigneurs estoit assez infourmés de long terme que par renommée il estoit tel. Si en fu jugement rendu, qu’il fust justiciés tout en tel manière que messire Hue le Despensier avoit esté ; et ainsi fu fait. Si fu traisnés par le cité de Londres sur ung bahut, et puis loiés sur une esquielle en-my la ville ; et puis lui fu copés le vit et les coulles ; puis le ventre fendus, et osté le cuer, et les entrailles tirées, et tout ars en ung feu. Après on lui copa la teste, et puis fu pendu par les costés. Dont tantost après, le roy fist sa mère enfermer en un moult bel chastel ; et eut aucunes dammes pour ly servir et compaignier, et aucuns hommes, comme il appartenoit pour son estat ; et là demoura, sans pooir partir hors des barières, toute sa vie.

CHAPITRE LXIII.

Après ces advenues, le roy prinst nouvel conseil des plus sages et vaillans de son royalme. Si se gouverna moult sagement, et maintint en paix son royalme, et aquist grant grâce en son pays et ailleurs, demourant doulcement dalez sa famme. Or advint que les trieuwes qui estoient entre luy et le roy David d’Escoce son serourge estoient fallies, et il tenoit la bonne cité de Bervich qui devoit estre du royalme d’Engleterre, et que ses devanchiers avoient tenu, et aussi que le royalme d’Escoce devoit estre tenus en fief de luy, et que point le roy David ne l’avoit relevé ; et se ainsi il laissoit ses drois anichiler, il en vauroit mains, et en seroit mains prisiés et cremus. Et sur tels oppinions s’esmut ; et envoia messages en Escoce au roy David ; et luy fist requerre que il volsist oster sa main de le bonne cité de Bervich, car c’estoit son bon héritage, et avoit esté du demaine de ses anchisseurs ; et ossi qu’il venist à luy pour faire hommage du royalme d’Escoce qu’il devoit tenir de luy en fief. Et quant le roy David oy ces nouvelles, si respondy qu’il s’en consilleroit. Lors assambla tout son conseil, prélas, barons et citoïens, en requérant sur ce conseil. Lors eut conseil ; dont il respondy : « Seigneur, moult m’esmerveille, et tous mes hommes aussi, de ce que vous me requérez tel chose faire ; car nous ne trouvons pas par anchiens que nos royalmes soit de riens subget à celui d’Engleterre, ne par hommage ne autrement. Si n’avons point conseil du faire. Et après, le bon roy Robert nos pères conquist le bonne cité de Bervich par bonne guerre, et l’obtint tout le cours de sa vie comme son héritage. Aussi pensons-nous à faire, tant que Dieu plaira. Si vous requérons que vous veuilliés dire au roy d’Engleterre, de par nous, que nous li prions qu’il nous veulle tenir en tel franchise contre luy que nostre anchisseurs ont esté contre les siens, et ne veulle point croire tous les malvais consaulx qu’il porroit bien avoir ; car s’uns aultres nous voloit faire aucun tort, se nous deveroit-il aidier, pour l’amour de sa seur que nous avons, ainsi que nous feriesmes luy se il le requéroit. » Les messages respondirent : « Nous avons bien oy et entendu vostre responsce ; si le reporterons le mieulx que nous porrons devers no seigneur le roy d’Engleterre. » Adonc prinrent congiet. Si s’en retournèrent arière devers le roy d’Engleterre et son conseil. Sy recordèrent les parolles que le roy d’Escoce leur avoit respondues, lequel rapport ne plaisy point au roy, et encores mains à son conseil ; car ils désiroient à avoir la guerre pour contrevengier s’ils pooient le mort de leurs proismes qui furent mors à Estrumelin.

CHAPITRE LXIV.

Quant le roy et son conseil eut oyes les nouvelles, si leur samblèrent assez dures et contre l’onneur de leur royalme, et aussi assez raisonnables tant que à fraternité ; car vraiement il estoit tenus de souffrir de luy à cause de sa seur ; et assez légièrement s’en fust passés, se le conseil ne fust, qui point ne laissièrent dormir sus, mais lui dirent, pour luy esmouvoir : « Sire, vous avez juré solempnellement à tenir, deffendre et garder tous les drois de vostre royalme ; dont, se vous laissiés ceste bonne chité de Bervich et ce bon castel de Rosebourch, qui sont sur marche, et clef de vostre pays à l’encontre des Escos, vous vous acquiterez malvaisement pour vostre honneur et vostre serement ; et porroit on dire que, faulte de sens ou de hardement vous feroit ainsy défalir de vostre droit garder ; car encore est le orguel des Escos si grans qu’il ne leur souffist point à ce qu’ils tiennent de vostre héritage, mais manacent que, de jour en jour, ils chevauceront plus avant en vostre pays que le roy Robert ne fist oncques, mais que le roy David euist ung pau plus d’eage. Et pour paix acquerre et amour, vous donnastes vostre seur en mariage au roy d’Escoce ; si oons qu’ils sont plus dur sur vostre pays qu’ils n’ont oncques estés. Et tant en oons de nouvelles l’un jour et l’autre, par les marchissaux sur frontières, qu’il n’est point à souffrir. Et sur ce aiez bon advis et brief, et nous vous en prions. »

CHAPITRE LXV.

Quant le roy d’Engleterre oy ces parolles, il manda son conseil ; et quant il fu conseillés, il fist crier une grande feste à Londres. Et y fist-on joustes de trente chevaliers et de trente escuiers dedens. Si fu celle feste l’an mil trois cent trente un. À ceste feste vinrent moult de grans seigneurs ; et par espécial y fu messire Jehan de Haynnau, lui douzième de chevaliers, et eut le pris de ceulx de dehors. Et estoit avec ledit messire Jehan, le seigneur de Faigneulles, et des escuiers de dehors, messire Francque de Hal, qui fu fait chevalier en cele année avec les Englès ens ès guerres d’Escoce. Et dura la feste par le terme de huit jours. Au chief des huit jours, sur le département de le feste, le roy appella tout son conseil des trois estas ; et là fist remonstrer par ce vaillant prélat, l’évesque de Nicolle, tout ce qui estoit entre lui et le roy d’Escoce, comme devant avez oy ; et sur ce il prioit à tous d’avoir conseil affin que son honneur y fust gardée. Dont se conseillièrent l’un par l’autre tous les dis estas ; et fu par le conseil dis, tout d’un commun acort, que par honneur le roy ne pooit ce souffrir, et que le roi d’Escoce lui fesoit trop grant tort : « Car on treuve bien que ces deux pays furent jadis tout ung et tout à ung roy d’Engleterre ; lequel eut deux fils, et ens ou lit mortel, présent tous les nobles des deux pays, il donna à l’aisné le royalme d’Engleterre et au mais-né celui d’Escoce, parmy ce qu’il le tenroit en fief et en hommage de son frère le roy d’Engleterre. Or ont depuis tenu les Escos l’autre opinion, qui ne fait à souffrir. Si conseillons que de rechief toutes ces choses soient encores remonstrées au roy d’Escoce et à son conseil ; et ce sera pour l’amour et honneur de la roynne vostre seur qu’il a espousée ; et s’il ne vient à connoissance sur les dites remonstrances que on luy fera à ceste fois, qu’il soit presentement desfiés ; et vous pourvéez si enforciement que pour entrer en son royalme, tantost les deffiances faites ; et le constraindez par tel manière qu’il soit tous lies quant il venra à merchy. Et à tout ce faire volons et désirons d’estre avec vous. »

CHAPITRE LXVI.

Quant le roy eut oy leur responce et bonne volenté, si fu moult lies. Et fu du message chargiés l’évesque de Durem, le seigneur de Persy, le seigneur de Moubray et le seigneur de Fellenton ; et iceulx emprinrent l’afaire. Encore pria le roy à tous que chascuns se volsist pourvéir et estre apparilliés au Neufchastel-sur-Thin, et ils respondirent tous qu’il y seroient volentiers. Si s’en rala chascun en son lieu ; et ossy messire Jehan de Haynnau prist congié au roy en lui présentant de bon cuer, dont il lui sceut grant gret, en lui disant : « Beaux oncles, moult très grant merchis ! À vous ne à vostre ayde ne renoncé-je point, car se besoing me croist, j’envoieray vers vous. » Et sur ce se party le sire du roy et de la roynne sa nièpce, qui moult doulcement luy pria qu’il le volsist recommander à monseigneur son père et à madamme sa mère et saluer ses belles seurs. Et il dist que si feroit-il volentiers ; et sur ce se party, et sa compagnie, et s’en revint en Haynnau.

CHAPITRE LXVII.

Or revenrons à nostre matère des Englès et des Escos. Quant vint le jour qui només estoit, le noble roy Édouwart à toute son host s’en alla au Neufchastel-sur-Thin ; et là se tint par l’espasse de huit jours, attendant ses gens et ossy ses messages qui estoient en Escoce, lesquels revinrent au neuvième jour ; et ne rapportèrent aultre responsse que le première. Et bien disoient au roy, que les Escos estoient tous apparilliés de luy recevoir : « Et quant nous véismes les affections qu’il ont contre vous, nous, de par vous les avons desfié. Si poez d’ores-en-avant chevauchier sur eulx. Mais regardez sur quel costé. » Dist le roy : « Nous en arons advis. » Adont se conseilla. Si se porta le conseil que on alast devers Rosebourcb, car c’est ung fort chastel sur frontière, et se le tiennent hors raison. Dont se party le roy du Neufchastel, et fist son ost chevauchier tant que cel jour vinrent jésir au Vitiol, ung chastel et ville qui estoit au seigneur de Persy. Le roy avoit bien en ceste armée dix mille hommes d’armes et vingt mille à piet, archiers et Galois ; et s’esploita tant qu’il vint devant Rosebourch. Là se logèrent ; et avironnèrent le chastel de tous costés ; et envoièrent chevauchier et fouragier et ardoir en Escoce. Si fist le roy drechier grans engiens qui jettoient songneusement ou chastel, tant que les combles des salles et des tours furent tous desrompus. Et furent tant batu qu’il n’y avoit mais que deux tours où il se peussent tenir. Moult furent ceulx qui le forteresse gardoient bonnes gens ; mais quant ils se sentirent ainsi constraint, si traitèrent devers le roy unes trieuwes de quinze jours, adfin que l’un d’eulx puist aller devers le roy d’Escoce remonstrer en quel party il estoient ; et se dedens ce jour il n’estoient secouru, ils renderoient le fort au roy d’Engleterre et se partiroient, sauf leurs corps et biens ; et ainsi le roy l’accorda. Si cessèrent tous assaulx ; et laissa-on passer le message qui aloit vers le roy d’Escoce.

CHAPITRE LXVIII.

Ce message esploita tant qu’il vint à Saint-Jehanston, une grosse ville où le roy d’Escoce se tenoit, la royne, le josne conte de Moret, et messire Guillaume de Douglas, qui estoit escuier, nepveu au bon conte Willame, messire Robert de Versy, messire Simon Fresel et grant foison d’aultres chevaliers d’Escoce ; car le roy y avoit fait son espécial mandement, comme celui qui voloit deffendre son pays. Lorsque li escuier fu venus, ils s’ajenoulla devant le roy, et luy dist son message comme vous l’avez oy. Quant le roy l’eut tout oy, il respondy au message : que, s’il plaisoit à Dieu, il seroient secouru dedens le jour. Adont renforcha-il son mandement, si se party, et mist aux camps à tout son ost pour venir devers Rosebourch. Tant s’esploita que lendemain il vint à une grant abéye de noirs moisne qui du temps le roy Artus estoit nommé le Noire-Tombe, pour ce qu’elle gist sur une noire rivière qui anchiennement departoit Engleterre et Escoce. Et furent le roy et ses gens sur celle rivière. S’estoit à neuf lieuwes de Rosebourch et à dix-huit lieuwes de Bervich. Celle nuyt, ainsi que à soleil asconsant, se party le josne messire Willame de Douglas, messire Robert de Versy et messire Simon Fresel, à tout quatre cens armures de fer bien montés. Si chevauchèrent fort, tant que, environ mie nuit, vinrent d’encoste Rosebourch, en ung bel pré ; et là se reposèrent, et mirent à point leurs harnas, et s’apareillièrent ; et puis remontèrent. Si commencèrent à véir les feux de l’ost devers leur gait. S’eurent advis qu’ils n’iroient point celle part ; et ne diroient nuls mot, si seroient féru en l’ost. Si chevauchèrent coiement, que nuls ne se donna garde d’eulx tant qu’ils furent entrés dedens ; puis crièrent à haulte voix : « Douglas ! Douglas ! » Si commencèrent à ferir et fraper, et à reverser tentes et logis, navrer et tuer Englès. Celle nuit faisoient le gait deux seigneurs d’Engleterre, le sire de Felenton et le sire de Moubray, à cinq cens hommes d’armes et cinq cens archers ; mais il estoient d’aultre part. Quant la noise fu eslevée, si s’arma l’ost à force ; et meismes le roy s’arma vistement, et se mist devant sa tente, et fist drechier les banières. Si estoit moult courouchiés qu’il estoit ainsi sousprins. Lors vint le gait, et moult d’aultres, la où la noise estoit ; mais ains que ils y peuissent venir, les Escoçois, qui en partie avoient fait leur emprinse, se retrairent bien et sagement ; et emmenèrent bien soixante prisonniers, dont il y eut huit chevaliers ; et rentrèrent ens ou bois sans dommage. Là n’avoient-ils garde des Englès ; car ils savoient bien la voie ou bois, et les Englès non.

CHAPITRE LXIX.

Quant vint au matin, on regarda en l’ost quel dommage les Escos y avoient fait. Si fu trouvé qu’ils avoient bien, que mort que navrés deux cents hommes, et s’enmenoient plus de soixante. Moult en fu le roy courouchiés ; s’ordonna que d’ores-en-avant on feroit deux gais aussi grant que l’un estoit devant ; et aroient ascoutes sur les chemins adfin qu’ils ne fussent plus ainsi soupprins. Or s’en alèrent les Escos lies et joieux, qui gentilment avoient le roy et toute son ost resvillié et durement adommagié. De ceste première chevaucie s’en furent plus cremus, et ce fu droit. Or eut le roy David conseil du deslogier, et d’aprochier ses anemis, et de chevauchier secretement devers Rosebourch. Si pooient estre environ seize mille hommes, tout à cheval, selon leur usage, chevaliers et escuiers, bien montés sur gros ronchins ; et eulx venus en ung bois, à deux lieuwes près de Rosebourch, si devoient partir leurs gens en deux moitiés, le menre pour envoier resvillier l’ost, et leur milleur bataille retenir sur costé pour férir ens, quant l’ost seroit esmeute. Or fut leur venue sceue par les ascoutes, qui s’en revinrent hastivement en criant ; « À l’arme ! à l’arme ! vechy vos anemis ! » Dont se misrent les deux gais ensamble ; et se tinrent tous cois, tant que tout furent armés. Et quant ils furent armés, si se partirent de leurs logis tout bellement, sans faire noise, et s’eslongèrent de leurs logis bien le longeur de trois trais d’arch ; et pensoient laissier les Escos entrer en leur logis, et en tant qu’ils s’ensonniroient de prendre et de fouragier ce qu’il y avoit, de retourner tout à ung fais sur eulx, et ensi fisrent. Et les Escos prirent l’avantage du bois ; et envoièrent trois hommes d’armes bien montés, pour savoir où le gait estoit, lesquels vinrent chevauchant jusques aux logis des Englès. Si ne virent ne oyrent personne ; dont il furent moult esmervilliés, car encore dedens l’ost n’y avoit-il point de lumière ; et dirent entre eulx qu’ils en estoient fuy. Ainsi le rapportèrent-ils à leur gens, dont les pluiseurs eurent grant merveille. Et quant le roy d’Escoce et son conseil oyrent ce rapport, si se conseillèrent comment ils feroient. Dont dirent aucuns des plus sages hommes : « Sire, ne pensez point que le roy d’Engleterre, et tant de bons chevaliers qui avec lui sont, s’en soient fuy ; mais peut estre qu’il ont sceu vostre venue ; si se tiennent coiement tout armé en leur logis, ou en bataille ordonnée sur les camps, et sur ce aiez advis, » Dont commanda le roy que chascun tenist ses gens tous cois, jusques adont que on verroit le jour cler. Ainsi le firent, et se mirent à piet, et bellement prirent une montaigne. Si ne pooit-on venir à eulx sans grant dommage, fors que par ung lez, lequel estoit très bien gardés des marissaulx. Et quant il fu jour, ils virent les Englès tous rengiés sur ung bel tertre, et les Englès virent les Escos. Dont, quant il se virent, le roy d’Engleterre envoia aux Escos deux héraux, en disant ensi que cy après s’ensieut.

CHAPITRE LXX.

« Sire, le roy d’Engleterre nous envoie par devers vous, en disant que, pour ce que vous estes venus si avant, si le veuilliés combatre. Et veuilliés descendre de ceste montaigne, et il vous laissera paisiblement prendre place à vostre plaisir, et vous combatera sans point d’avantage. Et si ce ne volez faire, eslisiés de vos gens soixante ou cent, et le roi d’Engleterre autel ; et ceulx se combateront pour son droit et pour le vostre. » À ce respondy le roy d’Escoce : « Seigneur héraulx, vous soiez les biens venus ; qui si belle parchon d’armes nous apportez. Mais dites au roy d’Engleterre, qu’il n’a nul droit de séjourner en ce pays ; et s’il nous veut combatre, il viengne et nous le recepverons de bon cœur ; mais du descendre, ne des soixante ne des cent, ne sumes point d’acort. Ains serons-nous cy tant qu’il nous plaira ; et quant bon nous samblera, nous descenderons, à la volenté de Dieu et de nos amis et non point de nos anemis. » Autre responce ne raportèrent les héraulx aux Englès. Quant le roy oy ce, si commanda que on les alast véir de plus près, et escarmucier à eulx, et que par aventure les poroit-on atraire aval. Ainsi le firent, et mirent devant, pour ce faire, cinq cens hommes d’armes, mille archiers d’un lez et autant d’aultre lez. Et fist là le roy plusieurs nouveaulx chevaliers : le seigneur de Willeby, le sire de Brantone, le josne seigneur de le Ware, monseigneur Édouwart le Despensier, fil au sire mort, le seigneur de Grescop qui là leva banière, monseigneur Gautier de Maugny et messire Guillaume de Montagu, qui estoient compaignons ensamble et moult appers chevaliers. Dont se partirent ces deux seigneurs et ces archiers, et aprocèrent les Escos moult vistement ; et le roy et son ost demourèrent là tous ordonnés. Quant les Escos virent les Englès venir, sachiés qu’ils ne furent pas esbahy ; mais se mirent en bonne ordonnance et leurs archiers devant. Le roy et les banières demourèrent en bataille. Les Englès venus commencèrent à traire aux Escos, et les Escos à eulx. Là eut grant escarmuce durement, et grans appertises d’armes, et moult aventureuses. S’avint ensi que, sur le plus fort assault qui y estoit, tout à ung fais, Englès firent retourner leurs pennons pour eulx faire cachier, et atraire jus les Escos, mais pour ce point ne se desroièrent Escos, mais se tinrent tous cois. Et quant les Englès virent qu’il ne les pooient atraire aval, si se retrairent vers leur grosse bataille, car là pooient plus perdre que waignier.

CHAPITRE LXXI.

Ainsi se tinrent tout le jour l’un contre l’autre ; et sur le vespre se retrairent Englès à leur logis ; et quant vint environ mie nuit, les Escos, qui sont beaux resvilleur de gens, envoièrent leurs nouveaux chevaliers devers l’ost des Englès. Mais bien leur besongna qu’ils fussent bien montés ; car les Englès, qui les atendoient et savoient leur venue, estoient si fort qu’il les mirent à cace ; et en y eut plusieurs prins, ainchois qu’il revinssent sur le mont à leur ost.

CHAPITRE LXXII.

Depuis ceste envaie n’y eut plus fait, car les Escos se partirent, et virent bien qu’il n’estoient point fort assez pour combatre le roy d’Engleterre et sa puissance. S’eut plus chier à perdre le cité de Bervich et le chastel de Rosebourch, que luy et sa compaignie qui estoit bonne et noble. Et au matin, quant ces Englès ne virent nul des Escos, le roy envoia veoir se c’estoit vray que les Escos s’estoient partis ; si trouvèrent qu’ils estoient partis voirement. Dont, quant le roy vit que les Escos et toute leur puissance s’estoient partis, il envoia devers le fort pour savoir quel chose il voloient dire ; et ils respondirent qu’il lui tenroient convent, puis qu’ils n’estoient secouru dedens le jour que convent avoient ; c’estoit qu’il partiroient sauve leurs corps et biens. Ainsi le firent, et rendirent le forteresse, et les clefs en livrèrent au roy, lequel les rechupt volentiers. Ce fu fait le septième jour de juillet l’an mil trois cent trente trois.

CHAPITRE LXXIII.

Mais avant que Rosebourch fust rendue, il y eut ung moult noble fait d’armes fait entre Alexandre de Ramesay, capitaine du chastel, et Willame de Montagu, Englès ; et le firent à cheval, si honnourablement que tous deux y acquirent honneur. Et sachiés que il dura moult longuement ; et y furent tous deux moult vilainement navrés ; et se fist à plain camp sans closure, en leurs harnas, autel qu’ils avoient en la guerre. Et en fu juge le roy d’Engleterre qu moult les honnoura au prendre sus.

CHAPITRE LXXIV.

Quant les Escos furent partis de le montaigne, comme dit est chi devant, ils chevaucèrent toute jour, car ils savoient bien que les Englès n’avoient talent d’eulx sieuwir ; et se logèrent sur une petite rivière que on nomme la Bethe ; et là se trairent ensamble les seigneurs à conseil, comment il se porroient le plus honnourablement maintenir. Là eux pluiseurs parolles dittes ; et ne sambloit point honnourable à pluiseurs de ainsi fuir devant les Englès. Et les plus sages disoient qu’il ne se véoient point puissant assez pour les Englès combatre, et que mieulx valoit ainsi partir que tout perdre. Si se porta le conseil de tous : que le roy s’en yroit à Dunbretan, ung très fort chastel sur le sauvage Escoce, et le josne messire Guillame de Douglas, le conte de Moret, le conte de Surlant, messire Robert de Versy et messire Simon de Fresel à tout ce qu’ils voroient prendre de gens, si demouraissent et costiassent les Englès en eulx adommagant. Et par ceste manière il porroient faire retraire leurs anemis, sans trop grande aventure de perte. Ce conseil fu tenus. Ainsi se partirent de l’ost des Escos, et retournèrent chascun en son lieu, et en ralant gastèrent plenté du pays sur frontière, affin que leurs anemis n’y trouvaissent aucun vivre. Si se retrayrent les Escos ès montaignes et ès forés ; et fu leur pays gastés d’eulx meismes ; et les seigneurs dessus dits, qui estoient ordonnés pour grever les Englès, les costièrent tousjours par les montaignes et passages où il savoient bien les chemins, et leur faisoient grant dommage. Or laisserons d’eulx ; si parlerons des Englès.

CHAPITRE LXXV.

Quant le roy d’Engleterre fu ou chastel de Rosebourc, il y reposa et y fist la feste de Tous-les-Sains ; et y donna moult de beaux et riches joiaux aux bons chevaliers, aux héraulx et aux trompettes. Au sixième jour s’en party et y laissa bonne capitaine, cent hommes d’armes et deux cens archiers. Puis chevaucha le roy devers Haindebourch, ung très bel chastel fort séant sur une montaigne ; mais ains qu’il y peuist parvenir heurent mains assaulx des Escos ; et aussi furent les Escos mainte fois rebouté de monseigneur Guillame de Montagu et de monseigneur Wautier de Maugny qui estoient deux compaignons ensamble. Ces deux rencontrèrent mainte fois les Escos. Ainchois que le roy Englès venist devant le chastel de Haindebourch, les marissaux de l’ost eurent couru toute la conté de Mare, et tout contreval le marine jusques à le ville Saint-Andrieu ; et puis repassèrent ung brach de mer, et s’en vinrent à une ville que on appelle Kinfery. Si l’ardirent, et prinrent l’avoir. De là alèrent à Donfremelin ; là eut moult grant assault ; mais les gens du pays y estoient retrais, qui bien le gardoient, et y fu durement navrés à ung assault le conte de Suffort, messire Édouwart le Despensier, messire Thomas Bisès, messire Ostes de Poncardon. Si s’en partirent à grant perte, et alèrent devers Haindebourch, et trouvèrent le roy séant devant à Dalquest, ung chastel à messire Guillame de Douglas, qui estoit fors et bien édifiés. Sy y avoit une grosse tour vostée qui ne doubtoit nul assault d’engien ne d’aultre chose ; et y avoit dedens le fort assez de bons compaignons pour le garder, et ung très bon capitaine et bon homme d’arme que on appeloit Patrix de Donbere ; et portoit d’argent à trois clefs de sable. Nullement le roy ne se voloit de là partir ; et y fu tout l’iver séant. Dont advint que, sur le printemps, ces seigneurs d’Engleterre étoient moult courouchiés qu’ils estoient là tant. Si s’avisèrent d’un soutil tour, car à ung matin ils firent armer huit de leurs varlés, en leurs proppres tourniquiaus et parés de leurs armes, et bien peu de gens avec eulx ; et avoient fait une embuse. Si s’en revinrent devant le pont ; avec eulx ung vallet vestu de riches parures en abit de héraut, et crioit : « Patrix ! Patrix ! regardez la belle aventure d’armes qui vous vient ! véchi ces nobles seigneurs qui her soir, après vin boire, voèrent que huy venroient à vous escarmuchier sans aultres gens. Se vous les poez desconfir, vous poez waingnier cent mille nobles. » Quant le chastellain oy ces parolles, et il recongnut les armes de ces grans seigneurs tous huit, qui bien cuidoit que ce fussent ils, si dist à ses compaignons : « Seigneurs, qui treuve saint Pierre à son huis, il n’a que faire d’aler à Romme ; vecy nostre heur, se nous sumes bonnes gens. Or, du bien faire ! car se nous les poons céens avoir, nous aurons l’onneur d’un des plus beaux faits d’armes dont on parla piechà. Avalons le pont et nous hastons. » Ainsi le firent et vinrent jus radement sur leurs chevaulx. Si se férirent sur eulx hardiement ; et ceulx se commencèrent à deffendre ung pau faintement, en reculant, et eulx laissier tirer et battre, et les aultres dirent : « Rendez-vous ! rendez-vous ! » Et il disoient : « Non ferons, non ferons. » Et entrues que ceux s’ensonnioient pour eulx tirer et mener prisonniers, Englès vinrent à cours de chevaulx sur le pont, et l’enforcèrent ; et ainsi fu Patrix pris et decheus soutillement, et tous ses hommes. Si entra le roy dedens, luy rafrescir, à grant joie ; puis le garny de gens et de vivres ; puis se party le roy et vint devant Haindebourch et l’asega de tous costés. Si y fist getter maintes pierres d’engien, et maint assault y fist ; dont pau y conquist, car il y avoit dedens très bonnes gens, et aussy le chastel estoit durement fors. Adont les fouragiers d’Engleterre, messire Guillame de Montagu, et messire Gautier de Manguy fouragèrent et gastèrent le pays jusques à Estrumelin, où pau trouvèrent, car les Escos mesmes l’avoient destruit. Or nous tairons des advenues d’Escoce ; si parlerons de celles de France.

CHAPITRE LXXVI.

Vous avez cy devant oy recorder le trespas du roy Charlon, et comment les pers et les barons eslurent et couronnèrent le roy Phelippe, fil jadis au conte de Valois : Sachiés que, à celle esluçon faire, messire Robert d’Artois son serourge y mist grant paine, car il estoit moult oys et creus ou royalme et de grant linage. Après cel couronnement, bien l’espasse de trois ans, messire Robert estoit le plus espécial du conseil du roy, et par luy estoit tout fait. Or advint que, par envie et haynne d’aucuns et faulx raports, le roy prist messire Robert en si grant haynne, et par l’occoison d’un plait qui meus estoit devant le roy, entre le contesse d’Artois et le duc de Bourgogne, dont le roy fu dur informés, que s’il l’euist tenu en son ayr, il l’euist fait morir. Et combien que le dit messire Robert fu de grant linage et son serourge, se fu le dit Robert banis publiquement, et sa terre saisie, tant qu’il lui convint widier le royalme. Ses deux fils furent prins, qui nepveux estoient du roy ; et jura que jamais de prison n’isteroient ; lequel serment il tint bien tant qu’il vesquy.

CHAPITRE LXXVII.

Quant le dit messire Robert se vit ainsi decachiés, il fu moult courouchiés, et ce ne fu point merveille. Il wida le royalme au plus tost qu’il pot, et s’en vint en Haynnau devers le conte Willame qui gisoit en son lit, malades de gouttes. Si recorda au conte toute son advenue, et le grant haynne où le roy l’avoit prins à tort. Se lui pria que sur ce lui volsist conseillier. Le conte de Haynnau qui estoit son serourge, car il avoient deux seurs, lui dist que pour l’amour de luy volentiers il envoieroit devers le roy et lui aideroit ce qu’il porroit. Dont pria monseigneur Jehan de Haynnau son frère et l’évesque de Cambray qu’ils y volsissent aler ; et ils dirent qu’ils yroient volentiers. Et tantost se partirent et alèrent en France, bien chargiet de leur message faire, de par le conte de Haynnau, et excusant de bouce et par lettres messire Robert, et en priant le roy que ses enfans il lui volsist rendre, et sa terre que sans cause il empeschoit. À tout ce le roy ne volt rien entendre ; ainçois manda au conte de Haynnau que, s’il confortoit le dit messire Robert qu’il tenoit pour son anemy, qu’il l’en desplairoit ; ne aultre responsse ne peurent avoir. Dont revinrent et rapportèrent la response que oye avez, devers le conte qui moult en fu courouchiés ; et dist que, s’il fust haitiés, qu’il l’en pesast moult acertes. Et sur ce eut le conseil des seigneurs du pays de Haynnau, qui point ne lui conseillièrent à faire guerre, considéré tout ce que advenir en poroit. Mais tant dirent que, s’il plaisoit à monseigneur le conte lui aidier secretement de mise, que faire le pooit, et il se pourcachast d’amis au mieulx qu’il peust ; dont le conte crut ce conseil ; et lui délivra en ayde six mille viés escus ; et lui dist qu’il quist amis, et tous jours il le conforteroit secretement. Dont le commanda à Dieu. Et messire Robert se party atout le mise, et d’autres riches joiaux qui donné lui furent par le contesse et par aultres.

CHAPITRE LXXVIII.

Adont s’en ala messire Robert à Narnur, véir sa seur le contesse et le josne conte que on appeloit Jehan, et les autres frères, Willame, Robert et Loys qui adont estoient josnes demoiseaux. Si lui fist-on moult grant feste ; mais ce ne fu point longuement ; car si tost que le roy sceut qu’il estoit là, il manda au conte de Namur que, s’il le soustenoit, il lui destruiroit tout son pays. Ainsi n’eult le conte point de conseil ne hardement de luy soustenir, car il n’osoit courrouchier le roy de qui il tenoit grant terre en France.

CHAPITRE LXXIX.

Lors se party messire Robert et s’en ala en Brabant devers le duc Jehan son cousin, qui lors se tenoit à le Vure, qui le rechupt à grant joie ; auquel messire Robert conta toute son aventure, et comment il estoit décachiés de tous pays, qu’il ne savoit mais où aler. Dont lui dist le duc : « Beaux cousins, ne vous esmaiez point, car j’ay terres et mises assez pour vous conforter, et si ne sui de riens tenus au roy. Si vous tenez dalez moy, et par moy vous serez réconfortés. » Ces parolles pleurent moult à messire Robert ; si se tint en Brabant dalez le duc grant temps. Et toutes voies si tost que ce vint à congnoissance au roy, il manda au duc que bientost le fist partir de sa terre, ou se ce non, il le courceroit proçainement. Dont remanda le duc au roy par ce meisme message : que messire Robert estoit son cousin germain, se ne lui devoit point falir, et ossy ne tenoit-il point qu’il euist coulpes à ce que on luy ametoit ; et qu’il faisoit péchiet, que ainsi le décachoit et ostoit son héritage. Ces parolles portées vers le roy, il en eut moult grant despit, et advisa comment il porroit grever le duc de Brabant. Si aquist amis en l’Empire, tels que le roy de Behaigne, l’évesque de Liége, l’arcévesque de Coulongne, l’arcévesque de Trièves, le duc de Guerles et le conte de Jullers, et moult d’autres grans seigneurs en l’Empire. Si donna grant or et argent à pluiseurs, affin qu’ils volsissent guerroier le duc et desfier, et il lui accordèrent. Encore y volt le roy bouter le josne conte de Namur, mais il s’escusa et dist que, en toutes autres besongnes il le serviroit, fors en celle. Quant le duc sceut toutes ces aliances contre lui faites, si se doubta durement, et ce ne fu point merveille. Si envoia secretement monseigneur Robert au chastel d’Argentiel lui tenir, tant qu’il verroit se le roy vorroit ce fait oublier. Néant mains le roy ne cessa point ; et tant fist qu’il fu desfiés de ces dis seigneurs ; et entrèrent en son pays ardant et exillant en pluiseurs lieux ; et y envoya le roy son conestable, le conte Raoul d’Eu, pour mieux monstrer que la besongne estoit à luy. À ces besongnes pourcacha tant le bon conte de Haynnau, que unes trieuwes furent accordées ; et prist la chose sur luy, parmy tant que le duc devoit mettre messire Robert hors de son pays ; et ainsi le fist, mais ce fu moult envis. Ainsi ne se sot messire Robert où tenir, ne en France ne en l’Empire. Si eut conseil d’aucuns, qu’il s’en alast en Engleterre, devers le roy Édouwart son cousin, et lui remonstrast toutes ses grietés. Si le fist ; dont il meut telles choses qui moult coustèrent au royalme de France. Si prist congié au duc de Brabant ; et s’en party le plus secrètement qu’il peut ; si monta sur mer et arriva à Ewrevich, tout ainsi que le roy estoit encore en Escoce, ainsi que oy avez.

CHAPITRE LXXX.

Quant messire Robert sceut que le roi estoit encore en Escoce, il prist guides pour luy mener ; et chemina tant qu’il vint à Dancastre, et puis à Bervich, où la roynne Phelippe de Haynnau sa cousine estoit, bien enchainte d’un bel fil qui depuis fu nommés princes de Galles, qui fu moult vaillans, dont tant avez oy parler. Quant la roynne sceut que messire Robert son oncle venoit vers ly, si en eut grant joie et le festia grandement. Si le tint dalez lui six jours. En cel termine vinrent nouvelles à la roynne que le roy avoit prins le chastel de Haindebourch. Dont dist messire Robert qu’il en voloit aler devers le roy. Si fist la roynne apparillier gens d’armes et archiers. Lors s’en party, et fist tant que bientost fu à l’ost, qui estoit jà mise devant Estrumelin. Et quant le roi sceut le venue de messire Robert, il envoia grandement contre luy ; et quant il aprocha, luy meismes luy ala contre. Si le festoia moult grandement et lui dist : « Beaux oncles et cousins, quel besoingne vous amaine par dechà ? » — « En nom Dieu, sire, grant besongne que vous devez savoir, c’est bien raison. » Adont ly conta toute son infortune, et comment le roy Phelippe, à qui il avoit fait tant de biens lui toloit sa terre, et avoit emprisonné ses enfans, et luy banny publiquement du royalme de France, et que delà la mer n’avoit place où il peuist demourer, ne il n’avoit si bon amy, le conte de Haynnau, le duc de Brabant, le conte de Namur ne aultres, qui, pour le roy, le peuist soustenir. Quant le roy d’Engleterre l’eut tout oy, si fu moult esmervilliés. Si le conforta et dist : « Beaux oncles, ne vous esmaiez en riens, car nous avons assez pour vous. Et se le royalme de France vous est petis, celui d’Engleterre vous sera assez grans. » — « Sire, dist-il, toute mon espérance est en Dieu et en vous. Et à vous je me confesse, pour voir, que à tort et sans cause je me consenty jadis à vostre deshiretance, et fis pour celui roy plus que nuls, qui nul gré ne m’en scet, et qui pas n’y a si grant droit comme vous aviez ; car par droite proismeté de le succession du roy Charlon vostre oncle, vous en deveriez tenir l’hiretage ; car celui qui l’est, estoit plus loingtains ung point que vous ; car il n’estoit que cousins germains et vous estiez nepveux. » De ces parolles fu le roy moult pensieux, mais tant qu’au présent il n’en fist nul semblant, car à ce convenoit grant conseil et advis de le laissier pour l’eure ensy. Si fu messire Robert logiés et pourveus de tout ce que à lui appartenoit. Or retournerons à parler du roy Phelippe de France.

CHAPITRE LXXXI.

Quant il eut en partie acomply son désir, de monseigneur Robert avoir encachié, ainsi comme vous oez, il se vit en paix et en grant honneur en ce noble pays de France. Car il tenoit plus noble estat que oncques n’euist fait roy que on sceuist ; car il avoit trois rois de sa court, le roi de Behaigne, le roy de Navare et le roy de Maillorque, ducs et contes sans nombre. Si faisoit festes, joustes, tournois ; et il meismes les devisoit et ordonnoit ; il tenoit d’encoste luy communalment avec ces rois : le conte d’Alenchon son frère, monseigneur Jehan de France, duc de Normendie, son aisné fil, le duc Oedon de Bourgoingne, le conte Loys de Flandres, le conte Loys de Blois, monseigneur Charle de Blois ses nepveus, le conte de Bar, le duc de Bourbon, le duc de Loraine et moult d’autres qu’il avoit à sa délivrance. Moult estoit son estat grant et renommés en tous pays. Ce roy, quant il se vit si puissans et en paix, eut dévocion de prendre le croix, ensi qu’il fist, pour aler oultre mer ; et en jurèrent moult de seigneurs avec lui. Si manda au roy de Hongherie, pour ouvrir les passages ; ossy devers l’empereur Loys de Baivière, pour les passages. Encore envoya le roy devers le pappe Benedic, en luy priant que le voyage de oultre mer luy volsist accorder et confermer, et le volsist faire preschier parmy crestienté ; la quelle chose le pappe accorda doucement, et fu ceste chose preschie par tout le monde. Si y eut moult de vaillans hommes qui, par grant dévocion, y tendoient à aler ; mais pau greva aux Sarrazins, car le roy n’en fist riens. Encore envoia le roy de France devers le roy de Chypre, en priant qu’il fust pourveus et ses pays apparilliés pour recevoir les pélerins. Si eut d’accort les Venissiens et les Genevois ; et fist-on garnir toutes les costières de le mer, de le rivière de Jennes jusques à Palles en l’ille de Grèce et de Rodes. Si fu envoié le grant prieur de France ; et fist le roy tout son appareil, vaisseaulx, gallées et pourvéances au port de Marseilles pour trente mille combatans. Si en estoit souverain le visconte de Nerbonne et messire Charle Grimaux, ung vaillant Genevois sur mer. Or revenons au roy d’Engleterre qui estoit devant Estrumelin.

CHAPITRE LXXXII.

Estrumelins estoit ung durement fort chastel séant sur roche ; et fu du tems le roi Artus appelés Smadon ; et là revenoient à le fois les chevaliers de la table réonde. Le roy d’Engleterre adont y fu long-temps, et y fist moult d’assaulx, qui pau lui valy, car elle estoit très bien et de bonne gent deffendue ; dont bien anioit au roy, car messire Robert d’Artois lui disoit souvent : « Sire, laissiés ce povre pays, que mal feu l’arde ! et entendez à vostre plus grant proufit de la noble couronne de France, dont vous devez estre sire et de quoy on vous fait tort. » Et le roy entendoit volentier ces parolles, quoi qu’il poursievist toudis celle guerre d’Escoce. Entrues qu’ils estoient ensi vinrent nouvelles au roy que la roynne sa femme estoit acouchié d’un bel fil en la cité de Evruich ; et luy mandoit-on qu’il y volsist envoier certains messages, et le nom qu’il voloit qu’il portast. Moult fu le roy joieux de ces nouvelles. Si fist riches les messagiers ; et y envoia messire Édouwart de Bailleul, ung vaillant chevalier, qui le tint sur fons et lui donna son nom. Chils enfès fu le prinche de Galles, qui fu moult vaillans et fist en France et ailleurs moult de beaux fais d’armes, et morut josne du vivant son père[1].

CHAPITRE LXXXIII.

Tant fu le roy devant Strumelin que le chastel fu si constrains, que les deffendans, qui estoient dedens très bonnes gens, virent que nul confort ne leur pooit venir. Si commencèrent à traitier devers le roy, adfin qu’ils euissent vivres, trieuwes de quinze jours ; et se dedens ce jour confort ne leur venoit, il renderoient le fort, salve eulx et le leur ; et ainsi fut fait ; mais oncques ne s’apparu pour eulx confort ne ayde. Et quant les quinze jours furent passés, ils tinrent convent. Si widèrent du fort, et se partirent paisiblement atout le leur, et alèrent leur bon leur sambla ; et le roy y entra et y mist gens et garnisons pour le bien garder.

CHAPITRE LXXXIV.

Dont quand il eut le chastel à merchy, et moult du pays d’Escoce essiliet et gasté, si demanda conseil à ses hommes comment il se maintenroit. Si lui fu conseillié de pluiseurs de son secret conseil, qu’il pourvéist bien les forteresces que prises avoit, et de bonne chevalerie et de bons archiers, pour bien garder encontre les Escos, et s’en ralast arière vers Londres sa bonne cité, et fesist là assambler son parlement des nobles, des prélas et des bonnes villes, et là fesist remonstrer toute son intencion, et ce dont messire Robert d’Artois l’avoit infourmé. À ce s’accorda le roy. Et premiers fist pourvéir les villes et places qu’il avoit prinses, jusques au nombre de neuf ; et furent souverains pour garder toute la marche : messire Gautier de Maugny et messire Willame de Montagu. Dont se party le roy et s’en revint à Rosebourch ; et là donna congié à ses gens ; et là dist à tous ceulx qui estoient de son conseil qu’ils fuissent à certain jour à Londres, et il luy eurent en convent. Après ce, exploita tant le roy par ses journées qu’il vint à Evruich. Si trouva la roynne sa femme qui devoit relever. Si séjourna tant qu’elle fu relevée. À ce jour eut grant feste. Après ce se party le roy, la roynne et messire Robert d’Artois, et entrèrent à Londres. Et eux là venu, fist le roy faire le obsèque de messire Jehan de Eltem au moustier des Augustins ; et toudis messire Robert d’Artois emprès le roy à qui il monstroit grant amour.

CHAPITRE LXXXV.

Vous avez bien oy comment le roy Englès estoit infourmés de messire Robert, qu’il estoit drois hoirs du royalme de France et que on l’en faisoit tort. Et sur ce fait, ordonna le roy ung grant parlement à Londres, là où furent les trois estas. À ce parlement fu remonstré comment il avoit droit au royalme de France ; et ce remonstra messire Robert, de point en point, comment ce pooit estre. Là euist pluiseurs parolles dittes et retournées ; car de entreprendre un si grant fait que de voloir bouter le possessant de le couronne de France hors de le possession, c’estoit fort à faire, et y convenoit grant sens, et grant pourchas, et grant puissance. Dont il fu conseillié au roy, que toute son intention fust mise par escript ; et envoiast de là la mer, par sages chevaliers, par devers tels que le conte de Haynnau, messire Jehan son frère, le duc de Brabant son cousin germain, et le duc de Gherles son serourge, en priant à eulx que sur ce fait le volsissent consillier quel chose l’en seroit bon à faire ; et les messagiers revenus, et oy les intencions des dis seigneurs, on aroit accort tel qu’il appartenroit au fait. Ainsi se party ce parlement et fist le roy d’Engleterre escripre lettres par bon advis ; et eslisy quatre chevaliers, sages et preudommes, pour faire les ambassades par devers les prinches dessus nommés, tels que le seigneur de Beaucamp, le seigneur de Persy, le seigneur d’Estanfort et monseigneur de Gobehem. Adont ordonna et assenna le roy à monseigneur Robert d’Artois le conté de Ricemont séant en Engleterre, qui est bonne et riche, et le retint de son plus privé conseil dalez lui. Or dirons des quatre chevaliers et du message que firent.

CHAPITRE LXXXVI.

Quant ces seigneurs et deux grans clers vinrent à l’Escluse en Flandres, il furent d’acort de aller premiers en Haynnau ; si se mirent à terre et vinrent à Valenchiennes. Là trouvèrent le conte et messire Jehan qui se tenoit dalez lui en la Salle ; dont ils furent moult lies. Là furent moult honnourablement receus. Quant les barons d’Engleterre eurent le conte salué et monseigneur son frère, et fait les révérences, ly ung d’eulx prit les paroles et dist : « Vostre beau fil le roy d’Engleterre nous envoie par devers vous en grant especialté, avec ces lettres, pour avoir vostre conseil et ayde sur les besongnes qui dedens se contiennent, car elles lui touchent hautement à son honneur. » Si lui monstrèrent tout de point en point leur informacion : que de son droit, à luy appertenoit le royalme de France. Et quant toutes les raisons eurent dittes, si dirent au surplus : comment le roy considéroit les grans aventures qui pooient chéir en l’emprinse, et que moult de mal en pooit naistre, et qu’il ne voloit emprendre chose qui à son deshonneur lui peuist tourner ; et ossy ne voloit-il point que par fautte de corage et d’emprinse son droit lui fust tolus ne ostés : « Car il treuve en bonne volenté tout son royalme ; si sumes envoiés par devers vous, comme à son père, que sur ceste besongne lui veulliés faire savoir vostre bonne intencion. »

CHAPITRE LXXXVII.

Quant le conte eut véues ses lettres, et oyes toutes leurs remonstrances, que ces seigneurs lui firent bien et sagement, si dist premier : que le roi n’estoit point sans grant sens et bon conseil, qui toutes ces choses avoient considérées. Si respondy oultre à ces parolles et dist : « Certes, seigneurs, vous devez croire que je aroie plus chier l’honneur et prouffit du roi d’Engleterre mon fil qui a ma fille, que je ne feroie au roi de France ; et s’il treuve à conseil qu’il y ait droit et il face guerre, je seray apparilliés, et Jehan mon frère qui aultre fois l’a servy. Mais avec nostre ayde luy faut bien aultre ; car nous et le pays de Haynnau sumes petis pour tel cas ; si ne poons point grans fais ; et se li siet Engleterre loing pour avoir secours. Mais se vostre sire pooit avoir l’accort du duc de Brabant, du duc de Gherles et du pays de Flandres, de tant seroit nostre pays plus fors. Se vous conseille que vous alez devers eulx traitier ; et s’ils lui veulent aidier, je, ne mon pays, ne demourrons pas deriére. Et dittes ainsi au roy, de par moy, que du pays de Flandres par espécial il songne tant, par prière ou par constrainte, qu’il en ait l’ayuwe ; et aussi qu’il n’espareigne point le aler ou envoier souffissamment devers le roi d’Alemaigne, Loys de Baivière, qui en cest affaire lui peut moult valoir en pluiseurs cas. » Adont chéy si à point pour le roi d’Engleterre, que le conte de Haynnau estoit mal du roy Phelippe de France. Si vous diray pourquoy. Il avoit traitié ung mariage de madame Ysabel sa fille à l’aisné fil du duc de Brabant. Et quant le roi de France le sceut, il exploita tant que ce mariage fu desfais, et le traita ailleurs ; ce fu à sa fille ; parquoy le dit conte fu trop courchié. Encore en ce temps esquéy en vendage le chastel de Criefve-ceur ; et l’acheta le conte de Haynnau ; et en presta aux vendeurs grans sommes de deniers, en le cuidant adjouster à le conté de Haynnau ; car elle luy euist esté bien séant sur marche. Et quant le roy Phelippe le sceut, il manda le vendeur, et fist tant, par deniers et par parolles, que le marchié fu nul. S’en fut courouchiés le conte de Haynnau. Et tout ainsi fu il du chastel de Arleus en Paluiel sur le marche d’Ostrevant et de Douay. Ces trois choses estoient assez nouvelles entre le roy de France et le conte de Haynnau ; si n’en amoit point le roy, et bien disoit qu’il luy renderoit, quant il querroit à point.

CHAPITRE LXXXVIII.

Or revenons à nostre matière de devant. Quant les messages du roy d’Engleterre eurent le conseil et response du conte de Haynnau, si se tinrent bien content ; et disent que moult grant merchis ; et que par son conseil il useroient delà en avant.

CHAPITRE LXXXIX.

Et quant il eurent grandement esté festié par cinq ou six jours, il se partirent et s’en alèrent à le Vure en Brabant ; et là trouvèrent le duc qui courtoisement les rechupt, pour l’amour du roy d’Engleterre à qui il estoit cousin germain. Si lui contèrent tout leur message de point en point. Et sur ce leur respondy le duc, que il estoit si tenus au roy par linage, que falir ne lui devoit par raison. Si leur promist ayde de luy et de tout son pays, de quanques il porroit. De ce furent les messages moult joieux.

CHAPITRE XC.

De là s’en alèrent en Guerles, et trouvèrent le duc qui leur promit et habandonna luy et son pays et tout son pooir. Après ce qu’ils eurent ainsi besongniet, retournèrent en Engleterre, et reportèrent les nouvelles comment il avoient exploitié en l’un pays et en l’autre. Quant le roy d’Engleterre oy ce que ses messages lui raportèrent, et le bonne volenté que ces trois princes avoient de luy conforter à son fait, il en fu moult lies. Et sur le conseil du conte de Haynnau s’arrestèrent que hastivement il envoièrent devers le roy d’Alemaigne. Si y envoya ung prélat et trois grans barons pour traitier ceste besongne. Si enprinrent ceste besongne l’évesque de Nicolle, le sire de Stanfort, le seigneur de le Ware et le sire de Mitone. Si montèrent en mer en le Tamise à Londres, et singlèrent tant qu’ils vinrent en Holandes, à Doudrech. Si furent là deux jours. Au tierch montèrent à cheval. Si chevaucèrent tant qu’ils vinrent en Alemaigne à Convelence, là où l’empereur et l’emperesse estoient, qui grandement les rechurent et festièrent.

CHAPITRE XCI.

Loys de Baivière, roy d’Alemaigne et empereur des Romains pour le tems, n’avoit point en grant chierté le roy de France, par aucunes raisons ; par quoy il s’acorda légièrement à conforter le roy d’Engleterre ; et respondy aux messagers, sitost qu’ils eurent dit : « Selon les drois de l’Empire, il nous samble que le roy d’Engleterre a droit à l’éritage de France. » Et là où le roy lui requeroit ayde pour son droit poursievir, il ne lui devoit ne voloit falir. « Si direz au roy d’Engleterre que fiablement il me viengne véoir et esbatre dalez-moy ; si s’acointera des Almans, et je l’en aideray aussy. » De ceste responsse furent les seigneurs messagers moult lies, et prinrent cengié et se partirent de l’empereur et de l’emperesse, madame Marguerite de Haynnau, qui au départir leur donna beaux dons, pour l’amour de sa soer la roynne d’Engleterre ; et eulx revenus oultre, récordèrent leur message et baillèrent les lettres au roy, venans de l’empereur et d’aultres seigneurs, tels que le marquis de Misse et d’Euriant, le marquis de Brandebourch, l’arcévesque de Maïence et celuy de Coulongne. Si trouva le roy en leurs escripcions salus et amistés et toutes promesses de confort et d’ayde ; dont il fu moult lies. Sachiés que sur ces pourchas que le roy d’Engleterre faisoit, en vint aucune congnoissance au roy Phelippe, comment il se proposoit à guerroier et qu’il aquéroit amis à tous lez. Si se doubta ; et non pour quant il n’en faisoit point grant conte, car il estoit grans et puissans, et pau doubtoit la puissance des Englès.

CHAPITRE XCII.

Or avez oy comment le roy de France, par dévocion, il avoit empris le croix pour aler oultre-mer, et moult de bonnes gens lui avoient couvent d’aler avec lui. Enfin par son conseil lui fu dit qu’il ne pooit widier sur les paroles qu’il ooit dire des Englès. Et ossi le pape lui deffendy, et dyspensa tous ceux qui juré l’avoient.

CHAPITRE XCIII.

En ce temps se tenoit le conte Loys de Flandres à Gand, et les tenoit à amour ce qu’il pooit ; car le roy de France l’en prioit moult ; et aussi lui prioit moult qu’il gardast bien les frontières de le mer, par quoy Englès n’euissent nul avantage en son pays. Ce conte de Flandres estoit bons François et loyaulx ; et bien y avoit raison, car il n’y avoit gaires que le roy l’avoit remis en son pays par force, quant les Flamens furent desconfis à Cassel, comme vous avez oy cy dessus en l’istore du couronnement le roy de France. Adont fist le conte de Flandres couvertement aler sodoiers sur mer, qui costioient les marches d’Engleterre ; et quant ils véoient leur plus bel, il s’adonnoient à gaignier ung vaissel ou deux, se il le trouvoient.

CHAPITRE XCIV.

En ce temps mist le roy d’Engleterre gens sur mer, pour son pays et les marches garder des péris des escumeurs de mer. Encore par l’ordonnance de son conseil, et pour constraindre les Flamens et mettre en son dangier, il fist clore tous les pas d’Engleterre, et deffendre que nuls n’y envoiast ne vendist laines ne aultres denrées, affin que le commun qui n’avoient de quoy ouvrer se courrouçaissent. Et quant ce eut un terme duret, marchandise et drapperie empira durement ; et les gens de mestier comencèrent fort à apovrir, car ils n’avoient de quoy ouvrer, et par espécial de drapperie, et sans ce ne se pooient longuement bien maintenir. Si widoient assez d’honnestes gens et s’en aloient mendier et demourer en Haynnau, en Brabant, en Artois et en aultres pluiseurs lieux. Si mandoit le roy d’Engleterre souvent aux bonnes villes que, s’il n’estoient de son accort, qu’il les tenroit encores en plus grant dangier. Pourquoy les bonnes villes furent ensamble pluiseurs fois à parlement, pour savoir comment il se poroient maintenir. Et vaulsissent bien les pluiseurs que on tenist le roy d’Engleterre à amour ainchois que celui de France, car plus grant prouffit leur en pooit venir ; mais le conte de Flandres se metoit songneusement en leurs consaulx, et leur brisoit leur propos qui estoient à leur commun proufit.

CHAPITRE XCV.

Encore n’avoit nulles desfiances entre les deux rois adont, et possessoit encore le roy d’Engleterre le Pontieu qu’il tenoit en foy et en hommage du roy, de par madamme sa mère, et pluiseurs terres en Gascongne et en Normandie ; et vous dy qu’il avoit pluiseurs ymaginacions sur ceste emprinse, quoyque messire Robert d’Artois lui conseilloit à hastivement renvoier son hommage, et avec ce le desffiast ; car il voloit ceste chose faire par grant délibéracion de conseil, ainchois qu’il entreprist chose leur il presist blasme ne damage.

CHAPITRE XCVI.

Or avint que le pappe Bénédic et le colliége qui se tenoit en Avingnon, par le promocion d’aucunes bonnes gens, seigneurs et dammes, dont j’ai oy nommer le roy de Behaigne, le duc de Loraine, le conte de Bar, le conte de Namur, madame Jehanne de Valois contesse de Haynnau, madame la contesse de Soisons famme monseigneur Jehan de Haynnau, et madame famme au conte de Penebruich d’Engleterre seur au conte de Bar, qui tous doubtoient le grant domaige et meschief qui en pooit advenir, si envoièrent deux cardinaulx à Paris pour traitier devers le roi Phelippe qu’il se volsist accorder à ce que parlement se fesist en aucun lieu, des deux rois ; et oyssent les François les demandes du roy d’Engleterre ; et s’il estoit trouvé qu’il euist aucun droit, par bon advis, aucune satisfaction et appaisemens lui fust fais. Tant traitèrent les dis cardinaulx devers le roy de France, avec les moyens, qu’il s’asenty à ce que parlement se fesist. Et s’y acorda le roy d’Engleterre ; et devoit envoyer à Valenciennes gens souffissans, pour lui oyr et respondre aux raisons des François ; et aussy y devoit envoier le roy de France personnes souffissans pour respondre aux oppinions des Englès ; et devoient ceulx estre puissant d’acorder du tout les deux roys, par l’advis et conseil du conte de Haynnau sur qui toute ceste chose fu tournée.

CHAPITRE XCVII.

Dont envoia le roy d’Engleterre deçà la mer dix chevaliers banerès de son pays, et dix autres : l’évesque de Nicolle, l’évesque de Durem et d’aultres gentils hommes. Si vinrent en moult grant estat à Valenchiennes, et se présentèrent devers le conte qui les rechupt à joie. Ceulx faisoient grans frais et grans despens et tenoient grant estat. Ce temps durant fist le conte Willame son fil chevalier. Si y eut moult grant feste. Tantost après le maria à madamme Jehanne, ais-née fille du duc de Brabant. Ainsy furent là plusieurs jours ces seigneurs d’Engleterre, atendant les seigneurs et conseil de France que le roy y devoit envoier ; mais point ne venoient, dont ils estoient moult esmervilliés. Si en parloient et murmuroient grandement, tant qu’ils vinrent devant le conte, en luy priant qu’il volsist envoier en France devers le roy pour savoir à quoy il tenoit, ne qu’il voloit faire. Adont prist le conte madame sa femme et monseigneur Jehan son frère pour y aler, lesquels y alèrent volontiers.

CHAPITRE XCVIII.

Lors se partirent de Valenchiennes dame Jehanne de Valois et messire Jehan de Beaumont son frère, et entrèrent en Paris en bon aroy, leur il trouvèrent le roy qui les rechupt à grant joie, et moult festia madame sa seur et monseigneur Jehan de Beaumont. Après ce, contèrent au roy tout leur message, et par espécial pour son honneur garder et les Englois apaisier, aux quels sambloit que on fesist villenie, et en disant : « Pour ce cas sumes nous cy venus. » Et quant ils eurent toute leur intencion ditte, le roy respondy en disant : « Ma belle seur, et vous, sire de Beaumont, vray est que par aucuns moyens, en espécial des personnes d’église, je m’acorday en ce que d’envoier à Valenciennes. Or me sont aultres nouvelles et consaulx venus de mes plus espécials amis sur ces besongnes ; de quoy, tout considéré, j’ai trouvé que de là envoier je n’y sui riens tenus ; et se je le faisoie ce seroit grandement à mon blasme et au préjudice de mon royalme, car le roi d’Engleterre n’a nul droit en mon pays ; j’en suy en la possession, et y suy mis par l’assens de tous les pers de France. Si tenray ce droit pour moy, et deffenderay, s’il m’estoit calengiés, contre tout homme. Et ces raisons j’ay envoiés devant nostre Saint Père et collége, qui bien s’i assentent ; et ne treuvent par nul clers de droit que je doie autre chose faire. » À ces parolles respondy madame sa seur, qui les périls doubtoit entre son frère le roy et son fils le roy Édouwart, et dist : « Monseigneur, je ne tieng point que le roy d’Engleterre tende ne tire plainement à le couronne de France ; mais par la proismeté de madame sa mère, s’aucuns drois devoit avoir aux heritages, salve vostre honneur, vous fériés bien si vous consentiés que aucunement il y fust wardés, et par quoy vous demourissiez bon amy, qui estes si grans et si prochain amy. Si vous prie chièrement à ce que je soie oye de vous, et que vous veulliés vostre conseil envoier à Valenciennes comme en convent l’avez. » Lors respondy le roy qu’il en aroit advis.

CHAPITRE XCIX.

À ceste response se partirent du roy et revinrent à leurs hostels, et le laissèrent ensy, pour luy conseillier, l’espasse de trois jours. Et quant revinrent vers luy, il dist finablement qu’il ne trouvoit point qu’il le deuist faire ; car s’il le faisoit, il donroit à entendre au roy d’Engleterre qu’il euist aucun droit à ceste querelle. Et quant il virent que aultre response n’en pooient avoir, il prirent congiet et retournèrent à Valenchiennes devers le conte et les Englès. Si contèrent tout ce que le roy leur avoit dit et respondu. Et quant les Englès oyrent le response, s’en eurent grant merveille, et s’en tinrent moult mal content du roy de France. Lors demandèrent conseil au conte, et le conte leur respondy : « Vous savez bien sur quel estat vous estes party du roy vo seigneur, et vous véez que vous avez trouvé. Si l’en dittes la vérité, et sur ce il ait advis. » Dont dist l’évesque de Nicolle : « Sire, nous savons bien que, quant nous revenrons par delà, messire le roy ne requerra aultre conseil que de faire guerre au plus tost qu’il porra, considéré ce que nous avons trouvé. Si nous sambleroit bon que, à vo titre, fuissent mandé, de par le roy et de par vous, aucuns des seigneurs de l’Empire, affin qu’ils venissent en lieu où vous et nous peussons parler à eulx, pour eulx prier qu’il soient prest de faire le confort qu’il ont promis au roy no seigneur. » Adont dist le conte : « Vous conseilliés bien ; si le ferons ainsi. »

CHAPITRE C.

Dont escriprent d’un accort le conte de Haynnau et les seigneurs d’Engleterre, comme messagiers de par le roy d’Engleterre, à aucuns des seigneurs de l’Empire, tels que au duc de Guerles, au marquis de Jullers, à l’arcévesque de Coulongne, à monseigneur Galleran son frère et au marquis de Brandebourch, que ils volsissent venir en Haynnau jusques à Valenchiennes devant le conte, à ung parlement qui estre y devoit. Ceulx qui priet furent ne s’escusèrent point ; mais escriprent qu’il y seroient volentiers au jour. Or poez croire que dedens ce jour du parlement, qui n’estoit mie si tost, ces seigneurs d’Engleterre pourcachoient en pluiseurs lieux, à le fois en Flandres et ès bonnes villes, pour eulx acointier des plus vaillans bourgois et des communs. Si tenoient grant estat, et despendoient largement, et donnoient grant disners pour toudis acquérir grace ; et prometoient que se les Flamens estoient amis aux Englès, ils aroient marchandise et autre amour au roy et au pays. Adont avoit à Gand ung chevalier que on appelloit messire Simon le Courtrisien, anchien homme et riche, et qui volentiers festioit et recepvoit les estrangiers, et espécialment chevaliers et barons d’onneur. Si compaignoit ces seigneurs d’Engleterre quant il venoient à Gand, et faisoit toute le bonne compaignie qu’il pooit, Si l’en vint mal ; car le roy de France et le comte de Flandres en furent infourmés. Si doubtèrent qu’il ne volsist attraire les coers des bonnes gens du pays à le oppinion du roy d’Engleterre. Dont, pour eulx mieulx asseurer, le conte le manda à ung certain lieu. Luy venu au mandement, il fu pris et livrés au conestable de Flandres, et puis à celui de France. Si fu assez tort après décolés ; dont grant murmuracion fu ens ou pays ; et s’en esmurent grant haynne sur le conte et son conseil. Car ce fu fait moult hastivement, selon ce qu’il estoit de grans amis, et prissanment riches hons. Depuis le mort de ce seigneur, les chevaliers d’Engleterre n’osèrent si à plain hanter ens ou pays de Flandres. Si se tinrent en Haynnau, dalez le conte qui bonne chière leur faisoit.

CHAPITRE CI.

Or vint le jour que les seigneurs d’Alemaigne vinrent au parlement à Valenchiennes ; et y eut ceulx qui s’enssievent. Il y fu : le duc de Guerles, le marquis de Jullers, le marquis de Brandebourch, l’arcévesque de Coulongne, le seigneur de Franquemont, le sire de Divort, messire Ernoult de Bakem, de conte des Mons, et le sire de Cuck de par le duc de Brabant. Et là furent pluiseurs jours : présens, le conte de Haynnau, messire Jehan son frère et leur conseil. Et quant tout fu conseillé et advisé, les Alemans dirent tout d’un acort : que, au nom de Dieu, le conseil d’Engleterre esmeuist le roy à ce qu’il passast la mer et venist en Anvers, tant qu’il le puissent veoir, car il en avoient grant desir. Et sur ce se partirent tous, et s’en rala chascun en sa marche. Et adont les Englès en ralèrent par Dourdrech, car il n’osèrent raler par Flandres ne devant l’ille de Gagant, pour doubte d’estre rués jus des escumeurs, qui estoient là de par le conte de Flandres.

CHAPITRE CII.

Quand les prélas et les seigneurs furent revenus de le grant besongne dont ils avoient esté chargiés, le roy les rechupt à grant joie, et tous les autres seigneurs. Adont, présent le roy et tous les seigneurs, firent leur relacion comment il avoient esté à Valenchiennes grandement rechus, comment le roy de France n’y avoit envoié personne de par luy, et comment, par prière, madame la contesse et de messire Jehan de Haynnau, furent à Paris et raportèrent les responses du roy, et comment après ce se conseillèrent au conte de Haynnau de mander les Alemans qui avoient promis confort et aliances frances, comment il vinrent volentiers, et comment il ont dit devant le conte : « qu’il vous reconforteront le plus qu’il porront, mais que on leur tiengne convent, et comment ils prient que vous passés le mer au plus tost que vous poez, adfin qu’ils vous puissent véir et comment vos besongnes en vauldront mieulx. Au surplus vous disons que le conte de Flandres tient garnisons en l’ille de Gagant, de gens d’armes qui gardent le pas sur les frontières, et ont jà fais pluiseurs despis à vous et à vos gens, dont il vous doit desplaire et à tout vostre royalme. »

CHAPITRE CIII.

Quant le roy d’Engleterre oy ces nouvelles, si en fu moult pensieux : mais nient mains celles que les Alemans lui mandoient li plaisoient moult bien. Si demanda conseil sur ce. Dont respondirent les plus de ses espécials amis qu’ils ne tenoient point « que le roy de France ne tenist que vous ne l’oseriez guerrier. Si vous conseillons pour vostre honneur que vous faciés ung parlement à estre à ceste Saint-Michiel à Londres, où tous ceulx du grant conseil soient mandé, et que nuls ne s’en excuse. Et adont, selon ce que vostre conseil se portera, si ouvrez. » Le roy si accorda. Adont manda et commanda à tous que tous y venissent ; et fu à le Saint-Michiel l’an trente sept. Et tous y furent, ce fu raisons. Et pour ce que nulle advenue des fais d’armes, qui sont advenu en ce terme des deux royalmes, ne doivent estre oublié, je vous en conteray qu’il advint adont en Gascoingne, endementiers que le roy séjournoit à Vies-moustier.

CHAPITRE CIV.

Ce fu le treizième jour d’avril, en un Pasques, l’an trente sept ; au matin, vint ung hérault du roy d’Engleterre que on appelloit Cardoël, que le roy avoit fait ès voyages d’Escoce. Ce hérault avoit esté hors du pays par l’espace de cinq ans, travillans par le monde, tant en Pruse comme en Jherusalem. S’estoit revenus par Barbarie et par Espaigne, et avoit esté ès guerres de Grenade ; s’estoit revenus par Navarre en Gascongne, et s’avoit trouvé grans guerres et grans esmouvemens des forteresses des Franchois aux Englès ; car jà y estoient de par le roy de France plenté de seigneurs : tels que le conte d’Ermignac, le conte de Fois, le conte de Comminges, le conte Dalphins, le conte de Nerbonne, le sénescal de Toulouse, le sire de Beaujeu, le sire de Tournon, le sire de la Bare, le sire de Collenches et plusieurs autres ; et avoient jà mis deux siéges, l’un devant ung fort que on appelloit Peme, et l’autre devant Blayes ; et contraindroient durement ceulx de Bordiaux par la rivière de Géronde. Si disoient ces seigneurs que le pays estoit sourfais et acquis au roy de France, comme cy après s’ensieult. Si ne se mouvoit nuls contre les François, car il n’avoient pooir ; mais tenoient les forteresses closes et les deffendoient de leurs puissances. Sy avoient le dit hérault chargiet les pluiseurs, et par espécial ceulx de Bordeaux et le plus de crédence, et bien prié, que hastivement se volsist avanchier de estre devers le roy. Lequel avoit tant exploitié qu’il estoit montés sur mer au port à Baionne. Si fu au cinquième jour au havre de Hantosne ; et puis tant chevaucha qu’en sept jours demy vint à Londres où le roy estoit. Si s’ajenoulla devant lui, et fist la révérence en présentant ses lettres, de par les seigneurs et gardes du pays de Gascogne. Dont le roy et tous les barons eurent grant joie, car ils pensoient bien ouïr pluiseurs nouvelles.

CHAPITRE CV.

Quant le roi eut bien-vingniet son hérault et ses lettres luttes, si lui dit : « Nostre amy Gardoel, dittes des nouvelles et vos crédences. » Dont dist le hérault : « Sire, il est vérité qu’il y a ung chevalier de là la mer qui s’apelle le sire de Noielle, et est Poitevins, qui dist et maintient : que pour pluiseurs services qu’il fist au roy vostre père, on lui doit la somme de trente mille florins ; et l’en fu baillié en plesge la ville et chastellerie de Condom ; dont si comme il dist, il n’en pooit avoir nul paiement ; si s’en plaindy au roy de France, et monstra ses lettres, et fu remis en le chambre de parlement ; et là lui fu adjugié que vous estiés tenus en celle debte, et à rendre tous coulx et frais qui de ce se sont ensievy. Dont, pour exécuter ces explois, il eut commision générale à prendre et lever par tout en vostre terre de Gascongne, tant qu’il fust satisfiés de la somme dessus diste et des frais qui en sont. Et y establi le roy ung procureur, appelé maistre Remon, à le prière du chevalier ; et par la virtu de la procuracion, il vinrent à Condom, et se volrent mettre en saisine dudit chastel ; et eurent tant de parolles au chastelain, qu’ils se couroucèrent l’un à l’autre ; et tant y eust que le chastellain féry maistre Remon d’ung gros baston, si qu’il lui rompy le teste, présent le sire de Noïelle ; et prist le chevalier et mist en prison, en disant qu’il estoit moult oultrageux, qui tels explois osoit faire sur les héritages du roy d’Engleterre. S’a de ce eu le roy de France grant indignacion ; et dist que vostre terre par de là, pour ceste cause est confiquie, avec autres mesfais que vous ayez fais. Si y sont envoié ces grans seigneurs cy dessus nommés, qui font très grant guerre et si dure qu’ils ont jà pris Prudère, Sainte Basille et Saint Makaire. Et quant je me partis du pays il séoient devant Peme et devant Blayes. Si vous prient les seigneurs et bonnes villes du pays que vous les confortez hastivement, ou vous les porez perdre. »

CHAPITRE CVI.

Quant le roy d’Engleterre eut oy toutes les paroles du hérault, si fu moult pensieux ; et puis se tourna vers les barons de grant coer, et leur dist : « Vechy bien à conseillier. » — « En nom Dieu, dirent les pluiseurs, le conseil doit estre brief, car à ce convient entendre brief. » — « Vous dittes bon, dist le roi ; advisons qui yra pour furnir ceste besongne. » Dont dist messire Robert d’Artois : « Sire, je m’en chargeray, s’il vous plaist. » — « Certes, dist le roy, je vous en pensoie prier ; or vous pourvéez hastivement. » Depuis ne demoura gaires que messire Robert d’Artois se party d’Engleterre, acompaigniés de cinq cens armures de fer et quatre mille archiers. Si montèrent au havre de Hantosne bien pourvéus et ordonnés ; et singlèrent tant parmy l’eauwe qu’ils arivèrent au havre de Bordeaux. Dont toute la cité eut grant’joie ; et furent grandement confortés. Là estoient deux nobles chevaliers frères, messire Hélies de Pomiers et messire Jehan son frère, qui vinrent sur le sablon à l’encontre d’eulx, et tous les nobles de la ville, qui moult désiroient le secours. Dont issirent hors messire Robert et tous les autres, et s’en vinrent à piet à leurs hosteulx. Là se rafresquirent à grant joie par trois jours ; et puis prinrent conseil quel part ils yroient. S’eurent conseil qu’ils yroient droit à Peme, lever le siége s’ils pooient. Si s’ordonnèrent par matin, et sonnèrent leurs trompettes, et ordonnèrent leur aroy et leur pourvéance. Lors fist messire Robert, marissal de toute l’ost le conte de Suffort. Si chevaucèrent devers le chastel, à huit cents hommes d’armes, trois mille archiers à cheval et quatre mille hommes à piet. Ce fut environ l’Assencion, l’an mil trois cens trente sept.

CHAPITRE CVII.

Quant le conte de Fois, et tous les autres François qui là estoient devant le chastel, oyrent ces nouvelles, que Englès et Gascons venoient à pooir, ils furent tous esmaié ; et eulx qui ne se sentoient point fors assez pour attendre le fais, eurent advis qu’il partiroient de là, car ils estoient trop longs de leur grosse bataille qui estoit devant Blayes, et la rivière de Dourdonne estoit aussi entre eulx et leur ost. Si se délogèrent, et s’en alèrent devers Blayes ; et quant les Englès vinrent là, si les trouvèrent partis ; et entrèrent ou chastel leur ils furent rechus à grant joie et se rafresquirent la deux jours, et au tierch jour se partirent et alèrent devant Saint Makaire que les François tenoient, et y avoient mise grosse garnison et bien pourvéue de tout. Là mist messire Robert d’Artois le siége.

CHAPITRE CVIII.

En ce meisme temps et en celle année, ou mois de jung, trespassa le conte Willame de Haynnau, en l’ostel de Hollandes à Valenchiennes ; et fu entérés en l’église des Cordeliers. Après le trespas dudit conte, prist messire Willame son fil le possession de le conté de Haynnau, de Hollandes et de Zélandes. Si le rechurent les nobles du pays en amour, et ly firent hommage ; et madame de Valois, sa bonne mère, eut dévotion de ly mettre en religion en le maison de Fontenelles lez Valenchiennes.

CHAPITRE CIX.

Or revenons à monseigneur Robert d’Artois, qui quant il eut asségié le chastel de St-Makaire, il le fist assalir très durement d’ommes d’armes, d’engiens et d’autres abillemens de nuit et de jour ; ne il ne les laissoit reposer. Et ceulx dedens se deffendoient vaillamment. Or y eut ung jour ung si fier assault, que archiers ensonnièrent si durement ceulx dedens qu’il ne s’osoient apparoir aux deffenses. Si s’aprocèrent gens d’armes si près des murs qu’ils firent ung trau à ung lez, leur il avoit esté très fort battu d’engiens, qu’il entrèrent dedans. Et ainsi fu prinse la forteresse, mais se ne fu ce mie sans grant perte d’Englès. Là y eut pris dedens deux chevaliers et six escuiers ; et le remain des campaignons de deffense furent mis à mort ; à comunes, femmes et enfans, on ne fist riens, se non à leurs biens.

CHAPITRE CX.

Après ceste forteresse prinse comme oy avez, eurent advis qu’il en yroient devant Sembliach que tenoient bidaux et Genevois, lesquels estoient bien pourvéus et en volenté du deffendre, malgré les vilains de la ville. Là vinrent les Englès et l’aségèrent, mais bien virent qu’elle estoit forte et mal aisieuwe à avoir. Nonobstant, messire Robert jura qu’il ne s’en partiroit, ou il l’aroit ou moroit en la paine. Là se logèrent à l’environ ; et leur venoient pourvéances de Bordeaux assez par terre et par eauwe ; mais toudis estoit le siége de France devant Blayes dont il est temps de parler.

CHAPITRE CXI.

Ceux de Blayes mandoient souvent qu’ils fussent secouru, ou il ne se pooient tenir longhement, car famine les constraindoit fort ; et ceulx de Bordeaux meismes en avoient escript à monseigneur Robert d’Artois ; mais il tiroient que devant eulx peuissent avoir raquis les autres fors, comme il avoient commenchié. Si mandèrent à ceulx de Bordeaux qu’on les confortast ce que on puist, et en brief il seroient secourus. Or advint que les seigneurs de France qui estoient devant Blayes et qui bien savoient leur destrèce, advisèrent, par grant soutillité, comment ils les porroient decevoir. Et pout leur siége abrégier, si ordonnèrent une grant quantité de somiers chargiés de vitailles ; et en une matinée les fisrent venir par une montaigne devant la ville, affin que ceulx de dedens widaissent après, pour eulx avitaillier. Si ferent les François armer jusques à deux milles de leur ost, et les enbuscèrent en ung val. De ceste embusce estoient souverains le conte Dalphins d’Avergne et le mariscal de Mirepois avec leur route. Si firent de nuyt tout ce que ordonné fu ; et droit au point du jour les somiers furent tous arouté ; dont il en y avoit plus de deux cens. Si vinrent devant hommes, en habit de marchans, crier à ceulx dedens : « Seigneur, faciés bonne chière ; vechy vivres qui vous viennent de Miremont et de Bourdeaux. Apparilliés vous pour nous requeullir. » Quant ceulx de Blayes entendirent ces parolles, si furent lies ; et ne se doubtoient de le déchoite. Si s’armèrent vistement, et issirent de leur ville environ deux mille hommes ; et se mirent oultre les somiers sur les camps ; et les somiers aprocèrent, que jà en avoit entré en la ville dix ou douze ; et s’ensonnioient ceulx dedens aux somiers à le porte. À ce point vint le embusce grande et grosse, qui vint criant leur cry, à tous leurs banières. Et quant ceulx de Blayes les perchurent, si furent moult esbahis ; et se retrairent devers leur ville, et François après, abatant gens d’un costé et d’autre. Mais ceulx qui menoient les somiers, de peur que le porte ne se cloist, effondrèrent trois de leurs mulles tous chargiés desoubs la porte. Là eut si grant encombrier que ceux de dedens ne pooient issir ; et aussi n’en avoient il mie grant volonté ; mais rentroient en leurs maisons et prenoient le milleur de leurs choses, et les portoient sur l’eauwe en Géronde. Et là entroient fammes et enfans en nefs et en barques ; et ainsi s’en salvèrent plenté, entreus que les autres se combatoient. Adont fu estourmie le grant ost des François qui y vinrent. Et depuis ne durèrent gaires ceulx de dedens ; et furent tous mors ou pris, fors aucuns qui se salvèrent par le Géronde, qui vinrent à Bordeaux avec le marée, comme gens desconfits, qui recordèrent leur malaventure, dont Bordelois furent moult courouchiés. Si firent savoir ces nouvelles à messire Robert d’Artois qui estoit devant Sembliach.

CHAPITRE CXII.

Quant François eurent conquis la ville de Blayes et toute pillié de ce qu’il y trouvèrent, ils eurent conseil qu’il l’arderoient ; mais ce conseil fu brisiés ; et eurent aultre advis qu’ils le tenroient ; dont puis se repentirent. Se requerquèrent la ville à garder à deux bons chevaliers, messire Jehan Fouquère et messire Guillaume de Thiris. Si y mirent tel garnison qu’il appartenoit.

CHAPITRE CXIII.

Or vous dirons du siége de Sembliach, par quel manière elle fu prinse. Dedens celle ville avoit une capitaine que on appelloit Beghot de Vilaines, faitis escuier et bon compaignon, qui volentiers juoit aux dés, et par usaige estoit felles quant il perdoit. Les compaignons sodoiers juoient à lui et avoient souvent de son argent. Advint que ung jour il juoit à ung josne homme que on appelloit Simon Justin ; s’avoit celui ung frère appelle Climent ; et estoient ces deulx les plus rices de le ville et des milleurs amis. Débat s’esmut entre ce Simon et ce Beghot, pour leur jeu de dés, et tant qu’ils se desmentirent et saillirent en piés, leurs espées sachies ; et tant escarmurcèrent que le dit Beghot féry ce Simon sur le teste, si grant cop qu’il le tua. Adont monta le cry en la ville ; et la vindrent sodoiers, et ce Climent son frère accompaigniés de ses amis. Se volt son frère vengier ; mais il ne poet, car tous les sodoiers estoient avec Beghot. Se li convint la place vidier, ou il euist eu plus grant dommage. Depuis ce Beghot n’aloit point aval les rues, sans estre fort accompaigniés de cinquante ou de soixante compaignons, ou plus ; dont ce Climent et son linage avoient grant despit. Si parlementèrent ensamble. Et bien véoient qu’il n’en seroient point vengiés, fors par les Englès. Si commencèrent à traitier secrètement par devers monsseigneur Robert d’Artois, que il souffreroient que la ville fust prise, adfin que les sodoiers fussent tous mors, et ceulx de la ville fussent sauf. Et à ce traitié s’acorda messire Robert volentiers. Adont advint que denuyt ils esquiellèrent le ville sur ung lez, par accort. S’entrèrent ens, bien deux cents archiers, qui vinrent droite voie à le porte. Si en furent maistres, et l’ouvrirent avec l’ayde de Climent et des siens ; et ainsi fu la ville prinse, et tous les sodoiers mors. Et vint tout ce meschief par jeu de dés.

CHAPITRE CXIV.

Après la prinse de Sembliach, messire Robert d’Artois rafresquy luy et ses gens ; et la ville rechargie en bonne garde, si s’en party et s’en revint vers Bordeaux ; car la prise de Blayes lui anoioit moult. Et quant il fu la venu, il fist mettre sur l’eauwe toute artillerie et toute provision qu’il appartient sur mer, et puis, sur ung son, fist entrer toutes manières de gens ens, qui estoient taillié de combatre. Si se partirent du vespre, et furent devant mie nuit devant Blayes. S’estoient adont les flos de le mer si grant et si hault qu’il batoient aux murs ; et ne savoient rien de leur venue. Alors fist monseigeur Robert aprochier archiers et apointier esquielles, les trompettes sonner, et assailir vistement ; mais à l’eure n’y avoit sur les murs que ung pau de gens. Nonobstant, les deux chevaliers de dedens qui oyrent la noise, y acoururent et s’aquitèrent le plus léalment qu’ils peurent ; mais deffense ne leur valy, car elle estoit jà eschiellée en tant de lieux qu’elle fu prinse malgré les deffendans. Et crioient les Englès : « Ville gaignie ! » Et tuèrent et navrèrent moult du peuple. Adont se tirèrent les deux chevaliers en une église moult forte qu’il y avoit ; et s’y tinrent ung jour et une nuyt depuis la ville prinse, et lendemain se rendirent salve leurs vies et le leur. Mais si furent ils prisonniers à monseigneur Robert d’Artois qui ne leur fist mie toute loyalté.

CHAPITRE CXV.

Quand la ville de Blayes fu ainsi reprise, François qui estoient en Miremont furent moult courrouchiés. Messire Robert viseta la ville, pour veoir s’elle estoit à tenir ; et bien vit que oyl, mais qu’elle fust bien pourvéue et avitaillée. Si le fist bien pourvéir de ce qu’il appartenoit, et le fist bien raparillier de murs et de fossés ; et y fist revenir plenté de peuple qui partis s’en estoient. Et ainsi qu’il estoit séjournans à Blayes et que le conte d’Ermignac et le conte de Fois séoient devant Miremont, deux évesques, c’est assavoir celui de Santes et de Poitiers, alèrent traitier de l’un lez à l’autre, tant que unes trieuwes furent accordées de ung an à durer ; et parmy ce se defist le siége, et se tenoit chascun à ce qu’il avoit conquis. Et ainsi s’en ralèrent François en France et les Englès en Engleterre. Se recorda messire Robert d’Artois au roy Englès tout ce qui leur estoit advenu. Si fu rechus à grant joie ; et le tint le roy à léal chevalier et de bon conseil.

CHAPITRE CXVI.

Or revenons à la matière des Flamens. Vous avez bien oy ci dessus comment le roy leur avoit clos les pas de mer, ne qu’ils ne pooient avoir marchandises ; de quoy tout le pays estoit esmeus et esbahis. Et murmuroient loing et près ; et espécialment les bonnes villes disoient, qu’ils comparoient amèrement l’amour que le conte leur seigneur avoit si grande au roy de France ; car par lui estoient-ils en ce dangier à l’encontre du roy d’Engleterre. Si seroit mieulx le commun prouffit d’être bien des Englès que des François. « Vray est que des François nous viennent bleds, mais il convient avoir de quoy à achater et paier ; et muy de blé à denier dolent celui qui ne l’a. Mais d’Engleterre nous viennent laines et grans prouffis pour avoir les vivres, et tenir grans estas et vivre en joie ; et du pays de Haynnau nous venroit assez blés, nous à eux d’accord. » Ainsi de plus en plus s’esmurent fort, et espécialment à Gand. Si s’assembloient par places et carfours, et devisoient en moult de diverses manières ; et plainement disoient que ce ne se pooit longuement soustenir ; car s’un poy longuement ceste chose duroit, le peuple de Flandres yroit à perdicion.

CHAPITRE CXVII.

Or sceut le conte de Flandres que ses gens murmuroient sur luy. Si les appaisoit ce qu’il pooit, et leur disoit : « Mes bonnes gens, sachiés que ceste chose ne peut durer longuement ; car j’ay nouvelles souvent, et par mes amis, que les Englès sont en plus grant discort que vous n’estes ; car il ne pevent vendre leurs laines fors à vous, se ce n’est à leur trop grant dommage. Si vous appaisiés de ce noble pays de France, dont tant de biens habondent. » Ainsi les appaisoit et faisoit appaisier par aucuns de ses amis ; mais nientmains le peuple estoit si batus de celle disette, qu’il ne s’en pooit appaisier ; pourquoy ils s’esmouvoient de jour en jour plus que devant ; et si n’avoit si hardy d’eulx qui osast emprendre le fais, pour le cremeur du conte. Si demoura ainsi grant temps. Enfin s’asamblèrent par grant foules, et dirent que plus n’atenderoient. En ce temps avoit ung bourgeois à Gand, brasseur de miel, lequel par pluiseurs fois parloit bien sagement au gré de pluiseurs. Si l’appeloit-on Jacquemon d’Artevelle. Si reprinrent aucuns hommes ses parolles aux aultres ; et dirent qu’il estoit un très sages homs ; et dirent qu’il avoit dit que, s’il estoit oys et creus, il cuideroit en brief temps avoir remis Flandres en bon estat, et r’aroient tout leur gaignage, sans estre mal du roy de France ne du roy d’Engleterre. Ces parolles multeplièrent tant que li quars ou la moitié de le ville en fu infourmés. Lors se commencèrent à sassambler ; et tant que une feste, après disner, il se mirent ensamble plus de mille ; et appeloient l’un l’autre à leurs maisons, en disant : « Alons, alons oyr le bon conseil du saige homme. » Et vinrent à le maison du dit Jacquemon, qu’il trouvèrent appoiant à son huis. De si long qu’ils le perchurent, il lui firent grant révérence et honneurs, et dirent : « Chier seigneur, veulliés nous oyr. Nous venons à vous à conseil ; car on nous dist que les grans biens et sens de vous remettra le pays de Flandres en bon point. Si nous dittes comment, et vous ferez aumosne. » Lors s’avancha Jacques d’Artevelle, et dist : « Seigneurs compaignons, je suis natif et bourgois de ceste ville, si y ai le mien. Sachiés que de tout mon pooir je vous vorroie aidier et tout le pays ; et s’il estoit homme qui vosist en prendre le fais, je vorroie exposer mon corps et biens à estre dalez lui ; ou se vous aultres me voliés estre frère, amy et compagnon en toutes choses, pour demourer dalez my, nonobstant que je n’en suy mie dignes, je l’emprenderois volentiers. » Alors dirent-ils, tous d’un assens et d’une voix : « Nous vous prometons léalment à demourer dalez vous en toutes choses, et d’y aventurer corps et biens ; car nous savons bien que en toute le conté de Flandres n’y a homme, se non vous, qui soit digne de ce faire. » Adont quant Jacques se vit ainsy accuellis en l’amour du peuple, par plusieurs jours il fist grans consaulx et grandes assemblées de gens, en remonstrant qu’il tenissent le partie des Englès à l’encontre de ceulx de France, et que il savoit bien que le roy de France estoit si occupé en moult de manières qu’il n’avoit pooir ne loisir d’eulx faire mal ; et avec ce le roy d’Engleterre seroit joieux d’avoir leur amour ; et aussi seroit enfin celui de France. Et leur remonstroit qu’ils aroient Haynnau, Brabant, Hollandes et Zélandes avec eulx. Et tant les mena de parolles que toute la communalté et grant plenté de la bourgoisie se tirèrent avec luy, et abandonnèrent de tous poins leur seigneur, sans rien plus convertir, ne aler devers lui ; mais le compaignoient à si grant puissance que tous les jours dormoient en sa maison, buvoient et mangoient mille ou douze cens personnes ; et le compaignoient à aler par la ville, ou ailleurs leur bon lui sembloit.

CHAPITRE CXVIII.

Or advint que le conte de Flandres en sot à parler. Si le manda qu’il alast parler à luy en son hostel ; mais il y ala à si grant compaignie que le conte n’avoit pooir de résister encontre lui. Là présentement, le conte luy remonstra par pluiseurs points, qu’il volsist tenir la main à tenir le peuple en l’amour et pour le roy de France, comme celuy qui en avoit plus d’auctorité que nul aultre ; et lui offry pluiseurs biens à faire ; et entre deulx lui disoit parolles de soupeçon de manaces ; lequel Jaquemon n’avoit nulles doubtes de sa manace leur il estoit, et au surplus en son corage il amoit les Englès. Si respondy qu’il feroit ce qu’il avoit promis au commun, comme celui qui n’avoit point de peur ; et au plaisir de Dieu il en venist bien à chief. Et ainsi se party du conte.

CHAPITRE CXIX.

Nientmains le conte se conseilla à ses plus privés, comment il feroit de ceste besongne ; lequel avoit avec luy aucuns des bourgois de la ville qui avoient des grans amis et lingnages dedens la ville. Si lui conseilliérent de les laisser convenir, et ils le tueroient secrètement ou autrement. Et sur ce s’en misrent en paine par pluiseurs fois ; et firent pluiseurs agais sur ledit Jacquemon. Mais rien n’y valoit, car toute le communalté estoit pour luy, tant que on ne lui pooit mal faire, qu’il ne convenist estre puissant de combatre contre toute la ville et le Franc. Et le siévoient toute manière de gens huiseux, de banis et de toute malvaise vie qu’il requelloit ; et par espécial avoit toudis dalez luy cent ou deux cens armés, èsquels en y avoit vingt ou trente des plus outrageux de qui il faisoit sa bourle et qui savoient tous ses secrés. Dont quant il véoit aucun homme qu’il héoit ou de qui il se doubtoit, il faisoit ung signe, et tantost il estoit tués, que grand qu’il fust. Et pour ce il estoit si cremus, que nuls n’osoit parler contre sa volenté. Et avoit tous jours bon gait, de jour et de nuit, devant sa maison ; car il savoit bien qu’il estoit hays ; et en avoit vut les apparances ; dont il s’estoit bien gardés.

CHAPITRE CXX.

En ce temps pendant, fu le roy de France advertis que les Englès faisoient ung mandement, et avoient mis sus gens pour venir dechà l’eauwe, et par espécial devers Flandres. Si escripst au conte de Flandres qu’il y volsist pourvéir sur les frontières de la mer. Et sur ce le conte de Flandres envoia le sien frère bastar, qu’on appeloit messire Guy de Flandres, avec grant chevalerie et gens, tels que messire le Ducre de Hallvin, messire Jehan de Roddes, les deux frères de Bruquedent, messire Gille de le Triest et pluiseurs autres jusques au nombre de deux cens chevaliers et escuiers et bien quatre mille combatans ; lesquels se misrent en l’ille de Gagant, où la ville et toute l’ille leur obéissoit. Et sachiés qu’ils firent mains maulx et mainte destrousse sur les Englès. Et bien tenoient en crémeur toute la coste d’Engleterre, en monstrant qu’ils estoient bonne gent de guerre ; et tinrent grant temps le pays en grant subjeccion. Mais fortune est moult muable, comme il apparu ; car les Englès de ce s’eurent à parler ; dont il leur desplut moult. Si y pourvéyrent bien aventureusement, comme vous orez chi après ; mais avant parlerons de l’évesque de Nicolle qui en ala vers Paris.

CHAPITRE CXXI.

Tant esploita li évesque qu’il vint à Paris ; et y trouva le roi de France qui atendoit tous les jours des nouvelles, selon ce qu’il avoit entendu d’aucuns siens amis de l’Empire. Ly évesque entra en la chambre du roy ; si le salua, et tous les autres seigneurs qui là estoient ; et bailla ses lettres au roy, lequel les rechupt. Si brisa le signet de dessus ; et dedens avoit une grande lettre en parcemin à ung grant séel à keuwe. Le roy les regarda ung petit ; et puis les bailla à ung sien secrétaire et fist lire ; lesquelles lettres faisoient tele narracion :

CHAPITRE CXXII.

« Édouwart, par la grâce de Dieu, roy d’Engleterre et d’Irlande, à Phelippe de Valois, escripvon. Comme ainsi soit que, par le succession de nostre chier oncle monseigneur Charlon, roy de France, nous soions droit hiretier de l’hiretage et couronne de France, par plus prochain degré de lingnage que vous ne soyez, qui en possession de nostre hiretage vous estes mis, et le tenez de force, oultre nostre volenté, et ce nous vous avons, par pluiseurs fois remonstré, par si grant et si espécial amy comme le saint colliége de Romme, et par le conseil du noble empereur, chief de toutes juridicions ; auxquelles raisons n’avez volu entendre, mais vous estes tenus et tenez en vostre opinion fondée sur tort ; pour quoy nous vous signifions, que le nostre hiretage de France nous requérons, par le puissance de nous et des nostres ; et de ce jour en avant desfions vous et les vostres, de nous et des nostres ; et vous rendons foy et hommage que sans raison avons fait ; et nostre terre de Pontieu remettons avec nos aultres hiretages en la garde de Dieu, non en le vostre qui anemy et adversaire vous tenons. Donné en nostre palaix à Wesmoustier, présent nostre général conseil, le dix neuvième jour du mois d’octobre. »

CHAPITRE CXXIII.

Quant le roy eut oy lire les lettres, il se retourna devers l’évesque, et commença à sousrire, et dist : « Évesque, vous avez bien dit et fait vostre message. À ceste lettre ne convient point de responce ; si vous poez partir quant vous volez. » — « Sire, dist l’évesque, grant merchis ! » Dont prist congié et s’en ala à son hostel. Si se tint là toute jour. Quand vint au nuit, le roy lui envoia à son hostel ung sauf-conduit, pour retourner seurement parmy le royalme de France. Dont se party ; et s’en rala en Engleterre devers le roy et les barons, à qui il recorda comment il avoit furny son messaige. Si en eurent Englès grant joie.

CHAPITRE CXXIV.

Or fist le roy de France coppier ces desfiances, et les envoya en pluiseurs lieux par le royalme, affin que ses amis euissent advis là sus, et espécialement au conte de Haynnau son nepveu et au duc de Brabant. Et leur manda qu’ils n’euissent nulles aliances aux Englès ; et s’ils le faisoient, il leur arderoit leur pays. Et envoia tantost pourvéir et mettre garnisons sur les frontières de l’Empire, car il n’estoit point bien asseur des Almans. Et manda à ceulx de Tournay, de Lille, de Béthune, d’Arras, de Douay qu’ils fussent sur leur garde, et pourvéissent et fortifiassent leurs villes, et aussi qu’ils presissent garde aux crestaux et entour eulx. Et envoya le roy à Saint-Omer, à Calais, à Boulongne et par tout sur les frontières, et gens d’armes pour y garder ; et aussi envoia-il amont en Bretaigne en revenant jusques à Harfleur, et en le Rocelle, ralant tout autour jusques en Avignon et toute la rivière du Rosne. Et pour bien abrégier ce compte, il fist pouvéir à tous costés ; et en escripsy amiablement à ceulx de Cambray qu’ils lui fussent bon amy et bon voisin en tous cas, et il le seroit à eulx, se besoing en avoient pareillement. S’envoia Godemart du Fay à Tournay, et à Mortaigne monseigneur de Beaujeu ; et mist sur mer grant quantité de Jennevois ; et leur commanda qu’ils ardissent en Engleterre au plus tost qu’ils pooient. Et donna à son chier cousin, monseigneur Jaque de Bourbon la terre de Pontieu et toutes les appendances, en foy et en hommage à tenir de lui ; lequel en prist la possession, et y mena madamme sa femme demourer.

CHAPITRE CXXV.

Quant le roy de France eut ainsi ordonné et fait pourvéir sur chascune frontière par son royalme, si escripsi au conte de Flandres son cousin, comme aultre fois lui avoit escript : qu’il tenist ses gens à amour, par quoy Englès n’euissent nulles aliances à eulx. Et leur manda qu’il leur tenroit ouvers les pas de Tournay, de Béthune, de Saint-Omer et par toute la rivière de l’Escault, pour avoir bleds et pourvéances pour réconforter leur pays. Et leur fist-on remonstrer par les bonnes villes ; mais il ne leur souffist point, car ils amoient mieulx la marchandise d’Engleterre. Si ne les pooit-on rapaisier ; et ossy Jaquemon d’Artevelle ne si accordoit point.

CHAPITRE CXXVI.

Or vous diray comment le conte Derby et se route estoient sur mer pour venir vers Gagant. Si estoient mis au havre de Tamise ; et vinrent celle première marée jésir devant Gravesen, bien pourvéus de vaissiaux et abilliés d’artilleries. Et estoient de gent jusques au nombre de deux mille archiers et huit cens armures de fer. À le seconde marée ils vinrent devant Mergatte, et furent là le soir ; et ung poy après mie nuyt se désancrèrent, et tendirent leurs voilles à plain, car ils avoient vent à souhait, et singlèrent en mer toute jour. Si vinrent assez près de Gagant à heure de nonne. Ce fu le nuit Saint Martin en yver, l’an dessus dit.

CHAPITRE CXXVII.

Quant les Englès virent le ville de Gagant leur il tendoient à venir, si regardèrent qu’ils avoient le vent pour eulx ; et dirent que en nom de Saint George, ils approceroient. Dont se mirent en ordonnance et tirent sonner leurs trompettes. Si singlèrent fort vers la ville. Moult bien estoient veu des gaittes ; par quoy ceulx de dedans s’estoient armés et rengiet sur le diques. Et là firent les Flamens bien dix-huit nouveaux chevaliers. Si pooient estre au nombre de quatre mille hommes ; et y avoit de bons et appers bacheliers, ainsi que bien le monstrèrent. Là estoit messire Guy de Flandres, bon chevalier et seur, qui bien amonestoit à ses gens de bien faire. Sitost qu’ils vinrent l’un devant l’autre, il n’y eut rien parlementé ; mais noblement s’ordonnèrent l’un contre l’autre en criant leurs cris ; et firent tirer leurs archiers moult radement ; tant que ceulx qui les diques deffendoient furent durement mehaigniet à leur venir ; et convint, vosissent ou non, qu’ils reculaissent. Et prinrent les Englès terre, et se vinrent combattre main à main, d’espées, de haces et de glaves. Et là eut plusieurs belles bacheleries et appertises d’armes ; et moult souffisamment se combatoient Englès ; et certainement ossi faisoient les Flamens, et moult oultrageusement se deffendoient. Là, au prendre terre au dit havre de Gagant, fu la bataille dure et fierre ; et les Flamens qui là estoient s’i aquitèrent vaillamment ; mais tant se combatirent que les Englès obtinrent la place, et furent Flamens mis à cace. Si en y eut bien de deux à trois mille mors, qu’en la place qu’en la cache, que sur les rues que en ès maisons. Et là fu messire Guys le bastar de Flandres pris ; messire le Ducre de Halluin mors ; messire Jehan de Roddes, les deux frères de Bruquedent, messire Gille de le Triest, et pluiseurs autres, environ vingt-six chevaliers et escuiers, y furent mors en bon et vaillant convenant. Là fu la ville prise et pillie ; et tout l’avoir mis ès vaisseaux avec les prisonniers ; et puis y boutèrent le feu et l’ardirent toute. Après s’en retournèrent Englès, à tout leur gaingnage, nonobstant que ce ne fu point sans perdre de leurs gens. Si contèrent au roy leur aventure, qui moult en fut joyeux, pour la première qui leur estoit advenue. Adont fist le roy messire Guy de Flandres créanter sa foy et obligier prisonnier ; lequel le fist ; et par les promesses que les Englès lui firent en celle meisme année, il se tourna Englès, et devint homs au roy d’Engleterre par convoitise. Et sachiés que le conte de Flandres son frère en fu moult courouchiés.

CHAPITRE CXXVIII.

Après le desconfiture de Gagant, ces nouvelles espandues en moult de lieux et par espécial aval Flandres, eurent advis les consaulx des bonnes villes, par le conseil et ennort de Jaquemon d’Artevelle qu’il envoieroient douze bourgois des six milleurs villes de Flandres devers le roy d’Engleterre escuser de ceste besongne de Gagant ; et plus avant, s’il plaist le roy ariver en Flandres, il luy présenteront et ouvreront le pays pour passer, séjourner et prendre vivres, parmy paiant. Ces douze bourgois partirent bien infourmé, et vinrent en Engleterre. Si trouvèrent le roy à Eltem, lequel les rechupt assez honnourablement, car il pensoit bien qu’il vauroit mieulx de leur venue. Et contèrent au roy comment Jaques d’Artevelle et les plus espéciaux consaulx de Flandres se recommandoient à luy ; et se escusoient de le besongne et armée de Gagant ; que oncques ne s’i consentirent, ne ne fu ly accors des bonnes villes de Flandres, mais le fait du conte et du roy seullement. Que vous feroie-je long conte ? Si sagement parlèrent et remonstrèrent leurs besongnes, que ly roy leur dist : que dedens le jour du Noël prochain il seroit en Ampvers ; et là il admonestassent le conte, s’il pooient, pour savoir quel chose il voloit faire ; et se le conte n’i voloit estre, pour ce ne demourast qu’il n’y fussent ; et fussent ses bons amis, et il le seroit à eulx. Et parmy tant ils firent trieuvves entre eulx jusques au premier jour de jenvier. Ainsi furent d’acord et s’en partirent. Si raportèrent ces nouvelles par devers Jaques d’Artevelle et l’autre conseil de Flandres. Si en furent moult joieux, en espérant de venir à leur intention des marchandises. Le roy d’Engleterre ordonna de ses affaires, car moult désiroit d’aler oultre. Si s’apareilla luy et la roynne toute enchainte, messire Robert d’Artois, le conte Derby, le conte de Warvich, le conte de Panebroch, le conte de Zun-Folc, le conte d’Arondel, le conte de Kent, l’évesque de Nicolle, l’évesque de Durem, messire Renault de Gobehem, messire Rchart de Stanfort, messire Gautier de Maugny et plenté d’aultre noble chevalerie. Tous montèrent et eurent vent à souhait. S’arivèrent au havre d’Ampvers environ le Saint-Obert et Sainte-Luce. Et quant il fu là descendus, si le vinrent véoir gens et seigneurs de moult de lieux, et fu rechus moult grandement, et par espécial de ceulx qui tendoient à mieulx valoir de sa venue. Et en tant qu’il y séjourna, la roynne s’acoucha d’un bel fil qui en a nom Lyon, de là quel jésine à sa relevée eut moult grant feste. Si y fu le conte de Haynnau, frère à la roynne, messire Jehan de Haynnau son oncle que le roy amoit moult, et grant plenté de la chevalerie de Haynnau qui moult désiroient de véoir la roynne.

CHAPITRE CXXIX.

Entre ces choses, traita Jaquemon d’Artevelle devers le conte de Flandres, qu’il se volsist adviser, et aler avec son pays et le plus espécial conseil devers le roy d’Engleterre, et fesist tant qu’il fust bon amy à luy ; mais oncques le conte ne s’i volt accorder. Mais disoit que jà ne s’i alieroit pour faire guerre au roy de France son cousin, qui l’avoit remis en son pays. S’eut doubte que on ne lui fesist aler de force. Si se party de nuyt du pays de Flandres, et emmena la contesse Margaritte sa femme ; et s’en alèrent à Paris dalez le roy qui leur fist moult grant feste, et leur asséna leur ils prenderoient finances pour leur estat maintenir.

CHAPITRE CXXX.

Quant les Flamens virent que leur sire estoit ainsi partis de Flandres, ils prinrent conseil ensamble comment il se maintenroient. Et eurent accort, parmy le conseil Artevelle qui estoit plus favourable au roy d’Engleterre qu’à celui de France, qu’ils s’en yroient, bien accompaigniés des plus souffissans bourgois de Flandres, devers Ampvers, à savoir l’intention du roy ; et se montreroit le dit Artevelle lui soixantième des plus souffissans bourgois de Flandres. Moult liement furent rechus ; et tant eurent de traitié et de parolles ensamble que le roy leur rendy l’estaple des laines et les marchandises venans de son pays, qu’ils avoient jà perdues par trois ans, parmi tant qu’il pooit, lui et les siens, aler et venir en Flandres, armé ou ainsi qu’il lui plaisoit. Et de ce furent faites lettres. Encore requist le roy aux Flamens que avec luy volsissent guerroier le royalme et aler en Tournesis et en la chastellerie de Douay et de Lille pour ardoir. Mais les Flamens s’excusèrent adont, en disant qu’ils estoient si fort obligiés devers le roy de France, qu’il ne le pooient guerroier qu’ils ne fussent attains à une grande somme de florins, si grande que à paines en poroit tout le pays finer ; et lui prièrent que pour ceste fois s’en volsist déporter, jusques à une aultre fois qu’ils poroient avoir mieulx cause. Et le roy s’en tint content et leur donna grans dons et joiaux au partir. Ainsi se partirent Flamens et s’en ralèrent en Flandres ; et Artevelle s’en rala à Gant, qui souvent aloit à Ampvers devers le roy, et lui prometoit qu’il le feroit encore seigneur de Flandres. Et quoy que Flamens s’escusaissent, il lui prometoit qu’il lui feroit avoir cent mille hommes quant besoing lui seroit, pour ardoir auquel costé qu’il volroit. S’en avoit le roy grant joie, car il en atendoit grant confort.

CHAPITRE CXXXI.

Par ainsi estoit Artevelle bien amés du roy, et en Flandres cremus et doubtés ; car depuis que le conte fu partis, il régna comme sire, et tenoit grant estat et puissant. Si avoit plenté de sodoiers pour son corps garder ; et aussi avoit-il par toutes les bonnes villes sergans à ses gaiges qui faisoient ses commandemens ; et faisoit espier s’il y avoit nulluy, qui fust rebelles ne contraires à luy, ne qui murmuraissent contre ses fais. Et si tost qu’il en y avoit aucuns, il estoient bany ou tué, et espécialment chevaliers, escuiers, puissans bourgois et toutte puissant gens, puis qu’ils avoient point ne pau d’amour au conte et non à luy. Et en y eut moult de banis ; dont il leva la moitié des revenues, et l’autre moitié demouroit à leurs fammes et à enfans. Il faisoit lever les rentes, les tonlieux, les wingnaiges, les droitures, et toutes revenues que le conte devoit avoir et que à lui appartenoit, quel part que ce fust. Si les despendoit à sa volenté ; et donnoit où il lui plaisoit, sans compte rendre à nulluy. On ne treuve que nuls prinches ait pays si à sa voulenté que celui l’eut, le terme de neuf ans. Et quant argent lui faloit, on l’en créoit ; et croire l’en convenoit, car nuls n’osoit dire à l’encontre. Et quant il en demandoit à emprunter à aucun puissant bourgois sur ses paiemens, il n’estoit si grant qui refuser lui osast, si fort estoit-il fortunés pour ce temps.

CHAPITRE CXXXII.

Vous avez bien oy comment le roy de France avoit escript et mandé au conte de Haynnau et au duc de Brabant, que bien se gardaissent qu’ils ne presissent nulles aliances au roy d’Engleterre ; et s’ils le faisoient il les arderoit. Nonobstant ce, s’estoient il si enclins devers les Englès qu’ils estoient souvent aux parlemens du roy d’Engleterre, par espécial le duc, car jà estoit il convenanciés devers le roy. Mais le josne conte de Haynnau non ; car, où il en estoit requis, il disoit bien que jà ne guerrieroit le roy de France son oncle, s’il ne lui avoit avant mesfait devers luy. Or envoia le duc de Brabant ung sien chevalier, monseigneur Loys de Crenehem, sage homme et bien enlangagiet, pour lui escuser devers le roy de France. Et disoit le duc ainsi, par le bouce du dit chevalier : que nullement il ne voloit faire ne penser au desplaisir du roy de France ; mais le roy d’Engleterre estoit son cousin germain ; si ne lui pooit bonnement refuser son pays, pour aler, venir, passer et rapasser, parmy paiant les deniers. Ensi se détria ceste chose grant temps, et tant que le roy d’Engleterre assambla ung grant parlement en Ampvers ; et y furent le duc de Brabant, le duc de Guerles, le marquis de Jullers, le conte de Clèves, le conte de Salmes, le marquis de Brandebourch, le sire de Franquemont et messire Jehan de Haynnau. Moult honourablement les rechupt le roi d’Engleterre, et festia en moult de manières. Après ce les trait à conseil, et leur remonstra moult doucement toutes ses besongnes, et leur pria qu’ils fuissent conseilliés de luy faire response, car il estoit là venus pour parler à eulx, et sur leur fiance tout prest que d’aler avant en son fait. Adont se conseillièrent moult longhement, car la besongne estoit grande et fort leur pesoit ; et touttes voies ils rewardèrent adès le duc de Brabant qui n’en faisoit point bonne chière ; et il leur sambloit que c’estoit celui qui mieulx le devoit faire. Quant ils furent assez conseilliés, ils respondirent en disant : « Chier seigneur, quant nous venismes cy, nous y venismes plus pour vous véoir que pour autre chose ; si ne sumes point pourvéu ne avisé pour respondre sur les requestes que faistes nous avez. Si nous retrairons arière devers nos gens, et revenrons à vous à ung certain jour, quant vous plaira, et adont responderons à plain. » Quant le roy oy ce, il dist que bien lui plaisoit ; et toutes voies leur pria que ils s’esploitaissent d’estre conseilliés pour revenir tost vers luy, qui estoit à grans frais pour atendre leur response ; dont jamais ne se partiroit si l’aroit. Adont lui eurent en covent, à trois sepmaines après le Saint Jehan, du revenir sans faulte. Et là demoura le roy et la roynne en l’abbaie Saint-Michiel en Ampvers. Si estoit la damme nouvellement relevée de ce bel fil Lyon, qui puis fu duc de Clarence et mariés en Lombardie, si comme vous orez cy après[2]. Le conte Willame de Haynnau et Jehan de Beaumont aloient souvent véoir le roy et la roynne ; et les barons d’Engleterrre aloient souvent esbattre en Flandres et en Brabant, là où il estoient grandement festié, et pareillement en Haynnau.

CHAPITRE CXXXIII.

Vous avez bien oy dire aucunes fois que : on sault bien sy avant que on ne peut reculer ; et ossy : on s’oblige bien si fort que par honneur on ne s’en peut départir. À ces propos le duc de Brabant s’estoit si avant enconvenenchiés au roy d’Engleterre qu’il ne pooit reculler ; et aussy il y estoit moult tenus, car c’estoit son cousin germain. Or avoit adont en Brabant pluiseurs barons et chevaliers qui estoient plus enclins aux Englès que aux François ; et toutes voies les bonnes villes de Brabant volsissent bien que le roy d’Engleterre fust plus brief confortés ; mais le duc, qui estoit sages homs, ne se boutoit point voulentiers en guerre contre les Franchois, se n’estoit par grant délibéracion de conseil ; car il resongnoit les grans périls à quoy il pooit venir. Et bien disoit en son secret, que jà ne seroit Englès, se Haynnuiers et Flamens ne l’estoient aussi. Tant que de Flandres avoit beau commencement le roy d’avoir l’accord, car tous li communs estoit pour luy ; et aussi Artevelle les pressoit souvent, et remonstroit tant de belles raisons qu’ils estoient auques tout prest. Et en Haynnau par les bonnes villes estoit trop plus amés et recommandés le roy Englès que celui de France. Si voulsissent bien que li conte s’i fust aliés ; mais le conte disoit bien et sagement, que son bel oncle lui estoit plus prouchains, et le royalme de France plus voisins et amis ; et de ce le roy l’en savoit très bon gré.

CHAPITRE CXXXIV.

Or vint le jour que ces seigneurs d’Alemaigne dessus nommés furent consillié. Si renvoièrent, dedens le jour que en convent avoient, devers le roy Englès ; et lui mandèrent que ils estoient tout prest, eulx et leurs gens, mais qu’il fesist le duc Jehan de Brabant, qui froidement s’en apparilloit, mouvoir, lequel le devoit encores mieulx faire que eulx, quant si prochain lui estoit, ou aultrement ne se mouveroient. Et quant le roy Englès oy ces nouvelles, si fu plus pensieux que devant. Si se consilla à monseigneur Robert d’Artois et au conte Derby. Si lui conseillèrent que il mandast le duc de Brabant et lui remonstrast toutes ces besongnes. Adont fu mandés ; si y ala. Et quant il fu là venus, le roy lui remonstra le mandement des Almans, et que tout estoit en lui d’avoir son ayuwe ou non ; pour quoy il lui prioit que par lui ses fais ne fust ariérés, considéré ce que en convent lui avoit, et qu’il y estoit tenus par lingnage. Adont dist le duc qu’il s’en conseilleroît ; et quant conseillié fu, il dist au roy : « Sire, je n’ay mie conseil que, ainchois que je vous en aye plus avant en convent, je feray ainchois reparler à ces seigneurs d’Alemaigne ; et adont je vous feray response finable. » Quant le roy vit qu’il n’en pooit aultre avoir, si lui accorda ; et fist mandement et prière à eulx qu’ils volsissent estre au jour Nostre Damme my aoust à Diest, à l’encontre de lui et du duc de Brabant. Adont retournèrent messagier par de là ; et fu ce parlement assis à Diest, à ce jour Nostre Damme, l’an mil trois cent trente huit.

CHAPITRE CXXXV.

Quant tous ces seigneurs furent assamblés, ils conseillièrent longhement ; car la besongne leur touchoit durement. Quant ils furent tous conseilliés, ils dirent au roy tout d’un accort : « Chier seigneur, vostre besongne nous est moult pesans ; car nous ne véons mie que nous aions nulle cause de desfier le roy de France pour vostre cause, se vous ne pourcachiez ainchois l’acord de l’empereur qui le nous commande de par luy ; et il ara bien cause et raison du faire. Si vous dirons comment. Vray est que le roy de France, quiconques le soit, a juré et sajellé qu’il ne peut ne doit tenir ne acquerre riens sur l’Empire ; et ce roy Phelippe qui ores règne a fait le contraire, car il a acquis le chastel de Criève-Coer et celui d’Arleux en Paluiel, et pluiseurs hiretages en Cambrésis, que faire ne doit. Pourquoy l’empereur, mais qu’il en soit infourmés, a cause de lui desfier, et le faire par nous faire qui sumes ses subgès. Si vous prions que vous pourcachiés, adfin que vous aiez son acort, pour vostre honneur et le nostre ; et nous aussi y metterons paine à nostre pooir. » Et quant le roy Englès oy ces responses, si fu tous confus ; car adont il cuidoit avoir responsce finable, et il vit que c’estoit grans alongemens, dont moult lui annuyoit s’il l’euist peu amender. Si leur dist : « Certes, seigneurs, se plus tost on m’euist ceste raison monstrée, je m’en fuisse de piéchà avanchiés. Et je vous prie que vous m’y aidiés à conseiller, qui véez que je sui de chà la mer en estraingne pays, et si ay longhement séjourné à grans frais et n’ay riens fait. » Dont ils furent tous d’acord que, pour esploitier ceste besoingne, le marquis de Jullers yroit parler à l’empereur, et y menroit des chevaliers et des clers le roy d’Engleterre, et du conseil le duc de Gherles ; et feroient la besongne au mieulx qu’ils poroient. Si se mirent au chemin le plus hastivement qu’ils peurent. Adont présenta le duc de Brabant au roy d’Engleterre le chastel de Louvaing, pour lui et la roynne demourer ens, tout l’iver ensieuwant, se tant estoit ou pays.

CHAPITRE CXXXVI.

Or s’en alèrent le marquis de Jullers et les autres seigneurs devers l’empereur qu’il trouvèrent à Norenberch. Là lui contèrent tout ce pour quoy il estoient là venus ; et l’empereur qui moult estoit amy au roy Englès les rechupt à grant joie et leur accorda toutes leurs requestes, et les retint da-lez lui grant terme. Et entreus manda-il ses esliseurs de l’Empire et ses plus haulx barons : tel que le duc de Sasongne, le marquis de Brandebourch, le marquis de Misse et d’Eurient, l’arcévesque de Coulongne, l’arcévesque de Trièves, l’arcévesque de Maïence. Encore manda-il le duc de Guerles et le duc de Brabant, lesquels s’escusèrent par le sire de Cuk qui y ala.

CHAPITRE CXXXVII.

En l’an dessus dit (1338), le samedi devant le Nostre-Dame en septembre, comme empereur de Romme, Loys de Baivière, en cel jour assis en Convelence en siége impérial, sur ung escafaut de douze piés de hault, vestis de drap de soie cangant, par dessus ses draps d’un daumatique, en ses bras phanous, et estolle devant croisie, à manière de prestre, tout estoffé des armes de l’Empire ; et avoit ses piés d’otel drap comme le corps ; et avoit son chief atourné de mitre réonde ; et sur celle mitre il avoit couronné d’or moult riche ; en ses mains avoit deux blancs wans de soie, et en ses dois aneaux moult riches. Si tenoit en sa main destre une pomme d’or, une crois vermeille dessus. En l’autre main tenoit-il le septre. Da-lez l’empereur, à destre, séoit les marquis de Misse, auquel l’empereur bailla à tenir la pomme d’or ; et assez près séoit le roy d’Engleterre vestis d’un drap vermeil d’esquerlatte, à ung chastel de broudure en la poitrine ; et au senestre de l’empereur séoit le marquis de Jullers, à qui l’empereur bailla à tenir le septre ; et environ deux degrés plus bas de l’empereur séoient li esliseur, et deseur de l’empereur séoit le sire de Cuk, ou lieu du duc de Brabant, en présence de tous, en sa main une espée toute nue.

CHAPITRE CXXXVIII.

Donc parla l’empereur ensi : « Je demande à vous se ung roy d’Alemaingne esleus et promeus à empereur, peut amenistrer aucuns des biens de l’Empire sans la confirmacion du pappe. » Ce jugement fu tournés sur l’arcévesque de Coulongne. Lui conseillié de ses pers dist par jugement, que oyl. La seconde demande fu : « Se ung fievé d’Alemaingne fourfaisoit en l’Empire en amenrissant l’Empire, à quelle amende il doit estre. » Ce jugement fu tournés sur le duc de Sasongne. Lui conseillié respondi, que celui estoit en le volenté de l’empereur de corps et d’avoir. Le tierce demande si fu que : « Se robeurs estoient sur chemins d’Alemaingne, à quelle amende et à quelle penance il doivent estre. » Ce jugement fu tournés sur l’arcévesque de Trièves. Lui conseillié dist, qu’ils estoient à le volenté de l’empereur, de corps et d’avoir, et tous ceulx qui les soustenoient. Le quarte demande : « Comment tous ceulx qui tenoient de l’Empire le devoient servir. » Ce jugement fu tournés sur l’arcévesque de Maïence. Lui conseilliet de ses pers dist, que tous les hommes de l’Empire doivent servir l’empereur de leur corps et de leurs biens, et doivent aler partout où l’empereur les vorra mener, ou ses lieux-tenans, pour les drois de l’Empire garder. Et le quinte demande fu : « Comment le tenable de l’Empire doivent desfier l’un l’autre en cas de guerre. » Ce jugement fu tournés sur le marquis de Brandebourc. Lui conseillié dist, que celui qui desfie ne peut ne doit porter dommage au desfié dedens trois jours, et où il feroit du contraire, il doit estre deshonourés et mis hors de toutes lois.

CHAPITRE CXXXIX.

Après ces choses ainsi faites tantost l’empereur dist, oyant tous : « J’ay esté couronnés roy d’Alemaingne grant temps, et à empereur, comme vous savés ; et croy que je n’ay sur nulles de mes gens mespris, ne envers sainte Église, ne ses ministres ; et se nuls pooit faire apparoir que fait l’euisse, je le volroie rendre jusques raison. Si vous dy que je me sui aloiés avec pluiseurs prélas et barons d’Alemaingne au roy d’Engleterre qui cy est, et l’ay fait pour le mieulx faire que laissier. Et cy, en vostre présence, je fay et establi le roy d’Engleterre mon vicaire et lieutenant, partout et en toutes causes. Si veul que tous tenans voisent, aydent et confortent ce roy comme vicaire, partout où mener les voira. »

CHAPITRE CXL.

Après ces jugemens ainsi fais, l’empereur appella tabellions publiques, et leur commanda à faire instrumens, et que toutes ces choses fussent mises ès drois des empereurs, tenues fermes et estables en temps advenir. Et aussi lui donna puissance imperéal de forgier parmi l’Empire toutes manières de florins et aultres monnoies ; et commenda à tous subgets qu’ils y obéysent comme à son propre corps, et que tous fuissent apparilliés à sa semonse sans delay, de desfier le roy de France. Et fist de ce certains procureurs et commissaires, pour renouveller le roy d’Engleterre tous estas, et lui y assir en siége impérial. De quoy le duc de Guerles, que paravant on appeloit conte, fu nommés et fais duc, et le conte de Jullers, qui paravant estoit nommés marquis. Ainsi ces choses faictes, prinrent congiet ; et en rala chascun en son lieu ; et le roy d’Engleterre revint en Brabant.

CHAPITRE CXLI.

Vous avez bien oy conter comment le roy de, France mist sur mer grans garnisons de Genevois et Normans pour grever les Englès. À ung jour vinrent devant Douvres. Avint que ces escumeurs vinrent à ung dimence, bien vingt mille, devant Hantosne, à heure de messe que les gens estoient au moustier ; et prinrent le marée si à point qu’ils entrèrent au hâvre, et furent maîtres de le ville et des gens. Si les prinrent, roubèrent, et tuèrent plenté de peuple, fammes et enfans, et querquèrent leurs vaisseaux de tout l’avoir. Si envoièrent ardoir, par aucuns de leurs coureurs, aucuns vilages à l’entour ; de quoy le pays fu moult effraés et esmeus ; et en vinrent les nouvelles jusques à Londres. Lors s’armèrent moult de gent à cheval et à pié au plus tost qu’ils peurent ; mais ils trouvèrent que les François estoient tous retrais, et qu’ils avoient la ville toutte arse et gastée ; dont ils furent moult courrouchiés, et le roy de France joieux ; et dist que Barbe-naire avoit bien commenchié sur les Englès.

CHAPITRE CXLII.

Or estoit le roy d’Engleterre revenus en Ampvers. Si vint messire Gautier de Maugny devant le roy ; et prist congié de luy, et aucuns compaignons, d’aler faire aucune appertise. Il eut congiet, et prist environ soixante compaignons bien montés à cheval ; secrètement passa parmy Brabant et Haynnau ; et vint à ung soir ens ès bos de Blaton dalez Condet. Encore ne savoit personne de sa routte quel part il voloit traire ; et là s’en descouvry, et leur dist qu’il avoit entente d’aler ébastre devant Mortaigne. Adont rechainglèrent leurs chevaulx et se mirent tout à point, et chevaucèrent tout souef ; et à la journée vinrent si à point devant Mortaigne qu’ils trouvèrent le wiquet de la porte ouvert. Si rompirent le flaiel et en furent maistre. Et chevaucèrent vers le chastel et le grosse tour, mais ils le trouvèrent fremé ; se n’y peurent entrer. Le gaitte du chastel oy le friente ; si sonna sa buisine et cria : « Tray ! tray ! » Dont s’estourmirent ceulx de laiens et crièrent ; « Alarme ! » Et quant messire Gautier de Maugny vit qu’il avoit faly d’entrer ou fort, et que les sodoiers s’abilloient, adfin qu’il parust qu’il y avoit esté, et que une autre fois wardaissent mieulx leur porte, il fist bouter le feu en la grant rue, qui porta à ceulx de dedens grant contraire et dommage ; puis s’en revint arière repasser à le Hayne ; et chevaucha en Cambrésis leur ils ne s’i doubtoient rien. Si supposoit l’évesque que le roy de France feroit le premier fait ; si n’estoit de rien effraés. Or chevauchoit le seigneur de Maugny, à l’entente que pour faire aucune envaye ; car il savoit bien que le pays de Cambrésis seroit annemy à eulx. Touttes fois il s’avisa qu’il feroit desfier l’évesque, adfin qu’il ne fust reprochiés de villenie. De laquelle chose l’évesque ne fist mie grant conte, car il ne cuidoit point qu’il fust si près de lui ; puis chevaucha le sieur de Maugny à couverte deseur Valenchiennes, et passa d’encoste Boucain, sans mot dire. Si passa l’Escault bien matin, et vint si à point devant le chastel de Thun, que d’aventure il vint sur le pont et waigna le porte ; s’entra au chastel, et prist le chastelain dedens. Si saisy le forteresse et y mist compaignons pour le garder, et en fist souverain messire Willame de Maugny que on dist Grignart, qui puis porta maint contraire à ceulx de Cambray, car le chastel est à une lieuwe près. Après ce se retourna en Brabant devers son roy. Si lui conta ses aventures de Mortaigne et du chastel de Thun, dont l’évesque estoit moult courrouchiés ; lequel le manda au roy de France pour y remédier, qui fu moult courouchiés de cele male aventure.

CHAPITRE CXLIII.

Or dirons du roy David d’Escoce et de son conseil, sur lequel pays avoit raquis le roy Englès pluiseurs villes et fors et fait moult de dommage. Si s’avisèrent que le roy Englès avoit le guerre au roy de France. Si pensèrent qu’il yroient en France et qu’il s’alieroient à luy pour mieulx guerrier les Englès. Si montèrent sur l’eauwe, le roy d’Escoce, le conte de Mouret, messire Willame de Douglas, messire Robert de Versy et plusieurs seigneurs. Si s’en vinrent à l’Escluse en Flandres, mais point ne se nommèrent ; ains disoient qu’ils estoient pélerins de Saint-Jacque, et marchans de Vorneghe, et ainsi passèrent. Quant ils furent rafresquit, ils remontèrent pour venir à Boulogne ou à Calais, puis montèrent à cheval, et esploitèrent tant qu’ils vinrent à Paris. Là trouvèrent le roy de France et grant plenté de barons qui là estoient à ung parlement. Dont fu le roy Phelippe lies quant il vit le roy d’Escoce, et lui fist moult grant feste. Après ce, ils parlementèrent ensamble, et en peu de temps furent moult accointé l’ung de l’autre. Si lui vint bien à point, quant il vit qu’il avoit l’ayde des Escos pour guerroier vers Engleterre ; car il pensoit bien que le roy Englès enterroit temprenant par aucuns lez en son royalme, et qu’il avoit grant aliance en l’Empire. Et là, présent ducs et contes, furent si d’accors les deux roys, que le roy de France délivra au roy d’Escoce or et argent et forteresses sur marches ; et parmy tant eut le roy d’Escoce en convent, que nulles paix ne trieuwes ne prenderoit au roy d’Engleterre, sans le gré du roy de France ; et le retint le roy de France à ses draps et son compaignon. Et ainsi fist la roynne de France la roynne d’Escoce, qui estoit seur germaine au roy d’Engleterre ; et leur fist le roy délivrer tout ce que besoing leur estoit. Dont fu renvoiés messire Robert de Versy en Escoce, qui reporta les aliances des deux roys. Dont les seigneurs et tout le pays fu moult lies. Dont recommencèrent plus fort que devant à faire guerre aux Englès. Et quant le roy Englès sceut tout ce, si renvoia l’évesque de Durem, le seigneur de Lussy et le seigneur de Moubray, et leur querqua qu’il desissent au conte de Salseberich, au seigneur de Persy, au seigneur de Neufville, au seigneur de Griscoppe, et à messire Édouwart de Bailleul, capitaine de Ewruich, que ils entendissent songneusement à garder les frontières contre les Escos et le pays conquis. Ces seigneurs furent en Engleterre, et firent leur message comme le roy l’avoit chargié. Or revenons au roy Englès et aux parlemens de Brabant.

CHAPITRE CXLIV.

Quant le roy d’Engleterre et les autres seigneurs à lui aliés furent revenus du parlement l’empereur, le roy se traist à Louvaing au chastel, et y fist venir la roynne et tout son hostel ; et ung peu après, par l’accort de tous ces seigneurs, fu accordés ung parlement à estre le roy d’Engleterre et tous les autres seigneurs dessus nommés à Horles en la conté de Los ; car le duc de Brabant ne volt oncques consentir qu’il se fesist en son pays. Si fu assis à estre le jour Saint-Martin. Sachiés que le roy Englès avoit grant désir de avanchier son fait, et endura moult de paine et de dangier du duc et d’aultres. À ce jour Saint-Martin furent tous là, comme en convent l’avoient ; et y eut ce jour là tant de seigneurs, chevaliers et escuiers, que ce fu merveilles. Et d’une grande vielle halle de la ville fist-on chambre du roy, tendu de draps ; et y fu le roy, le couronne sur le teste, plus hault ung piet que ceulx des autres, sur l’estal d’un bouchier. Moult estoit la place mal honneste. Là, présent tous les seigneurs et le peuple, furent luttes les lettres de l’empereur, par lesquelles il constituoit le roy d’Engleterre son vicaire et tous les autres articles devant dis. Quant les lettres furent luttes, chascun lui fist féalté ; et ainchois qu’il se partist, eurent advis et conseil l’un à l’autre, là où ils se trairoient à l’esté pour guerroier. Si fu accordés que on yroit à Cambray qui estoit cité à l’empereur ; s’estoit rebelle et estoit favourable au roy de France. Or prinrent congiet l’un à l’autre. Si s’en revint le roy à Louvaing dalez la roynne sa femme ; et là se tint tout l’iver à grans frais, et se faisoit appeler Vicaire de l’empereur.

CHAPITRE CXLV.

Or manda au conte de Haynnau que ses pays lui fust ouvers et apparilliés pour recepvoir luy et ses gens. Le conte, qui bien voloit obéir à l’empereur, si avant que tenus y estoit, et pour garder son honneur par devers le roy de France, respondy qu’il en aroit advis. Si fist, à Mons en Haynnau, estre un grant parlement des barons et chevaliers de son pays. Si fu trouvé qu’il ne pooit contredire à l’empereur ne à son vicaire qu’il ne mesfesist ; et d’accort fu rapporté devers le roy, qu’il trouveroit monseigneur le conte et le pays apparilliés. S’en fu le roy moult joieux.

CHAPITRE CXLVI.

Vous avez oy cy devant comment messire Wautier de Maugny prist Thun l’Évesque, et mist en garnison monseigneur Gringnart son frère et Jehan et Tiery ses aultres frères ; car le roy Englès lui avoit donné le chastel et les appendances, comme vicaire à l’empereur. Lequel messire Gringnart travilla fort ceulx de Cambray, car il estoit tous les jours près devant les portes, et les tenoit en tel discort qu’ils ne pooient issir, fors à grant péril. Or avint ung jour qu’il leur avoit fait une coursée à leurs bailles ; la ville s’esmut ; si s’armèrent plusieurs sodoyers François et aultres ; si mirent en cace leurs ennemis. Et quant messire Gringnart percupt qu’ils sievoient, il se retourna vistement et fist les siens retourner au férir des espourons. Là avoit ung cannone, qui s’apelloit Guillaume Marchant, et estoit Gascons, cousin à l’évesque de Cambray, moult appert. Celui chevauçoit devant, moult radement, et asséna monseigneur Guillame tellement qu’il luy fendy la targe et rompy les plattes. Si lui mist le fer en la poitrine tout parmy le corps, tant qu’il l’abaty navré à mort. Et quant ceulx de Thun virent leur capitaine en tel point, si furent moult courouchiés. Si s’arestèrent et le requellirent, et portèrent en leur fort ; mais moult durement reboutèrent ceulx de Cambray en leur ville. Moult en fu le roy d’Engleterre courouchiés, et aussi fu le sire de Maugny. Ces nouvelles oyes, sy y envoia ung aultre chevalier Englès à capitaine, nommé messire Richart de Limosin qui fu moult vaillant, comme vous orez cy après.

CHAPITRE CXLVII.

Or estoit que le roy d’Engleterre désiroit moult que le saison fust venue de chevauchier, et souvent parloit au duc de Brabant son cousin et au duc de Guerles, au duc de Jullers, à monseigneur Jehan de Haynnau. Or vint li estés que temps fu de mettre ses gens sus et faire son mandement. Si se party le roy de Louvaing entre lui et ses Englès qui estoient rapassé. Si vint à Vilworde ; et là se loga et assambla ses gens, tant qu’ils furent environ seize cents armures de fer et bien huit mille archiers. Lors manda-il estroitement à ces seigneurs d’Allemaigne qu’ils venissent aval ; et ils remandèrent qu’ils estoient tous prests, mais que le duc du Brabant se meuist. Encore détria le duc de partir juques à l’entrée de septembre ; et avoit encore envoié en France devers le roy pour luy escuser ; car il véist voulentiers que entre ces deux rois aucun bon traitié se fesist, ainçois que guerre ne mortalité en venist. Et bien disoit-il que se le conte de Haynnau vesquist, encore qu’il les eusist mis d’acort. Or envis s’en melloit et envis le laissoit ; mais jà s’estoit-il si avant obligés, que par honneur il ne pooit reculer. Toutes voies, tout en détriant se faisoit-il son mandement.

CHAPITRE CXLVIII.

Le roy de France savoit l’intention du roy Englès qui entendoit à aler devant Cambray. Si envoya pourvéance et gens d’armes pour garder la ville. Premiers monseigneur Loys de Savoie, monseigneur le Galois de la Bame, le seigneur de Groullée, le seigneur de Beaujeu, monseigneur Mille de Noiers, le seigneur de Saint-Venant, le seigneur d’Aubigny, le seigneur de Roye, et aultre chevalerie, et grant foison de Genevois. Et firent ces seigneurs enterrer trois portes, les mains nécessaires à la ville. Encore envoia le roy de France au Chastel en Cambrésis monseigneur Thiebault de Moreul, le mariscal de Mirepois et le seigneur de Raineval. Et fist le roy bien garnir Bohaing, le Malle-Maison et Criève-Coer ; puis fist son mandement partout le royalme, à estre à Péronne en Vermandois, à Compiègne et à Arras. Or parlerons du roy d’Engleterre qui se party de Vilworde, pour monstrer le chemin à tous ceulx qui siévir le voloient.

CHAPITRE CXLIX.

Le roy d’Engleterre se party de Vilworde et ala à Brouxelles parler au duc, qui lui eut en convent que, si tost qu’il seroit à siége, qu’il yroit. Dont se party le roy, et ses gens passèrent au dehors. Et sachiés que Almans venoient bien jusques à vingt mille bien armés, ès routtes du duc de Gherles, du duc de Jullers, du marquis de Misse, du marquis de Brandebourch, le conte des Mons, le conte de Salmes, le seigneur de Franquemont, messire Ernoult de Blanquenhem ; et d’aultre part messire Jean de Haynnau et son cousin le conte qui faisoit son mandement à Valenchiennes. Or s’en vint le roy parmy Nivelles, et puis à Mons en Haynnau ; et toudis passoient gens. Puis vint à Valenchiennes lui douzième de chevaliers seullement et là le rechupt le conte moult honnourablement. Et sur les degrés de la Salle de Valenchiennes, l’évesque de Nicolle requist et commanda à l’évesque de Cambray par parolles, car point n’estoit là, et dit : « Willame d’Ausone, évesque de Cambray, nous vous admonnestons, de par l’empereur de Romme, que le roy d’Engleterre vous veulliés recepvoir en la cité de Cambray ou autrement vous vous fourfaites. » Encore admonnesta-il le conte de Haynnau que il alast servir le roy comme il devoit ; et il dist que il feroit ce qu’il devoit. Dont soupèrent à grand’joie.

CHAPITRE CL.

Lendemain au matin le roy se party et vint à Haspre ; et là fu deux jours, attendant touttes ses routtes, dont il y avoit foison. Si entendez que tous ces seigneurs d’Alemaigne avoient fait le roy de France desfier, horsmi le duc de Brabant et le comte de Haynnau ; car le comte disoit qu’il serviroit le roy Englès à cinq cens armures, tant qu’il seroit en l’Empire, et non plus, si qu’il l’entendoit.

CHAPITRE CLI.

Quant le roy Englès eut esté à Haspre et environ Avesnes à touttes ses gens, si se party ; et s’en vint devant Cambray, et assiega la cité de tous costés ; et toujours lui venoient gens. Là vint le conte de Haynnau en grant aroy, et messire Jehan son oncle. Après, le duc de Gherles et tous ces aultres seigneurs et prinches. Au sixième jour vint le duc de Brabant, qui avoit en se routte bien huit cens armures de fer. Ceulx se logèrent devers Ostrevant sur l’Escault ; et y fist-on ung pont pour passer de l’un ost à l’autre. Lors quant le duc de Brabant fu venu, il envoya desfier le roy de France qui se tenoit à Péronne. De quoy messire Loys de Cranehem, qui toudis l’avoit escusé par avant, en eut si grant deul qu’il en morut, si comme on dist. Ce siége durant devant Cambray, y eut plusieurs assaulx et escarmuces, et parlementé.

CHAPITRE CLII.

Or chevaucèrent ensemble, comme il avoient d’usaige, messire Jehan de Haynnau, messire de Franquemont et messire de Maugny et leur route parmy Cambrésis, ardant et essillant le pays, assaillant les forteresses ; et par espécial vinrent devant Oisy en Cambrésis. Là y livrèrent ung grant assault ; mais si bien fu deffendus par les gens le seigneur de Couchy qui dedens estoient, qu’ils n’y gaingnèrent c’un pau, mais y perdirent assez de bonne gent ; car on ne peut assalir et retraire sans perte.

CHAPITRE CLIII.

Par ung samedy bien matin vint le conte de Haynnau, bien acompaigniés de Haynnuiers, à le porte de Saint-Quentin, et y livra ung assault. Et là estoit Jehan de Candos, qui puis fu chevalier ; lequel y fist grans appertises, car il se jetta entre les barières à le porte, au sault d’une lance. Et conquirent les Haynnuiers les bailles. Là estoit le conte de Haynnau, le sénescal de Haynnau, le seigneur de Lingne, et plusieurs autres bons chevaliers qui y firent de grans fais d’armes. Et ceulx de dedens pareillement se deffendoient moult vaillamment ; et monstroient bien qu’ils estoient hommes du mestier d’armes. Et à celle heure faisoient assault d’aultre part à le porte, Robert le sire de Beaumont, le sire d’Engien et le sire de Franquemont, messire Ernoult de Blanquenhem et messire Gautier de Maugny qui y firent moult dur assault. Et moult y eut de mors et de navrés dedens et dehors. Entrues vint le conte Raoul d’Eu, à deux mille armures de fer, qui fort rafresquy ceulx de dedens. Et dura cel assault du matin jusques à la nuyt ; puis se retrayrent.

CHAPITRE CLIV.

Je ne vous porroie raconter tous les assaulx et escarmuces qui furent fais devant Cambray et à l’entour, car tout le pays fu ars et gastés. Là vint le josne conte Willame de Namur servir le conte de Haynnau, à deux cens lances ; mais bien disoit que jà sur le royalme de France ne mesferoit. Aussi n’estoit point l’intencion du conte de Haynnau, que nuls de par lui entrast sur le royalme. Encore s’envoia-il adont excuser devers le roy, par monseigneur Henry d’Antoing et par monseigneur de Faigneules. Lequel roy prist l’escusance à bon gré. Entrues que le roy Englès séoit devant Cambray à plus de quarante mille hommes bien armés, le roy de France assambloit à Péronne ses gens d’armes pour deffendre son pays ; car il savoit bien que les Englès voloient enploier leur passage et aler plus avant comme vous orez.

CHAPITRE CLV.

Or eut le roy Englès conseil de ses plus fiables qu’il perdoit là son temps, car Cambray estoit trop forte et bien deffendue. S’eut conseil de deslogier et de mener son ost plus avant. Si se deslogèrent ses gens, et chevaucèrent devers le mont Saint-Martin, pour entrer en France. Si s’aroutèrent tous carois et pourvéances ; et les conduisoit le conte de Norhantonne et le conte de Sulfort. Si passèrent Englès, Alemans et Brabançons l’Escaut, et entrèrent ou royalme.

CHAPITRE CLVI.

Quant le conte de Haynnau eut conduit le roy Englès jusques au département de l’Empire, dont dist le conte au roy : « Sire, tant que à celle fois je ne chevauceray plus avant avec vous ; car je sui priés et mandés de mon oncle le roy, se l’iray servir en son royalme, comme je vous ai servy en l’Empire. » Et le roy dist : « Beau sire, Dieux y ait part ! » Dont se party le conte de Haynnau et toute sa routte, et le conte de Namur, et s’en revint au Quesnoit. Là donna le conte congié au conte de Namur et à plenté de ses gens ; mais il leur pria au partir qu’ils se tenissent prest et pourvéu, car en brief temps il voloit aler devers le roy de France son oncle ; et ils lui promirent d’estre tous prests. Or fu passés le roy Englès en France oultre l’Escault. Si appella Henry de Flandres, qui adont estoit escuier, et le fist chevalier ; se lui donna deux cens livres d’estrelins de revenue, sa vie durant. Adont vint le roy logier en l’abbaie du mont Saint-Martin, et s’i tint deux jours, le duc de Brabant dalez luy.

CHAPITRE CLVII.

Quant ceulx de Cambray se sentirent délivré du siége, si furent moult joieux ; et ce fu raison. Dont se party le conte Raoul d’Eu et retourna devers le roy à Péronne ; et ly conta le partement du siége et le chemin que Englès prenoient pour entrer en Vermendois. Adont envoia le roi au conte de Blois son nepveu deux cens lances à Saint-Quentin, pour garder la ville. Si envoia messire Charlon, de Blois à Laon, et renvoia le sieur de Couchy en sa terre pour le garder.

CHAPITRE CLVIII.

Or gisoit le roi Englès au mont Saint-Martin, mais messire Jehan de Haynnau, messire Henry de Flandres, le sire de Franquemont, messire Wautier de Maugny, le sire de Cuk, le sire de Botresem, le sire de Vosclère et messire Ernoul de Blanquenhem, à cinq cens lances de leur routte, coururent tout les pays environ et s’en vinrent devant le chastel de Honcourt ; et là eut ung très grant et fort assault qui dura près ung jour. Là estoient le sire de Honcourt, le sire d’Alaincourt, le sire de Walaincourt, le sire d’Estrumel, qui trop vaillamment se deffendirent ; et il leur fu bien mestier, car ils furent si près coitié qu’ils perdirent leurs bailles, et rampoient aux portes et aux murs. Là y eut trait et lanchiet durement, et moult de mors et de navrés. Si y morut ung bon chevalier Almant qui estoit de la routte monseigneur de Beaumont, appellé monseigneur Bernard, dont tous les bons compaignons furent moult courouchiés. Quant vint sur le vespre, le assault se retrait moult lassés à plenté de navrés ; et s’en y eut moult de mors. Si s’en revinrent logier vers Gouy en Aranaige ; et lendemain se desloga le roy Englès du mont Saint-Martin, et prist le chemin à aler vers Banelles l’abbaye, pour venir vers le mont Saint-Quentin. Et messire Jehan de Haynnau et leur routte chevaucèrent à par eulx en sus du roy. Si vinrent bouter les feux si près de Saint-Quentin, que les flamesques en voloient deseur la ville ; et passèrent la Somme deseure l’abbaye de Vermans. Si ardirent moult de pays de delà, qui estoit cras et plains de biens ; et se logèrent ung jour sur celle rivière ; et lendemain vinrent à Origny, et y livrèrent grant assault et dur. Ceulx de dedens se deffendirent tant qu’ils peurent ; mais ce ne fu gaires, et aussi ce n’estoit mie place à tenir ; et se n’y avoit que povres gens du pays. Si fu la ville et l’abbaye prinse, et les femmes violées par les Almans. Dont ce fu pités ! et messire Jehan de Haynnau en fu moult courouchiés, mais il ne le peut amender, nonobstant qu’il wardoit les églises à son pooir. Après ce que Origny fu destruite, cevaucèrent Englès le chemin de Tierace ; et vint le roy logier à Borgnies, attendant qu’il euist nouvelles du roy de France quel part il se trairoit ; car il avoit intention du combattre. Et adont se party le roy de France de Péronne, et s’en vint à Saint-Quentin, à si grant gent que le douzième partie ne peut dedens. Et disoit que, s’il plaisoit à Dieu, il combateroit le roy d’Engleterre. Dont se desloga le roy Englès de Borgnies, et s’en vint à Farvaques et vers Monstreul-les-dammes, et l’évesque de Nicolle, messire Regnault de Gobehem et pluiseurs de bons chevaliers, à deux cens lances et quatre cens archiers tout à cheval ; et passèrent Nise et entrèrent en le terre le seigneur de Couchy. Si ardirent le ville de Saint-Goubain, sans le forteresse, et tous les hamiaux d’environ ; et vinrent vers Oisy et vers Saint-Lambert ; si passèrent oultre jusques à Laon et firent en Laonois moult de destourbier ; puis vinrent à Crespy, qui estoit grosse ville sans fremure ; si le prirent, pillèrent et ardirent. Et d’aultre part messire Jehan de Haynnau, à tout deux cens lances, avoit pris le chemin de Marle ; si ardi tout, réservé le fort ; et ardy les vilages sur le rivière d’Oise. Dont puis s’en retourna, et rapassa Oise à Guise où madamme de Blois sa fille estoit ; mais pour ce ne laissa-il qu’il n’ardit tout, hors mis le fort et meismes les molins. D’autre part le sire de Franquemont chevauçoit à deux cens lances environ Ribemont ; et fist ens ou pays moult de dommage. Si s’en vint autour, costiant le grant ost qui aprochoit Buironfosse. Si sceut que les bons hommes de Nouvion en Tieraisse estoient retrais ès bos. Si en alèrent Almans cele part, et assalirent ceulx de Nouvion, grosse ville sans frémure, fors qu’ils l’avoient fortifié de barières et de hayes. Si se deffendirent tant qu’ils peurent ; mais ce ne fu pas longuement ; si furent pris et mort et pillié tout ce qu’il y avoit retrais. Ainsi fu tout le pays courus, ars et gastés.

CHAPITRE CLIX.

Le roy d’Engleterre en venoit bien, à quarante mille hommes armés, droit à la Flamengerie ; et se loga attendant le roi Phelippe, qui vistement le sievoit à bien cent mille hommes ; et toudis lui croissoit gens. Et tant esploita le roy de France qu’il vint à Buironfosse. Dont se logèrent seigneurs et toutes manières de gens ens ès beaux plains ; et le roy Englès estoit à le Cappelle et à le Flamengerie en Tieraice. Si n’avoit entre les deux os que deux petites lieuwes. Et en cele meisme nuyt vint le conte de Haynnau en l’ost de France, pour servir son oncle, à cinq cens hommes d’armes, chevaliers et escuiers ; et se présenta au roy qui moult honnourablement le rechupt, selon l’infourmacion qu’il avoit contre luy. Et fu le conte ordonnés par les marissaux, de long au plus près des anemis.

CHAPITRE CLX.

Or sont ces deux rois aprochiés de l’un l’autre comme vous avez oy, tous deux en grant volonté de combatre. Moult désiroit le roy Englès la bataille, car messire Robert d’Artois, messire Jehan de Haynnau, le conte Derby, le duc de Brabant et tous lui conseilloient ; et disoient que ce seroit faulte et grant dommage que se tant de belles gens d’armes que là avoit se départoient sans riens faire. Aussi le roy de France n’avoit aultre intencion. Si demanda à monseigneur Raoul son conestable, conte d’Eu, et à ses marissaulx, quel nombre de gens il pooient bien avoir ; et ils respondirent qu’il en avoit bien environ six vingt mille, tous adrechiés pour combatre. Dont dist le roy que, s’il plaisoit à Dieu, il les emploieroit.

CHAPITRE CLXI.

Or vous dirons ung petit des Englès et quel conseil il eurent. Quant le roy fut logiés à la Cappelle en Tieraice, et il sceut pour vray que le roy de France estoit à deux petites lieuwes de ly, atout grant volenté de combatre, si mist ses gens et conseil ensamble ; et leur demanda comment pour son honneur il se maintenroit, car c’estoit son entente du combatre, puis qu’il estoit ensy près d’eulx. Adont regardèrent les seigneurs l’un l’autre ; et prièrent au duc de Brabant qu’il volsist dire son entente. Et le duc dist qu’on envoyast héraulx par devers les François, et que on mesist certain jour de bataille, en l’onneur de Dieu et de Saint George. Adont fu appellés ung hérault qui estoit au duc de Guerles, qui bien savoit françois et fu bien infourmés. Si chevauça tant qu’il vint en l’ost du roy de France. Si fu amenés courtoisement devers le roy et les seigneurs. Si fist la révérence au roy et dist : « Sire, c’est l’intention du roy d’Engleterre et de tous ses aidans, que, se vous volez avoir belle aventure d’armes, je vous en apporte bonne nouvelle ; car à vendredy, au plaisir de Dieu et de Saint George, vous les trouverez au royalme que vous dittes estre vostre, tous armés et apparilliés pour combatre sur les camps. » Lors respondy le roy de France : « Ces nouvelles ne devons point refuser ; car moult nous plaisent ; et à ce jour il seront combatus sans faulte. » Dont se party le hérault ; et prist congié du roy et des seigneurs, qui lui donèrent de moult rices dons. Si s’en revint aux Englès et fit sa relation.

CHAPITRE CLXII.

Ansy que sur cel estat fu le journée accordée à ce vendredy, et il estoit mercredy. Si s’abillèrent et ordonnèrent chascuns, pour estre à ce jour ou meilleur estast qu’ils porroient estre, chascun ensi que pour son corps. Le joedi au matin dont la bataille devoit estre lendemain, advint que deux chevaliers du conte de Haynnau, ce furent le seigneur de Faigneulles et le seigneur de Tupigny, montèrent sur leurs coursiers rades et appers, et se partirent de leur ost, en propos pour adviser l’ost des Englès. Si prinrent les camps, et chevaucèrent à le couverte, costiant l’ost des Englès. S’esquéy que le seigneur de Faigneulles estoit sur ung coursier mérancolieux et mal enbouquiés. Si s’effréa tant qu’il prist son mor aux dents ; et se demena tant qu’il fu maistre du seigneur. Si l’en porta, volsist ou non, droit en l’ost des Englès ; et quéy ens ès mains des Almans, qui tantost congnurent qu’il estoit François ; si l’enclorent de toutes pars et prirent ; et l’eut le seigneur de Hoteberch à son prisonnier ; et le seigneur de Tupigny retourna en l’ost de Haynnau et leur recorda l’aventure ; dont moult furent courechiés, et par espécial le conte.

CHAPITRE CLXIII.

Or fu le sire de Faigneulles mis à finances, parmi mille viés escus. Et quant son maistre ly Alman sceut qu’il estoit de Haynnau, il vint à monseigneur Jehan de Haynnau et l’en demanda ; lequel en eut grant merveille, et dist que bien le congnissoit. Lors les fist messire Jehan de Haynnau disner dalez lui, le chevalier et l’Alemant ; et après disner parlèrent de le ranchon ; et tant que messire Jehan de Haynnau dist au chevalier alemant : « Beau sire, je vous prie que, pour l’amour de moy, vous lui soyez ung pau doulx ; car vous savez par quelle adventure il est prins. Vous n’en avez point eu grant paine. » Dont en fu le chevalier tous honteus, et dist en riant : « Monseigneur, se Dieu le m’a envoié, j’en avoie bien mestier ; car je perdy her soir tout mon argent aux dés. » Dont commencèrent pluiseurs à rire, et alèrent entre deux, tant que des mille viés escus fu remis à six cens ; et tantost messire Jehan de Beaumont les presta et paya. Si délivra le seigneur de Faigneulles et son cheval, et le renvoia arière devers le conte de Haynnau, à qui il recorda son aventure et le courtoisie que messire Jehan son oncle lui avoit faite.

CHAPITRE CLXIV.

Or parlerons de ce vendredy au matin, que toutes les deux osts s’aparillièrent moult matin ; et moult en y eut qui oyrent messe moult dévotement, comme ceulx qui cuidoient tantost prendre l’aventure de mort. Et tout premiers Englès se mirent sur les camps, et moult sagement se ordonnèrent, et firent trois batailles. Si se mirent tous à piet, et leurs chevaulx et charoy derrière eulx, en ung bosquet. Et eurent le duc de Guerles, le duc de Jullers, le marquis de Brandebourch, messire Jehan de Haynnau, le marquis de Mise, le seigneur de Franquemont, messire Gille de Duvort, messire Ernoult de Blanquenhem et tous les Alemans la première bataille. La seconde avoit le duc de Brabant qui avoit avec lui le conte des Mons, le conte de Clèves, le conte de Salmes, le sire de Buck, le sire de Berghes, le sire de Gasebecq, le sire de Rousselare, le sire de Botersem, le sire de Voseler, le sire de Witem, le sire de Bourqueehort, le sire de Sconevort, est et pluiseurs autres que je ne puis mie tout nommer. En ceste bataille avoit vingt deux banières et dix sept penons. S’estoient huit mille hommes de bonne estoffe. La tierce bataille et le plus grosse avoit le roy d’Engleterre, et moult de bonnes gens de son pays. Premiers y estoit le conte Derby fil à monseigneur Henry de Lenclastre, l’évesque de Nicolle, ly quens de Norhanton, le conte de Werwich, le conte de Salsebery qui estoit marissaulx de l’ost, le conte de Sulfort, le conte de Herfort, le conte de le Marche, le conte de Pennebrouch, le conte Richart de Stanfort, messire Jehan visconte de Beaumont, le conte de Biaucan, messire Guillaume Fil-Warin, le sire de Ros et de Northombrelant qui fu là fait chevalier et leva banière, le sire de le Ware, le sire de Salmel, le sire de Falenton, messire Regnault de Gobehem, le sire de Strier, le sire de Brasenton, messire Hue de Hastinge, le sire de Multone et moult d’autres. Et là fist le roy pluiseurs chevaliers, entre lesquels le fu messire Jehan Chando, qui fu l’un des bons hommes d’armes des deux royalmes. Et y avoit trente deux banières et aultre tant de pennons. En cele bataille avoit bien dix mille hommes d’armes et six mille archiers. Si ordonnèrent à tenir sur esle, une bataille pour réconforter les plus lassés. Ceste querque eut messire Robert d’Artois ; dalez lui monseigneur Henry de Flandres, Wautier de Maugny, le sire de Bercler, le sire de Neufville, le sire de Clifort, monsire Richart de Pennebrouch, monseigneur Bertreumieu de Bruwes, et pluiseurs autres qui estoient environ trois mille hommes d’armes. Si y avoit douze bannières et deux mille archiers ; et toutes les batailles à piet, en très grant désir de véir leurs anemis.

CHAPITRE CLXV.

Quant ainsi furent ordonnés sur les plains camps, adont ala le roy Englès sur ung cheval, de bataille en bataille, en priant aux seigneurs moult joieusement qu’ils se tenissent pour réconforté et pensaissent de bien faire, car il retenoit sur son âme qu’il se combatoit à bon droit. Et chascuns lui accorda, qui le véoient et ooient volentiers, en lui prometant que ce droit lui aideroient à garder, tant qu’ils poroient durer, parmy l’ayde de Dieu ; et ne se doubtoient point du grant peuple qu’il savoient que le roy de France avoit avec luy. Et quant le roy ot esté ainsi d’oultre en oultre, il s’en revint à sa bataille. Après ce fist commander que nuls n’alast devant les banières. Ainsi furent toute la matinée atendant les François, qui s’ordonnèrent ainsi que s’ensieut.

CHAPITRE CLXVI.

Il est bien vray que le roy de France avoit là si grant plenté et tant de nobles hommes, que ce seroit merveilles du recorder. Car je sceus, par héraulx qui y furent et d’aultres gentils hommes qui les eurent par escript, qu’il y eut deux cens vingt sept banières, quatre rois, cinq ducs, trente six contes, vingt sept cents et six chevaliers, quatre vingt mille hommes d’armes, sans le commun, dont il y en eut bien soixante mille. Les rois furent tels : premiers, le roy de France, le roy de Behaigne, le roi de Navare et le roy d’Escoce ; les ducs furent tels : le duc de Normendie, le duc de Bretaigne, le duc de Bourbon, le duc de Loraine, et le duc d’Athaines ; les contes furent tels : le conte d’Alençon, le conte de Flandres, le conte de Blois, le conte de Haynnau, le conte de Bar, le conte de Pontieu, le conte de Boulongne, le conte de Saint-Pol, le conte Raoul d’Eu, le conte de Ghines ses fils, le conte de Forest, le conte Dalphin d’Auvergne, le conte de Danmartin, le conte de Harcourt, le conte d’Aumalle, le conte de Tancarville, le conte de Wademont et de Jenville le conte de Joingny, le conte de Rousy, le conte de Poitiers, le conte de Braine, le conte de Vendosme, le conte d’Estampes, le conte de Sanssoire, le conte de Beaumont, le conte de Monfort, le conte de Nerbonne, le conte de Pieregort, le conte de Villemur, le conte de Cominges, le conte d’Ermignac, le conte de Fois, le conte de Mirendon, le conte de Douglas d’Escoce et le conte de Moret et pluiseurs autres ; et des banières par parties je n’en volroie riens compter, car aussi je ne les sçay mie touttes. Et sachiez que c’estoit beauté moult grande de véir sur les camps les banières venteler au vent, chevaulx armés et couvert.

CHAPITRE CLXVII.

Environ, l’eure de tierce, vint le duc Oedes de Bourgongne, à plus de cinq cens hommes d’armes ; et se mist sur les camps d’un lez. S’avoit en ne routte dix neuf banières. D’aultre part estoit le conte de Haynnau en grant aroy, et faisoit sa bataille par lui et de sa gent propre, où il avoit dix huit banières. Ainsi estoient les princes dalez leurs gens en ordonnance, attendant l’eure que on fesist chevauchier avant.

CHAPITRE CLXVIII.

Moult fu celle journée belle et clère. Si resplendissoit le soleil sur ces armures, que c’estoit grant plaisance à véoir. Là parloit le roy de France à ses barons ; et y avoit si grans estrifs qu’ils n’estoient point d’acort ; car les aucuns disoient : que le roy prenoit périleuse adventure de combatre, pour ce qu’il ne savoit que chascun pensoit, ne se il y avoit point de traysons ; et les autres disoient : que trop grant blasme seroit que, se le roy qui savoit ses anemys devant luy à plains camps luy atendant, s’il ne les combatoit ; et que à tous jours lui seroit reprochié.

CHAPITRE CLXIX.

Ensy sur estrif, débat et mauvais accord et sur diverses oppinions, le jour passa jusques à petitte nonne. Ung lièvre s’en vint tres-copant les camps, et se lança parmy les François. Dont commencèrent ceulx du front devant, qui premier le virent, à crier et huer, et à faire grant effroy. Dont ceulx qui estoient darenier cuidèrent que ceulx de devant se combatissent, et ceulx de devant que ceulx de derrière si fesissent. Si commencèrent à tous lez mettre bachinès en teste et à palmier leurs glaves. Et là bien en haste fist-on pluiseurs nouveaulx chevaliers ; et espécialment le conte de Haynnau, qui desiroit premiers estre en la bataille et qui jà cuidoit que on se combatesist. Si y eut de tels chevaliers que on appela depuis les Chevaliers du Lièvre entre les seigneurs, par esbatement. Après ce vinrent les nouvelles au roy, que ung lièvre avoit ainsi estourmi son ost. Dont sur ce pluiseurs eurent ymaginacion, et disoient que ce n’estoit pas bon signes d’avoir ung lièvre pour encontre ; mais ung malvais signes ; et quoyque ce fust, de lendemain il ne conseilloient point de combatre. Et ainsi demenant tels parolles, passa l’eure de nonne, tant que le plus estoient tous hodés de là estre ; et virent bien qu’il ne se combateroient point. Dont commencèrent les pluiseurs à eulx retraire vers leurs logis.

CHAPITRE CLXX.

Quant le conte de Haynnau vit que nuls n’aloit avant et se passoit l’eure, si fu moult esmervilliés ; et appella monseigneur d’Engien et monseigneur Henry d’Antoing, et leur dist : « Alez devers monseigneur mon oncle, et lui demandez à quoy il pense et quel chose il veult que je face. » Et ceulx le firent voulentiers. Dont s’en alèrent ces deux seigneurs devers le roy, qui jà se retraioit ; et y avoit si espesse routte que jamais ne l’euissent peu dérompre. Si trouvèrent monseigneur d’Alençon à qui ils adrécèrent leur message, et celui leur dist : « Beaux seigneurs, dites à mon nepveu qu’il s’en voise de par Dieu, car nous n’arons point de bataille. » Ainsy le rapportèrent à monseigneur le conte, qui alors se party de la place, et toute sa routte ; car tous les autres estoient jà retrais. Et sans plus parler, s’en vint chevauchant jusques en Haynnau vers le Quesnoit.

CHAPITRE CLXXI.

Quant le roy d’Engleterre et tous ses aliés, qui avoient esté longhement rengiet sur les camps tout à piet jusques à oultre nonne, sans boire et sans mangier, bien véoient que les François ne s’apparilloient de venir jusques à eulx, si se trayrent ung poy ensamble, pour avoir advis comment il se maintenroient. Pluiseurs oppinions y eut entre eulx aussi bien qu’entre les François. Car le roy, messire Robert d’Artois, messire Jehan de Haynnau et le sire de Franquemont avoient oppinion d’aler avant, et de sievir le roy, et nient partir sans combatre. Mais le duc de Brabant et pluiseurs autres de son acord disoient, qu’ils ne pooient avoir blâme de partir, car ils avoient offert en son royalme la bataille au roy de France, qui l’avoit retenue et en faly ; et si s’estoient tenu toute jour, ainsi que gens d’armes devoient faire, atendant leurs anemis qui point n’estoient venus ; et s’estoit l’eure passée du combat. Ossy d’aultre part vitailles leur commençoient à fallir ; et à chevaucier avant ils trouveroient tout despourvut. Si que d’eulx bouter trop avant sur l’iver, ils n’y véoient riens de bon, et que mieulx valoit partir à honneur que d’atendre nulle aventure à honte. Tout considéré, cel accort fu tenus, et se départirent. Lors se deslogèrent et chevaucèrent tant que à ce vespre vinrent jésir vers Avesnes, leur caroy et pilage.

CHAPITRE CLXXII.

Et le roy de France, quant il fu ainsi retournés et que on lui avoit desconsillié le combat, moult courouchiés et enflamés s’en rala vers Buironfosse ; et avoit intencion que lendemain il combateroit. Si appella ses deux marissaulx, monseigneur Bertran et le sire de Trie, et leur dist : « Ordonnez et commandez que nul ne se parte, et que à demain chascun soit prest ; car, au plaisir de Dieu, j’ay intencion de combat. » Et ainsi le firent les marissaulx. Et quant ils ne trouvèrent point le conte de Haynnau, si le dirent au roy, adfin qu’ils n’en fuissent repris. Adont regarda le roy sur le conte d’Alençon son frère et lui dist : « De nostre nepveu de Haynnau en savez-vous nouvelles ? » — « En nom Dieu, monseigneur, oyl ; car il envoia or-ains le seigneur d’Engien et le seigneur d’Antoing pour savoir à vous quel chose vous voliés que on fesist ; et ils ne peurent parler à vous. Si me trouvèrent d’aventure ; si leur dis que n’estoit nul apparant de combattre, et qu’il s’en alast de par Dieu. » Adont pensa le roy ung petit, puis dist : « Or le remandez appertement, car demain, s’il plaist Dieu, nous combaterons. » Lors fist envoier ung sergant d’armes vers le Quesnoit ; et y vint si à point que le conte se désarmoit. Et jà estoient les barons et les autres retrais à leurs hostels, et les aucuns ralés vers leurs maisons. Si vint le messagier devers le conte, et luy dist : « Sire, le roy vous salue, et vous mande que demain, à soleil levant, vous soiez à Buironfosse ; car demain on se combatera aux Englès. » Et quant le conte oy ces nouvelles, si fist sonner ses trompettes, resvillier gens d’armes, enseler chevaulx, et remander ceulx qu’il cuidoit le mieulx ravoir. Si se party en grant haste ; et tant chevauça que ce samedy au matin, il fu, son corps et sa routte, sur les camps dont droit il s’estoit partis. Si ne vit nul apparant ; car aucun coureur avoient apperçut que Englès s’estoient partis et retrais sur l’Empire. Dont dirent les barons de France au roy : « Sire, il convenra le roy d’Engleterre faire moult de tels chevaucies, ainchois qu’il ait conquis tout votre royalme. »

CHAPITRE CLXXIII.

Dont fu commandé du deslogier et retraire toutes manières de gens en leurs lieux. Ces nouvelles vinrent au conte de Haynnau, sur les camps, qui encore rien ne savoit des Englès qu’ils fuissent partis. Lors s’en vint le conte de Haynnau et sa routte, où il y avoit bien quatre cens armures de fer, sur ung certain pas où le roy devoit passer. Et quant le roy les vit, il demanda quel gens c’estoient ; et on lui dist qui c’estoient. Lors s’enclina le conte en passant, et le roy luy dist : « Beaux nieps, yous estes bien acquittiés ; retournez vous en de par Dieu. » Dont prist congié le conte au roy et à son oncle d’Alençon, au roy de Behaigne et à pluiseurs autres et s’en revint arière, à toute sa route, disner à Landrecies et au Quesnoit au giste.

CHAPITRE CLXXIV.

Or parlerons du roy d’Engleterre et de ses aloiés qu’ils devinrent, car le roy de France ne les sieuvy plus avant, ains s’en rala à Saint-Quentin, et là donna à toutes ses gens congiet, et les garnisons d’en raler où ils estoient ordonnés par avant. Lendemain au matin, se mirent ensamble au conseil le roy d’Engleterre et tous les seigneurs, et conseillièrent quel chose il feroient. Si eurent accort que toutes gens s’en ralaissent en leurs lieux. Dont s’en ralèrent les Almans ; et s’en rala le roy avec le duc à Brouxelles ; et là se rafresquirent ; et ordonnèrent ung grant parlement, là où fu Artevelle et le conseil des bonnes villes de Flandres. Et là leur remonstra le roy d’Engleterre que, s’ils lui voloient aider à parmaintenir sa guerre, il leur feroit avoir Douay et Béthune qui jadis avoient esté de Flandres. Sur ce eurent Flamens grant délibéracion de conseil, pour tant qu’ils estoient jadis obligié, sur une grant mise de florins, à le cambre du pappe, qu’ils ne pooient faire guerre contre le roy de France qu’ils ne fuissent attains en celle somme ; mais se le roy d’Engleterre voloit faire une chose : qu’il s’appelast roy de France et volsist enquerquier les armes de France à porter, il le tenroient pour roy et obéyroient à luy, et l’aideroient à leur pooir à joir du royalme ; et par ainsi ne se fourferoient point en la somme des florins ; car le roy de France et d’Engleterre leur pooit quitter.

CHAPITRE CLXXV.

Sur ces requestes le roy prit conseil, car grant besoing lui estoit d’avoir l’ayde des Flamens ; et se lui estoit pesant à emprendre les armes de France à porter, qui encores n’y avoit riens conquis qui fesist à tenir. Si se porta le conseil que, s’ils lui voloient jurer et sajeller de aidier sa guerre à maintenir, s’il emprendroit ce que dist estoit, il leur aroit en convent de faire ravoir Lille, Douway et Béthune ; et ils disent que oyl. Si fu assigné certain jour de parlement à Gand, qui se tint, là où fu le roy d’Engleterre, le duc de Brabant, et tous les prinches et les seigneurs Almans qui estoient ses aliés. Et d’aultre part y furent tous les bourgois et conseil des bonnes villes et du Franc de Bruges. Si furent là remonstrées et proposées toutes les choses dessus dittes ; et furent lettres scellées, des Flamens d’une partie, et du roy d’aultre. Et par ces poins, là endroit enquerqua le roi d’Engleterre les armes de France esquartelées d’Engleterre, et emprist le nom du royalme de France, jusques à tant qu’il les laissa par certaines composicions, ainsy comme vous orez cy après[3].

CHAPITRE CLXXVI.

À ce parlement eut moult de choses consilliées et retournées. Et touttes voies fu-il accordé de tous les seigneurs qui là estoient, qu’ils feroient grant guerre en France ; et par espécial parmy l’aide des Flamens, qu’ils aségeroient Tournay ; car s’ils l’avoient, de légier ils aroient Lille, Douay et Béthune, et courroient de jour en jour le royalme si avant qu’ils voiroient, Flamens et Brabençons qui estoient aliés ensamble, et metteroient paine qu’ils euyssent le pays de Haynnau d’accord avec eulx. Si en seroit leur guerre plus belle. Mais le conte de Haynnau, qui bien avoit esté priés du roy d’Engleterre d’estre à ses parlemens, s’escusoit tousjours ; et disoit que jà ne feroit chose qui fust contre le roy de France son oncle, se premiers on ne lui avoit fourfait. Adont se partirent tous les seigneurs, et s’en ralèrent chascuns en leurs lieux, et le roy d’Engleterre leur pria moult de bon cuer que, quant il les semonroit qu’ils fuissent apparilliés ; et ils lui eurent ainsi en convent.

CHAPITRE CLXXVII.

Encore depuis ce parlement, se tint le roy d’Engleterre en Flandres, alant de bonne ville à aultre, pour aprendre les gens à congnoistre, et eulx lui. Et par le conseil Jaquemon d’Artevelle fist venir la roynne sa femme à Gand ; et tinrent leur hostel en l’abbaye Saint-Pierre ; et là estoient souvent viseté des dammes et de bourgoises de Gand. Et pour plus grant signe d’amour monstrer à eulx, le roy fist venir le conte de Salseberich en la ville d’Ippre en garnison, et le conte de Sulfort, pour faire paine à ceulx de Lille et de là entour. Et quand il eut ordonné toutes ses besongnes, il prist congiet à la royne et aux Flamens et à Artevelle. Si y laissa monseigneur Robert d’Artois, et se mist en mer pour aler viseter son pays, où il n’avoit esté il y avoit près de deux ans, et espécialment pour regarder sur le marche d’Escoce, car il redoubtoit plus à ce costé là que à nul des aultres. Si se hasta entre luy et tous ses prinches, tant qu’ils furent à Londres, où ils furent rechupt à grant joie, en l’an mil trois cent et trente neuf.

CHAPITRE CLXXVIII.

Or vous conterons du roy de France qui estoit retrais vers Paris et avoit toutes ses gens donné congié. Si fist moult fort renforcier sa navie qu’il avoit sur mer, dont messire Hue Kieret, Barbenaire et Bahucet estoient cappitaines. Et tenoient foison de Normans et de bidaux et de Jenevois, qui couroient sur mer et faisoient pluiseurs dommages aux Englès. Et conquist ceste armée la belle grosse nave qui avoit tant cousté au roy Englès, que on appeloit Christophe ; et estoit plaine de laines et de gens. En ce meisme temps rapassèrent la mer en Escoce le conte de Moret et messire Willame de Douglas, pour ce qu’ils savoient que le roy Englès estoit rapassés, et ils ne savoient qu’il pensoit. Avec eulx passèrent deux cens compaignons françois, pour querre leurs aventures, par le congiet du roy de France. De quoy le sire d’Aubigny et messire Ernoult d’Andrehen estoient capitaines.

CHAPITRE CLXXIX.

Encore parlerons comment le roy de France advisoit comment il se poroit vengier de ceulx qui marcissoient à lui, qui avoient esté ses annemis, tels que le duc de Brabant et monseigneur Jehan de Haynnau. Si mist sus environ cinq cens armures de fer, et leur commanda qu’ils entraissent en la terre de Chimay et mésissent tout en feu et en flamme. Adont messire Jehan de la Bove et le visconte de Chalons, qui en furent meneur à toute leur route, y alèrent et boutèrent le feu à tous lez ; et vinrent une matinée devant Chimay. Si aqueullirent le proie et ardirent les faubourgs, sy que les flamesques en vinrent dessus la ville. Adont ceulx de Chimay sonnèrent leurs cloques ; si s’armèrent et vinrent vistement aux portes, en monstrant visage de deffence. Mais les François n’avoient talent d’assalir ; ains s’en retournèrent arrière, et en ralèrent tout ardant le plat pays monseigneur Jehan de Haynnau, jusques à Vreving en Thérasse ; et là partirent leur pilage. Quant les nouvelles de ce dommage vinrent à monseigneur Jehan de Haynnau, qui estoit adont à Valenchiennes, il en fu durement courechiés, et ce fu raison ; et aussi fu messire le conte son nepveu. Dont s’en ala le sire de Beaumont à Chimay réconforter ses gens, et leur promist que ce fourfait seroit temprement amendés.

CHAPITRE CLXXX.

En ce temps vinrent ceulx de Cambray à Relenghes une forte maison qui se tenoit adont de monseigneur Jehan de Haynnau ; et le gardoit de par lui messire Jehan son fil bastard, et avec lui environ trente armures de fer ; et l’assaillirent ung jour toute jour ; mais trop bien ils se deffendirent. Adont ceulx de Cambray se partirent, mais ils leur promirent bien que lendemain ils retourneroient, si forts qu’ils les aroient. Sur ce les compaignons regardèrent que le forteresse n’estoit mie à tenir contre une telle bonne ville ; car encore estoient les fossés si engelés que seurement on pooit bien aler jusques aux murs. Si se partirent environ mie nuit, et prinrent leurs baghes ; si vinrent à Boucain, et lendemain à Valenchiennes. Et ceulx de Cambray ne s’oublièrent point, mais revinrent ; si le trouvèrent toute wide. Adont le prinrent et l’abatirent, et firent mener le pierre à Cambray.

CHAPITRE CLXXXI.

Vous devez savoir que tout ce temps, de par le roy de France, estoit messire Godemars du Fay capitaine à Tournay et des forteresses d’environ ; et estoit le sire de Beaugeu à Mortaigne, le sénescal de Carquasone à Saint-Amand, messire Aymars de Poitiers à Douay, messire Galois de la Bame, le sire de Martel, le mariscal de Mirepoix et le sire de Villars en la cité de Cambray. Si ne désiroient ces seigneurs trestous, fors qu’ils peuissent courre en Haynnau pour pillier. Aussy l’évesque de Cambray y rendoit grant paine, qui estoit tousjours à Paris, en lui plaignant plus des Haynnuiers que de nulle gent, car ils lui avoient ars tout son pays. Et tant parla et fit que les soldoiers de Cambray et de Cambrésis eurent congiet d’entrer en Haynnau. Si s’assemblèrent secrètement ung samedy au soir, et vinrent à Haspre. Si le pillèrent, et robèrent toute, et enmenèrent les gens devant eulx ; et moult vilainement ardirent la ville et violèrent l’Église.

CHAPITRE CLXXXII.

Ces nouvelles furent tantost à Valenchiennes devers monseigneur le conte, environ l’eure de mie nuit. Et quant le conte oy ces nouvelles, il en fu moult courechiés. Si se party de le Salle sans arroy, et vint jusques ou marchiet ; et dist à eeulx qui le béfroy gardoient : « Ô vous malle gent qui là estes, qui véez le dommage de vos voisins, pourquoy ne sonnez-vous la clocque ; si s’esvilleront ceux de la ville. » Dont, à la requeste et commandement du conte, si fu là clocque sonnée. Lors s’esvillèrent toute manière de gens. Si s’armèrent et vinrent ou marchiet ; mais le conte ne voult mie attendre les derrains, ains se party et dist : « Qui m’aime, se me sieuwe. » Adont estoient en la ville messire le sénescal de Haynnau, messire Gerart de Bertain[4], messire Henry d’Anthoing, le sire de Roisin, le sire de Gomingnies, le sire de Pottielles, le sire de Mastaing, le sire de Waregny, le sire de Bossut et pluiseurs aultres qui montèrent à cheval. Mais quant le conte eut sa routte vinrent à Menin, on lui dist qu’il y aloit sans raison et que les François estoient retrais et retournés vers Cambray.

CHAPITRE CLXXXIII.

Adont s’en revint le conte à Fontenelles l’abbaye, moult courouciés ; et ala vers madamme sa mère ; et lui dist le desplaisir que les François lui avoient fait, et sans desfiances. Et la bonne damme qui vit son fil courouchiés, et qui le sentoit hastieu et de grant emprinse, le rapaisa ce qu’elle peut ; et lui dist qu’elle ne cuidoit point que ce fust le fait du roy, mais de l’évesque et de ceulx de Cambray. Si lui dist : « Beau fil, je vous prie que ainçois que vous esmouvez nulle guerre contre le roy de France vostre oncle, que vous aiez bon conseil ; car trop vous porroit couster. « Alors s’en party le conte moult mal appaisiés ; et disoit bien à ses chevaliers et à ceulx de Valenchiennes que ce mesfait seroit chièrement vendus. Ces nouvelles s’espandirent par le pays. Et les sceut tantost messire Jehan de Beaumont qui estoit à Beaumont. Si pensa fort au sien dommage ; et ne fu mie courouchiés quant il sceut l’avenue qui estoit advenue à son nepveu, pour tant qu’il ne pensoit point qu’il fust si souffrant, qu’il portast longuement tel dommage. Si monta tantost à cheval, et en vint à Valenchiennes, et se traist vers lui, ainsi que raison estoit.

CHAPITRE CLXXXIV.

Sitost que le conte de Haynnau vit monseigneur Jehan son oncle, si s’adrecha vers lui et lui dist : « Beaux oncles, vostre guerre des François est grandement embellie. » — « Sire, respondy le sire de Beaumont, Dieu en soit loés ! car de vostre dommage et annoy seroi-je courouchiés ; mais celui cy me vient à grande plaisance. Or avez-vous de l’amour du roy de France ; vous les avez tousjours portés, s’en estes mal paiés. Or regardez que nous chevauçons sur eulx, et de quel lez et briefment, car faire le nous convient. » — « Vous dittes voir, dist le conte, nous en aurons advis. » Lors fu conseillée des seigneurs qui là estoient, que ung parlement fut mis ensamble à Mons en Haynnau bien brief, et là fussent tous les trois estas du pays, chevaliers, abbés et bonnes villes. Adont furent faites lettres et les mandés bien en haste, pour estre à ce conseil.

CHAPITRE CLXXXV.

Entrues que ce mandement se fist, s’en ala bien en haste le conte devers le duc de Brabant de qui il avoit la fille ; et lui conta ce desplaisir que les François lui avoient fait. Et le duc luy respondy que luy et tous ses pays estoient tout prests pour lui aidier à contre-vengier. Encore chevaucha-il en Flandres et parla à Artevelle, et lui conta tout son fait. Lequel lui dist qu’il en estoit bien lies, qu’il avoit à faire d’eux. « Et d’ores-en-avant voi-ge bien que les Haynnuiers seront aliés avec les Flamens. » Et lors lui promist que touttes fois que besoing il en aroit, il lui amenroit soixante mille Flamens, armés aux frais du pays. Dont dist le conte : « Grant mercis. »

CHAPITRE CLXXXVI.

À ce parlement à Mons furent tous ceulx du pays qui au conseil appartenoient, et aussi de Hollandes et de Zélandes. Et là, devant tous, remonstra le conte le dommage et le despit que on lui avoit fait, sans desfiance et sur les grans services qu’il avoit au roy ; dont il se plaindoit à tous ses amis, et prioit qu’il en fust conseilliés et aidiés. Dont y eut moult de parolles retournées ; tant que le seigneur d’Engien, le seigneur de Barbançon et le seigneur de Lingne consilloient que on envoiast devers le roy assavoir se il estoit innocent du fait, et s’il le voloit faire amender, vu qu’il en fust cause. Mais ce conseil ne peut estre oys, car messire Jehan de Beaumont, qui estoit le plus grant après le conte, brisoit ce propos et disoit : « Ne plaise Dieu que nous nous abaissons tant, que, sur deux grans despis que on a fait en nostre pays de Haynnau, nous requérons nul moïen. Car nous sûmes gens assez et fors pour nous vengier ; et se poons entrer au royalme, auquel lez qu’il nous plaist. » Et le conte s’enclinoit moult à le guerre ; car l’arsure de la terre de Chimay lui faisoit moult mal ; et encore lui desplaisoit plus celui de Haspre. Finablement il fu accordé de tous que le roy de France et son royalme fust desfiés. Et si fu avisé qui seroit tailiés de ce message faire. Et par commun accord fu esleu l’abbé de Crepin, qui estoit appellés Thiébault. Se fu priés des desfiances porter ; et il respondy qu’il yroit volontiers. Les desfiances furent escriptes et scellées du conte et de tous ses barons, et baillées à dant abbé ; lequel se party assez brief ; et tant exploita par ses journées qu’il vint à Paris et trouva le roy. Si fist son message bien et à point et lui bailla les lettres. Le roy les fist lire, qui grant conte n’en fist mie ; et respondy que son nepveu étoit un fol, et son pays encore plus quant il le créoit.

CHAPITRE CLXXXVII.

Après la revenue dant abbé, le conte fist son mandement de tous les nobles du pays et de tous fievés à estre à Mons ; et tantost envoia saisir et prendre Avesnes, Landrecies et le chastel de Sasogne qui estoit au conte de Blois, et y mist garnisons de par lui. D’autre part, messire Jehan de Haynnau, fist sa semonse à Beaumont et eut bien quatre cens lances. Adont se party le conte en grant aroy. Et firent les mariscals ordonner leur caroy vers Nivières pour passer le Sambre ; et s’en alèrent vers Beaumont et vers Chimay ; car c’estoit leur entente d’entrer vers le Tierache et aler vers Aubenton et en la terre du seigneur de Vrevin et de Beaumont, qui couru avoient la terre de Chimay. Si passèrent toutes gens parmi Fagnes et les bos de Chimay. Si se herbégèrent les seigneurs en la ville, et le plus tout autour, au dehors. Bien se doubtoient ceux d’Aubenton du conte de Haynnau et de son oncle ; et l’avoient signifié au bailli de Vermandois que il leur volsist envoyer gens pour leur ville garder, qui bien en avoit besoing, car elle n’estoit fortefiée fors de palis. Si y envoia le bailli, monseigneur Jehan de Beaumont, le vidasme de Chalons, monseigneur Jean de la Bove, le seigneur de Lore, et les chevaliers et escuiers de là entour, tant qu’ils estoient bien trois cens armures de fer, sans ceulx de la ville et du pays environ. Non pourquant les seigneurs qui y estoient disoient à ceulx de la ville que bien le pensoient à tenir et à garder, mais qu’ils fuissent bonnes gens avec eux.

CHAPITRE CLXXXVIII.

Par ung vendredy au matin, se partirent les Haynnuiers de la ville de Chimay, et passèrent les bos ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Aubenton, qui estoit grosse ville et bien drappière. Les Haynnuiers se logèrent assez près, et avisèrent auquel lez elle estoit plus prenable. Lendemain vinrent tous ordonnés pour assalir, les banières devant eulx et tous leurs arbalestriers ; et se mirent en trois parties. Le conte fist par lui sa bataille et le plus grande ; messire Jehan son oncle le seconde ; le sire de Franquemont eut le tierce et avoit plenté d’Alemans. Quant ceulx de dedens virent que ainsi on s’apparilloit d’eulx assalir, ils se ordonnèrent aussi en trois lieux. Lors firent ceulx du dehors sonner leurs trompettes, et assalir la ville bien asprement ; et faisoient traire les arbalestriers à l’aprochier. Le conte de Haynnau et sa routte vinrent à l’une des portes, jusques aux bailles ; et là estoit le vidasme de Chalons, ung hardi chevalier et appers ; et là fit trois de ses nepveux chevaliers. Là eut ung très grant assault et pesant. À l’autre porte vint messire Jehan de Haynnau et sa bataille ; et là estoit messire Jehan de Beaumont et le sire de la Bove qu’il n’amoit gaires, car il avoit esté à ardoir sa terre de Chimay. Se désiroit le assault et le bataille à lui ; se le fist dur et mervilleux. À l’autre porte estoient Alemans et Brabençons, dont le sire de Franquemont estoit chief ; et là estoit le sire de Lore et pluiseurs autres qui vaillamment se déffendirent. Là y eut trait et lanchiet, et fait grans fais d’armes. Si crioit-on : « Haynnau ! Haynnau ! » en plusieurs lieux. Là s’avançoient chevaliers et escuiers fièrement. Et peut-on bien recorder que Aubenton fu radement assailli, et moult noblement deffendue ; car moult y eut fait d’armes. Là en y eut pluiseurs qui rampoient amont, bien armés et targiés, qui moult prestement estoient rabatus et reboutés aval, atout haces et cuignies en leurs mains pour effondrer les palis. Ce samedy au matin, fu li assault grans et dolereux. Et finalement messire Jehan de Haynnau conquist les bailles et le porte à son lez, et entra ens à grant huée. Dont vinrent les nouvelles au visconte de Chalons que le porte estoit conquise. Dont il fit retraire ses gens tout bellement ; et se vint rassambler devant le moustier ; et là eut dure bataille et mortelle, car messire Jehan de Haynnau y vint à grant compaignie ; et là fu prins le sire de Lore, le sire de Vendocule et le sire de Saint-Martin ; et y morurent deux des nouveaux chevaliers, nepveux au visdame, et le tiers fu prins. Mais le visdame se salva, car il monta à cheval ; et ossi fist messire Jehan de Beaumont et messire Jehan de la Bove. Mais quant messire Jehan de Haynnau sceut que ses annemis s’enfuioient, ceux que plus il désiroit à avoir, si monta à cheval ; et cacha ses annemis jusques aux portes de Vrevins. Et quand il vit qu’ils lui estoient escappés, ils mirent tout à l’espée, quanqu’ils encontrèrent du pays ; et revint à Aubenton où estoient touttes leurs gens. Et jà estoit tout pilliet, laines et draps, et tout l’autre avoir ; et tout toursé sur les carois pour mener vers Chimay. Et quant ils eurent fait leur volenté de le ville, ils boutèrent le feu ens, et ardirent tout, qu’il n’y demoura une seulle maison. Ce soir logèrent-il sur le rivière, et lendemain ils chevaucèrent vers Mauber-Fontaine.

CHAPITRE CLXXXVIX.

Après le destruccion d’Aubenton, fu destruit Signy le grand et le petit ; et des hamiaulx de là entour, ars et destruis plus de quarante ; et puis retournèrent en Haynnau. Si donna le conte à ses gens congiet pour ceste fois. Si s’en rala chascun en son lieu, et son oncle de Beaumont s’en rala moult joieu. Si retourna le conte à Mons, pour avoir advis comment il acquerroit amis à tous lez, pour mener sa guerre à l’esté encontre François. Et ainchois qu’il se partist du pays, il ordonna et garny les fors et les bonnes villes ; et par espécial il mist monseigneur Jehan de Haynnau son oncle, alant et venant par le terre, avec quatre chevaliers : le sire d’Antoing, le seigneur de Waregny, le sire de Vertaing et monseigneur Henry de Hufallise. Après il mist au Quesnoit le sire de Fauquemont à cent armures de fer. Il mist à Landrecies le sire de Pottielles, à Avesnes le sire de Montigny-Saint-Christophe, à Maubeuge monseigneur Tiery de Wallecourt mariscal de Haynnau, à cent hommes d’armes. Après il mist à Bouchain trois chevaliers almens, qui tous trois avoient à nom Conrart, qui bons chevaliers estoient ; à Escaudemire il mist messire Gérart de Sassegnies ; à Thun-l’Évesque messire Gérart de Limosin, bons chevaliers Englès ; avec lui les deux frères de Maugny, Jehan et Thiery ; ou chastel de Rieullay le sire de Rousne et le sire de Goullesmes ; et les autres forteresses recommanda-il aux autres barons de son pays, qui y entendissent ensy que pour leur honneur et le sienne. Et ainsi ordonna monseigneur Jehan son oncle, bail et gouverneur du pays de Haynnau jusques à son retour. Assez tost après il se party, et s’en ala par devers l’empereur qu’il trouva à Coulongne, qui le rechupt à moult grant joie ; car l’empereur avoit sa seur. Si retournerons ung petit à parler du roy de France.

CHAPITRE CXC.

Quant le roy de France ot oy les nouvelles que les Haynnuiers avoient ars le Théraisse, pris et occis ses chevaliers, et destruit la bonne ville de Aubenton, sachiés qu’il ne le prist mie en pascience ; mais commanda à son fil, le duc Jehan de Normandie, qu’il mesist sus une grosse chevaucie et s’en venist en Haynnau ; si atournast tel le pays que jamais ne fust recouvrés. Et le duc dist qu’il le feroit voulentiers. Encore ordonna le roi le conte de Laille, qui estoit Gascon, qu’il mesist sus une grosse armée et s’en alast en Gascongne comme ses lieux-tenans et guerriast fort Bordiaulx et Bordelois et les forteresses qui se tenoient pour les Englès. Lequel conte se party et s’en ala à Toulouse ; et là fist son mandement de par le roy. Lequel mandement se tint comme vous orez cy après. Encore renforça le roy durement sa navie qu’il avoit sur mer, et le grosse armée des escumeurs ; et manda à messire Hue Quieret, à messire Bahucet, à Barbe-Naire et aux autres capitaines, qu’ils fussent songneux d’eulx tenir sur les mettes de Flandres ; et que nullement ils ne laissaissent rapasser le roy d’Engleterre, ne retourner en Flandres. Et se par faulte d’eux il rapassoit, il les feroit morir de male mort ; et ils dirent qu’en eulx il n’y azoit point de faulte.

CHAPITRE CXCI.

Vous avez oy cy dessus comment Flamens sont aliés, et ont juré au roy d’Engleterre de lui aidier à faire sa guerre ; et lui avoient fait à ceste cause enquerquier les armes de France, et avoient fait hommage à luy de tout ce qui tenu estoit du royalme, comme au roy de France ; et ce roy les absolt et clama quittes de la somme des florins dont obligiés s’estoient jadis au roy de France. Et quant le roy de France sceut tous ces traitiés, si lui en despleut fort ; et eut advis qu’il envoieroit vers eulx pour eulx retraire. Si leur manda par ung prélat, qu’ils tenissent leur serment, ou aultrement sentence seroit jetée sur eulx, et aussi que, s’ils voloient relenquir le mauvais conseil qu’ils avoient, et retourner devers le couronne de France, il leur pardonneroit tous ses maltalens et leur donroit encore pluiseurs belles franquises. Les Flamens n’eurent point accort de ce faire ; mais respondirent que de ses franquises ne de ses promesses n’avoient-il que faire. Ces responses furent raportées au roy ; si ne lui pleurent mie ; et s’en complaindy au pappe Climent qui nouvellement estoit crées. Lequel saint Père jetta une sentence d’escumeniement par toute Flandres. Si n’y eut prestres qui osast canter. Dont les Flamens furent moult courrouchiés ; et en escriprent au roy d’Engleterre. Sur quoy le roy Englès respondy que de ce ne se effraiaissent-ils point, et qu’il leur feroit venir assez de prestres d’Engleterre pour chanter leurs messes ; car il estoit pappe en son royalme et en toutes les terres qui se tenoient de lui ; et de ce estoit-il bien prévilegiés. Adont furent les Flamens tous resconfortés et rapaisies.

CHAPITRE CXCII.

Quant le roy de France vit que, par nulle voie, il ne pooit les Flamens retraire à lui, adont fist-il commandement à ceulx de Tournay, de Douay et de Lille qu’ils leurs fesissent toute la guerre et dommage qu’ils pooient. Adont se partirent à ung vespre de Tournay, messire Mahieu de Trie, mariscal de France, et messire Godemars du Fay, avec pluiseurs aultres, et firent une chevaucie atout mille hommes. Si vinrent au point du jour devant Courtray, et ardirent tous les faubourgs au lez devers Tournay, et aqueillirent toute la proie de là environ. Si tuèrent hommes et femmes ; et retournèrent sur le Lis, cuellant et menant tout devant eulx jusques à Warneston. Onques ne furent cachiet ne sieuwy. Et se ramenèrent à Tournay bien dix mille blanques bestes, trois mille pourceaulx et deux mille grosses bestes, sans l’autre pilage. Dont ceulx de Tournay furent grandement ravitaillié.

CHAPITRE CXCIII.

Or vinrent ces nouvelles à Jaquemon d’Artevelle à Gand. Et quant il sceut que ceulx de Tournay avoient ainsi adommagiet le pays, si en fut moult courouchiés ; et dist qu’il seroit amendé, et qu’il yroit asalir Tournay, et que jà il n’atenderoit le roy d’Engleterre, ne aultruy. Si fist son mandement moult espécial. Et en peu de temps assambla plus de soixante mille Flamens ; puis manda au conte de Salseberich et au conte de Sulfort, qui estoient en garnison à Yppre, que hastivement il venissent vers lui, et qu’il en voloit aler vers Tournay ; et asségeroit la cité, et ne deuist avoir autre ayde que de ses Flamens ; et dit qu’il estoit bien en eulx.

CHAPITRE CXCIV.

Quant ces deux contes dessus nommés oyrent ces nouvelles, ils remandèrent à Jaquemon qu’ils seroient dalez lui au jour que mis y fu. Et quant ils furent apparilliés, si se partirent bien cent lances et quarante arbalestrlers ; et s’en venoient devers le pont de la Fer en Tournesis, où Jaquemon estoit jà à plus de cinquante mille Flamens. Si attendoit les deux contes, pour venir ensamble devant Tournay. Et ensi qu’ils chevauchoient, il leur convenoît passer d’encoste Lille, leur venue estoit jà sceue à Lille. Dont s’armèrent et partirent de le ville secrètement bien quinze cens, que à pié que à cheval ; et se mirent en trois agais. Si vinrent les plus appers droit au pas, et se embusquèrent entre haies et buissons.

CHAPITRE CXCV.

Or chevaucèrent ces deux contes et leur routte, sur le guiement messipe Wafflard de le Crois, qui grant temps avoit guerrlé ceulx de Lille et encore faisoit. Et quant il les eut amenés jusqu’à là, il trouva que ceulx de Lille avoient copée la voie leur il cuidoit passer. Dont leur dist-il : « Beaux seigneurs, je me perçoy bien que ceulx de Lille scevent vostre venue. Si me doubte qu’ils n’aient fait embusce sur nous, car nous ne poons cy passer sans grant péril. Si sachiés que je vous ay jusques à cy amenés ; mais par mon conseil nous retournerons et yrons par ailleurs. Et tenez vous contens de ma compaignie ; car se ceulx de Lille saillent hors et ils viennent sur nous, n’aiez nulle fiance en moy ; car je me salverai au plus tost que je porray. Car se je estoie pris, tous ly or de Bruges ne me racateroit point, que je ne fuisse mors à honte. Et je le vous remonstre adfin que vous n’en puissiez parler sur mon honneur. » Et quant ces seigneurs l’oyrent, si lui dirent en riant : « Waflard, alons toudis ; ce ne sont que vilains, ils n’oseroient widier. » Alors se mirent à aprochier la ville de Lille. Adont sailly une embusce de cinq cens hommes au chemin devant eulx ; et commencèrent à crier : « À la mort ! » Si y avoit arbalestriers qui tiroient de fors trais. Et quant messire Waflard oy ce, sans plus parler, il retourna son cheval et se salva ; et les deux seigneurs d’Engleterre furent mieux pris que poisson à le roit ; car ils estoient en ung estroit chemin, entre haies et buissons et grans fossés. Dont ils ne pooient salir ne prendre les camps. Non pourquant, quant il virent le destroit, il se deffendirent moult vaillamment, tant qu’ils peurent. Mais finablement leur deffence ne leur valy riens ; car leurs gens furent mors, et les deux seigneurs, pris et mis en prison ens és halles de Lille, et gardé bien seurement ; et dedans tiers jours furent menés devers le roy de France ; et lui en fu fait ung bel présent à tout une belle compaignie. Quant le roy sceut comment ceulx de Lille avoient esploitié, si en fu moult joieux ; et dist que c’estoient bonne gent ; et de ce qu’il avoient fait, il en vauroient mieulx. Si furent les deux contes mis en Chastelet en prison, où ils furent depuis grant temps, ensy que vous orez. Mais sachiés que, quant Jacque d’Artevelle sceut le prise des deux contes, il en fu tout courouchiés et confus, et fu s’emprinse brisie. Si s’en revint vers Gant, et donna à toutte gent congiet.

CHAPITRE CXCVI.

Or parlerons du conte de Laille qui estoit parti de Paris, lieutenant du roy ens ès marches de Gascongne, qui estoit à Toulouse. Si fit son mandement où il eut moult de grans seigneurs, tant qu’il eut bien trois mille hommes d’armes et trois mille sergans à lances et à pavais. Si se partirent de Toulouse ; et s’en vinrent au mont Saint-Albain ; et de là entrèrent en la ducié d’Aquitaine, où ils commencèrent à faire guerre, et à asségier forteresses, et à prendre prisonniers, et à faire moult de desrois en la terre de La Bret et sur le terre du seigneur de l’Espare, le seigneur de Tharste et le seigneur de Muchident, lesquels n’estoient point adont fort assez pour résister. Non pourquant ils fisent mainte chevaucie sur eulx, fust perte fust gaingne ; mais touttes voies le conte de Laille et se routte tenoient les camps.

  1. Ces derniers mots auront sans doute été ajoutés par le dernier copiste. Le prince de Galles mourut le 8 juillet 1376, et son père, le roi Édouard III, le 21 juin 1377.
  2. Dans l’année 1368, postérieure au voyage de Froissart et à la présentation de ce manuscrit, ce qui montre que celle copie a dû être altérée.
  3. À la paix de Bretigny 1360, après laquelle Froissart partit pour l’Angleterre.
  4. Peut être le copiste était-il Gascon ; car souvent il substitue les b aux v. Ainsi Bertain pour Vertaing, Brebing pour Vervins, Bersy pour Vercy et plusieurs autres.