Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre IX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 297-298).

CHAPITRE IX.


Comment le pape Clément mourut et comment le nouveau pape Innocent obtint une trêve entre les deux rois.


En ce temps trépassa, à la Ville-Neuve de-lez Avignon, le pape Clément[1]. Si fut Innocent[2] pape. Assez tôt après la création du pape Innocent, s’en vint en France et à Paris messire Guy le cardinal de Boulogne. Si fut reçu et conjoui grandement du roi Jean, ce fut bien raison. Et étoit envoyé en France le dit cardinal pour traiter une trêve entre le roi de France et le roi d’Angleterre ; et l’avoit en celle instance le pape Innocent là envoyé en légation. Lequel pape par ses bulles prioit doucement à l’un roi et à l’autre que ils voulsissent faire comparoir leurs conseils devant lui et le collége de Rome en son palais en Avignon, et, si on pouvoit nullement, on les mettroit à paix. Si exploita si bien le dit cardinal, qui fut sage homme et vaillant, avec les lettres du pape, que unes trêves furent données entre les deux rois dessus nommés et tous leurs aherdans excepté Bretagne, cil pays-là y fut réservé, à durer deux ans[3] ; et furent les trêves données et scellées sur certains articles qui devoient être remontrés de toutes parties devant le pape et les cardinaux[4], et si à Dieu il plaisoit on y trouveroit aucun moyen par quoi paix se feroit. Si demeuroit la chose en cel état.

  1. Clément VI du nom, mort le 6 décembre 1352.
  2. Étienne Aubert, ancien évêque de Clermont, cardinal d’Ostie, pape sous le nom d’Innocent VI, le 18 décembre 1352.
  3. Robert d’Avesbury rapporte que cette trêve ne devait durer que jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste de l’année suivante.
  4. Suivant le même Robert d’Avesbury, les principaux articles étaient : que le roi d’Angleterre posséderait à perpétuité la Guyenne pour lui et ses descendans, sans en rendre hommage au roi de France, et qu’il renoncerait de son côté à ses prétentions sur la couronne de France. Des députés devaient être envoyés au pape pour terminer cette affaire : les députés furent envoyés à Avignon, mais l’évêque de Norwich un d’eux, étant venu à mourir, et les députés du roi de France se refusant à quelques conditions, les autres députés anglais qui étaient Henry duc de Lancastre, Jean comte d’Arundel, et Michel évêque de Londres, quittèrent Avignon sans avoir rien fait.