Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre XXV

CHAPITRE XXV.


Comment le prince fit dire aux trois chevaliers françois qui dedans Romorentin étoient qu’ils se rendissent ; et quelle chose ils répondirent.


Ces nouvelles vinrent au prince que ses gens avoient eu rencontre. Il demanda de qui. On lui dit, et tout ainsi que la besogne avoit allé, et comment ses gens avoient rebouté leurs ennemis au châtel de Romorentin. « Chevauchons celle part, dit le prince, je les vueil voir de plus près. » Lors s’arrouta tout l’ost celle part ; et vinrent jusques à la ville de Romorentin, qui jà étoit toute pleine de leurs gens, et qui étudioient comment à leur avantage ils pourroient assaillir le châtel. Là vint le prince armé de toutes pièces, monté sur un noir coursier, messire Jean Chandos de-lez lui ; et commencèrent à aviser et à imaginer la forteresse, et connurent assez qu’elle étoit bien prenable. Adonc appela le prince messire Jean Chandos et dit : « Jean, allez jusques aux barrières et parlez aux chevaliers qui sont laiens, à savoir si ils se voudroient rendre bellement, sans eux faire assaillir. »

Lors se partit le dit messire Jean Chandos du prince, et s’en vint devant les barrières, et fit signe qu’il vouloit parlementer d’aucune chose. Ceux qui étoient à la garde demandèrent son nom, et de par qui il étoit là tramis ni envoyé. Il se nomma et dit qu’il étoit là tramis de par son seigneur monseigneur le prince. Ceux à qui le dit chevalier avoit adressé sa parole vinrent à leurs maîtres et leur dirent tout ce que vous avez ouï. Adonc descendirent messire Boucicaut et l’ermite de Chaumont, et vinrent aux barrières. Si très tôt que messire Jean les vit il les salua et leur dit : « Seigneurs, je suis ici envoyé devers vous de par monseigneur le prince, qui veut être moult courtois à ses ennemis, si comme il me semble. Il dit ainsi que, si vous vous voulez mettre en sa prison et rendre cette forteresse cy qui n’est pas tenable, il vous prendra à mercy et vous fera très bonne compagnie. » — « Messire Jean, répondit messire Boucicaut, grands mercis à monseigneur le prince qui nous veut être si courtois ; mais nous ne sommes pas avisés ni en volonté de ce faire, ni jà ne plaise à Dieu qu’il nous ait si légèrement. » — « Comment, monseigneur Boucicaut, dit messire Jean Chandos, vous sentez-vous si bons chevaliers comme pour tenir cette forteresse à assaut contre le prince et son effort, et si ne vous est apparant confort de nul côté ? » — « Chandos, Chandos, répondit messire Boucicaut, je ne me tiens pas pour bon chevalier ; mais folie nous feroit mettre en tel parti d’armes que vous nous offrez ; et plus grand’folie le nous feroit prendre quand il n’est encore nul besoin. Dites à monseigneur le prince, s’il vous plaît, qu’il fasse ce que bon lui semblera, que nous sommes tous confortés de l’attendre. »

Ainsi se départirent eux l’un de l’autre, et s’en revint le dit messire Jean Chandos devers le prince, et lui conta, ainsi qu’il le sçut bien faire, toutes les paroles dessus dites. Quand le prince eut ouï la réponse de monseigneur Boucicaut, si ne l’en prisa mie moins, et commanda toutes manières de gens à eux loger pour le jour et le soir ensuivant ; car lendemain il vouloit faire assaillir la forteresse et essayer si par assaut il la pourroit avoir. Au commandement du prince et à l’ordonnance des maréchaux obéirent toutes manières de gens ; ce fut raison. Et se logèrent dedans la ville de Romorentin et dehors aussi, bien et faiticement.