Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXXXI

CHAPITRE LXXXI.


Comment Robin l’Escot, un des capitaines de Velly, prit le fort châtel de Roussy et le comte et la comtesse et leur fille dedans.


D’autre part, par devers Soissons et entre Laon et Reims se tenoient autres pilleurs et robeurs qui déroboient et rançonnoient tout le pays de là entour. Et parmi la terre du seigneur de Coucy et du comte de Roussy ne couroient-ils nullement ou bien peu ; car ces deux seigneurs les faisoient bien garder par gens d’armes, qu’ils avoient retenus à leurs gages et à leurs frais et mis en leurs châteaux et forteresses. Et étoit la souveraine garnison de ce pays de ces pilleurs, Velly : si l’avoient malement réparée et fortifiée ; et étoient bien dedans six cents combattans ; et en étoit capitaine Radigos de Dury, un écuyer Anglois, appert homme d’armes durement. Cil retenoit toutes manières de gens et de compagnons qui le vouloient servir, et leur donnoit certains gages, et les payoit tellement de terme en terme, que tous le servoient volontiers. Cil avoit avec lui un écuyer qui s’appeloit Robert l’Escot, qui étoit, ainsi que compagnons, à perte et à gain. Cil Robin l’Escot, pour lui faire avancer et renommer, alla par les fêtes de Noël gagner sauvagement par nuit le fort châtel de Roussy ; et prit dedans le propre comte de Roussy, madame sa femme, mademoiselle leur fille, et tous ceux qui y furent trouvés, et aussi toutes les pourvéances du château qui étoient moult grandes ; et fut avec tout ce toute la ville robée. Si fit le dit Robin l’Escot de la ville et du châtel une grande garnison, qui depuis gréva durement le pays de là entour ; et si rançonna le dit comte, madame sa femme et mademoiselle sa fille à la somme de douze mille florins d’or au mouton ; et si détint la ville et le châtel tout l’hiver et l’été après, qui fut l’an cinquante neuf. Et quand le comte de Roussy eut payé sa rançon, il s’en alla tenir à Laon, ou là où il lui plut le mieux. Ainsi étoit le pays foulé et désolé de tous lez : on ne savoit auquel entendre ; et en celui pays de l’évêché de Laon on ne faisoit nuls labours de terres, dont un moult cher temps en naquit depuis.