Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre LII

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 260-271).

CHAPITRE LII.

Comment le siége que les François avoient mis devant la forte ville de Nicopoli en Turquie fut levé par l’Amorath-Baquin, et comment ils y furent déconfits et tués, et comment les Hongrès s’enfuirent.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire, comment le roi de Honguerie et les seigneurs de France, qui celle saison étoient allés au royaume de Honguerie pour quérir les armes, avoient vaillamment passé la rivière de la Dunoe et étoient entrés en Turquie ; et tout l’été depuis le mois de juillet y avoient fait moult d’armes, pris et mis à mercy moult de pays, villes et chastels, ni nul n’étoit allé au devant qui pût résister à leur puissance ; et avoient assiégé la cité de Nicopoli et durement atteinte, et tellement menée par force d’assauts, qu’elle étoit en petit d’état et sur le point de rendre. Et ne oyoient nulles nouvelles de l’Amorath-Baquin ; et jà avoit dit le roi de Honguerie aux seigneurs de France, aux comtes de Nevers, d’Eu, de la Marche, de Soissons, au seigneur de Coucy et aux barons et chevaliers de France et de Bourgogne : « Beaux seigneurs, Dieu merci ! nous avons eu bonne saison, car nous avons moult fait d’armes et détruit de la Turquie. Je tiens et compte celle ville de Nicopoli pour nôtre, toutefois que nous voudrons ; elle est si menée et astreinte qu’elle ne se peut tenir. Si que, tout considéré, je conseille que, la ville prise et mise à notre merci, nous n’allons plus avant pour la saison. Nous nous retrairons delà la Dunoe au royaume de Honguerie, auquel j’ai plusieurs cités, villes et chastels tous appareillés et ouverts pour vous recevoir, car c’est raison, au cas que vous m’aidiez à faire ma guerre contre ces Turcs lesquels je trouve et ai trouvés durs ennemis. Et cel hiver nous ferons nos pourvéances, chacun si comme il les voudra avoir, pour l’été à venir ; et signifierons notre état au roi de France, lequel, sur l’été qui retournera, nous rafreschira de nouvelles gens. Et espoir, quand il saura l’ordonnance et le commandement de nous, aura-t-il affection d’y venir en personne, car il est jeune et de grand’volonté et aime les armes. Et vienne ou non, à l’été qui retourne, s’il plaît à Dieu, nous acquitterons le royaume d’Arménie et passerons le bras Saint-George, et irons en Syrie et acquitterons les ports de Japha et de Baruth, et conquerrons Jérusalem et toute la sainte terre ; et si le soudan vient au devant, nous le combattrons, et point ne s’en partira sans bataille. »

Ainsi avoit dit et proposé le roi de Honguerie aux seigneurs de France, et tenoient et comptoient Nicopoli pour leur : mais il en aviendra bien autrement. Toute celle saison le roi Basaach de Turquie, dit l’Amorath-Baquin, avoit fait son armée de Sarrasins et de mescréans. Et étoient priés et demandés jusques au royaume de Perse. Et se présentèrent tous les seigneurs de sa loi à lui aider pour détruire la sainte chrétienté ; et avoient tous passé le bras Saint-George. Et étoient bien deux cent mille de puissance ; et du nombre d’eux n’étoient point les Chrétiens certifiés. Et tant approchèrent le roi Basaach et ses gens, en cheminant les couvertes voies, qu’ils approchèrent la cité de Nicopoli ; et rien ne savoient les Chrétiens de leur convenant ni que ils fussent si près d’eux approchés comme ils étoient. Celui Amorath-Baquin savoit de guerre tant qu’on pouvoit savoir, et fut un moult vaillant homme et de grand’emprise ; et bien le montra par le grand sens qui en lui étoit. Il avisoit bien la puissance des Chrétiens, et disoit qu’ils étoient vaillans gens. L’Amorath-Baquin, qui venoit lever le siége devant la cité de Nicopoli, chevauchoit en l’ordonnance que je vous dirai. Tout son ost étoit en ailes, à manière d’une herse ; et comprenoient bien ses gens une grande lieue de terre ; et devant, environ une lieue, pour faire montre et visage, chevauchoient environ huit mille Turcs ; et les deux ailes de la bataille l’Amorath-Baquin étoient ouvertes au front devant et étroites derrière ; mais elles épaississoient toudis ; et étoit l’Amorath au fond de la bataille, et tous cheminoient à la couverte. Et les huit mille Turcs qui faisoient l’avant-garde de devant, étoient ordonnés en cette entente pour faire montre et visage. Mais si très tôt qu’ils verroient les Chrétiens approcher, petit à petit ils devoient reculer et eux retraire au fort de la grosse bataille, et ces deux ailes, lesquelles étoient toutes ouvertes, quand les Chrétiens seroient entrés dedans, se devoient clorre et mettre en une, et par grand’puissance de peuple tout étreindre et confondre, tant qu’ils trouveroient et encontreroient, et enclorroient en leurs ailes. Ainsi fut faite l’ordonnance de la bataille l’Amorath-Baquin.

Avint en ce temps, que on compta l’an mil trois cent quatre vingt et seize, le lundi devant le jour Saint-Michel, au mois de septembre, sur le point de dix heures, ainsi que le roi de Honguerie et tous les seigneurs et leurs gens qui au siége devant Nicopoli, étoient séoient au dîner, nouvelles vinrent en l’ost de leurs ennemis que les Turcs chevauchoient. Et si comme il me fut dit, les coureurs ne rapportèrent pas la vérité de la besogne, car ils n’avoient pas chevauché si avant qu’ils eussent vu la puissance des deux ailes et de la grosse bataille du dit Amorath ; car si très tôt qu’ils virent l’avant-garde, ils ne chevauchèrent plus avant, ou ils n’osèrent, ou ils n’étoient pas hommes d’armes de sage emprise. Et avoient les François leurs découvreurs et les Hongrès les leurs. À leur retour chacun coureur retourna devers ses seigneurs et maîtres, et rapportèrent nouvelles aussitôt l’un comme l’autre. La greigneur partie de tout l’ost séoit au dîner. Nouvelles vinrent au comte de Nevers et à tous seigneurs en général, en disant : « Or tôt, armez-vous et apprêtez que vous ne soyez surpris et déçus ; car voici les Turcs qui viennent et chevauchent. » Ces nouvelles réjouirent grandement plusieurs Chrétiens qui désiroient les armes ; et levèrent sus, et boutèrent les tables outre, et demandèrent les armes et les chevaux. Et avoient le vin en la tête dont ils s’étoient échauffés ; et se trairent chacun qui mieux mieux sur les champs. Bannières et pennons furent développés et mis avant. Si se traist chacun dessous sa bannière et son pennon, et là fut développée la bannière Notre-Dame ; et étoit ordonné pour elle ce vaillant chevalier, messire Jean de Vienne, amiral de France. Moult s’avancèrent les François d’eux armer et traire sur les champs ; et y furent tous de premier en très grand’puissance et arroi ; et doutoient moult petit des Turcs à ce qu’ils montroient, car ils ne cuidoient point que le nombre y fût si grand comme il étoit, et l’Amorath en propre personne.

Ainsi que les seigneurs de France issoient hors de leurs logis et venoient moult hâtivement sur les champs, à petite ordonnance, vint le maréchal du roi de Honguerie, un moult appert et vaillant chevalier qui s’appeloit messire Henry d’Esten Lemhalle, monté sur un coursier très bien allant ; et portoit un court pennon de ses armes, qui étoient d’argent à une noire croix ancrée que on appelle en armoirie un fer de moulin ; et vint chevauchant jusques aux seigneurs de France, et s’arrêta devant la bannière Notre-Dame ; et là étoient la plus grand’partie des barons de France. Et dit tout haut, que bien fut ouï et entendu : « Je suis ci envoyé de par monseigneur le roi de Honguerie, et vous prie et mande par moi, que point ne faites si grand outrage que d’aller commencer bataille et assaillir les ennemis, jusques à tant que vous aurez de par le roi autres nouvelles, car il fait doute que nos découvreurs et coureurs, et aussi font ceux de son conseil, n’ont point bien rapporté la certaineté des Turcs. Et dedans deux heures ou environ vous aurez autres nouvelles, car nous avons envoyé chevaucheurs, qui chevaucheront plus avant que ceux n’ont fait qui y ont été envoyés et qui en sont retournés, et par lesquels nous avons eu ces nouvelles ; et soyez tous assurés que les Turcs ne vous grèveront point si vous ne les assaillez, jusques à tant qu’ils seront en puissance tous ensemble. Or faites ce que je vous devise, car c’est l’ordonnance du roi et de son conseil, je m’en retourne et ne puis plus demourer. »

À ces mots s’en retourna le maréchal de Honguerie, et les seigneurs demourèrent, et se mirent ensemble pour savoir quelle chose ils feroient. Là fut demandé au seigneur de Coucy quelle chose étoit bonne à faire, il répondit : « Le roi de Honguerie a cause de nous mander ce qu’il veut que nous fassions ; et l’ordonnance du maréchal est bonne. » Or me fut dit que messire Philippe d’Artois, comte d’Eu et connétable de France, se félonna de ce que on ne lui avoit demandé premièrement l’avis de sa réponse, et que le sire de Coucy s’étoit avancé de parler ; et dit, par orgueil et par dépit, tout le contraire que le sire de Coucy avoit dit et remontré, et dit : « Oil, oil, le roi de Honguerie veut avoir la fleur et l’honneur de la journée. Nous avons l’avant-garde, et jà le nous a-t-il donné ; si le nous veut retollir d’avoir la première bataille ; et qui l’en croye je ne l’en croirai jà. » Et puis dit au chevalier qui portoit sa bannière : « Au nom de Dieu et de Saint George, va, car on me verra hui bon chevalier. »

Quand le sire de Coucy eut ouï le connétable de France ainsi parler, si tint la parole à grand’présomption ; et regarda sur messire Jean de Vienne qui tenoit et portoit la bannière Notre-Dame, la souveraine de toutes les autres, et leur ralliance. Si lui demanda quelle chose étoit bonne à faire : « Sire de Coucy, répondit-il, là où vérité et raison ne peut être ouïe, il convient que outre-cuidance règne. Et puisque le comte d’Eu se veut combattre et assembler aux ennemis, il faut que nous le suivions ; mais nous serions plus forts si nous étions tous ensemble, que nous ne serons là où nous assemblerons sans le roi de Honguerie. » Et quoique ainsi ils devisassent et parlassent sur les champs, les mescréans approchoient moult fort ; et les deux ailes des batailles, où bien avoit en chacune soixante mille hommes, se commençoient à approcher et à clorre ; et se trouvèrent les Chrétiens en my eux. Et si reculer voulsissent, si ne pussent-ils pour eux, tant étoient fortes et épaisses les ailes.

Lors connurent tantôt plusieurs chevaliers et écuyers usés d’armes, que la journée ne pouvoit être pour eux. Nonobstant ce, ils s’avancèrent et suivirent la bannière Notre-Dame, que ce vaillant chevalier, messire Jean de Vienne, portoit. Là étoient ces seigneurs de France en leurs armes et si proprement que chacun sembloit un roi ; et quand ils assemblèrent premièrement aux Turcs, si comme il me fut dit, ils n’étoient pas sept cents. Or regardez la grand’folie et outrage ; car si ils eussent attendu le roi de Honguerie et les Hongrès, où bien avoit soixante mille hommes, ils eussent fait un grand fait ; et par eux et leur orgueil fut toute la perte ; et le dommage qu’ils reçurent si grand que depuis la bataille de Raincevaux où les douze pairs de France furent morts et déconfits[1] ne reçurent si grand dommage. Mais à voir dire, ils firent, avant qu’ils chéissent au danger de leurs ennemis, grand’foison d’armes. Et véoient bien les plusieurs chevaliers et écuyers qu’ils s’alloient perdre, et tout par orgueil et bobant d’eux. Et déconfirent ces François la première bataille, et mirent en chasse ; et vinrent sur un grand val où l’Amorath atout sa puissance étoit. Lors vouldrent les François retourner devers l’ost, car ils étoient tous montés sur chevaux couverts, mais ne purent, car ils furent enclos et serrés de toutes parts. Là eut grand’bataille, dure et fort combattue ; et durèrent les François moult longuement.

Les nouvelles vinrent en l’ost au roi de Honguerie, que les Chrétiens françois, anglois et allemands se combattoient aux Turcs, et que point n’avoient tenu son ordonnance ni conseil, ni de son maréchal aussi ; si fut moult courroucé, et bien y avoit cause ; et connut tantôt que la journée n’étoit point pour eux. Si dit ainsi au grand maître de Rhodes qui étoit de côté de lui : « Nous perdrons hui la journée par l’orgueil et bobant de ces François ; et s’ils m’eussent cru nous avions gens assez pour combattre nos ennemis. » À ces paroles regarda le roi de Honguerie derrière lui, et vit que ses gens fuyoient et déconfisoient d’eux-mêmes, et que les Turcs les mettoient en chasse ; dont il vit que point n’y auroit de recouvrance. Là dirent ceux qui étoient de-lez lui : « Sire, sauvez vous, car si vous êtes mort ou pris, toute Honguerie est perdue. Il convient hui perdre la journée par l’orgueil des François. Leur vaillance leur tournera à outre-cuidance ; car tous y seront morts et pris, ni jà nul ne se sauvera. Si échappez ce danger, si vous nous en créez. »

Au roi de Honguerie n’avoit que courroucer, quand il vit qu’il perdoit la journée par le désarroi françois, et qu’il le convenoit fuir s’il ne vouloit être mort ou pris. À voir dire, là avint très grand’pestillence sur les François et sur les Hongriens ; car vous savez, qui fuit on le chasse. Les Hongriens fuyoient sans ordonnance ni arroi, et les Turcs les chassoient à pouvoir. Si en y eut de morts moult, et de pris en chasse. Toutefois Dieu aida le roi de Honguerie et le grand maître de Rhodes ; ils entrèrent dedans, eux septièmes seulement, et éloignèrent tantôt la rive ; autrement ils eussent été tous morts ou pris ; car les Turcs vinrent jusques au rivage ; et là eut grand’occision de ceux qui poursuivoient le roi et qui se cuidoient sauver.

Or, parlons des François et des Allemands qui se combattoîent vaillamment et moult d’armes y firent. Quand le sire de Montcaurel, un vaillant chevalier d’Artois, vit que la déconfiture tournoit sur eux, il avoit là un sien jeune fils, si dit à un écuyer : « Prends mon fils, si le mène, tu te peux bien partir, par celle aile là qui est toute ouverte ; sauve moi ma fame. J’attendrai l’aventure avecques les autres. »

L’enfant, quand il ouït parler son père, dit que point il ne se départiroit ni le lairroit. Mais le père fit tant à force que l’écuyer l’emmena et le mit hors du péril, et vinrent sur la Dunoe. Mais là endroit l’enfant de Montcaurel, qui étoit mérencolieux pour son père qu’il laissoit, fut noyé par grand’mésaventure entre deux barges, ni oncques nul ne le put sauver.

Messire Guillaume de la Trémoille étoit en la bataille et se combattit moult vaillamment ; et fit ce jour grand fait d’armes ; et fut là occis, et un sien fils sur lui.

Messire Jean de Vienne qui portoit la bannière Notre-Dame fit merveilles d’armes, mais il fut là occis, la bannière Notre-Dame entre ses poings. Ainsi fut-il trouvé.

Toute la force des seigneurs de France, qui pour ce jour furent à la besogne de Nicopoli, fut là ruée jus et détruite auques par la manière et ordonnance que je dis.

Messire Jean de Bourgogne, comte de Nevers, étoit en si grand arroi et si riche qu’il se pouvoit faire ; et aussi étoient messire Guy de la Trémoille, et plusieurs barons et chevaliers de Bourgogne, qui tous s’étoient efforcés pour l’amour de lui. Là eut deux écuyers de Picardie, vaillans hommes, lesquels s’étoient trouvés en plusieurs places de rencontres et de batailles, et en étoient partis et issus à leur honneur, et aussi firent-ils de la besogne de Nicopoli. Ce furent Guillaume de Bu et le Borgne de Montquel. Ces deux écuyers, par grand vaillance et fait d’armes et hardiment combattre, passèrent outre les batailles et retournèrent en la bataille par deux fois, où ils firent plusieurs appertises d’armes ; et là furent occis. À voir dire les chevaliers et écuyers de France qui là furent, et les étrangers d’autres nations, s’acquittèrent et portèrent au combat moult vaillamment, et y firent moult d’armes. Et si les Hongriens se fussent aussi vaillamment portés et acquittés que firent les François, la besogne fût autrement tournée que elle ne fit. Mais de tout le meschef, à considérer raison, les François en furent cause et coulpe, car par leur orgueil tout se perdit. Là avoit un chevalier de Picardie qui s’appeloit messire Jacques de Helly, lequel avoit demeuré en son temps en Turquie, et avoit servi en armes l’Amorath-Baquin, père à ce roi Basaach dont je parle présentement ; et savoit un peu parler de Turc. Quand il vit que la déconfiture couroit sur eux, si eut avis de soi sauver, car il véoit que qui pouvoit venir jusques à être pris, il se rendoit et mettoit à sauveté ; et Sarrasins, qui sont convoiteux sur or et argent, les prenoient et tournoient de côté et les sauvoient. Par celle manière fut-il sauvé de non être occis en la prise ; et aussi un écuyer de Tournesis qui se nommoit Jacques du Fay et avoit servi au roi de Tartarie, lequel roi s’appeloit Tanburin[2]. Et quand ce Jacques sçut les nouvelles que les François venoient en Turquie, il prit congé au roi de Tartarie, lequel lui donna assez légèrement ; si fut à la bataille là pris et sauvé proprement des gens du roi Tanburin de Tartarie qui là étoient ; car le roi Tanburin, à la prière et requête de l’Amorath y ayoit envoyé grand nombre de gens d’armes ; ainsi que tous rois chrétiens ou payens, quand mestier est, confortent l’un l’autre[3].

Ce grand dommage reçurent devant Nicopoli en Turquie les François[4] ; et furent tous morts et tous pris ; et ce qu’ils étoient si richement armés et arroyés de si riches armures que ce sembloient rois en sauva à grand nombre les vies ; car Sarrasins, Turcs et tous ceux de leur foi sont grandement convoiteux sur or et argent, et il leur étoit avis que, des seigneurs que pris avoïent, ils extorqueroient grand’finance ; et les tenoient encore à plus grands seigneurs qu’ils n’étoient. Messire Jean de Bourgogne, comte de Nevers, fut pris. Aussi furent le comte d’Eu, le comte de la Marche, le sire de Coucy, messire Henry de Bar, messire Guy de la Trémoille, messire Boucicaut et plusieurs autres ; et messire Philippe de Bar mort sur la place, et messire Jean de Vienne, Guillaume de la Tremoille et son fils. Sur l’espace de trois heures, cette grosse bataille fut faite ; et perdit le roi de Honguerie tout son arroi entièrement et sa vaisselle d’or et d’argent qui là avoit joyaux et autres choses ; et se sauva lui septième tant seulement ; et entra en un batel de Rhodes lequel avoit là amené pourvéances[5], dont il lui prit bien, car autrement il eût été mort et pris sans recouvrer. Et y eut en fuyant morts et occis moult plus d’hommes assez que en la bataille et noyés grand nombre. Heureux étoit qui se pouvoit sauver ni échapper par quelque voie que ce fût.

Quand toute cette déconfiture fut passée, et que Turcs, Persans, et tous autres là envoyés de par le soudan et les rois payens, furent retraits en leurs logis, c’est à entendre ès trefs, tentes et pavillons que conquis avoient des Chrétiens, et que bien garnis trouvèrent, et remplis de moult de biens, de vins, viandes et de pourvéances toutes prêtes dont ils se aisèrent et menèrent leur gloire en joie et revel, ainsi que peuple lequel a eu victoire sur ses ennemis, le roi Basaach dit l’Amorath-Baquin vint descendre à grand nombre de ménestrels, selon l’usage qu’ils ont en leur pays, devant la maîtresse tente qui avoit été au roi de Hongrie ; laquelle étoit belle noble, et bien ornée de beaux paremens où ledit Amorath prit grand’plaisir et magnificence. Et se glorifioit en son cœur de la belle journée qu’il avoit eue sur les Chrétiens, et en remercioit Dieu selon sa loi où il créoit et que les payens créoient. Et quand on l’eut désarmé pour rafreschir et refroidir, il s’assit sur un tapis de soie en mi la tente, et fit venir devant lui tous ses plus principaux grands amis pour gengler et bourder à eux ; et il même les mettoit en voie et en matière de rire et de jouer et d’ébattre. Et disoit que prochainement tous passeroient à puissance au royaume de Honguerie et conquerreroient tout le pays, et ensuivant tous les autres royaumes et pays chrétiens ; et mettroient en son obéissance ; et lui suffiroit de tenir chacun en sa loi, mais qu’il en tînt la seigneurie ; et voudroit régner comme Alexandre de Macédoine qui fut roi sur douze ans de tout le monde ; duquel sang il se disoit et duquel lignage il étoit descendu et issu ; et tous ceux qui environ lui étoient lui accordoient sa parole et s’inclinoient contre lui. Là fit le roi Basaach faire trois commandemens. Le premier fut que quiconque avoit prisonnier, il le mît avant dedans le second jour et amenât devers le roi et ses hommes. Le second mandement fut que tous les morts fussent cherchés et visités, et les nobles qui se montroient à être plus grands seigneurs que les autres fussent tous traits d’un côté et laissés en leurs points tant que il les eût vus ; car il vouloit là aller devant souper. Le tiers commandement fut que on enquît justement et véritablement, entre les morts et les vifs, si le roi de Honguerie étoit mort ou vif, ou prisonnier. Tout fut fait ainsi qu’il l’ordonna, ni nul n’eût osé faire du contraire.

Quand l’Amorath-Baquin fut rafreschi et remis en autres habits, il lui vint en plaisance et volonté qu’il iroit voir les morts où la bataille avoit été ; car lui fut dit que grand nombre de gens il avoit perdu, et que trop lui avoit coûté la bataille : desquelles parolles il étoit moult émerveillé et ne les pouvoit croire. Si monta à cheval, et grand nombre des nobles de son ost en sa compagnie. Et étoient les plus prochains du roi et de son conseil, Alibasaach et le Sourbasaach[6]. Aucuns gens disoient que c’étoient ses frères ; mais il ne les vouloit point connoître, et disoit qu’il n’avoit nuls frères. Quand il fut venu jusques au lieu là où la bataille avoit été, et que les morts et occis gisoient, si trouva en vérité ce que dit lui avoit été ; car pour un Chrétien qui là gisoit mort, il y avoit trente Turcs, ou autres hommes de sa loi. Si fut durement courroucé en soi-même, et dit tout haut : « Il y a ci eu crueuse bataille sur nos gens ; et fort se sont défendus ces Chrétiens. Mais je ferai cette occision bien comparoir à ceux qui sont demeurés en vie. »

Adonc se départit le roi de la place et retourna au logis, et se aisa de ce qu’il trouva, tant du sien que de ce qu’ils avoient trouvé et conquêté, et passa la nuit en grand’fureur de cœur. Quand ce vint au matin, avant qu’il fût levé ni qu’il se montrât, grand nombre de ses hommes s’assemblèrent en la place, devant sa tente, pour voir et savoir quelle chose il voudroit faire des prisonniers qui pris étoient, car commune renommée couroit entre eux, que tous seroient détranchés et démembrés sans nully prendre à merci ni à pitié. L’Amorath-Baquin avoit réservé, quelque fureur ou courroux qu’il eût, et ordonné de soi-même, que les plus grands seigneurs des Chrétiens, et que ses hommes avoient pris, trouvés et vus en grand arroi en la bataille, fussent tournés d’un côté ; car lui fut dit que cils paieroient grand’rançon, et pour ce étoit-il incliné à eux sauver. Avecques tout ce, il étoit bien avenu que plusieurs Sarrasins et payens, Persans, Tartres, Arabes, Lectuaires[7] et Surs[8] avoient pris des prisonniers dont ils pensoient grandement mieux valoir, ainsi qu’ils firent ; si les celèrent et mucèrent, et ne vinrent pas tous à la connoissance de l’Amorath. Et advint que messire Jacques de Helly fut le mardi au matin amené devant la tente du roi avec plusieurs autres, et ne l’osa celui qui l’avoit pris plus celer ni garder. Et ainsi qu’on attendoit la venue de l’Amorath, chevaliers et hommes de son hôtel se tenoient là tout cois, et regardoient les prisonniers. Si eut ledit chevalier de France celle aventure à bonne pour lui, qu’il fut reconnu des gens et serviteurs du corps et hôtel de l’Amorath-Baquin. Si fit reconnoissance à eux, et eux à lui ; et le délivrèrent tantôt les Turcs, qui le reconnurent, des mains de celui qui pris l’avoit ; et demeura ès mains et ordonnance des hommes de l’Amorath. Dont il tenoit l’aventure à belle ; et voirement le fut-elle, ainsi que vous orrez recorder ; car aux aucuns Chrétiens elle fut piteuse et crueuse.

Avant que le roi Basaach vînt en la place, ni que il se montrât généralement à tous ses hommes, on avoit enquis et demandé par ordonnance lesquels des seigneurs chrétiens étoient les plus grands ; et furent bien examinés des latiniers[9] du roi ; et mis d’un côté, pour sauver et non occire, messire Jean de Bourgogne, comte de Nevers, chef de tous les autres ; secondement, messire Philippe d’Artois, comte d’Eu et le comte de la Marche, le sire de Coucy, messire Henry de Bar, messire Guy de la Trémoille ; et tant qu’il y en eut jusques à huit, lesquels l’Amorath-Baquin voult voir et parler à eux ; et les regarda moult longuement ; et furent conjurés ces seigneurs, sur leur foi et sur leur loi, si ils étoient tels que ils se nommoient. Et encore, pour mieux savoir la vérité, on s’avisa que on envoyeroit devers eux le chevalier françois que je nomme messire Jacques de Helly, car par raison il les devoit connoître ; et jà étoit-il reconnu de l’Amorath auquel il avoit servi. Si étoit pris sus et au péril de la mort. Si lui fut dit et demandé si connoissoit ces chevaliers de France prisonniers qui là étoient tous ensemble au fond des autres. Il répondit : « Je ne sais ; si je les véois, je les reconnoîtrois bien. » Donc lui fut dit et enjoint : « Allez devers eux et les avisez, et regardez bien ; et rapportez la certaineté d’eux à l’Amorath, et de leurs noms ; car sur votre parole il aura avis. » Il le fit, ainsi que dit et ordonné lui fut ; et s’en vint devers les seigneurs dessus nommés et s’inclina, et tantôt les avisa et connut. Si parla à eux et leur dit son aventure, et comment il étoit là envoyé de par l’Amorath à savoir si ils étoient tels que ils se disoient et nommoient. Ils répondirent sagement, et dirent : « Messire Jacques, vous nous connoissez tous, et si véez comme la fortune est contre nous, et que sommes en grand danger et en la merci de ce roi. Si que, pour nous sauver les vies, faites nous encore plus grands devers le roi que nous ne sommes ; et lui dites que nous sommes hommes et seigneurs pous payer grand’finance. » Donc, répondit messire Jacques : « Messeigneurs, tout ce ferai-je volontiers, et à ce faire suis-je tenu. » Donc retourna le chevalier devers l’Amorath et son conseil, et leur dit que ces seigneurs qui pris étoient, et auxquels présentement parlé avoit, étoient les plus grands et nobles du royaume de France, et moult prochains du lignage du roi de France, et paieroient pour leur délivrance grand’somme d’or. Ces paroles furent assez agréables à l’Amorath ; et voult entendre à autre chose, et dit ainsi, que ceux tant seulement réservés, tous les autres qui prisonniers étoient seroient morts et détranchés ; et délivreroit-on le pays d’eux, par quoi tous les autres s’y exempliroient. Adonc se montra le dit roi à tout le peuple qui là étoit assemblé ; et quand ils le virent venir, tous s’inclinèrent contre lui et lui firent la révérence ; et se mirent les hommes de l’Amorath en deux ailes, et le comte de Nevers, et ceux qui réservés étoient de non mourir assez près d’eux, car le roi vouloit que ils vissent la correction et discipline que on feroit du demourant des autres. À laquelle chose les Sarrasins étoient tous enclins et désirant de ce faire.

Donc furent amenés, ainsi que tout nuds, en leurs linges draps, l’un après l’autre, plusieurs bons chevaliers et écuyers du royaume de France et d’autres nations, qui pris avoient été en la bataille et sur la chasse, devant l’Amorath-Baquin, lesquels il regarda un petit ; et quand il les avoit vus on les tournoit hors de son regard. Car il faisoit un signe que ils fussent morts et détranchés, et sitôt que ils entroient entre ceux qui les épées toutes nues les attendoient, ils étoient morts et détranchés pièce à pièce sans nulle merci. Celle cruelle justice fit faire ce jour l’Amorath-Baquin ; et en y ot plus de trois cents, tous gentilshommes de diverses nations mis en ce parti, dont ce fut dommage et pitié quand ainsi furent tourmentés pour l’amour de notre sauveur Jésus-Christ qui en veuille avoir les âmes. Et entre lesquels, qui furent là détranchés et occis en la forme et manière que je vous dis, ce gentil chevalier françois et hainuyer, messire Henry d’Antoing, en fut l’un. Dieu lui soit piteux et miséricors à l’âme ! Et advint que messire Boucicaut, maréchal de France, fut amené tout nud avecques les autres devant le dit Amorath ; et eût eu celle peine et celle mort crueuse sans merci, si le comte de Nevers ne l’eût pas avisé ; mais si très tôt que il le vit, il se départit de ses compagnons qui tout ébahis étoient de la crueuse peine que on faisoit souffrir à leurs gens, et s’en vint mettre et jeter à genoux devant le roi Basaach, et lui pria de bon cœur et très acertes que on voulsist sauver et respiter ce chevalier nommé Boucicaut, car il étoit trop grandement bien du roi de France, et puissant assez pour payer grand’rançon ; et lui fit encore le dit comte signe, en comptant d’une main en l’autre, que il payeroit grand’finance, pour mieux adoucir la fureur du roi. Le roi s’inclina, et descendit à la prière et parole du comte de Nevers ; et fut messire Boucicaut tourné d’un côté et mis avecques les autres et respité de non mourir[10]. Depuis en y ot des autres, et tant que le nombre ci-dessus fut accompli et empli. Celle crueuse vengeance et justice faite des Chrétiens, on entendit à autres choses. Et me semble que il advint ainsi, selon ce que je fus informé, que l’Amorath eut plaisance et volonté que la belle journée de victoire qu’il avoit eue sur les Chrétiens et la prise du comte de Nevers seroit signifiée en France et manifestée par un chevalier de France. Si furent pris trois chevaliers françois, entre lesquels messire Jacques de Helly étoit l’un ; et furent amenés devant l’Amorath et le comte de Nevers ; et fut demandé au dit comte lequel des trois il vouloit qu’il fît le message et allât devers le roi de France et son père, le duc de Bourgogne. Messire Jacques de Helly eut celle bonne aventure, pourtant que le comte de Nevers le connoissoit bien, et dit : « Sire, je veux que celui-ci y voise, de par vous et de par nous. » Celle parole fut acceptée de l’Amorath ; et demoura messire Jacques de Helly avecques l’Amorath et les seigneurs de France, et les deux autres chevaliers furent renvoyés et délivrés au peuple pour occire et démembrer, ainsi qu’ils le firent, dont ce fut pitié. Après toutes ces choses et ordonnances faites, on s’apaisa ; et entendit le dit roi que le roi de Honguerie n’étoit ni mort ni pris, mais s’étoit sauvé. Si eut conseil qu’il se trairoit en Turquie et devers la cité de Burse[11], et là seroient menés ses prisonniers ; et que pour celle saison il en avoit assez fait ; et donneroit à ses hommes congé, et à ceux des lointains royaumes qui servi l’avoient en ce voyage.

Ainsi fut fait comme il l’ordonna ; et se départirent ses osts, car il y en avoit de Tartarie, de Perse, de Mêde, de Syrie, d’Alexandrie, de Letto[12] et de moult lointaines contrées de mescréans. Encore avecques toutes ces ordonnances, fut ordonné et délivré par l’Amorath le chevalier françois, messire Jacques de Helly, de retourner en France ; et lui fut enjoint et chargé qu’il prît son chemin parmi la Lombardie ; et lui saluât le duc de Milan. Et vouloit bien l’Amorath-Baquin, et étoit son intention, que messire Jacques de Helly, sur son chemin, partout où il viendroit et passeroit, prononçât et manifestât la belle journée de victoire que l’Amorath avoit eue sur les Chrétiens. Le comte de Nevers escripsit, pour lui et pour tous les autres qui pris étoient, au roi de France, à son père le duc de Bourgogne et à la duchesse sa mère. Quand le chevalier eut toute sa charge, tant de lettres comme de paroles, il se départit de l’Amorath et des barons de France et se mit à voie ; et fit l’Amorath-Baquin jurer et certifier le dit chevalier que, fait son voyage en France, et noncié au roi et aux seigneurs tout ce dont chargé étoit, au plus tôt qu’il pourroit il se mettroit au retour. Ainsi le promit et jura le chevalier, et le tint à son loyal pouvoir. Nous nous souffrirons un peu à parler de l’Amorath-Baquin et des seigneurs de France, qui ses prisonniers étoient et demeurèrent tant qu’il lui vint à plaisance, et parlerons d’autres nouvelles qui toutes descendent de celle matière.

Après celle grand’déconfiture qui fut faite des Turcs et de leurs aidans sur les Chrétiens, si comme il est contenu ci-dessus en l’histoire, chevaliers et écuyers qui sauver se purent se sauvèrent. Et en y eut plus de trois cents, chevaliers et écuyers, qui ce lundi au matin étoient allés fourrager, qui point ne furent à la bataille ni à la déconfiture ; car quand ils entendirent par les déconfits et fuyans comme la déconfiture se portoit sur leurs gens, ils n’eurent nul talent de retourner vers leurs logis, mais se mirent au plus tôt qu’ils purent à la salvation, et prirent divers chemins en éloignant le péril de la Turquie. Et entrèrent les fuyans, François et d’autres nations, Allemands, Escossois, Flamands et autres en un pays qui joint à la Honguerie que on appelle la Blaquie[13], et est une terre remplie de diverses gens. Et furent conquis sur les Turcs et tournés de force à la foi chrétienne.

Les gardes des ports et des passages des villes et châteaux de cette contrée nommée la Blaquie, laissoient entrer et venir assez légèrement les Chrétiens qui de la Turquie venoient entre eux et les logeoient ; mais au matin, au prendre congé, ils tolloient aux chevaliers et écuyers tout ce qu’ils avoient, et les mettoient en une pauvre cotelle[14], et leur donnoient un petit d’argent pour passer la journée tant seulement. Celle grâce faisoient-ils aux gentils hommes ; et les autres gros varlets qui pas n’étoient gentils hommes, ils les dépouilloient tous nuds, et les battoient vilainement, et n’en avoient nulle pitié. Et eurent toutes gens, François et autres, moult de povretés et de peines à passer le pays de la Blaquie et toute la Honguerie. À peine pouvoient-ils retrouver qui pour l’amour de Dieu leur voulsist donner du pain, ni eux au vèpre loger, ni herberger. Et endurèrent ce danger les passans jusques à tant qu’ils furent venus à Vienne en Osteriche, Là furent-ils recueillis plus doucement des bonnes gens qui en eurent pitié ; et revêtoient les nuds, et départoient de leurs biens ; et ainsi, parmi tout le royaume de Bohême ; car s’ils eussent trouvé aussi durs les Allemands comme ils firent les Hongrès, ils ne pussent être retournés, mais fussent tous morts de froid et de faim sur les chemins. Ainsi qu’ils venoient et retournoient seuls ou accompagnés, ils recordoient ces povres nouvelles ; dont toutes gens qui les oyoient en avoient pitié ; et plus les uns que les autres. Et tant avalèrent ces affuyans qu’ils vinrent en France et à Paris. Si commencèrent à bouter hors ces angoiseuses nouvelles, lesquelles, de premier on ne vouloit ni pouvoit croire ; et disoient les aucuns parmi la ville de Paris : « C’est dommage que on ne pend ou noie cette ribaudaille qui sème tous les jours tels gengles et fallaces. » Nonobstant ces menaces, tous les jours les nouvelles multiplioient et s’espartoient partout ; car nouvelles gens revenoient qui en parloient, les uns en une manière et les autres en une autre. Quand le roi de France entendit que telles nouvelles se multiplioient et continuoient, si ne lui furent pas plaisans ; car trop grand dommage y avoit des nobles de son sang et des bons chevaliers et écuyers de son royaume de France. Et fit un commandement à la fin que nul n’en parlât plus avant jusques à ce que on en seroit mieux informé de la vérité ou de la mensonge ; et que tous ceux qui en parloient, et disoient qu’ils retournoient de Honguerie et de Turquie, fussent pris et boutés au Chastelet à Paris. Si en y eut mis grand nombre ; et leur fut bien dit que, si on trouvoit en mensonge les paroles que dites avoient, il étoit ordonné qu’ils seroient tous noyés. Et en furent en la fureur du roi en grand’aventure.

  1. Froissart puise ses renseignemens sur l’histoire de Charlemagne dans les romans de chevalerie.
  2. Tamerlan.
  3. Ce fait est contraire à l’histoire.
  4. La fête de Saint-Simon et Saint-Jude, jour de la bataille, tombe le 28 octobre. La perte de la bataille de Nicopoli a eu les résultats les plus fâcheux sur le sort de l’empire grec, et a ouvert aux sultans les portes de Constantinople. De tous les écrivains français et étrangers, Froissart est celui qui a raconté avec plus de détails les divers événemens qui la précédèrent et la suivirent ; mais, par sa manière d’écrire les noms d’hommes et de lieux, il les défigure tellement qu’il est souvent impossible de les reconnaître. J’ai parcouru tout ce que les divers historiens pouvaient avoir écrit sur le même sujet, afin de les expliquer les uns par les autres. Il me semblait que les historiens hongrois devaient être les plus circonstanciés ; mais à mon grand étonnement, ils ne font mention que comme en passant d’une bataille qui a, pour ainsi dire, désarmé le roi de Hongrie, et ouvert la route de Vienne aux Musulmans. Les historiens turcs s’étendent un peu plus sur cette matière, mais c’est encore dans Froissart, dans le moine de Saint-Denis et dans les Mémoires du maréchal de Boucicaut, fait prisonnier à cette bataille, qu’on retrouve le plus de renseignemens. J’ai réuni dans cet Appendice tout ce que j’ai pu réunir des récits des historiens étrangers.
    HISTORIENS HONGROIS.

    Parmi les Scriptores rerum Hungaricarum (t. i,) Jean de Thwrocz est celui qui en a parlé le plus au long ; voici ce qu’il en dit (pars iv, cap. viii) :

    Rebus Turcorum in die augescentibus, rege Lodovico vità functo, habenisque Hungaricis in Sigismundum regem devolutis, Pasaithes et ipse Cæsar Turcorum, paire Amurate, peracri ingenio, non minùs idoneus et in tentandis rebus arduis, magis audax, brevi spatio temporis, Thraciam universam, Thessaliamque ac Macedoniam, Phocidem, Bœotiam et Atticam, tùm vi, tùm deditione capiens, sui dominii fecit. Misos quoque, quos nos Bulgaros vogamus, regis Sigismundi sub ditione constitutos, armis infestis aggressus est. Ad hunc Pasaithem, rex suos caduceatores misisse ; utque ab invadendo regno, sibi juris vigore attinente, desisteret, eidem intimasse ; illum verò per occasionem, interim, donec totà Bulgariæ terrà potitus est, relationem distulisse ; tandem, diversitatum armorum, framearum putà ac clypeorum, nec non pharetrarum, quibus Turci in hostes utuntur, singulos per parietes unius domus, appendi fecisse, introductisque regiis caduceatoribus, ad illos dixisse fertur : Reverlimini ad regem vestrum, et dicite illi quoniam et ego terram ad hanc, ut videtis, jus habeo sufficiens. Pariterque et illis, in parietibus pendentia manu ostendit arma. Hæc res, Sigismundi régis animum non parùm ulciscendi in timorem excitavit. Quapropter sui regni decimo, dominicæ autem incarnationis mcccxcvi anno, commotà universà sui principatûs armorum virtute, ingentem conflavit exercitum. In quam quidem regiam expeditionem tàm grandem, dux Burgundiæ inter alias nationes, ac Francorum sive Gallorum populus, arma non pauca, fortiaque virorum bellatorum agmina, advexerant. Quorum nobilitatis armorum insignia, Budæ, in claustro sancti Nicolaï confessoris, erga fratres prædicatorum, tabulis arte pictorià inscripta, ac parietibus affixa, meos usque ad annos, pro memorià stetere. Motà igitur rex Sigismundus tàm grandi sui exercitùs congregatione, Danubium transivit ; et nedum Turcorum timeret Cæsarem, verùm quidam ipsum dixisse ferunt : Quid metuendus est nobia homo ? Vastum si cœlorum super nos pondus rueret, ipsi illud nostris, quas gerimus hastis, ne læderemur, sustentare possemus. Regno tandem Rasciæ crudeli furore, in magnà rerum direptione, horribilitatisque strepitu nimio, pertransito, Bulgariæ venit ad oras : indè oppidis Oriszo et Bidinio, aliisque partium earumdem munitionibus nonnullis, Turcorum quas tutabatur bellicosa manus, non sine sui et suorum multà sanguinis effusione, expugnatis ; ad ultimum, eà ipsius anni ætate, cum vites suos fructus dulciores cultoribus reddebant, circa festum videlicet sancti Michaelis Archangeli, in campo castri majoris Nicapolis, sua castra fixit. Turci verò crebriùs de castro erumpentes, regium exercitum in se provocabant ; nonnudosque vulnerantes, sæpiùs vulnerati redibant. Cæsar autem Turcorum, quem nostri seniores Pasaylhem supradictum nominavère ; Nicolaus autem Secundini, de familià et origine Turcorum, ad Æneam Senarum episcopum scribens, eumdem Chalapinum fuisse posuit ; dùm regem, grandi bellico cum apparatu, sua in domina penetràsse audivit, non minùs omne gentis suæ robur, in arma concitavit, et in forti suorum manu, regiæ obsistere, expeditioni conatus, appropinquabat. Galli verò sive Franci, advenientis hostis famà pulsati regem adeuntes, et eum belli primitias, quæ majori fervere soient atrocitate, illis in se accipere, ut annueret, rogatum effecère. Dum igitur Cæsar ipse, frementibus undique suis agminibus, magnam vim paganorum secum trahens regiis opponi castris visus est, mox Franci, præcipiendæ pugnæ insolenti cupiditate capti, priusquàm universæ regales copiæ, instructis ex ordine aciebus, signis collatis, prælium inirent, è castris prosilientes, et præcipites ab equis ut eorum moris est, pedites certaturi, descendentes, contrarias irruerunt in turmas. Diro itaque bello, hostes interutros que vigente, cùm Hungari, sellatos Francorum equos, cursu transverso, regia petere castra conspiciunt, nondùm enim illorum bellandi usus ipsis notus erat : illos omninò, hostilem per manum extincios fore credentes, graves dissoluti in tumultus, castra pariter et bellica relinquentes. ingenia, campo undique fusi, hosiibus acriter insistentibus, in fugam convertuntur. Strages fit maxima : multi cecidère de Hungaris, et multi captivitate affecti : et nisi ipse rex, navis ministerio, sibi adinvenisset salutem non cœlo, velut elatus princeps dixisse fertur, sed hostis armis, ibidem obrutus fuisset.

    HISTORIENS TURCS.

    La Bibliothèque du Roi contient plusieurs traductions d’ouvrages turcs, faits pour les Jeunes de langue française de Constaniinople. Le n. 28 contient le texte turc et la traduction de l’Histoire de l’origine des empereurs ottomans, faite par M. de la Roque sous la direction du P. Romain, conseiller des missions et préfet des Jeunes de langue ; cette traduction a d’ailleurs été revue par M. Petis de la Croix, en sorte qu’on peut compter sur sa fidélité. Voici ce que je lis sur l’affaire de Nicopoli, que l’historien turc appelle Nigheboli.

    Après avoir peint Bajazet quittant Brousse pour marcher contre Karman-Oghli qui s’était révolté en s’emparant d’Amasia et de Kastemoni, il le fait partir de là pour la Romélie.

    « Là, dit-il, il ravagea le pays des Lazes et prit Ghengherjtchinlik, et fit des incursions dans la Hongrie. Il mit le siége devant Bellegrade, ce fut l’an 793, mais il le leva après un mois d’attaque. La même année il réduisit à son obéissance Nigheboli ; de là il passa dans la Valachie. Celui qui en était gouverneur s’appelait Mirtcho ; il sortit avec une armée fort nombreuse et vint au devant du sultan Bajazet. Le combat qui se livra fut sanglant ; le carnage fut égal des deux côtés, et ainsi la victoire resta indécise. Après un jour de combat les deux armées se retirèrent. Le Grand-Seigneur fit venir devant lui Ali-Pacha, frère de Khaireddin Pacha, homme d’un grand courage qui était pour lors grand vizir et lui demanda comment pouvait s’être passé ce combat pour n’en être pas sortis victorieux. Après avoir bien conféré ensemble, Ali-Pacha trouva un stratagème qui ne contribua pas peu à faire tourner la victoire du côté des Ottomans. Il fit enlever pendant la nuit tous les corps des fidèles martyrisés et les fit jeter dans le Danube ; les infidèles furent bien surpris quand ils virent le lendemain qu’il n’y avait aucun musulman sur le champ de bataille et qu’il était jonché d’infidèles. Ce spectacle les épouvanta si fort qu’ils prirent la fuite. Bajazet, après cette expédition, passa le Danube, alla à Nigheboli, de là à Andrinople. Ce maudit Mirtcho, dont nous venons de parler, étant de retour dans son pays, convoqua tous les grands de sa cour et tint conseil avec eux : mais quoi qu’ils pussent proposer pour éviter d’être subjugués par le sultan, Mirtcho, jugeant qu’ils ne pourraient jamais tenir tête aux Musulmans, prit la résolution d’envoyer un ambassadeur à Bajazet pour lui demander la paix, moyennant un tribut qu’il lui donnerait tous les ans. Bajazet la lui accorda, puis il passa en Morée. Il resta dans un endroit appelé Caraferi, d’où il envoya son armée faire des incursions dans tous les environs, et elle en revint chargée d’un butin considérable. Bajazet, après y être resté quelque temps, prit le chemin de Constantinople pour s’en rendre maître. Comme il l’assiégeait, on lui fit savoir que le roi de Hongrie avait passé par Nigheboli et qu’il s’était emparé de la forteresse. Bajazet n’eut pas plutôt appris cette nouvelle qu’il quitta le siége de Constantinople, choisit dix mille des plus braves de son armée, avec lesquels il passa à Nigheboli et surprit les infidèles qui étaient tous assoupis ; leur frayeur fut si grande qu’ils s’entre-battirent sans aucune attention et se massacrèrent les uns les autres. Le nombre des morts fut si grand qu’on ne put le compter ; une grande partie même se noya dans le Danube, et le roi eut bien de la peine à se sauver des mains des Ottomans. Après cette expédition, Bajazet s’en retourna triomphant devant Constantinople.

    Le prince infidèle fût si épouvanté de son arrivée, que sans combattre il lui offrit mille sequins de tribut tous les ans, et assigna même un quartier pour ceux des Musulmans qui voudraient y demeurer. Il y en eut plusieurs qui s’y établirent ; ils y firent même bâtir une mosquée, choisirent parmi eux un juge pour maintenir le bon ordre, et y restèrent jusqu’au commencement de la guerre de Tamerlan contre Bajazet, époque à laquelle les infidèles abattirent leur mosquée, les chassèrent et les renvoyèrent dans la Romélie. »


    L’historien turc Saad-El-Din donne un peu plus de détails ; je le cite d’après la traduction italienne de Vincenzo Bratutti, car nous n’en avons aucune traduction française. L’ouvrage italien est intitulé : Chronica dell’ origine e progressa della casa Ottomana.

    Après avoir décrit comment Bajazet Ildérim ou la foudre s’empara de Salonique, de Lieni-Scieher (Neapoli) et de plusieurs autres villes de ce pays qui, dit le chroniqueur turc, n’étaient pas encore illuminées de l’éclat de la croyance, ni éclairées de la lumière de la foi musulmane, et comment elles devinrent l’asile de la félicité éternelle et de la grandeur de la sainte croyance, il fait partir Bajazet pour Brousse et continue ainsi :

    « Quantunque i Re e potentati grandi del mondo fin dall’antichità desiderassero e à gara procurassero di pigliare e soggiogare la città di Costantinopoli (la qual’è un compendio di bellezza, e di meraviglia del mondo ;) nulla di meno non sorti mai ad alcun principe, per potente che fosse stato, ilconquisto di quella. Onde il Rè Fulmine* acceso dal gran zelo e desiderio di soggiogarsela, vollò ogni suo studio e pensiero a quel fine, e nutri continuamente quel desiderio nel suo cuore ; ma perche quella città era rimasa nel mezzo e centra délie città fedeli, e quel principe non mostrava di voler far qualch’eccesso, ni tentar qualche hostilità, però il rè preferi al conquisto d’essa, la diffesa de’confini de’suoi stati, e lo providimento de’bisogni de’fedeli di quelle parti. Havendo dunque inteso quel gran conquistatore delle provincie e de’regni, che il rè d’Hungaria s’era sollevato contrà di lui ; però rivoltò tutti i suoi pensieri e disegni alla distruzione di lui, e l’anno 797 tragettò à Gallipoli, e si fermò per qualche giorno in Adrianopoli, aspettando che si raddunasse l’esercito insieme. Frà tanto fù pressa una spia spedita dal principe di Costantinopoli al rè d’Hungaria per avvisarlo e avvertirlo, che li stendardi regij s’erano di già inviati à quella volta ; laqual spia essendo condotta alla corte regia, e trovandosi disperata della sua liberazione, confessò tutto lo trattato ; e di più disse, che avanti d’essa, eran spedite ancora altre tre spie. Havendo dunque il rè inteso queste cose, s’accese grandemente d’ira e di sdegno, e però voltò di nuovo i suoi pensieri e disegni al conquisto di Constantinopoli ; e per tal effetto fece consiglio con li suoi consiglieri e governatori : ove ritrovato il parere di Timurtas Bassa eziandio di doversi voltare le redini militari a quella volta ; però fece voltar li stendardi vittoriosi contro Costantinopoli. Quel sviato principe inteso l’arrivo del rè, si sbigoti dalla paura, e subito spedl messi e lettere à’principi infedeli, e in particolare al rè d’Hungaria dicendogli : « Havendovi noi spedito una amichevol lettera, si per zelo della fede e religione come per interesse dello stato e commune amicizia, per darvi parte della risoluzione presa dall’imperatore Ottomano d’invadere li vostri stati : il che havend’egli risapulo c’ha assediato la città. Però non è ragione, che una città tanto principale come Constantinopoli, e una residenza degl’imperatori christiani, venghi ad esser pessundata dall’esercito Ottomano : nè si conviene alla commune amicizia nostra, che questo vostro benevolo e sincero amico resti prigione in mano d’un imperatore barbaro ; si che l’obligo dell’amicizia richiede, che raddunando l’esercito vostro, ci soccorriate e ci porgiate ajuto, con che corroborarete l’antica amicizia, e benevolenza con noi. » E con questi avvisi d’amore e stimoli d’honore accompagnate eziandio le promesse di voler dargli una grossa somma di dinari, e di pagare tutte le spese della guerra, e di darne di più le paghe alle soldalesche, persuase al rè d’Hungaria di prendere l’armi e invadere li paesi fedeli. Mentre dunque in queste parti procurava il rè fedele co’l suo esercito la mattina e la sera d’oppugnare la città di Costantinopoïi, e di già l’aveva ridotta à cativi termini, gli fù portata nuova, che il rè d’Hungaria, ripassato il Danubio con un innumerabil esercito, tendeva dirretamente verso Soffia : però si risolse d’andare à rimediare à quel inconvenienti e danni. Onde abbrugiate le machine dell’assedio, sene volò, come una tempestà e un folgore, à quella volta per diffendere li paesi fedeli dall’hostilità dell’esercito Hongaro : e giunse appresso la città d’Allagia-Hisar. Quel maligno rè haveva nascosta una parle del suo esercito per circondare e prendere in mezzo l’esercito fedele : ma il rè fedele essendo stato protetto e difeso da Dio, come se fosse stato illuminato ed avvertito dello stratagema di quel infedele, subilo divise il suo esercito in due parti, e ne mandò una per incontrare gl’infedeli, e l’altra, che accompagnava la sua real persona, pose in aguati. Mentre dunque quei primi guerrieri corobattevano con gl’infedeli, il rè sortito fuori degl’aguati con l’esercito, cosi fieramente assali quei disgraziati che gli sbaragliò e dissipò. Onde i guerrieri fedeli, doppo haver fatto una grandissima strage e mortalità de’nemici con le frezze e scimitarre loro, corsero dietro à quelli che fuggivano, e gli fecero prigioni : e fù cosi gran numero d’essi, che il figliuolo di Timurtas (il quai si trovò presente in quella pugna) disse ad Umur-beg (che racconta questo fatto) : Solamente nella mano della nostra squadra, sono intrati in quel scontro più di due mila prigioni. Nell’historia di monssignor Idris si contiene, che l’anno 978 essendo venuti circa cento e trenta mila Hongari infedeli sotto la città di Nicopoli, fù spedito Umur-beg innanzi per riconoscerli e prenderne lingua : ma havendo egli trovato l’esercito nemico innumerabile, e precluso l’adito a lui ; però non potè prender la lingua, ni baver l’informazione alcuna dello stato della città. Il che havendo inteso quel corragioso imperatore, n’hebbe grandissimo disgusto e dolore. Onde di notte, mentre l’esercito stava in quiete e riposo, senza dir cosa alcuna a’suoi ministri, montò a un velocissimo destriero, e sene volò, come un folgore, in quell’oscura notte verso la città. Ed essendovi arrivato sotto, sali con la favorevol fortuna, com’una nuvola estiva, soprà d’una collina, e con la voce tonante, chiamò Dogan-beg comandante di Nicopoli, gridando e dicendo : O ! Dogan ! Onde Dogan-beg, com’un Astore, trovatosi con la sua vigilante fortunata, presente sul muro della città, e conosciula, con sua grande allegrezza e giubilo di cuore, la voce di chi lo chiamava, si fece sentire ; onde il rè l’interrogò benignamente dello stato della città, de’cittadini, delle vittovaglie e munizioni. Egli augurando al rè lunga vita e felicità, rispose : « Con li felici auspicij regij le porie e le muraglie della città sono forti e ben munite : i defensori stanno, come la fortuna regia, di giorno e di notte vigilanti : ed habbiamo sufficienti bastimenti e munizioni. » Il rè inteso questo, ritirossi in dictro, e subito ritornò con somma velocità. Alcuni soldati dell’esercito infedele, havendo sentito la voce interrogante e rispondente, riferirono ciò al rè ; il quale subito comandò, che indagassero con ogni prestezza e diligezza chi ne fosse sato : ma perchè le tenebre della notte, e l’oscurità della negra fortuna degl’infedeli haveva fatto di cortina al rè fedele, però ess non poterono arrivare nè alla polvere del destriero regio, non che al istesso rè. La mattina seguente, all’alba, i il rè montando à un cavallo somigliante ad un elefante, e precedendo quel esercito somigliante alle stelle, sen’inviò verso in luogho dove il rè d’Hungaria si trovava accampato co’l suo esercito. Essendovi dunque, concorse insieme l’onde di quei due mari, diventò quella campagua simile à quella del guidicio universale. E sormontandovi il diluvio di mali sopra la testa de’nemici, si riempirono gl’occhi degl’infedeli con la polvere del campo della battaglia, e li petti hostili de’nemici della santa fede si riempirono di gemiti e sospiri dalla infocata scimittara Ottomana. Ma mentre si combatteva fieramente, un infedele brutto, com’un diavolo, per divino destino, percosse il rè con una mazza di ferro di sei ale, e con quel fiero colpo lese il suo delicato corpo, e lo gettò dalla sella d’oro alla faccia della terra. Ma gl’angioli furono quelli che con lo scudo della protezione lo difesero da’colpi di quella mazza diseale leed lddio grande è stato quello che con singolar grazia e favore lo liberò da quel male. Anzi s’hà per tradizione che vi comparessero alcuni spirili di luce in forma humana per soccorrere l’esercito fedele, et si trovarono presenti alla caduta del rè per liberario da’danni de nemici, si che bisogna cosi vivere che sdrucciolandosi il piede, gl’angeli li sostenghino con le loro mani. E cosa certa appresso di quelli che nanno lucido entendimento che lddio hà voluto in questa guisa castigare quel principe per li suoi pecçati, accio per 1’avvenire osservasse meglio li suoi sautissimi comandamenti ; e perche aveva confermato le sue grazie mottiplicato li suoi favori sopra quel monarca, però ancora questa volta ritrovò iscampo al suo male : ed havendo di nuovo, con buona diligenza de’suoi servitori, rimontato à un generossissimo cavallo, si presentò in battaglia, la quale inasprita e incrudelita maggiormente di prima, gl’infedeli abietti si ritrovarono in cosi mali termini, che gli rincrebbe la vita. Onde con l’ajuto e favor di Dio protettore de’suoi servi, quell’ostinata e perfida gente si disperse e dissipò affato, e fuggendosene à briglia sciolta, si precipitò nel Danubio ; di modo, che una parte s’annegò nell’acqua e un altra parte nel sangue. E fù cosi grande l’uccisione degl’infedeli abietti, che non si potè caminare per quella campagna, nè ritrovarsi la via, per la gran quantità de cadaveri che vi giacevano per terra. Però con l’ajuto e favor divino, tutti li guerrieri e soldati fedeli s’arricchirono con diverse bellissime robbe e presiossissime spoglie de’nemici ; e il rè detestando il vino e la crapola, rese infinite grazie, e lodi a Dio per quel gran beneficio, e fece volo de fabricare Tempij, Moschée, et altre fabriche pie, e con questo santo pensiero e proposito sene ritornò à Brussa.

    HISTORIENS GRECS.

    Michel Ducas, dans le chapitre xiii de son Histoire bysantine, dit quelques mots de cette affaire ; je me contente de traduire les parties qui s’y rapportent.

    « L’empereur Manuel se voyant tous les jours plus pressé par le tyran Bajazet, et n’apercevant aucun secours prochain, écrivit au pape, au roi de France et au crale de Hongrie, en leur annonçant que Constantinople était réduite à la plus grande extrémité, et que s’ils ne venaient pas promptement à son aide il serait forcé de rendre cette ville aux ennemis de la foi. Excités par ces discours, les chefs de l’occident prirent les armes pour résister aux ennemis de la croix, et à l’approche du printemps on vit arriver en Hongrie le roi de Flandre, un grand nombre d’Anglais, les plus grands de la France et beaucoup d’Italiens. À l’approche de la canicule, ils campèrent sur la rive du Danube, ayant avec eux le crale de Hongrie, Sigismond, qui était en même temps empereur des Romains. Ayant passé le Danube devant Nicopoli, ils se préparèrent à combattre avec courage contre Bajazet.

    « Bajazet fut bientôt informé que les hommes de l’Occident avoient levé une armée, et il se hâta de rassembler ses troupes de l’orient et de l’occident et y réunit celles qui formaient le siége de Constantinople. Marchant vers l’occident il traversa Philippopolis et s’approcha des hautes montagnes qui dominent les marais près de Sophia. C’est là qu’il s’arrêta et les attendit. Le lendemain, les Chrétiens s’avancèrent en bataille, en présence de l’armée des Turcs. Ils formèrent la tortue, brisèrent du premier choc le milieu de la phalange ennemie et combattirent avec la plus grande vigueur. Ils pénétrèrent enfin jusqu’aux dernières lignes et massacrèrent tout ce qu’ils rencontrèrent. Se réunissant de nouveau en masse serrée, ils se conduisirent avec tant de vigueur que les frondeurs et les archers turcs ne purent avoir aucune prise sur eux.

    « Dès que ceux de Flandre aperçurent que l’avantage était de leur côté, et que les Turcs prenaient la fuite, ils les poursuivirent en courant. Après avoir passé les retranchemens des Turcs et ensanglanté le champ de bataille ils retournèrent à leurs retranchemens. Les Turcs, avec leur chef Bajazet, qui prennent le nom de Porta (Porte) comme s’ils étaient les portes du palais de la cour, tous salariés et de différentes tribus, au nombre de plus de dix mille, cachés dans une embûche pour n’être pas vus, se concertèrent et attaquèrent en poussant de grands cris ; et après les avoir entourés et en être venus aux mains avec eux, ils massacrèrent les uns et mirent les autres en fuite.

    « Les hommes de Flandre, ayant vu la fuite des Hongrois et les Turcs les poursuivre en poussant de grands cris, prirent eux-mêmes la fuite. Tout à coup d’autres ennemis avec des cris retentissans et le bruit de leurs trompettes tombèrent sur les Francs, chassèrent les uns, démontèrent les autres, et tuèrent ceux qui voulaient résister. Ils poursuivirent ainsi les fuyards jusqu’au Danube dans lequel plusieurs se précipitèrent et s’y noyèrent. Parmi les chefs chrétiens ils firent prisonniers le duc de Flandre, et de Bourgogne et d’autres Français, ainsi que de très illustres barons, que Bajazet envoya à Brousse, où il les fit renfermer. Il les rendit ensuite, après avoir reçu beaucoup d’argent et pris pour caution le prince de Metelin, fils de Francisco Gateluzzo. »


    J’espérais que la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, à Bruxelles, m’offrirait quelques renseignemens de plus, mais toutes mes recherches ont été inutiles. Un instant, sur la foi du titre, je crus avoir trouvé ce que je désirais, mais la lecture du manuscrit me désappointa promptement ; ce manuscrit, coté 559d, a pour titre :

    « Une Espistre lamentable et consolatoire sur le fait de la desconfiture lacrimable du noble et vaillant roy de Honguerie par les Turcs, devant la ville de Nicopoli et l’empire des Boulguerie, adreçant à très puissant, vaillant et très sage prince royal, Philippe de France, duc de Bourgogne, etc., par un vieil solitaire des Célestins de Paris. »

    Ce sont des consolations religieuses sur cette défaite. Voici le seul fait qui s’y trouve :

    « De la desconfiture en gros du roy de Honguerie, de son host, et des causes pour quoi il a été desconffis.

    « Par la relacion de ceulx qui se trouvèrent à la journée lacrimable, le roy de Honguerie avoit en son host royal cent mil combatans, et Baxet n’en avoit guères moins. Les combatans du roy de Honguerie, par la dicte relacion, estoient de quatre catholiques et de cinq scismatiques, c’est assavoir de catholiques : les Hongres, les François, les Alemans, les Anglois et aucuns Ytaliens. Les scismatiques estoient : les, Bosniens, c’est du royaume de Bosne, et ceulx de Servie, d’Albaquie (Valachie), de Rasse et de Bulguerie. »

    L’auteur conclut que la présence des schismatiques ne pouvait manquer d’amener la défaite des catholiques alliés avec eux.

    Le but qu’il annonce dans cet ouvrage est de rendre les Chrétiens pieux pour leur faire obtenir la victoire, et il leur trace toutes les vertus qui leur sont nécessaires.

    Il ne se nomme dans aucun endroit de ce livre.


    * Traduction de Il Derim, surnom de Bajazet.

    C’est le nom que Michel Ducas donne à Jean de Nevers, fils du duc de Bourgogne.

  5. Je lis dans l’histoire de Chypre (t. ii, p. 19, ch. i) que Sigismond, roi de Hongrie, et Philibert de Naillac, grand maître de Rhodes, qui s’était réuni aux Français, avec la fleur de ses chevaliers, eurent le bonheur d’attraper, sur le bord du Danube, la flotte vénitienne commandée par Thomas Mocenigo qui les reçut et conduisit Philibert de Naillac à Rhodes, et Sigismond en Dalmatie.
  6. Mots qui correspondent probablement aux mots turcs Ali-Bajazet et Suléim-Bajazet. Si c’est des frères de Bajazet que veut parler Froissart, il n’en eut qu’un, Yacub Tchelebi, qu’il avait fait étrangler à la suite d’une révolte. S’il veut parler de ses enfans, il en eut quatre, suivant Cantemir : Mustapha, tué dans la bataille contre Tamerlan Soliman Tchelebi, Mose Tchebi et Mohammed, qui tous trois furent sultans après lui. Les historiens grecs lui donnent cinq fils qu’ils appellent : Erdogul, Issa, Calapin, Cyri celebis et Cibelin, faisant de Tchelebi, noble, un nom propre. Phranzès les appelle Moses, Jyusupn, Yessi, Musulman et Mohammed.
  7. Je ne sais quel est ce nom. Peut-être Lithuaniens ou Lettoniens.
  8. Syriens.
  9. Interprètes, drogmans.
  10. Cet événement est aussi raconté dans le Livre des faits du maréchal de Boucicaut.
  11. Ancienne Pruse, aujourd’hui Brousse.
  12. Nom qui m’est inconnu.
  13. Valachie.
  14. Petite cotte site.