Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre VII

Texte établi par J. A. C. BuchonA. Desrez (IIp. 379-383).

CHAPITRE VII.

De plusieurs faits d’armes par ceulx de la garnison de Lourdes et comment le comte d’Armignac et le seigneur d’Alebrest furent pris du comte de Foix.


« Entrementes que Pierre d’Anchin se tenoit en la garnison d’Ortingas, s’aventurèrent une nuit aucuns de ses compagnons qui désiroient à gagner et si en vinrent au chastel de Paillier, qui est à une lieue d’illec, dont messire Raimon de Paillier, un chevalier de ce pays, françois, est seigneur ; et firent si bien aller leur emprise, combien que autrefois s’y étoient essayés mais ne l’avoient pu prendre, que à celle heure ils l’échellèrent et le prirent. Et furent pris le chevalier, la dame et les enfans dedans leurs lits ; et tinrent depuis le chastel et laissèrent la dame et les enfans aller ; mais ils gardèrent environ quatre mois le chevalier dedans son chastel, tant qu’il ot payé mille francs pour sa rançon ; et finablement quand ils orent assez tourmenté et guerroyé le pays, ils vendirent ces deux chasteaux Ortingas et le Paillier, à ceux du pays et en eurent huit mille francs ; puis retournèrent à Lourdes, leur principale mansion.

« En tels faits et aventures se mettoient tous les jours les compagnons de Lourdes. Si avint encore en ce temps que un Gascon, appert homme d’armes, appelé le Mongat de Saint-Basile se partit de Lourdes, lui trentième, et s’en vint chevaucher à l’aventure en Toulousain et en Albigeois. Si cuida bien écheller un chastel appelé Penne en Albigeois. Mais pour ce qu’il faillit il fit à la porte escarmoucher, et là ot plusieurs appertises d’armes. À celle propre heure chevauchoit sur le pays le sénéchal de Toulouse, maître Hugues de Froideville, à soixante lances, et chéy d’aventure à Penne, entrementes que l’escarmouche se tenoit. Tantôt il mit pied à terre et ses gens aussi, et vinrent aux barrières où on se combattoit. Adonc se fut volontiers le Mongat parti si il eût put, mais il ne pouvoit. Là se combattit-il moult vaillamment main à main au chevalier, et fit plusieurs appertises d’armes, et navra en deux ou trois lieux le chevalier. Mais finablement il fut pris, car la force n’étoit pas sienne, et ses gens aussi morts ou pris. Petit se sauvèrent. Si fut amené le Mongat à Toulouse, et le vouloient lors le commun de la ville occire ès mains du sénéchal. À grand’peine le put-il sauver et mettre au chastel, tant étoit-il fort haï à Toulouse. Si bien lui chéy et avint que le duc de Berry vint à Toulouse. Il eut tant d’amis sur le chemin, que le duc le fit délivrer, parmi mille francs que le sénéchal en eut pour sa rançon.

« Quand le Mongat se vit délivré et il fut retourné à Lourdes, pour ce ne cessa-t-il pas à faire ses emprises ; et se partit une fois de Lourdes, lui cinquième, sans armure, en habit d’abbé, et menoit trois moines. Et lui et les moines avoient couronnes rèses ; et ne cuidat jamais nul, si il les vit, que ce ne fussent droits moines, car trop bien en avoient l’habit et la contenance. En cel état il vint à Montpellier et descendit à l’hôtel à l’Ange. Et dit que c’étoit un abbé de la haute Gascogne qui s’en alloit à Paris pour besogner. Il s’acointa d’un riche homme de Montpellier, qui se nommoit sire Berengier Oste, lequel avoit aussi à faire à Paris pour ses besognes. Cil abbé dit que il le mèneroit à ses frais et dépens. Cil fut tout lie quand il auroit ses frais quittes. Et se mit en chemin avec le Mongat, lui seulement et un varlet. Ils n’eurent pas éloigné Montpellier trois lieues, quand le Mongat le prit, et l’amena par voies torses et obliques et par chemins perdus, et fit tant que il le tint en la garnison de Lourdes ; et depuis le rançonna-t-il, et en ot cinq mille francs. » — « Sainte Marie ! sire, dis-je lors au chevalier, cil Mongat étoit-il appert homme d’armes ? » — « Oil voir, dit-il, et par armes mourut-il, et sur une place où nous passerons dedans trois jours, au pas qu’on dit au Lare en Bigorre, dessous une ville que on dit la Chiviat. » — « Et je le vous ramenteverai, dis-je au chevalier, quand nous serons venus jusques à là. »

Ainsi chevauchâmes-nous jusques à Montesquieu, une bonne ville fermée au comté de Foix, que les Herminages[1] et les Labrissiens[2] prindrent et emblèrent une fois ; mais ils ne la tinrent que trois jours.

Au matin nous nous partîmes de Montesquieu et chevauchâmes vers Palamininch, une bonne ville fermée séant sur la Garonne, qui est au comte de Foix. Quand nous fûmes venus moult près de là, nous cuidâmes passer au pont sur la Garonne pour entrer en la ville, mais nous ne pûmes, car le jour devant il avoit ouniement plu ès montagnes de Casteloigne et d’Arragon, par quoi une autre rivière qui vient de celui pays, qui s’appelle le Salas, étoit tant crue, avec ce que elle court roidement, que elle avoit mené aval la Garonne et rompu une arche du pont qui est tout de bois, pourquoi il nous convint retourner à Montesquieu et dîner, et là être tout le jour.

À lendemain le chevalier eut conseil que il passeroit au devant de la ville de Cassères à bâteaux la rivière. Si chevauchâmes celle part ; et vînmes sur le rivage et fîmes tant que nous et nos chevaux fûmes outre ; et vous dis que nous traversâmes la rivière de Garonne à grand’peine et en grand péril, car le bâteau n’étoit pas trop grand où nous passâmes, car il n’y pouvoit entrer que deux chevaux au coup et ceux qui les tenoient et les hommes qui le batel gouvernoient. Quand nous fûmes outre nous chéimes à Cassères et demeurâmes là tout le jour ; et entrementes que les varlets appareilloient le souper, messire Espaing de Lyon me dit : « Messire Jean, allons voir la ville. » — « Sire, dis-je, je le vueil. » Nous passâmes au long de la ville et vînmes à une porte qui siéd devers Palamininch, et passâmes, et outre vînmes sur les fossés. Le chevalier me montra un pan de mur de la ville et me dit : « Véez-vous ce mur illec ? » — « Oil, sire, dis-je ; pourquoi le dites-vous ? » — « Je le dis pourtant, dit le chevalier, que vous véez bien que il est plus neuf que les autres. » — « C’est vérité, » répondis-je. « Or, dit-il, je le vous conterai, par quelle incidence ce fut, et quelle chose, il y a environ dix ans, il en avint. Autrefois vous avez bien ouï parler de la guerre du comte d’Ermignac et du comte de Foix, et comment pour le pays de Berne que le comte de Foix tient, le comte d’Ermignac l’a guerroyé et encore guerroye, combien que maintenant il se repose ; mais c’est pour les trieuves qu’ils ont ensemble. Et vous dis que les Herminages ni les Labrissiens n’y ont rien gagné, mais perdu par trop de fois trop grossement ; car par une nuit de Saint-Nicolas en hiver, l’an mil trois cent soixante deux, le comte de Foix prit, assez près du Mont-Marsan, le comte d’Ermignac, le tayon de cestui, le seigneur de la Breth son neveu, et tous les nobles qui ce jour avecques eux étoient ; et les amena à Ortais, et encore en la comté de Foix en la tour du châtel d’Ortais ; et en reçut pour dix fois cent mille francs, seulement de cette prise là. Or avint depuis, que le père du comte d’Ermignac qui à présent est, qui s’appeloit messire Jean d’Ermignac, mit une chevauchée une fois sus de ses gens, et s’en vint prendre et écheller cette ville de Cassères ; et y furent bien deux cents hommes d’armes et montroient que ils la vouloient tenir de puissance. Les nouvelles vinrent lors au comte de Foix qui se tenoit à Pau, comment les Herminages et les Labrissiens avoient pris sa ville de Cassères. Il, qui est sage chevalier et vaillant et conforté en toutes ses besognes, appela tantôt deux frères bâtards qu’il a à chevaliers, messire Ernault Guillaume et messire Pierre de Berne, et leur dit : « Chevauchez tantôt devers Cassères, je vous envoierai gens de tous lez, et dedans trois jours je serai là avecques vous ; et gardez bien que nul ne se parte de la ville qu’il ne soit combattu, car vous serez forts assez ; et vous venus devant Cassères, à force de gens du pays, faites là apporter et acharier bûches en grand’planté et mettre contre les portes, et ficher et enter audehors, et puis ouvrer et charpenter audevant bonnes grosses bailles ; car je vueil que tous ceux qui sont là dedans y soient tellement enclos que jamais par les portes en saillent ; je leur ferai prendre autre chemin. »

« Les deux chevaliers firent son commandement et s’en vinrent à Palamininch ; et toutes gens d’armes de Béarn les suivoient et alloient avec eux. Ils s’en vinrent devant cette ville de Cassères et s’y logèrent. Ceux qui dedans étoient n’en firent compte. Mais ils ne se donnèrent de garde, quand ils furent tellement enclos que par les portes ils ne pouvoient issir ni saillir. Au troisième jour, le comte de Foix vint, accompagné de bien cinq cens hommes d’armes ; et sitôt comme il y fut venu, il fit faire bailles tout autour de celle ville, et aussi bailles entour son ost, par quoi de nuit on ne leur pût porter dommage. En cel état et sans assaillir tint-il ses ennemis plus de quinze jours ; et eurent là dedans Cassères très grand’deffaute de vivres ; des vins avoient-ils assez ; et ne pouvoient issir ni partir fors que par la rivière de Garonne, et si ils s’y boutoient, ils étoient perdus davantage.

Quand messire Jean d’Ermignac et messire Bernard de Labreth, et les chevaliers de leur côté qui là étoient, se virent en ce parti, si ne furent pas assurés de leurs vies, car ils sentoient le comte de Foix à trop cruel. Si eurent conseil que ils feroient traiter devers lui et que mieux leur valoit à être ses prisonniers que là mourir honteusement par famine. Le comte de Foix entendit à ces traités, parmi ce qu’il leur fit dire que jà par porte qui fût en la ville ils ne sauldroient, mais leur feroit-on faire un pertuis au mur, et un et un, en purs leurs habits, ils istroient. Il convint que ils prissent ce parti, autrement ils ne pouvoient finer. Ainçois que le comte de Foix s’en fût déporté, fussent-ils là dedans tous morts.

On leur fit faire un pertuis au mur qui ne fut pas très grand, par lequel un et un ils issoient ; et là étoit sur le chemin le comte de Foix armé, et toutes ses gens, et en ordonnance de bataille. Et ainsi que cils issoient, ils trouvoient qui les recueilloit et amenoit devers le comte. Là les départit le comte en plusieurs lieux et les envoya en plusieurs chastellenies et sénéchaussées ; et ses cousins messire Jean d’Ermignac et messire Bernard de la Breth, messire Manant de Barbasan, messire Raimond de Benac, messire Benedic de la Cornille, et environ eux vingt des plus notables, il les emmena avecques lui en Ortais, et en ot, ainçois qu’ils lui échappassent, cent mille francs deux fois. Par telle manière que je vous dis, beau maître, fut ce mur que vous véez dépecé pour ceux d’Ermignac et de la Breth, et depuis fut-il refait et réparé. »

À ces mots retournâmes-nous à l’hôtel et trouvâmes le souper tout prêt, et passâmes la nuit ; et au lendemain nous nous mîmes à cheval et chevauchâmes tout contremont la Garonne et passâmes parmi Palamininch, et puis entrâmes en la terre le comte de Comminges et d’Ermignac, au lez devers nous. Et d’autre part la Garonne si est terre au comte de Foix.

En chevauchant notre chemin me montra le chevalier une ville qui est assez forte et bonne par semblant, qui s’appelle Marceros le Croussac, laquelle est au comte de Comminges. Et d’autre part la rivière, sur les montagnes, me montra-t-il deux chastels qui sont au comte de Foix, dont l’un s’appelle Montmirail et l’autre Montclar. En chevauchant entre ces villes et ces chastels selon la rivière de Garonne, en une moult belle prairie, me dit le chevalier : « Ha ! messire Jean, je ai ci vu plusieurs fois de bonnes escarmouches et de durs et de bons rencontres de Foissois[3] et de Herminages ; car il n’y avoit ville ni chastel qui ne fussent pourvus et garnis de gens d’armes ; et là couroient et chassoient l’un sur l’autre, et là dessous vous en véez les masures. Si firent les Hermignages à l’encontre de ces deux chastels une bastide, et la gardoient soixante hommes d’armes ; et faisoient moult de maux par deçà la rivière en la terre du comte de Foix ; mais je vous dirai comment il leur en prit. Le comte de Foix y envoya une nuit son frère, messire Pierre de Berne, atout deux cens lances, et amenoient en leur compagnie bien quatre cens vilains tous chargés de fagots. Si appuyèrent ces fagots contre celle bastide, et encore grand’foison de bois que ils coupèrent en ces haies et en ces buissons, et puis boutèrent le feu dedans. Si ardirent la bastide et tous ceux qui dedans étoient, sans nul prendre à merci : oncques depuis nul ne s’y osa ramasser. »

En telles paroles et devises nous chevauchâmes tout le jour contremont la rivière de Garonne ; et véy d’une et d’autre part la rivière plusieurs beaux chastels et forteresses. Tous ceux qui étoient par delà, à la main senestre, étoient pour le comte de Foix, et cils de par çà devers nous étoient pour le comte d’Ermignac. Et passâmes à Mont-Pezat, un très beau chastel et très fort pour le comte d’Ermignac, séant haut sur une roche ; et dessous est le chemin et la ville. Au dehors de la ville, le trait d’une arbalète, à un pas que on dit à la Garde, est une tour sur le chemin, entre la roche et la rivière, et dessous celle tour, sur le passage, a une porte de fer coulisse ; et pourroient six personnes garder ce passage contre tout le monde ; car ils n’y peuvent que deux chevaucher de front pour les roches et la rivière. Adonc dis-je au chevalier ; « Sire, véez ci un fort passage et une forte entrée de pays. » — « C’est voir, répondit le chevalier ; et combien que l’entrée soit forte, toute fois le comte de Foix la conquit une fois ; et passèrent lui et ses gens tout par ci, et vinrent à Palamininch et à Montesquieu et jusques à la cité de Pammiers. Si étoit le passage assez bien gardé ; mais archers d’Angleterre qu’il avoit en sa compagnie lui aidèrent grandement son fait à faire, et le grand désir aussi qu’il avoit de passer tout outre pour venir en la marche de Pammiers. Or chevauchez de-lez moi et je vous dirai quelle chose il y fit adonc. » Lors chevauchai-je de-lez messire Espaing de Lyon et il me commença à faire sa narration.

« Le comte d’Ermignac et le sire de la Breth, ce dit le chevalier, atout bien cinq cens hommes d’armes, s’en vinrent en la comté de Foix et en la marche de Pammiers ; et fut droitement à l’entrée d’août que on doit recueillir les biens aux champs et que les raisins mûrissent, et par celle saison il en y avoit grand’abondance au pays dessus dit. Messire Jean d’Ermignac et ses gens se logèrent adonc devant la ville et le chastel de Savredun, â une petite lieue de la cité de Pammiers, et là livrèrent-ils assaut ; et mandèrent à ceux de Pammiers que si ils ne rachetoient leurs blés et leurs vignes, ils arderoient et détruiroient tout. Ceux de Pammiers se doutèrent, car le comte, leur sire, leur étoit trop loin ; il étoit en Berne ; et eurent conseil d’eux racheter, et se rachetèrent à six mille francs ; mais ils prindrent quinze jours de terme, lesquels on leur donna. Le comte de Foix fut informé de toute celle affaire et comme on rançonnoit ses sujets. Si se hâta au plus qu’il put, et manda gens de tous côtés, tant que il en eut assez, et s’en vint au férir d’éperons devers Pammiers, et passa au Pas de la Garde à celle porte coulisse de fer et la conquit, et s’en vint bouter en la cité de Pammiers. Et gens lui venoient de tous lez ; et avoit adonc largement douze cens lances, et fût venu sans faute combattre messire Jean d’Ermignac et ses gens si ils l’eussent attendu ; mais ils se partirent et se retrairent, et rentrèrent en la comté de Comminges, et point n’emportèrent l’argent de ceux de Pammiers, car ils n’eurent pas loisir de l’attendre. Mais pour ce ne le quitta pas le comte de Foix à ses gens, mais dit que il l’auroit et qu’il l’avoit gagné, quand il étoit venu tenir la journée et bouter hors du pays ses ennemis. Si l’eut et en paya ses gens d’armes, et là se tint tant que les besognes des bonnes gens furent faites et que ils eurent recueilli et vendangé, et le leur mis assur. » — « Par ma foi, dis-je au chevalier, je vous ai ouï volontiers. »

En ce moment nous passâmes de-lez un chastel qui s’appelle la Bretice, et puis un autre chastel que ou dit Bacelles, et tout en la comté de Comminges. En chevauchant je regardai et vis par delà la rivière un très bel chastel et grand et bonne ville par apparence. Je demandai au chevalier comment ce chastel étoit nommé. Il me dit que on l’appeloit Montespain : « Et est à un cousin du comte de Foix qui porte les vaches en armoiries, que on dit messire Roger d’Espaigne. C’est un grand baron et grand terrien en ce pays-ci et en Toulousain et est pour le présent sénéchal de Carcassonne. » Lors demandois-je à messire Espaing de Lyon. « Et cil messire Roger d’Espaigne, quelle chose étoit-il à messire Charles d’Espaigne qui fut connétable de France ? » Donc me répondit le chevalier, et me dit : « Ce n’est point de ces Espaignols là ; car cil messire Louis d’Espaigne et ce messire Charles de qui vous parlez vinrent du royaume d’Espaigne et de France de par leur mère, et furent cousins germains au roi Alphonse d’Espaigne[4]. Et servis de ma jeunesse messire Louis d’Espaigne ès guerres de Bretagne ; car il fut toujours pour la partie à Saint Charles de Blois, contre le comte de Montfort. » Atant laissâmes nous à parler de celle matière, et vînmes ce jour à Saint-Goussens une bonne ville du comté de Foîx, et à lendemain vînmes-nous dîner à Mont-Roial-de-Rivière, une bonne ville et forte, laquelle est du roi de France et de messire Roger d’Espaigne. Après dîner nous montâmes à cheval et partîmes, et prîmes le chemin de Lourdes et de Mauvoisin, et chevauchâmes parmi unes landes, qui durent en allant devers Toulouse bien quinze lieues, et apelle-t-on ces landes Landes-Bourg ; et y a moult de périlleux passages pour gens qui seroient avisés.

En-mi les Landes-Bourg siéd le chastel de Lamesen, qui est au comte de Foix, et une grosse lieue en sus la ville de Tournay dessous Mauvoisin, lequel chastel le chevalier me montra et me dit : « Velà Mauvoisin ! Avez-vous point en votre histoire dont vous m’avez parlé, comment le duc d’Anjou, du temps qu’il fut en ce pays et que il alla devant Lourdes, y mit le siége et le conquit, et le chastel de Trigalet sur la rivière que nous véons ci-devant nous qui est au seigneur de la Barre ? » Je pensai un petit et puis dis-je : « Je crois que je n’en ai rien et que je n’en fus oncques informé, si vous prie que vous m’en recordez la matière et je y entendrai volontiers. Mais dites-moi avant que je n’oublie, que la rivière de Garonne est devenue, car je ne la vois plus. » — « Vous dites voir, dit le chevalier ; elle se perd entre ces montagnes, et naît et vient d’une fontaine à trois lieues de ci, ainsi que on voudroit aller en Castelogne, dessous un chastel que on dit de Saint-Béat, le derrain chastel du royaume de France ès frontières de par de çà sur les bandes du royaume d’Arragon ; et en est sire et chastelain pour le présent, et de toute la terre là environ un gentil écuyer qui s’appelle Ernanton, et est Bourg d’Espaigne et cousin germain à messire Roger d’Espaigne. Si vous le véyez vous diriez bien : « Cil homme-ci a bien façon et ordonnance d’être droit homme d’armes. » Et a cil Bourg d’Espaigne plus porté de contraire et de dommage à ceux de Lourdes que tous les chevaliers et écuyers de ce pays n’aient ; et vous dis que le comte de Foix l’aime bien, car c’est son compagnon en armes. Je vous lairai[5] à parler de lui ; espoir à ce noël le verrez-vous en l’hôtel du comte de Foix ; et vous parlerai du duc d’Anjou comment il vint en ce pays, et quelle chose il y fit. » Adonc chevauchâmes-nous tout bellement et il commença à parler, et dit :

  1. Les gens du parti d’Armagnac.
  2. Les gens du parti d’Albret.
  3. Partisans du comte de Foix.
  4. Ils étaient petits-fils de Ferdinand de la Cerda, fils aîné d’Alphonse, roi de Castille.
  5. Je cesserai de vous parler de lui.