Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre XVI

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 94-98).

CHAPITRE XVI.

De une noble fête et joutes qui fut faite en la ville de Londres, et comment elle fut publiée par tous pays.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder en notre histoire comment la belle fête se tint en la cité de Paris, quand la roine lsabel de France y entra. Premièrement de cette fête fut-il grands nouvelles en tous pays. Ce fut raison, car elle fut moult honorée et bien fêtée. Le roi Richard d’Angleterre, ses trois oncles et les barons d’Angleterre en avoient bien ouï parler, que excellentement elle avoit été belle et bien gardée, car il y eut des chevaliers et des écuyers d’Angleterre. Or s’avisèrent le roi d’Angleterre, ses oncles et les barons du royaume, que ils ordonnèrent aussi une très puissante fête à être en la cité de Londres ; et y seroient soixante chevaliers de dedans, attendans, et auroient en leur compagnie soixante dames nobles bien ornées et parées ; et jouteroient les chevaliers deux jours, c’est à entendre :

Le dimanche prochain après le jour Saint-Michel, que on compta pour lors en l’an de grâce de Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et dix, les soixante chevaliers et les soixante dames ystroient et partiroient à deux heures après nonne hors du châtel de Londres, et s’en viendroient au long de la ville et tout parmi la rue que on dit de Cep[1] en une grande et belle place que on dit Semetefill[2], et là ce dimanche attendroient douze chevaliers tous autres chevaliers étranges qui jouter voudroient ; et appelleroit-on ces joutes du dimanche la fête du Calenge. Et le lundi seroient en celle même place les soixante chevaliers, armés et appareillés pour jouter, et attendroient tous chevaliers venans, et jouteroient courtoisement de lances de rochets ; et le mieux joutant de ceux du dehors, c’est à entendre des chevaliers, auroit pour prix une couronne d’or et très riche, et cil de dedans qui le mieux atteindroit et jouteroit à l’examen des dames, qui là présentes seroient en chambres et sur hours, en accompagnant la roine d’Angleterre, et les hérauts qui ce verroient et jugeroient, auroit pour le prix un fremail d’or très riche. Et le mardi ensuivant, sur celle même place, seroient soixante écuyers bien montés et armés pour la joute, et attendroient tous écuyers étrangers et du royaume d’Angleterre qui venir et jouter voudroient ; et seroient reçus et recueillis courtoisement de lances de rochets ; et cil qui le mieux jouteroit de dehors auroit un coursier tout ensellé, et cil de dedans un très beau faucon. La manière de la fête fut ainsi ordonnée et devisée, et furent hérauts appelés et chargés, et sur ordonnance de celle fête, de crier partout tant en Angleterre et en Escosse, aussi en Allemagne, en Flandre, en Brabant, en Hainaut et parmi le royaume de France. Les hérauts furent partis, et enseignés lesquels iroient çà et lesquels iroient là, ainsi que le conseil du roi et des seigneurs se porta, et que bien le sçurent faire.

Ces nouvelles s’épartirent et coururent en moult de lieux et de pays, car les hérauts avoient bien jour de pourvéance et de temps. Si s’ordonnèrent de plusieurs pays chevaliers et écuyers pour être à celle fête, les aucuns plus pour voir le convenant et l’ordonnance des Anglois que pour jouter.

Quand les nouvelles furent venues en Hainaut, messire Guillaume de Hainaut comte d’Ostrevant, qui pour ce temps étoit jeune, libéral et de grand’volonté pour jouter et festoyer, enchargea, dit et proposa en soi-même que à celle fête il iroit pour voir et honorer ses cousins, le roi et ses oncles, que oncques n’avoit vus ; et de eux voir et apprendre à connoître, il avoit très grand désir ; et pria et retint chevaliers et écuyers pour être en sa compagnie, et par espécial le seigneur de Gommignies, pourtant que cil connoissoit bien les Anglois, car plusieurs fois il avoit demeuré entre eux. Or s’avisa Guillaume de Hainaut, entre tant que on faisoit les pourvéances pour aller à celle fête publiée et criée, que il iroit en Hollande voir son père, le duc Aubert, comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande, et en parleroit à lui ; et prendroit congé pour la aller. Il se départit du Quesnoy en Hainaut et chevaucha tant par ses journées que il vint à la Haie, une bonne ville de Hollande, où le comte son père se tenoit pour lors. Il fut bien venu, ce fut raison. Quand il vit que heure fut, il remontra à son seigneur de père le propos et intention que il avoit d’aller à celle fête en Angleterre, pour voir le pays, ses cousins et les seigneurs que oncques n’avoit vus. Le comte son père répondit à celle parole et dit : « Guillaume, beau fils, vous n’avez que faire en Angleterre, car jà êtes-vous par mariage si allié aux royaux de France, et votre sœur qui a l’aîné fils de beau cousin de Bourgogne, que vous ne devez querre ni demander nulle autre alliance. » — « Monseigneur, répondit le comte d’Ostrevant, je ne vueil pas aller en Angleterre pour faire quelque alliance, fors que pour jouer et festoyer, et voir mes cousins que oncques je ne vis. Et pour le présent, la fête qui se tiendra à Londres est une fête criée et nonciée partout, et y peut aller qui veut ; et si jà n’y allois, au cas que j’en suis signifié, on le tiendroit à orgueil et présomption ; et puisque par honneur je ferai ce chemin, je vous prie, monseigneur, que vous le m’accordiez. » — « Guillaume, dit le comte, vous êtes vôtre, si faites ce que vous voulez ; mais il me semble, pour toute paix, que il vaudroit mieux que point n’y allissiez. »

Quand le comte d’Ostrevant vit que il tannoit de parler son père, si cessa et rentra en autres paroles ; mais bien savoit quelle chose il avoit entreprise de faire. Et toudis se faisoient ses pourvéances et les menoit-on devers Calais. Gommignies le héraut fut envoyé en Angleterre de par le comte d’Ostrevant, pour signifier au roi et à ses oncles que il viendroit étoffément à leur fête. De ces nouvelles furent le roi et ses trois oncles grandement réjouis ; et donnèrent au héraut de beaux dons, qui depuis lui vinrent bien à point, car il aveugla et fut battu en la fin de ses jours de celle verge. Je ne sais s’il avoit Dieu courroucé, mais ce héraut en son temps régna assez merveilleusement ; pourquoi, quand il perdit sa vue, il n’en eut que moult petit de plainte. Or se départit le comte d’Ostrevant de la Haye en Hollande et prit congé au comte son père, et puis retourna en Hainaut et au Quesnoy devers sa femme.

Celle noble fête dont je vous fais mention fut publiée, criée et nonciée en plusieurs lieux, dont plusieurs chevaliers et écuyers s’avancèrent pour y aller. Le comte Waleran de Saint-Pol, qui pour lors avoit à femme et à épouse la sœur du roi Richard d’Angleterre, s’ordonna et appareilla grandement, et se pourvéit de chevaliers et écuyers, et tout pour aller en Angleterre à celle fête ; et s’en vint à Calais. Là étoient les nefs messagères de Douvres qui attendoient les seigneurs. Si passèrent premièrement les pourvéances et l’ordonnance des seigneurs et leurs varlets ; et vinrent à Londres, et appareillèrent leurs hôtels. Le comte d’Ostrevant se partit de Hainaut en grand’étoffe et bien accompagné de chevaliers et d’écuyers ; et passa parmi Artois, et vint à Saint-Omer et puis à Calais ; et là se trouvèrent le comte de Saint-Pol et lui.

Quand heure fut, et ils eurent vent pour passer à volonté, et que les vaisseaux furent chargés, les seigneurs passèrent. Il me fut dit, et bien le crois, que le comte de Saint-Pol passa et vint en Angleterre premièrement trois jours que le comte d’Ostrevant ; et quand il vint à Londres, il trouva le roi, son beau-frère, et messire Jean de Hollande, et les barons et chevaliers d’Angleterre qui le recueillirent à grand’joie et lui demandèrent des nouvelles de France, et il en répondit bien et sagement. Or passa le comte d’Ostrevant par un jeudi, et vint à Cantorbie le vendredi, et alla voir la fierte Saint-Thomas à cœur jeun, et y fit offrande belle et riche ; et là se tint tout le jour ensuivant, et le lendemain il vint à Rochestre ; ce fut le samedi. Et pour ce il menoit grand’route de chevaliers et d’écuyers ; et pour leur arroy, il alloit à petites journées et à l’aise des chevaux ; et le dimanche, après messe, il se départit de Rochestre et s’en vînt dîner à Dardeforte, et puis monta tantôt après dîner et chemina pour être, cel dimanche que la fête se commençoit, à Londres.

Le dimanche dont je vous parle, qui fut, en l’an de l’Incarnation dessus dite, le plus prochain devant le jour Saint-Michel, se devoit commencer la fête, si comme elle fit. Et devoit ce jour avoir joute en la place de Semetefille ; et ces joutes on les appeloit du Calenge. Ce dimanche, sur le point de trois heures, issirent hors du chastel de Londres, séant sur la Tamise, lequel chastel siéd en la place Sainte-Catherine, tout premièrement, soixante coursiers ordonnés et parés pour la joute, et sur chacun coursier un écuyer d’honneur ; et chevauchoient tout le pas ; et puis issirent soixante dames d’honneur[3] ; montées sur palefrois, chevauchantes toutes d’un lez, si richement ornées que rien n’y failloit ; et menoit chacune dame son chevalier à une chaîne d’argent, lesquels chevaliers étoient armés et ordonnés pour la joute ; et ainsi s’en vinrent tout au long de Londres, à grand’foison de trompes et de tous ménestrels, jusques en la place de Semetefille. La roine d’Angleterre, et ses dames et damoiselles pour son corps, étoit et étoient en chambres ornées et parées très richement pour voir la fête, et là étoit le roi de-lez la roine.

Quand les dames, qui les chevaliers menoient, furent venues en la place, leurs gens étoient tous pourvus, qui les mirent jus de leurs palefrois et les montèrent en hours et en chambres qui parés et ordonnés étoient pour elles ; et les chevaliers demeurèrent sur la place. Si descendirent les écuyers, qui les coursiers sur lesquels on devoit jouter menoient, et montèrent les chevaliers ordonnément. Si leur furent mis les heaumes et appareillés de tous points. Là vint le comte de Saint-Pol très bien accompagné de chevaliers et d’écuyers, et tous armés en harnois de joute, pour commencer la fête, laquelle se commença ; et joutèrent tous chevaliers étrangers qui jouter voulsirent, ou qui le loisir et espace en eurent, car la vespre vint tantôt. Si furent celles joutes, que on dit du Calenge, fortes et belles et bien joutées, et continuées jusques au soir ; et se retrairent tous seigneurs et dames là où retraire se devoient : et étoit la roine logée en la place de Saint-Pol, à l’hôtel de l’évêque de Londres ; et là fut fait le souper. Ce soir vint le comte d’Ostrevant. Si fut du roi et des seigneurs joyeusement et bien grandement recueilli. De celles joutes eut le prix pour ce dimanche, de ceux de dehors le comte Waleran de Saint-Pol, et de ceux de dedans le comte de Hostidonne. Si furent les danses à l’hôtel de la roine, présent le roi, ses frères et ses oncles, et les barons d’Angleterre, les dames et les damoiselîes, grandes, belles et bien dansées, menées et persévérées en tous ébattemens jusques au jour, que tous et toutes, qui au souper et aux danses avoient été, se retrairent à leurs hôtels, excepté le roi et la roine. Cils demeurèrent à l’hôtel l’évêque, car ils y logèrent.

Quand ce vint à lendemain lundi, vous vissiez en moult de lieux et de places parmi la cité de Londres écuyers et varlets, soigneux d’entendre à mettre à point les harnois de leurs seigneurs et maîtres. Après nonne s’en vint le roi d’Angleterre sur la place, armé et bien accompagné de ducs, de comtes et de seigneurs, car il étoit de ceux de dedans. La roine d’Angleterre, bien accompagnée de dames et de damoiselles, s’en vint en la place où les joutes se tenoient ; et montèrent sur les chambres et sur les hours qui ordonnés et appareillés pour elles étoient. Après vinrent le comte de Saint-Pol et les chevaliers de France qui jouter vouloient. Lors commencèrent les joutes grandes et belles ; et fit chacun son pouvoir de soi bien acquitter ; et en eut plusieurs rués jus de leurs chevaux et désheaumés ; et durèrent et se continuèrent ces joutes fortes et roides jusques à la nuit qu’on se retrait aux hôtels, chacun seigneur là où il étoit logé, et les dames aussi ; et quand heure fut de retraire là où le souper étoit ordonné, on s’y trait. Si fut le souper grand, bel et bien ordonné. Et pour ce jour eut le prix des joutes des mieux faisans de dehors, le comte d’Ostrevant ; et bien le desservit, car outre mesure il avoit très bien jouté, au jugement des dames, des seigneurs et des hérauts à ce ordonnés pour le juger et donner ; et de ceux de dedans en eut le prix un gentil homme d’Angleterre qui s’appeloit messire Hue le Despensier.

À lendemain mardi furent les joutes en la place dessus nommée après nonne des écuyers ; et furent en la présence du roi et des dames très bien joutées et continuées ; et durèrent jusques à la nuit que on se retrait aux hôtels, ainsi que on avoit fait le lundi devant ; et puis au souper on s’en revint à l’hôtel de l’évêque de Londres, là où le roi, la roine et les dames étoient. Si fut le souper bel et grand et bien dansé, et continué toute la nuit jusques au jour que cils et celles qui départir se devoient se départirent et s’en retournèrent à leurs hôtels.

Le mercredi, après dîner, en la place dessus dite joutèrent tous ensemble, chevaliers et écuyers, qui jouter et voulsirent et purent ; et furent les joutes fortes, roides et bien joutées ; et fut le souper des dames où il avoit été devant.

Le jeudi donna à dîner à tous chevaliers étrangers le roi en ce même hôtel, et la roine aux dames et aux damoiselles.

Le vendredi donna le dîner le duc de Lancastre à tous chevaliers étrangers et écuyers, et fut le dîner grand et bel.

Samedi le roi et les seigneurs se départirent de Londres et s’en allèrent à Windesore ; et furent priés de là aller le comte d’Ostrevant, le comte de Saint-Pol, et les chevaliers et écuyers de France qui étoient venus à la fête. Tous y allèrent ; ce fut raison. En le châtel de Windesore, qui est grand, bel et bien ordonné, et qui siéd sur la rivière de la Tamise à vingt milles de Londres, furent de rechef les fêtes grandes et puissantes de dîners et de soupers que le roi d’Angleterre fit et donna ; et par espécial il ne savoit pas comment il put excellentement bien honorer son cousin, le comte d’Ostrevant ; lequel comte fut là requis du roi et de ses oncles que il voulsist être de l’ordre des chevaliers du Bleu-Gertier, dont la chapelle de Saint George est au châtel de Windesore. Le comte d’Ostrevant, à la parole du roi et des barons d’Angleterre répondit et dit que il s’en conseilleroit. Il s’en conseilla à tels que au seigneur de Gommignies et à Fierabras de Vertaing, bâtard, lesquels ne lui eussent jamais conseillé à refuser l’ordonnance de l’ordre du Bleu-Gertier et de la compagnie Saint George. Si y entra et le prit. Dont les François qui là étoient présens se émerveillèrent grandement ; et murmuroient entre eux, et tenoient leurs paroles et disoient : « Le comte d’Ostrevant montre bien qu’il a le courage plus anglois que françois, quand prend le gertier et la devise du roi Richard d’Angleterre. Il marchande bien être mal de l’hôtel du roi de France et de monseigneur de Bourgogne, laquelle fille il a ; un temps viendra que fort s’en repentira. Tout considéré il ne sait qu’il a fait, car il étoit si bien du roi de France, du duc de Touraine, son frère, et des royaux, que, quand il venoit à Paris ou ailleurs devers eux, ils lui montroient et faisoient plus d’amour et de beau semblant que à nul de leurs cousins. »

Ainsi et en divers propos langageoient les François, et accusoient de mal et de contraire le jeune comte d’Ostrevant, là où il n’avoit nulle coulpe. Car ce que fait en avoit il ne le fit pour gréver ni contrarier le royaume de France ni ses cousins de France en rien ; il n’y avoit pensé fors que pour honneur et amour de complaire à ses cousins d’Angleterre, et que pour être au besoin plus bon moyen entre France et Angleterre ; ni à ce jour qu’il fit serment au prendre le bleu gertier, toutes gens doivent savoir si ils le veulent entendre, que oncques n’y eut parole ni alliance qui pût porter préjudice au royaume de France, fors amour et compagnie ; mais on ne peut défendre à parler les envieux.

Quand on eut dansé, joué et carolé assez au chastel de Windesore, et le roi d’Angleterre eut donné de beaux dons aux chevaliers et écuyers d’honneur du royaume de France, et par espécial au jeune comte d’Ostrevant, on prit congé au roi, à la roine, aux dames et damoiselles, et aux frères et oncles du roi, et puis se fit le département. Le comte de Saint-Pol et tous les François, aussi les Hainuiers et Allemands, se départirent. Ainsi se partit celle grand’fête qui fut en la cité de Londres, et retourna chacun en son lieu.

Or advint, ainsi que nouvelles queurent et volent partout, que le roi de France, son frère et ses oncles furent informés par ceux qui en Angleterre de leur côté avoient été, de tout ce que advenu y avoit, dit et fait ; et rien n’y eut oublié, mais mis et ajouté de nouvel assez pour encraisser la besogne, et exaulser avant le mal que le bien ; comment Guillaume de Hainaut, qui comte d’Ostrevant s’escripsoit, avoit été en Angleterre et rendu peine grandement à honorer les Anglois et aider à faire leur fête ; et avoit eu le prix et l’honneur des joutes dessus tous les chevaliers étrangers ; mais il en avoit trop grandement bien payé les Anglois, car il étoit homme devenu au roi d’Angleterre ; et avoit fait serment et alliance à lui et pris l’ordre du Bleu-Gertier en la chapelle du chastel de Windesore, en la compagnie et confrérie des chevaliers de Saint George, laquelle le roi Édouard d’Angleterre, et son fils le prince de Galles avoient mise sus ; et ne pouvoit nul entrer en la compagnie ni faire serment qui jamais se pût armer contre la couronne d’Angleterre ; et le serment avoit fait le comte d’Ostrevant sans nulle réservation. De ces nouvelles furent le roi, son frère et ses oncles, tous troublés et fort courroucés sus le comte d’Ostrevant ; et dit adonc le roi : « Or regardez ; il n’y a pas un an que on me prioit que son frère fût évêque de Cambray ; laquelle chose seroit à présent, selon les nouvelles que nous oyons trop préjudiciables ? Trop mieux vaut que notre cousin de Saint-Pol soit en la possession de l’évêché de Cambray que Jean de Hainaut : les Hainuiers ne nous firent oncques bien, ni jà ne feront. Ils sont orgueilleux et présomptueux, et ont toujours eu à grâce trop plus les Anglois que nous ; mais un jour viendra que ils s’en repentiront chèrement. Nous voulons, dit le roi, mander à ce comte d’Ostrevant que il vienne devers nous faire ce qu’il doit, c’est hommage de la comté d’Ostrevant ; ou nous lui ôterons et le attribuerons à notre royaume. » Tous ceux du conseil du roi, et par science, répondirent et dirent : « Sire, vous parlez bien, et ainsi doit-il être fait. »

Vous devez savoir que le duc de Bourgogne, de qui la fille le comte d’Ostrevant avoit à femme, ne fut pas réjoui de ces nouvelles, car toujours avoit-il porté et avancé son fils d’Ostrevant devers le roi et les royaux.

Celle chose ne demeura pas à non chaloir ; mais escripsit le roi de France lettres moult dures, et les envoya au comte d’Ostrevant, qui se tenoit au Quesnoy en Hainaut, en lui signifiant et mandant que il vint à Paris faire hommage, présens les pairs, au roi, et relever la comté d’Ostrevant, ou il lui ôteroit et lui feroit guerre. Le comte d’Ostrevant, quand il eut vues les lettres et lues, vit bien et sentit que le roi de France et son conseil étoient dur informés et indignés contre lui. Si prit loisir de répondre aux lettres ; et assembla son conseil, le seigneur de Fontaines, le seigneur de Gommignies, messire Guillaume des Hermoies, le seigneur de Trasignies, le bailli de Hainaut seigneur de Senselles, messire Race de Montigny, l’abbé de Crespin, Jean Seuwart et Jaquemart Barret de Valenciennes. Ces sages hommes, pour répondre aux lettres du roi, se mirent ensemble et parlementèrent moult longuement, et là eut mainte parole proposée et retournée. Tout considéré, avisé fut pour le meilleur et le plus sûr, que on récriroit au roi, et aussi à son conseil, sur forme et manière de prendre jour de répondre clairement aux demandes que on faisoit, par bouche et de personnes créables, non par lettres. Et en ces detriances on envoieroit du conseil notables personnes devers le comte de Hainaut, le duc Aubert, pour avoir sens plus discerné pour répondre.

Ainsi fut fait. On escripsit doucement et pourvument au roi et à son conseil. Tant que de ces premières lettres on s’en contenta assez, et depuis on se pourvéy d’envoyer en Hollande le seigneur de Trasignies et le seigneur de Senselles, Jean Seuwart et Jacques Barret. Cils parlèrent au comte de Hainaut, et lui remontrèrent l’état des pays de Hainaut, et la forme des lettres que le roi de France avoit escriptes et envoyées devers son fils, le comte d’Ostrevant. Le comte de Hainaut fut tout mérencolieux de ces paroles, et dit à ceux qui lui en parloient : « Je n’en pensois ni attendois autre chose. Guillaume mon fils n’avoit que faire en Angleterre. Je lui ai baillé et livré le gouvernement de la comté de Hainaut. Or en fasse et use par le conseil qui est au pays. Trayez-vous vers beau cousin de Bourgogne, car il est bien taillé de pourvoir et mettre ordonnance à toutes ces choses. Et des demandes que le roi fait, pour le présent je ne vous en saurois autrement conseiller. »

Sur cel état, ceux qui furent envoyés en Hollande retournèrent en Hainaut et firent réponse. On se contenta assez. Donc furent ordonnés pour aller devers le roi en France et le duc de Bourgogne : le sire de Trasignies, messire Guillaume des Hermoies, messire Race de Montigny, Jean Seuwart et Jacques Barret. Toutes les incidences qui dépendent de ces besognes seroient trop longues à recorder et proposer qui de toutes voudroit parler. Finablement la conclusion fut telle, quoiqu’on eût à aide et à bon moyen le duc de Bourgogne, il convint le comte d’Ostrevant aller à Paris et faire son devoir de relever la comté d’Ostrevant et en reconnoître l’hommage être dû au roi de France. Autrement on eût eu la guerre toute prête en Hainaut ; et y rendoient grand’peine pour l’avoir le sire de Coucy et messire Olivier de Cliçon. Mais messire Jean le Mercier et le sire de la Rivière le brisoient en tant qu’ils pouvoient.

Nous nous souffrirons à parler de cette matière, et encore en ayons-nous parlé trop longuement, et retournerons aux barons et chevaliers de France, qui tenoient le siége devant la forte ville d’Auffrique.

  1. Cheapside.
  2. Smithfield.
  3. Hollinshed dit vingt-quatre.